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Par salame — Dernière modification 19/07/2016 11:18


1 Evolution des épinoches lacustres

Epinoche marine.jpg

Epinoche eau douce.jpg

Cresko, W.A., et al. 2004 Parallel genetic basis for repeated evolution of armor loss in Alaskan threespine stickleback populations. Proc. Nat. Acad. Sci. U.S.A. 101:6050-6055, Fig. 4, p. 6053

 

La comparaison des épinoches montre la réduction très nette des plaques osseuses sur les flancs et l’absence d’épines pelviennes chez les épinoches lacustres. Comme celles-ci peuplant les lacs actuellement proviennent de populations d’épinoches marines ayant peuplé les lacs formés à la suite de la fonte de la calotte glaciaire, cela traduit une évolution phénotypique des épinoches lacustres en une dizaine de milliers d’années.

2 – Analyse génétique classique des différences phénotypiques

Résultats croisements.jpg

 Croisement entre formes parentales marine et lacustre, phénotype des hybrides F1 et génération F2 obtenues par croisement entre hybrides F1.

 

Les chercheurs sont partis de lignées pures d'épinoches marines d'une part et de lignées pures d'épinoches lacustres. Ils ont croisé les individus de ces deux lignées puis les hybrides F1, et ils ont analysé statistiquement les phénotypes de la génération F2.

Il faut d’abord considérer chaque caractère isolément et  se mettre dans l’hypothèse la plus simple où la différence phénotypique est due à un seul gène. En considérant par exemple l’armure de plaques, la F1 indique que le phénotype « existence d’une armure osseuse » est dominant. La proportion des phénotypes obtenus en F2 (F1xF1) proche de ¾ d’épinoches à armure et ¼ d’épinoches sans armure indique que la différence phénotypique est due à un seul gène. Le même type de raisonnement pour le caractère « épines pelviennes » débouche sur la conclusion que la différence phénotypique pour ce caractère est aussi due à un seul gène. Ainsi, on a l’exemple d’évolutions de caractères morphologiques dues chacune à un gène. La forme marine étant la forme sauvage, on peut dire que les allèles « perte de l’armure » et « perte des épines pelviennes » sont des allèles mutants. Deux hypothèses sont possibles : ces mutations sont intervenues chez des épinoches lacustres ou bien les allèles mutants existaient déjà chez les épinoches marines ayant envahi les lacs mais à une fréquence très faible.

L’analyse des résultats de la F2 en considérant cette fois les deux caractères (9/16 ; 3/16 ; 3/16 ; 1/16 ) permet de dire que les deux gènes en cause ségrégent de manière indépendante donc sont situés sur deux chromosomes différents. Cette analyse des phénotypes des épinoches permet donc de réinvestir les connaissances acquises dans la partie du programme sur le brassage génétique.

3 Origine de la différence phénotypique relative à la ceinture pelvienne et aux épines pelviennes

Poursuivant leurs recherches au niveau moléculaire, les biologistes ont isolé  un gène en jeu dans le développement des épines pelviennes et l’ont appelé Pitx1. Les données et documents suivants permettent de tester l'hypothèse que ce gène est impliqué dans cette différence phénotypique.

Comparaison des séquences codantes des allèles du gène PITX1

La comparaison des séquences du gène chez les formes marines et les formes lacustres, indique qu’il n’existe aucune différence. La protéine Pitx1 est la même. Ce n’est donc pas une mutation de la séquence codante du gène qui peut être la cause de l’absence du développement des épines pelviennes chez les formes lacustres.

4 – Expression du gène Pitx1 au cours du développement des épinoches


Par la méthode d’hybridation in situ, les biologistes ont recherché les endroits de l’organisme où on peut détecter la présence d’ARNm du gène Pitx1 au cours du développement. Ces territoires sont colorés en bleu avec la méthode utilisée.

Embryons d’épinoches.jpg

En haut, embryon d'épinoche marine ; en bas embryon d'épinoche lacustre. A gauche région de la tête grossie. Pect = nageoire pectorale

Genetic and developmental basis of evolutionary pelvic reduction in threespine sticklebacks. Michael D. Shapiro1 et ali. Nature 428, 717-723.

