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Synthèse

Par salame — Dernière modification 16/02/2024 15:11

La résistance des Moustiques aux insecticides

par Nathalie Noris — Dernière modification 04/08/2010 06:17

Historique

Synthèse traitant de l'origine moléculaire de la résistance des Moustiques Culex pipiens aux insecticides organophosphorés et carbamates

 

  •  Le contexte

Depuis 1968 la population de Moustiques Culex pipiens L. est contrôlée dans le Languedoc Roussillon par l'épandage d'insecticides sur les étendues d'eau qui sont les réservoirs des larves. La période de reproduction (et d'épandage) se situe entre Avril et Octobre. Les femelles ont 3 à 4 générations par mois. Elles passent ensuite l'hiver dans des lieux protégés comme les caves et font une ponte.

Les insecticides utilisés sont essentiellement des organophosphorés comme le chlorpyrifos.

Dès 1972, on a relevé l'apparition de résistances. Des souches de Moustiques ont alors été prélévées du milieu naturel pour étudier l'origine de cette résistance et le rôle de l'épandage d'insecticide.

Il existe de nombreuses souches, certaines étant considérées comme des références :

  • la souche Bleuet : sensible au chlorpyrifos ; prélevée en 1961 ; 0.0008 mg/L de chlorpyrifos tuent 98% des larves
  • la souche S54 : résistante au chlorpyrifos ; prélevée en 1975 ; il faut 0.02 mg/L de chlorpyrifos pour tuer 98% des larves, soit 25 fois plus que pour la souche Bleuet.

 

  •  Mode d'action des insecticides

Les insecticides organophosphorés (chlorpyrifos par exemple) et carbamates (propoxur par exemple) agissent sur les synapses à acétylcholine en perturbant leur fonctionnement. Ils inhibent l'action de l'acétylcholinestérase 1 qui catalyse la dégradation de l'acétylcholine dans la fente synaptique. Cela induit une prolongation anormale des messages nerveux post synaptiques. Au niveau macroscopique, l'animal est paralysé, puis il meurt.

 

  •  Différents gènes et allèles de résistance

 Il existe trois loci susceptibles d'intervenir dans la résistance aux insecticides : Est-2, Est-3 et Ace-1

  • Est-2 et Est-3 codent chacun pour une estérase de détoxification. Ces deux gènes sont séparés par un fragment d'ADN intergénique ayant entre 2 et 6 kb. Les deux gènes comportent chacun un allèle dit sensible et un allèle dit résistant ; ce dernier est dominant par rapport à l'allèle sensible. L'allèle de résistance code pour une estérase catalysant l'hydrolyse des insecticides organophosphorés. L'allèle sensible code pour une estérase non fonctionnelle.
  • Ace-1 code pour l'acétylcholinestérase AChE 1 qui est présente dans la fente synaptique des neurones à acétylcholine et catalyse la dégradation du neurotransmetteur. Il existe deux allèles, Ace-1R et Ace-1S. L'allèle de résistance, Ace-1R code pour une enzyme qui ne permet pas la liaison de l'insecticide. Elle a une différence de séquence au niveau de l'acide aminé 119 : la sérine remplace la glycine. Cette position est très proche du site catalytique de l'enzyme, ce qui cause un encombrement stérique plus important, réduisant vraisemblablement l'accessibilité du site actif aux molécules d'insecticides.

 

Gènes Allèles Protéines Fonction des protéines Exemples de souches possédant les allèles de résistance
Est-2

Est-20 : "sensible"

Est-2B : "résistant"

Estérase B active ou inactive Enzyme, qui, dans sa forme active, catalyse l'hydrolyse des insecticides organophosphorés  Souche TEM-R de Culex quiquefasciatus Say de Californie résistante aux organophosphorés
Est-3

Est-30 : "sensible"

Est-3A : "résistant"

Estérase A active ou inactive  Enzyme, qui, dans sa forme active, catalyse l'hydrolyse des insecticides organophosphorés Souche S54 de Culex pipiens L. du Sud de la France résistante aux organophosphorés
Ace-1

Ace-1S : "sensible"

Ace-1R : "résistant"

Acétylcholinestérase 1 se liant ou non à une molécule d'insecticide  Enzyme catalysant l'hydrolyse de l'acétylcholine dans la fente synaptique des neurones à acétylcholine ; action inhibée en cas de liaison avec l'insecticide  Souche MSE de Culex pipiens L. du Sud de la France résistante aux organophosphorés et aux carbamates

 

  •  Un phénomène de duplications de gènes

Les souches de Moustiques résistants  possèdent des amplifications de fragments d'ADN dans la région des gènes de résistance : ils possèdent donc plusieurs copies des gènes, formées par des crossing over inégaux. Ces ensembles de copies forment un supergène.

