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La classification des champignons

Par Hervé Levesque Dernière modification 19/09/2017 09:40

 

Le positionnement exact du terme champignon n'est pas une question simple et n'est aujourd'hui toujours pas totalement résolu alors même que la classification de l'ensemble du monde vivant a subi une phénoménale révolution. C'est d'ailleurs une des raisons qui ont motivé ce dossier. Voyons ce que représente actuellement pour les scientifiques ce groupe (ce "taxon") des champignons.


 

Le rapprochement d'organismes a priori très différents

 

Outre les macrochampignons (ou macromycètes) à "pied et chapeau", c'est-à-dire des organismes de grande taille visibles à l'oeil nu, de nombreux autres organismes - des microchampignons  (ou micromycètes) - ont été découverts grâce au microscope.

  • Pour les uns, grâce à  leurs propriétés métaboliques intéressantes pour les activités humaines (fermentations et conservation des aliments par exemple). Donc des "gentils" qui contribuent à nos plaisirs gustatifs.
  • Pour les autres du fait des dégâts occasionnés aux végétaux, aux animaux ou aux humains. Et cette fois-ci donc des "méchants".

Bien sûr nos classiques champignons saprophytes qui se contentent en quelque sorte d'effectuer leur travail de recyclage bien utile pour les écosystèmes sont également bien connus mais ce sont davantage les champignons utiles dans les procédés biotechnologiques (et donc industriels et économiques) ou ayant une forte incidence en pathologie qui ont été les plus étudiés et qui seront davantage présentés ici.

aspergillus.jpg

Aspergillus

http://www.journaldunet.com/science/biologie/diaporamas/06/olympus-bioscapes-competition/images/aspergillus.jpg

Ces autres champignons ce sont les levures (champignons unicellulaires) et les moisissures (champignons filamenteux ne formant pas de sporocarpe). On peut d’ailleurs s’interroger sur ce qui a permis de rapprocher des organismes a priori aussi différents que - d’une part - un champignon à sporocarpe et son mycelium souterrain que la taille range parmi les macromycètes et - d'autre part - une moisissure ou une levure microscopiques (les micromycètes).

Le portrait-robot proposé plus haut nous a donné la clé de ce rapprochement qui toutefois pour l'essentiel repose sur l'absence de traits qui auraient permis de ranger ces organismes parmi les animaux ou les végétaux. Une telle classification s'exposait donc au risque de regrouper des choses forts différentes ce que nous allons constater.

Toutes ces levures et ces moisissures sont donc également des champignons. Là encore, pas tout à fait... comme on va le voir après. En notant d'ailleurs que d'éminents biologistes comme Louis Pasteur ont, sur ce thème, essuyé quelques revers : l'agent responsable de la fermentation acétique mise en oeuvre dans la fabrication du vinaigre a en effet été considéré comme un champignon par Pasteur qui le dénomma Mycoderma aceti. Il s'est avéré par la suite qu'il s'agissait en fait d'une bactérie... Des confusions avec certaines bactéries, mais aussi des confusions avec certains végétaux, voire avec certains animaux. Comment de telles confusions (et elles ont été finalement assez nombreuses) ont-elles été possibles ?

 

 

 

On peut illustrer ces incertitudes et ces fluctuations de la classification par un tableau de synthèse regroupant diverses classifications trouvées dans la littérature.

termesmyco.gif

 

 

Reconnaître les champignons comme un groupe d'êtres vivants à part

Les difficultés qu'il y a eu à reconnaître dans les champignons un groupe d'êtres vivants à part entière méritant qu'on lui attribue un règne propre.

La mycologie (la science qui étudie les champignons) a été traditionnellement enseignée comme une discipline satellite de la botanique. Les premières conceptions sur le monde vivant peuvent se résumer à deux tiroirs dont un - celui dans lequel les humains ont finalement été placés, les animaux - était assez bien rangé, et l'autre - les végétaux - un véritable fourre-tout! Le tiroir traduisant la manière de ranger, d'organiser le monde vivant. Des efforts ont été faits par la suite et l'on a vu progressivement sortir de ce second tiroir d'abord les bactéries (qu'on qualifiait anciennement de schizomycètes, on retrouve ici la racine -mycètes) dont les cellules sont de type procaryote (lesquelles représentaient aussi l'essentiel de la microflore terme qui reste encore très souvent employé) puis les champignons qui du fait de leur absence de chlorophylle et leur régime alimentaire de type consommateurs de matières organiques ne pouvaient constituer de véritables végétaux lesquels restaient seuls (les chlorophylliens) dans leur tiroir d'origine. Satisfait "d'être débarrassés" de tous ces usurpateurs, le tiroir végétal n'avait sans doute pas prévu comment la phylogénétique actuelle allait le mettre à mal. Mais cela est une autre histoire.