Chez les embryons des formes marines, le gène Pitx1 s’exprime au niveau du « nez », de la mâchoire inférieure, et dans les bourgeons des nageoires pelviennes indiqués par les flèches. Chez les formes lacustres, le gène Pirtx1 s’exprime bien au niveau du « nez », de la mâchoire inférieure mais pas dans les bourgeons des nageoires pelviennes. Il y a donc une corrélation entre l’absence d’expression du gène Pitx1 dans les nageoires embryonnaires et l’absence de développement de squelette des nageoires pelviennes et notamment des épines pelviennes. Cette corrélation traduit une relation de causalité : c’est parce que le gène ne s’exprime pas dans les nageoires pelviennes au cours du développement que celles-ci sont réduites et sans épines. La mutation a donc pour effet d’empêcher l’expression du gène sans affecter la séquence codante.

5 Mutation d’une séquence régulatrice du gène Pitx1 dans les nageoires.


L’absence d’expression du gène Pitx1 a suggéré une mutation dans une séquence régulatrice du gène. Celle-ci a été identifiée en 2010 et appelée « pel ». Pour détecter si des changements dans cette séquence pouvaient être à l’origine du changement morphologique, ils ont réalisé une expérience de transgénèse. Ils ont injecté dans des œufs d’épinoches lacustres, une construction génétique comprenant la région régulatrice « pel » des épinoches marines, la région promotrice et le gène Pitx1. La figure ci-après indique les résultats obtenus.

Trangénèse épinoches.jpg

A : Epinoche juvénile transgénique. B : épinoche juvénile lacustra. C et D : gros plan sur la région pelvienne de ces épinoches.

Adaptive Evolution of Pelvic Reduction in Sticklebacks by Recurrent Deletion of a Pitx1 Enhancer. Yingguang Frank Chan et ali. Science, 327, 2010, 302-305.

On constate que contrairement au témoin, le poisson transgénique développe des épines pelviennes. Donc la construction génique a permis le développement de ses épines. La différence entre les séquences « pel » des épinoches lacustres et marines doit donc être à l’origine des différences morphologiques de leurs  nageoires pelviennes.

Bilan

L’exemple des épinoches illustre comment un changement d’expression d’un gène de développement dans une région de l’embryon entraîne un changement morphologique et cela sans changement de la séquence codante du gène. C’est une mutation (en grande partie une délétion) d’une séquence régulatrice qui cause la non expression du gène dans les bourgeons des nageoires pelviennes au cours du développement.

Le gène en cause , le gène Pitx1 code pour une protéine qui est un facteur de transcription. Comme tous les facteurs de transcription, la protéine Pitx1 agit en se fixant à des séquences régulatrices de gènes cibles activant ou inhibant l’expression de ces gènes. Elle met en jeu un réseau de gènes dont l’impact final est de déclencher la formation des structures des nageoires. Le gène Pitx1 lui-même est contrôlé en amont par d’autres gènes. Les protéines codées par ces gènes se fixent sur la séquence régulatrice de Pitx1 ce qui déclenche l’activation ou l’inhibition de l’expression de Pitx1. On voit donc que la construction d’une nageoire pelvienne dépend d’un réseau complexe de gènes mais qu’une mutation de la séquence régulatrice d’un gène « clé » de ce réseau peut se traduire par un changement phénotypique important.

Le changement morphologique constaté dans les populations des épinoches lacustres, outre le mécanisme génétique qui est à son origine, s’explique par l’action de la sélection naturelle. En milieu lacustre peu profond, les formes avec épines proéminentes seraient plus facilement capturées par les larves d’insectes, comme les larves de Libellules que les épinoches sans épines. En conséquence la survie des épinoches à épines a été inférieure à celles des épinoches sans épines, et au fil des générations ont moins contribué à la reproduction des populations, d’où l’évolution phénotypique de celles-ci.