Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Plateforme - ACCES
Navigation
Vous êtes ici : Accueil / Thématiques / Génétique moléculaire et évolution / Dossiers thématiques / Epigénétique / Exemple du gène de l'insuline

Phénotype cellulaire et épigénétique : exemple du gène de l’insuline

Par salame — Dernière modification 16/02/2024 15:13

Auteurs : J-C Hervé et N. Salamé

Le programme de première S met l'accent sur le fait que le phénotype cellulaire dépend de l'ensemble des protéines de la cellule, lesquels résultent de l'expression de son programme génétique. Il existe plus de 200 phénotypes cellulaires dans un organisme traduisant des différences dans les types de protéines synthétisées par ces types cellulaires. Le problème est donc d'élucider la nature des mécanismes conduisant à cette différenciation.

A cette fin, le plus simple est de considérer, à titre d'exemple, une protéine synthétisée par un seul type cellulaire, l'insuline.

A - Le gène de l'insuline dans les différents types cellulaires

Les cellules bêta des îlots de Langerhans du pancréas sont les seules cellules de l’organisme à synthétiser et sécréter de l’insuline. L'objectif est de comprendre cette différence phénotypique entre ces cellules bêta et les autres types cellulaires.

Pour commencer de façon élémentaire, on peut rechercher si cela est dû à des différences dans la séquence de ce gène suivant les cellules.

- Comparaison de la séquence codante du gène de l’insuline (INS) suivant les cellules

Le fichier de séquences INS HS diverses cellules.edi permet une comparaison des séquences codantes du gène humain dans divers types cellulaires. On constate bien sûr que la séquence est la même dans tous les types cellulaires.

- Comparaison de la séquence régulatrice du gène de l’insuline suivant les cellules

Le fichier de séquences INS HS Régulation.edi permet une comparaison de la séquence promotrice du gène de l’insuline humain dans les divers types cellulaires.

Observation : Au niveau d’une classe de terminale, on peut désigner comme séquence régulatrice le promoteur d’un gène, l’important est que l’élève saisisse bien qu’il s’agit d’une séquence indispensable pour que l’ARN polymérase puisse commencer la transcription du gène au site d’initiation, mais que celle-ci n'est pas transcrite.

Dans ce fichier les séquences régulatrices sont prolongées par celles du premier exon (début de la transcription). Y figure également la séquence du premier exon seul. La comparaison permet ainsi de bien délimiter la séquence régulatrice.

La comparaison révèle aussi que la séquence régulatrice du gène de l’insuline est la même dans tous les types cellulaires.

Comparaison séquences régulatrices diverses cellules.jpg

La conclusion est que ce ne sont pas des différences dans la séquence nucléotidique du gène qui expliquent la différence phénotypique : présence d'insuline dans les cellules bêta et absence dans les autres types cellulaires. Elle ne peut que résulter d'une expression différentielle du gène qui est transcrit dans les cellules bêta et muet dans les autres cellules. Le problème est de déterminer l'origine de cette expression différentielle.

Il est bon de bien faire saisir cela en premier car on définit l’épigénétique comme l’étude des changements d’expression des gènes sans changement de la séquence de l’ADN.

B - Une marque épigénétique différente suivant les types cellulaires

La méthylation de l'ADN : une marque épigénétique

On a découvert qu’en de très nombreux endroits du génome, il y avait une modification importante de l’ADN des chromosomes, désignée sous le terme de méthylation. Il s’agit de l'ajout d’un radical méthyl CH3 à une des bases de l’ADN, la cytosine. 

methylation.jpg

Plus précisément, cette méthylation n’existe que lorsqu’un nucléotide à cytosine est suivi d’un nucléotide à guanine. On parle de dinucléotide CpG (p pour phosphate).

 methylation2.jpg

La méthylation du gène de l'insuline

Avec Anagène, on peut rechercher les sites de méthylation potentiels (CG) dans la région promotrice du gène de l’insuline humaine.

