Rôles connus des mitochondies dans la reproduction

Rédigé par Françoise Jauzein (INRP/ENS-Lyon),
à partir de "Mitochondries et reproduction", 
un article de Pascale May-Panloup, Marie-Françoise Chrétien, Yves Malthièry et Pascal Reynier,
paru dans Médecine/Sciences 2004; 20:779-83
Deux des caractéristiques essentielles des mitochondries sont de jouer un rôle central dans le métabolisme énergétique cellulaire et de posséder leur propre génome, transmis de façon maternelle, par le cytoplasme de l'ovocyte, au moment de la fécondation. Le fait qu'elles puissent être impliquées dans les problèmes liés à la reproduction humaine est une idée relativement récente, liée en partie au fait que, malgré des avancées techniques continues en matière d'assistance médicale à la procréation, le taux moyen de grossesses obtenues après fécondation in vitro (FIV) ne dépasse pas 25% par transfert d'embryon.
Les échecs de la fécondation ou du développement embryonnaire peuvent être mis en relation avec la qualité et la maturation des gamètes, dans lesquels les mitochondries constituent un facteur clé.

La mitochondrie : des rôles multiples et son propre ADN


Les mitochondries jouent non seulement un rôle fondamental dans le catabolisme oxydatif aboutissant à la production d'une forme utilisable d'énergie, l'ATP, mais elles jouent également un rôle déterminant dans l'apoptose, la thermogénèse, l'homéostasie du calcium, et de nombreuses voies anaboliques comme la synthèse de l'hème, des protéines fer-soufre, des nucléotides ou encore des stéroïdes.

Les proteines mitochondriales humaines sont au nombre de mille environ. Ce protéome est codé pour l'essentiel par le génome du noyau . Le génome mitochondrial (ADN circulaire double brin) est assez petit (16 569 paires de bases) et se compose notamment de gènes d'ARN ribosomiques, d'ARN de transfert, et de protéines de la chaîne respiratoire.
 

Dans une cellule humaine, le nombre de copies d'ADN mitochondrial (ADNmt) varie entre quelques dizaines et plusieurs milliers, selon le type cellulaire.
Le fait de posséder une séquence unique de la molécule d'ADNmt dans toutes ses cellules est appelé homoplasmie et constitue la règle chez la plupart des êtres vivants. L'hétéroplasmie correspond à la présence dans une cellule ou un tissu de deux types de génomes mitochondriaux différents par des mutations ou du polymorphisme génique.

I Implication des mitochondries dans la fertilité

A. Fertilité masculine

Dans les spermatozoides humains, les mitochondries, très différenciées, constituent 11 à 13 tours de deux mitochondries par tour, au niveau de la pièce intermédiaire. Au cours de la spermatogénèse, s'est produite une réduction importante du nombre de mitochondries par cellule et de copies du génome mitochondrial (arrêt de la réplication de l'ADNmt).
 
Reconstitution du spermatozoide à partir de vues au microscope électronique
http://spermiologie.u-strasbg.fr

  Le pouvoir fécondant du sperme est directement lié à l'activité énergétiques de ces mitochondries (elles délivrent à l'axonème l'ATP indipensable au mouvement du flagelle). L'incubation de sperme de patients infertiles en présence d'ATP améliore le taux de fécondation in vitro.
Cependant les mitochondries paternelles ne particient pas au développement embryonnaire. Le traitement par le cyanure (bloquant de la chaîne respiratoire) des spermatozoides injectés dans un ovocyte, ne perturbe pas le développement de l'oeuf. Le nombre moyen de copies d'ADNmt présentes dans des spermatozoides matures peut être estimé grâce à des techniques de PCR, chez la souris il est de 10 en moyenne par spermatozoide (15 fois moins que dans les spermatides).
Chez l'homme, le nombre de copies d'ADNmt estsignificativement augmenté dans les spermatozoides anormaux; alors que les spermatozoides de bonne qualité en sont quasiment dépourvus.
On peut donc considérer le taux d'ADNmt comme un bon marqueur de la maturation des spermatozoides.
 
 

Taux moyens d'ADNmt par spermatozoide
dans deux fractions spermatiques obtenues pour chaque patient,
après séparation par gradient de densité:
fraction de forte densité correspondant aux spermatozoides normaux (fécondants)
et de faible densité aux spermatozoides anormaux.


Nombre de copies d'ADNmt par spermatozoide
Fraction de forte densité: spermatozoides normaux
0 à 3
moyenne :1
Fraction de faible densité:
spermatozoides anormaux
1 à 22
moyenne: 12

Mesure par PCR quantitative en temps réel.
Résultats compilés sur 31 patients.


Différentes observations tendent à établir un lien entre fertilité et anomalies qualitatives de l'ADNmt.
Une oligoasthénospermie a été obervée chez des patients présentant des mutations ponctuelles ou des délétions de l'ADNmt.
Certains haplogroupes mitochondriaux ont été corrélés à des qualités spermatiques moindres (en particulier l'haplogroupe T , surreprésenté chez les hommes asthénospermiques, et qui se caractérise par une baisse d'activité de certains éléments de la chaîne respiratoire).
 