  • Duplications des gènes Est-2 et Est-3 : le supergène ainsi formé est appelé "Ester". Il comporte un nombre variable de copies de chacun des deux gènes. La duplication peut concerner le gène Est-2 uniquement et il y a un seul exemplaire du gène Est-3. Elle peut également concerner l'ensemble des deux gènes et il y a autant de copies de chacun d'entre eux sur le chromosome. Certaines souches ont plus de 100 copies des gènes. La variabilité du nombre de copies entre les souches n'a pas de cause connue.
  • Duplication du gène Ace-1 : il existe des souches présentant une duplication de ce gène. Le chromosome présente un locus avec l'allèle Ace-1R et l'autre locus avec l'allèle Ace-1S. Ce supergène est appelé Ace-1RS.

 

Supergene Ester.jpeg

Différentes situations génétiques rencontrées dans le génome des Moustiques concernant les gènes Est

 

La présence du supergène Ester engendre une surproduction d'estérase de détoxification par rapport aux souches sans duplication. Il s'ajoute une régulation de l'expression de ces gènes amplifiés qui permet une production d'estérase plus importante que par le simple fait du nombre de copies.

La concentration d'estérase présente dans l'animal est corrélée à l'intensité de la résistance.

 

  • Le coût de la résistance

Lors des croisements, les chercheurs ont constaté que les Moustiques des souches résistantes se développaient plus lentement et ils ont introduit la notion de coût de la résistance. Le coût est l'impact négatif sur la survie et la reproduction des Moustiques résistants dans un environnement dépourvu de pesticides. On observe en effet que les animaux résistants sont de plus petite taille, ont un taux de survie pendant l'hiver plus faible et les mâles ont un succès reproductif plus faible que les moustiques sensibles. La conséquence est une contre sélection des génotypes correspondants.

Le coût de la résistance s'explique de la manière suivante :

  •      la surproduction d'estérases détourne la machinerie cellulaire d'autres synthèses protéiques utiles pour l'organisme.
  •      l'acétylcholinestérase modifiée AChE altère le fonctionnement des synapses cholinergiques dans le système nerveux central et provoquerait des changements de comportement des animaux.
  •      les animaux résistants sont davantage infectés par la Bactérie Wolbachia que des animaux sensibles de la même souche. Cette observation est valable quel que soit le sexe et le stade des moustiques. Il semblerait que les moustiques résistants contrôlent moins bien la densité des Bactéries en raison du coût physiologique de la surproduction d'estérases. Ces Bactéries sont concentrées dans les gonades et sont responsables d'incompatibilité cytoplasmique lors de la reproduction (elles induisent la mort embryonnaire précoce).

 Complément sur le coût de la résistance

  • Bibliographie

La résistance du moustique Culex pipiens aux insecticides, M. Weill, O. Duron, P. Labbé, A. Berthomieu, M. Raymond, M/S n°12, vol. 19, décembre 2003

High Wolbachia density in insecticide-resistant mosquitos, C. Berticat, F. Rousset, M. Raymond,  A. Berthomieu, M. Weill, The Royal Society, 1413-1416, 2002

Insecticide resistance in the mosquito Culex pipiens : what have we learned about adaptation ?, M. Raymond, C. Berticat, M. Weill, N. Pasteur, C. Chevillon, Genetica 112-113 : 287-296, 2001

Etude de la résistance au chlorpyrifos à partir de quelques souches du moustique Culex pipiens L. du sud de la France, M. Raymond, B. Gaven, N. Pasteur, G. Sinegre, Génét. Sél. Evol., 1985, 17 (1), 73-88

Association entre l'amplification de séquences d'ADN, l'augmentation quantitative d'estérases et la résistance à des insecticides organophosphorés chez des Moustiques du complexe Culex pipiens, avec une note sur une amplification similaire chez Musca domestica L., C. Mouchès, D. Fournier, M. Raymond, M. Magnin, JB. Bergé, N. Pasteur, G.P. Georghiou, C.R. Acad. Sc. Paris, t.301, Série III, n°16, 1985

Le gène d'une acétylcholinestérase insensible au propoxur détermine la résistance de Culex pipiens L. à cet insecticide,  M. Raymond, N. Pasteur, D. Fournier, A. Cuany, J. Bergé, M. Magnin, C.R. Acad. Sc. Paris, t.300, Série III, n°14, 1985