Les chercheurs ont trouvé 9 sites situés respectivement à -357, -345, -234, -206, -180, -135, -102, -69 et -19 en amont du site d’initiation de la transcription.

Avec Anagène on obtient une représentation concordante avec ces résultats :

Positions CG.jpg

Note : pour obtenir un tel document (non annoté), il suffit d'enregistrer le résultat de l'alignement dans un fichier texte, qui sera placé dans le dossier "Classeur" d'Anagène.

Les chercheurs ont étudié le profil de méthylation de cette région régulatrice dans les cellules bêta du pancréas d’une part, dans les cellules pancréatiques sécrétrices des enzymes digestives d’autre part. La figure ci-dessous indique les résultats obtenus.

Chaque ligne horizontale correspond à l’ADN obtenu à partir d’une cellule bêta ou d’une cellule pancréatique non bêta.

Méthylation INS humaine.jpg

La même recherche a été effectuée sur la méthylation de la région promotrice du gène de l’insuline chez la souris, mais cette fois dans de nombreux tissus : muscle, foie, rein, sang, cerveau, rate, pancréas exocrine. Il n’y a que trois sites potentiels de méthylation dans la région régulatrice du gène de la souris, situés respectivement aux positions -414, -182 et -171 par rapport au site d’initiation de la transcription. La figure suivante indique les résultats obtenus.

Méthylation INS2 souris.jpg

 Pancreatic islet désigne les cellules bêta. NIT-1 Insulinoma désigne les cellules d'une tumeur (généralement bénigne) de cellules bêta qui secrètent constamment de l'insuline même lorsque la glycémie est basse, ce qui peut être cause d'une hypoglycémie dangereuse.

L’analyse de ces données indique que, globalement, le gène de l’insuline ne s’exprime pas dans les tissus où sa région régulatrice est fortement méthylée et s’exprime au contraire dans les cellules bêta du pancréas où sa région régulatrice est peu ou pas méthylée. On peut faire l’hypothèse que cette corrélation traduit une relation de cause à effet : c’est la méthylation de la région régulatrice qui empêche l’expression du gène et, inversement, son absence de méthylation la permet.

Le fichier INS2 régulation.edi les données sur lesquelles un travail d'identification des sites CG, semblable à celui effectué sur les séquences du gène de l'insuline humaine, peut être effectué chez la souris.

C - Le degré de méthylation de l’ADN joue-t-il vraiment un rôle sur l’expression du gène ?

Les chercheurs ont effectué une expérience de transfection. Ils ont réalisé une construction génique associant la région régulatrice (promotrice) du gène de l’insuline humaine et la séquence codante d’un gène rapporteur, celui de la luciférase. Cela revient à mettre l’expression du gène de la luciférase sous le contrôle de la région régulatrice du gène de l’insuline.

Construction transgenèse.jpg

Construction avec sites CpG non méthylés

Grâce à une enzyme, la méthyltransférase, ils ont méthylé les sites CpG de certaines de ces constructions géniques.

Construction transgenèse méthylée.jpg

Construction avec sites CpG méthylés

Ils ont ensuite transféré ces constructions géniques soit méthylées, soit non méthylées dans des cellules d’un insulinome en culture. Dans ces cellules, la région régulatrice du gène de l’insuline est non méthylée. En tout cas ces cellules en culture ont toutes les conditions permettant l’expression du gène de l’insuline.

Les chercheurs ont étudié l’expression du gène de la luciférase, 48h après la transfection. La luciférase est une enzyme qui oxyde un substrat, la luciférine, en oxyluciférine, réaction qui s’accompagne d’une émission d’une lumière jaune (bioluminescence) dont on peut quantifier l’intensité. Celle-ci est d’autant plus importante que la quantité de luciférase est élevée, donc que le gène s’est exprimé.

