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Thèse de Grégoire Molinatti

Par rmonod — Dernière modification 21/02/2017 14:30
La thèse de doctorat est intitulée : « Médiation des sciences du cerveau. Approche didactique et communicationnelle de rencontres entre neuroscientifiques et lycéens ».

Médiation des sciences du cerveau. Approche didactique et communicationnelle de rencontres entre chercheurs et lycéens. Muséum national d'histoire naturelle, Paris

   Thèse de Grégoire Molinatti

Résumé

Cette recherche concerne la médiation des neurosci ences, caractérisée par la rencontre entre chercheurs et lycéens, dans le cadr e de débats sciences et société.

L’analyse comparée d’expositions récentes sur le c erveau, envisagée du point de vue des partis pris épistémologiques de leurs concepteu rs, a initié mon questionnement de recherches doctorales. Ce travail exploratoire m’a convaincu de la nécessité d’approfondir un questionnement pistémologique à même de clarifi er la question des relations entre le registre des connaissances et celui des opinions, ou plus précisément, pour reprendre l’épistémologie de Canguilhem, entre normes scienti fiques et normes sociales. L’histoire de la production et de la circulation sociale des conn aissances sur le cerveau témoigne d’interactions constantes entre normes scientifique s et normes sociales. C’est donc un modèle de continuité, et non de rupture, entre ces registres qui a été retenu pour interroger la médiation des sciences du cerveau.

Mon interrogation de recherches doctorales en scie nces de l’information et de la communication a ainsi porté sur les relations entre normes scientifiques et sociales dans les discours de communication des neuroscientifiques consultés par les adolescents. Dans la situation de médiation scientifique retenue, sept chercheurs intervenaient auprès de lycéens impliqués dans un protocole de débats argumentés sur les utilisations des cellules souches embryonnaires (CSE) humaines. Le contexte des inter actions était celui d’un centre de médiation scientifique, Hippocampe , hébergé par un laboratoire de recherche de l’Inst itut national de la recherche médicale, l’Institut de neurobiologie de la Méditerranée.

L’analyse qualitative des discours de communicatio n des neuroscientifiques repose sur le cadre héorique du paradigme du continuum de sociodiffusion des sciences, inspiré des travaux de Jacobi sur la vulgarisation scientif ique. La méthode d’analyse des discours mobilise des outils de la sociolinguistique, en int erprétant notamment les procédés rhétoriques de reformulation et d’argumentation, ai nsi que les effets de problématisation. Cette analyse interroge également la place des conn aissances scientifiques et la présentation du fonctionnement et de la nature des sciences. L’ensemble des données est interprété à la lumière des représentations sociales, en mouvement, des chercheurs (Moscovici, 1981, 1986). Ces derniers ont particuli èrement été interrogés sur les relations entre connaissances et opinions mais aussi entre sciences et décision, à l’occasion d’entretiens semi directifs individuels et d’un groupe de travail.

Les discours des chercheurs apparaissent dominés p ar la présentation de concepts scientifiques qui constituent un référentiel lexical et sémantique partagé (propriétés et modalités d’obtention des cellules souches embryonn aires humaines, potentialités d’utilisation thérapeutique, distinction entre clon age reproductif et clonage thérapeutique). Dans cette situation de communication, les chercheurs ne mobilisent pas une conception de la science comme discours de vérité, ensemble d’éno ncés vrais coupés de leurs conditions de production. Cette propriété des discours de comm unication est en rupture avec l’ontologisation des savoirs scientifiques, critiqu e souvent adressée à la vulgarisation des sciences dans le cadre du paradigme du troisième ho mme (Roqueplo, 1974 ; Jurdant, 1973). Les différentes dimensions du fonctionnement de la science sont diversement abordées par les neuroscientifiques. S’ils présentent tous des s avoirs instables qui se construisent dans le débat contradictoire, un seul chercheur fait référe nce au principe de personnification des débats. En revanche les scientifiques revendiquent une séparation entre recherche fondamentale et recherche appliquée, entre producti on de connaissances scientifiques et applications sociales. De ce point de vue les relat ions entre recherche fondamentale et recherche appliquée sont présentées de manière dive rse : de la prudence mâtinée d’ « espoir », vis-à-vis des applications thérapeut iques « potentielles » de leurs recherches, au positivisme du progrès scientifique ou encore à la reconnaissance de la difficile prédictibilité des résultats de la recherche scientifique.