 

Alors qu'en est-il aujourd'hui, comment décide-t-on actuellement avec les formidables progrès technologiques que la biologie a connus ces dernières décennies qu’un être vivant est ou non un champignon ?

 

Une classification phylogénétique des champignons

Pour répondre à cela, les scientifiques ont depuis quelques années recours à une démarche dite cladistique qui s’appuie sur un raisonnement de type évolutif. Les questions de parenté - et d'origine des différentes sortes d'êtres vivants - et de classification (ou systématique) - c'est-à-dire l'art de classer et la manière de concevoir l'organisation du monde vivant - sont ainsi étroitement associées. La classification des champignons s’efforce donc d’être « naturelle » (dépourvue de tout artifice, en particulier de nature anthropique) et phylogénétique (conforme à l’évolution du vivant).

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Arbre simplifié des Eumycètes ou Fungi, avec exemple d'un caractère sous une forme plésiomorphe et une forme apomorphe, secondairement apparue dans l'évolution (M.A. SELOSSE et G DURRIEU, Une classification mycologique phylogénétique francophone (en 2003))

Seront considérés comme des champignons (sous-entendu au sens strict, les champignons « vrais ») tous les êtres vivants partageant tout un ensemble de caractéristiques biologiques qu’ils ont hérité d’un ancêtre commun chez lequel sont apparues pour la première fois ces caractéristiques originales qui distinguent ce groupe d’êtres vivants des autres groupes d’êtres vivants. On verra plus loin quelles sont ces caractéristiques (le portrait-robot) d’un tel « vrai » champignon. Mais précisons tout de suite que les caractéristiques morphologiques et physiologiques qu’offrent les champignons étant finalement limitées et de fait ambiguës, ce sont pour l’essentiel les données de la génétique moléculaire (analyse de l’ADN) qui ont assez récemment résolu les questions de parenté et de classification des champignons. Avec ce constat en quelque sorte « dramatique » que les champignons (au sens classique et donc au sens large cette fois) constituent un exemple spectaculaire de groupe polyphylétique c'est-à-dire mal « classé » sur le plan évolutif et présentant plusieurs origines différentes et indépendantes ayant conduit au partage de caractères traduisant les mêmes adaptations mais par des histoires évolutives différentes. La définition classique de ce groupe n’est donc pas en accord avec le principe de parenté unique .

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Vision actuelle de la place des Champignons chez les Eucaryotes (source tree of life)

L’objectif de cette mise au point est de faciliter l’acquisition de ces nouvelles données de la mycologie et d’en montrer l’intérêt et parfois comme on l'a fait dans l'introduction d'en discuter le détail.

 

 

Les différents types de classification

 

1) la classification traditionnelle des champignons

2) la classification moléculaire des champignons

 

3) d’autres manières de classer les champignons en rapport avec la diversité de leurs propriétés et des usages qu'en font les humains 

  • Une classification pertinente peut-être celle adoptée par le pharmacien qui doit savoir reconnaître les champignons dangereux et ceux qui ne le sont pas ;
  • Une classification tout aussi pertinente consiste pour le gastronome cette fois, à savoir non seulement reconnaître les champignons comestibles mais plus encore ceux qui sont vraiment délicieux, voire les modalités de leur cuisson et préparation pour un goût optimal ;
  • Une classification à laquelle on peut également songer concerne le boulanger ou le vigneron ou encore le crémier-fromager, lesquels ont besoin de choisir le bon levain, celui qui donnera le bon pain, le bon vin, la bonne crême ou le bon fromage ;
  • Une classification à valeur pédagogique et délibérément simplifiée pourra convenir à l'enseignant qui sans avoir à former des spécialistes de mycologie n'en désire pas moins montrer et organiser la diversité du monde des champignons, une des composantes de la diversité du monde vivant ; on pourrait même plaider que au même titre que l'on apprend enfant à reconnaître les grands groupes de Vertébrés, on peut sûrement apprendre plus tard au cours de sa scolarité à reconnaître les grands groupes de champignons, les Basidiomycètes (Basidiomycota) pour qualifier les champignons macromycètes à pied et chapeau, les Euascomycètes (Euascomycota) pour qualifier les moisissures, les Hémiascomycètes (Hémiascomycota) pour qualifier les levures. Et qu'importe si quelque gastronome vient nous rappeler que la truffe est un ascomycète, ou si un médecin vient quant à lui nous souligner que Cryptococcus est une levure basidiomycète qui fait beaucoup de ravage parmi les malades du SIDA...