La figure ci-dessous indique les résultats obtenus :

Méthylation - Luciférase.jpg

On voit qu’avec la séquence régulatrice méthylée du gène de l’insuline, l’expression du gène de la luciférase est près de 90% inférieure à celle avec la séquence régulatrice non méthylée. La méthylation de l’ADN, ou plus précisément de la séquence régulatrice d’un gène inhibe fortement l’expression de ce gène.

D'une manière ou d'une autre elle empêche l'action des facteurs de transcription qui, en se liant à la région régulatrice du gène stimule sa transcription.

La méthylation de la région régulatrice du gène de l’insuline dans les cellules de l’organisme autres que les cellules bêta est une marque épigénétique qui verrouille l’expression du gène dans ces cellules.

D - Une marque épigénétique transmissible au cours des divisions cellulaires

Les cellules des îlots de Langerhans et notamment les cellules bêta sont soumises à un renouvellement faible. Les cellules sénescentes sont remplacées par des cellules issues de mitoses de cellules bêta différenciées et non de cellules souches. Ce qui est remarquable c'est que l’état différencié est transmis aux cellules filles qui expriment aussi le gène de l’insuline. Les séquences régulatrices du gène de l’insuline des cellules filles sont aussi très peu ou pas méthylées. C’est une propriété remarquable des marques épigénétiques qui sont héritables au cours des divisions cellulaires.

E - La différenciation des cellules souches embryonnaires en cellules sécrétrices d’insuline

Les cellules souches embryonnaires (ES) issues des cellules de la masse interne au tout début du développement sont des cellules pluripotentes que les chercheurs savent cultiver in vitro dans un milieu bien défini, où elles se multiplient. En faisant varier les caractéristiques du milieu de culture suivant des protocoles précis, les chercheurs peuvent amener les cellules ES à se différencier en n’importe quel type de cellule. Utilisant des cellules ES de souris, ils ont conduit ces cellules à se différencier en cellules sécrétrices d’insuline en plusieurs étapes. A chaque étape ils ont étudié l’état de méthylation des trois sites CpG  de la région régulatrice du gène de l’insuline. La figure indique les résultats obtenus depuis l’état cellule souche (mESZC) jusqu’à l’état de différenciation où les cellules commencent à produire de l’insuline (colonies). Comme contrôle, ils ont étudié l’état de méthylation dans les cellules du foie et dans les cellules bêta  du pancréas.

Différentiation cellules souches.jpg

1 à 6 représentent les stades de différentiation des cellules souches (1) en cellules commençant à secréter de l'insuline (6). Pour chaque stade ainsi que pour les cellules du foie et du pancréas, les % de méthylation des 3 sites CpG de la région régulatrice sont représentés sous fourme d'histogramme.

On constate que les sites CpG du gène des cellules souches et de ceux des cellules en cours de différenciation sont méthylés. Ce n’est qu’à la fin, dans les cellules commençant à sécréter de l’insuline,  qu’on trouve une déméthylation significative du moins pour deux des trois sites.

Si on transfère ces données à ce qui se passe in vivo au cours du développement, cela signifie qu’au début de la formation du pancréas la région régulatrice du gène de l’insuline est méthylée et que ce n’est qu’à la fin de la différenciation en cellules bêta sécrétrices d’insuline qu’à lieu la déméthylation permettant l’expression du gène de l’insuline. Inversement, au cours du développement du foie, la méthylation du gène de l’insuline n’est pas effacée ce qui fait que le gène ne s’exprime pas dans ses cellules

F - Généralisation

Ce qui vient d'être établi pour le gène de l'insuline s'applique également à tous les gènes qui s'expriment spécifiquement dans un ou un petit nombre de types cellulaires. Les différences entre l'expression des gènes suivant les types cellulaires ne sont pas dues à des différences dans les séquences de l'ADN mais à des marques épigénétiques portées par la région régulatrice de ces gènes. Bien entendu, il existe des gènes indispensables à la vie cellulaire qui s'expriment dans toutes les cellules et qui ont un profil épigénétique permettant cette expression (absence de méthylation en simplifiant).