Par ailleurs, l’analyse linguistique des discours de communication fait apparaître que tous les chercheurs utilisent des procédés de r eformulation qui mobilisent des normes scientifiques et des normes sociales, explicitées o u non. Il en va ainsi de la question du - 3 - statut de l’embryon, entre objet et sujet. Cette di mension éthique de la thématique de débat retenue est identifiée comme centrale par les participants. Ainsi les reformulations des chercheurs se regroupent autour de la dimension cellulaire de l’embryon, son absence de forme différenciée (« amas, « sphère », « boule », « tas de cellules »). La réduction lexico - sémantique de l’embryon à sa dimension cel lulaire autorise sa réification et donc son utilisation comme source de CSE humaines. Pour autant les normes scientifiques en construction qui pourraient permettre de borner l’i ndividuation, en particulier le calendrier de l’ontogenèse du système nerveux, ne sont pas exp licitées. Autrement dit, il semble que les procédés de reformulation opèrent des glissemen ts de sens, autorisés par les savoirs scientifiques. Ces glissements de sens ont été inte rprétés à l’aune des représentations des chercheurs sur les relations entre connaissances sc ientifiques et opinions, dominées en partie par un modèle dichotomique, de rupture.

Pourtant, si les chercheurs ont choisi de ne pas ex pliciter leurs opinions personnelles au nom d’une neutralité largement revendiquée, et selo n nous largement utopique, il n’en reste pas moins que leurs discours portent les trac es des liens entre connaissances, valeurs et opinions. Ces discours inscrivent en eff et des valeurs, comme en témoigne par ailleurs l’analyse des épisodes où les chercheurs évoquent, à la marge, les enjeux économiques et l’encadrement législatif de leur rec herche. Ils sont ainsi majoritaires à déplorer le « retard » pris par la recherche frança ise, en raison des restrictions juridiques qui les empêchaient, en 2005, de travailler sur des CSE humaines.

Enfin, les discours de communication des chercheur s sont caractérisés, pour ce qui concerne les dimensions éthiques de la question, pa r un déni et une délégation de compétences aux lycéens engagés dans les débats. On retrouve là une caractéristique des discours retenus qui est partagée avec les discours d’expertise scientifique, telle qu’analysée par Memmi (1989). Cette posture de comm unication partagée apparaît paradoxale à la lumière des représentations des che rcheurs concernant les relations entre sciences et décision. Ces dernières sont en majorit é élaborées sur le modèle décisionnel porté par une idéologie de la compétence, plus que sur un modèle pragmatique, pour reprendre la typologie d’Habermas (1973). Cependant les représentations des chercheurs sont en mouvement sur ce point, elles sont actualis ées par l’expérience de communication à laquelle ils ont participé.

Dans un contexte largement légitimant, le laborato ire de recherche, la communication des chercheurs, qui sont aussi des ci toyens et dont le champ d’expertise est limité au regard de la complexité des questions abordées, révèle une tension réelle entre valorisation et mise à distance critique des sciences, entre scientisme et relativisme. Ces travaux de recherche doctorale sont en cours de valorisation (rédaction d’un article intitulé « L’implicite dans les discours de communication de chercheurs »), même s’ils ont déjà donné lieu à une publication dans la revue Culture et Musée , ainsi qu’à des communications orales dans des colloques nationaux et internationaux 1.

Notons que l’approche communicationnelle a été dou blée d’une approche didactique qui utilise le cadre de la didactique de s questions socio-scientifiques, pour évaluer le protocole de débats mis en œuvre. Ce der nier est l’occasion pour les élèves d’acquérir des connaissances scientifiques auxquell es ils donnent sens. Leur argumentation repose généralement sur une idéologie du progrès scientifique; ce qui a été expliqué par des effets de contexte et de protocole. Cependant, la contextualisation des débats par la consultation concomitante d’un respon sable d’association de malades permet de modérer ces effets. Elle se traduit par un dével oppement des compétences argumentatives des élèves.