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Lobbys carbone

Par Françoise Morel-Deville Dernière modification 14/03/2019 10:36
Vous êtes un lobby pétrolier, gazier ou vous représentez l'industrie du charbon
vous êtes un influenceur et vous financez les prochaines négociations sur le changement climatique
au musée des Confluences

Lobbyiste pour l'industrie carbonée : charbon et pétrole

Si la question de l’origine humaine du changement climatique ne se pose plus, le débat se focalise aujourd’hui sur ses impacts concrets qui remettent en cause le modèle économique des pays industrialisés. Or, ce modèle repose sur l'énergie. Et si on touche à l'énergie, on touche au développement économique des pays. Aujourd'hui, la population mondiale est de 7 milliards d'individus et ne fait que croitre,en particulier dans les pays du Sud. Ces pays sont avides d'énergie pour se développer et leurs besoins en énergies explosent. Au total, la demande énergétique mondiale augmente sous la double pression de la croissance démographique et du développement économique. C'est d'abord l'industrie du charbon (mines de charbon thermiques et centrales électriques au charbon) qui répond à cette hausse globale de la demande, et constitue un levier de l'activité économique mondiale. Car le charbon est la matière énergétique la moins chère et la plus répandue dans le monde, notamment dans les pays en développement. Certes le charbon est le pire ennemi du climat, mais il permet aux plus pauvres d'accéder à l'énergie. Demander à un pays pauvre de réduire sa consommation de charbon, c'est lui demander de ralentir son développement, ce qui peut être considéré au mieux comme de l'ingérence, au pire comme une injustice et une double peine infligée par les pays du nord, historiquement responsables du dérèglement climatique. D'autre part, 100% de la machine économique mondiale repose sur le transport et plus de 95 % du transport repose sur le pétrole. L'industrie pétrolière constitue elle aussi un levier de l'activité économique mondialisée.

Il faut bien comprendre que nous sommes dans la civilisation du carbone et que l'ensemble des citoyens du monde est acteur de ce lobby carbone, pas seulement les producteurs d’énergie fossile. La transition énergétique vers les énergies renouvelables ne peut donc s’envisager d'un coup. Les renouvelables ont besoin d'énergies d'appoint s'il n’y a plus de soleil, plus de vent, etc.; il faut donc établir des mix énergétiques compatibles avec les capacités de chaque pays. Ensuite, il faut investir massivement dans la recherche et le développement technologique pour améliorer l'efficacité énergétique des centrales.

Les industries fossiles considèrent qu’elles ont beaucoup à perdre dans la révolution énergétique. Depuis des décennies, elles sont largement soutenues par les États industrialisés et par les investisseurs privés (banques mondiales, société multinationales, assurances, fonds de pension). Selon l'OCDE, les 34 plus grandes économies ont aidé les énergies fossiles à hauteur de 160 à 200 milliards de dollars annuels entre 2010 et 2014. En 2014, l’AIE (Agence internationale de l’énergie) chiffrait à 550 milliards de dollars par an le montant des subventions accordées dans le monde aux fossiles, «soit plus de quatre fois la somme des subventions aux énergies renouvelables». L’ensemble des Trésors publics des quarante pays les plus riches de la planète, France comprise, alloue donc un bon tiers des subventions mondiales aux énergies fossiles.

Elles bénéficient de mécanismes de réduction ou d'exemption de taxation et de réglementations particulières dans les pays industrialisés qui leur permettent de continuer à prospecter des mines et à investir dans la construction et la vente de centrales thermiques. Ainsi, le niveau moyen de taxation des énergies carbone est de l’ordre de 15 euros par tonne de CO2. Un niveau très inférieur aux estimations du coût social du carbone, qui s’élève à 30 euros par tonne, selon le dernier rapport de l'OCDE. Le charbon est le combustible le moins lourdement taxé de tous, avec un taux d’imposition moyen de 2 euros la tonne de CO2, contre 49 euros la tonne en moyenne pour les produits pétroliers.

Du fait des préoccupations liées aux émissions de carbone et au changement climatique, l'objectif mondial de maintenir la température de la planète en deçà de + 2°C crée "un risque" carbone". Cela voudrait dire que seul un cinquième des réserves fossiles affichées dans les bilans des industriels de ces énergies devrait être exploité, selon le groupe de recherche britannique Carbon Tracker (CAT). Les sommes en jeu sont colossales : la valeur de ces réserves totalise 28 000 milliards de dollars, plus de dix fois le PIB du Royaume-Uni. Et dans tous les cas, les investisseurs seront perdants : si les États n’agissent pas pour éviter le chaos climatique, ils perdront du fait des immenses dégâts causés sur d’autres investissements ; s’ils agissent, la plupart de leurs actifs liés aux fossiles sont voués à perdre toute valeur. Et la gigantesque bulle du carbone éclatera. Aux États-Unis, la valeur boursière des sociétés du charbon s’est écroulée depuis cinq ans, et les investisseurs institutionnels commencent à désinvestir. Ce risque carbone émeut de plus en plus le monde de la finance. Goldman Sachs, HSBC, la Deutsche Bank,le Crédit agricole, Natixis, Engie (ex-GDF Suez), tous s’inquiètent et sentent le vent tourner en faveur des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. A l’approche de la Cop21, certains ont déjà annoncé arrêter d'investir dans les nouveaux projets charbon.

Les sociétés multinationales n'ont pas dit leur dernier mot. Elles utilisent plusieurs leviers politiques et économiques, elles interviennent dans les désaccords entre les pays partisans du changement et ceux du statu quo, elles ont part à lier avec les climato négationnistes (aux USA),  auprès des grands pays producteurs de pétrole qui d'ailleurs estiment qu’ils n’ont pas intérêt à un accord pendant la conférence mondiale sur le climat à Paris. En octobre, l'Arabie saoudite, le Qatar, l'Irak, le Vénézuela n'ont pas déposé de contribution à la CCNUCC.

Tous ces sujets ne manqueront pas d’être évoqués à Paris, lorsque chefs d’Etats et de gouvernements se retrouveront au chevet de la planète. Les industries fossiles négocieront pour assurer le développement économique des pays pauvres et leur accès à l'énergie. Elles seront opposées à la fiscalité écologique, à la taxe carbone, et chercheront à maintenir les subventions publiques dont elles bénéficient dans les pays industrialisés (par exemple, le transport aérien ne paie ni taxe ni TVA sur le kérosène), elles feront pression sur les Etats, le secteur financier et les marchés carbone de l'UE, de la Chine et des USA pour obtenir appuis et fonds pour investir dans le renouvelable, l'efficacité énergétique et les services.

Elles montreront l'exemple des grandes multinationales de l'énergie qui déjà se diversifient pour aller vers une économie bas carbone, qui investissent dans la recherche de solutions techniques pour le stockage de l’énergie et dans les énergies renouvelables. En effet,depuis 2013, plus de la moitié des nouvelles capacités de production électrique dans le monde sont à base de renouvelable.