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En guise de conclusion - Abeille

Par salame — Dernière modification 14/03/2021 16:42

En guise de conclusion

L’Abeille mellifère est un exemple type pour illustrer la réalisation de phénotypes différents à partir d’un même génotype sous l’influence de facteurs d’environnement. Deux aspects de ce processus sont particulièrement nets.

- Le premier repose sur l’impact d’une différence dans la nutrition au stade larvaire sur l’orientation du développement de la larve et donc sur le phénotype de l’imago. Un apport continu de gelée royale pendant tout le stade larvaire conduit à un phénotype de reine, un apport limité aux deux ou trois premiers jours à un phénotype d’ouvrière. La différence phénotypique ne concerne pas un seul caractère mais en touche de nombreux tant sur le plan morphologique que comportemental. Le destin de la larve n’est pas fixé jusqu’à 2-3 jours mais survient alors une période critique où se joue l’orientation du développement, en fonction de la nature de l’apport alimentaire. Le destin de la larve est alors fixé et ne peut plus être remis en cause : un apport de gelée royale à une larve d’ouvrière de 5 jours ne modifie pas son évolution : elle donnera une ouvrière et non une reine.

- Le deuxième a trait à l’évolution du phénotype comportemental de l’ouvrière adulte au cours de sa vie, qui la voit passer du statut d’ouvrière travaillant dans la ruche, jouant notamment le rôle de nourrice des larves, à celui d’ouvrière butineuse récoltant pollen et nectar à l’extérieur.. Cela implique des changements dans le fonctionnement du système nerveux. Les facteurs qui déclenchent ce changement de phénotype comportemental sont multiples et comprennent des informations sur l’état de la ruche. Il semble que les phéromones produites par la reine et le couvain sont des indices importants. Chose remarquable, ce changement phénotypique n’est pas obligatoirement définitif. Il est réversible, une butineuse pouvant redevenir nourrice si le nombre de nourrices dans la ruche s’effondre.

Dans les deux cas, l’environnement agit sur l’évolution phénotypique par l’intermédiaire de mécanismes épigénétiques. Le mécanisme le mieux connu -ce qui ne signifie pas qu’il soit le seul en jeu - est la méthylation de l’ADN. La preuve en est fournie par les protocoles expérimentaux qui diminuent la méthylation de l’ADN à la période critique de 2-3 jours de vie larvaire. Ils entraînent la larve vers un phénotype de reine bien qu’elle ne soit pas nourrie de gelée royale. La gelée royale semble donc diminuer la méthylation de l’ADN. Néanmoins, on est encore bien loin de connaître les réseaux de gènes du développement touchés par cette méthylation avec un impact sur leur expression.

L’évolution du phénotype comportemental de l’ouvrière durant sa vie est dû à des changements dans l’expression de nombreux gènes dans le cerveau, à tel point qu’on est capable de prédire si une ouvrière est une nourrice ou une butineuse à partir de l’analyse de l’expression de ces gènes dans le cerveau. Là aussi les changements d’expression de ces gènes semblent résulter d’une évolution des marques épigénétiques qui les affectent, notamment de leur méthylation. Certains ont leur méthylation augmentée ce qui diminue leur expression ; pour d’autres c’est l’inverse. Et ces changements d’expression entraînent une évolution fonctionnelle des réseaux de neurones du cerveau de l’abeille. Surtout, une caractéristique de l’épigénétique, à savoir la réversibilité de ces marques, absente dans l’évolution phénotypique de la larve, joue un rôle très important dans celle de l’ouvrière. L’état de méthylation des gènes impliqués dans le comportement de butineuses peut revenir à l’état antérieur de nourrice à partir d’informations captées dans la ruche, par exemple celle d’une diminution drastique du nombre de nourrices. Ainsi, l’épigénétique confère à la société d’abeilles une plasticité comportementale lui permettant de réagir aux aléas de l’environnement.