 

B. Fertilité féminine

Au cours de l'ovogenèse, le cytoplasme de l'ovocyte subit une croissance phénoménale (son diamètre passe de 30 à 120 micromètres): il accumule un grand nombre de substances (transcrits, substrats méaboliques...) et son contingent de mitochondries évolue beaucoup: il subit d'abord une restriction puis une intense amplification.
Les ovogonies ne contiennent qu'une dizaine de copies d'ADNmt alors que les ovocytes mûrs en renferment jusqu'à plusieurs dizaines de milliers. Il se produit une expansion clonale à partir d'un très petit nombre d'ADNmt selectionnés, ce qui permet à l'ovocyte de transmettre au nouvel individu une population homoplasmique d'ADNmt.
Ce "goulot génétique" permet normalement d'éliminer les rares formes mutées, sauf dans le cas où la sélection inclut un ADNmt muté. On observera alors, une accéleration d'une éventuelle dérive génétique, avec fixation d'une mutation dans la descendance (fort utile pour retrouver, parmi les "Eves" fondatrices européennes, la lignée maternelle dont chacun de nous est issu). Dans les ovocytes humains (obtenus en vue de FIV), on trouve entre 50 000 et 100 000 copies d'ADNmt, mais une très grande variabilité existe entre ovocytes d'une même femme, y compris entre ceux d'une même cohorte.
Néanmoins, il est maintenant établi que les cohortes d'ovocytes présentant des échecs de fécondation in vitro sont significativement moins riches en ADNmt que ceux qui présentent un taux normal de fécondation. Dans l'espèce humaine il existe une relation nette entre la richesse d'un ovocyte en ADNmt et sa fécondabilité; le taux d'ADNmt pouvant ainsi être considéré (tout comme pour le spermatozoide, mais en sens inverse) comme un bon marqueur de maturation cytoplasmique.
 
 

Taux moyens d'ADNmt dans des ovocytes isolés après échec de FIV.
Groupe A: échec de fécondation pour cause spermatique vraisemblable (ovocytes normalement fécondables)
Groupe B: échec de fécondation sans cause reconnue (ovocytes de mauvaise fécondabilité)


Nombre de copies d'ADNmt pour1000 ovocytes
Groupe A : 
ovocytes normaux
de 210 à 310
moyenne: 250
Groupe B :
ovocytes de mauvaise qualité
de 90 à 200
moyenne: 130

Mesure par PCR qantitative en temps réel
Résultats compilés, pour le groupe A sur 21 patientes, pour le groupe B sur 47 patientes.


Il existe peu de cas connus de mutation de l'ADNmt ovocytaire. La plus courante est une délétion d'environ 5000 paires de bases, retrouvée dans 33 à 66% des ovocytes humains. Le taux d'hétéroplasmie moyen de ces délétions est de 0,1%, ce qui n'a vraisemblablement pas de retentissement fonctionnel.
Cependant, de récentes données sur les ovocytes bovins, montrent que certains haplogroupes mitochondriaux influencent nettement le taux de production de blastocystes.
 
 

II Implication des mitochondries dans le développement embryonnaire

A. La situation naturelle

Après la fécondation, seules les mitochondries apportées par l'ovocyte sont conservées et serviront de "réserve" initiale des mitochondries du nouvel individu.
Ces mitochondries d'origine maternelle, initialement dispersées dans le cytoplasme de l'ovocyte, sont redistribuées dans le zygote, autour des deux pronuclei (vraisemblablement en relation avec la consommation d'énergie due aux évènements nucléaires).
Puisque l'inhibition de la transcription et de la traduction mitochondriale ne perturbe pas le développement du zygote jusqu'au stade blastocyste (chez la souris), on peut supposer que le contingent mitochondrial maternel suffit à assurer les besoins énergétiques de l'embryon jusqu'à ce stade.

Par la suite, à un stade qui varie selon l'espèce, on assiste chez l'embryon, à une forte augmentation de la production d'ATP, en parallèle avec une augmentation des protéines de la chaîne repiratoire, de profonds remaniements morphologiques des mitochondries (décondensation de la matrice mitochondriale, élongation des mitchondries et augmentation du nombre de crêtes) et une élévation de la consommation de substrats énergétiques.Cependant, il ne semble pas y avoir de réplication de l'ADNmt avant l'implantation de l'embryon. La plupart des études menées chez la souris montrent un taux d'ADNmt constant jusqu'à la gastrulation.

Comme le montre la baisse de la capacité de développement des embryons dans le cas d'une réduction expérimentale du taux d'ATP ovocytaire (chez la souris), le contenu en ATP constitue un bon indicateur de la vitalité de l'embryon.
Il est possible en effet, de "sauver" (chez l'animal) des ovocytes de mauvaises qualités par transfert de cytoplame provenant d'un ovocyte normal, ou de façon plus spécifique, par transfert de mitochondries purifiées, capable à lui seul d'augmenter la production d'ATP et de prévenir l'apoptose de l'ovocyte receveur.

La transmission uniparentale de l'ADNmt, classiquement admise, implique une destruction totale de l'ADNmt d'origine spermatique dans l'oeuf fécondé. L'élimination spécifique des mitochondries paternelles dans l'ovocyte et l'absence de réplication de l'ADNmt au sein de l'ovocyte fécondé sont les mécanismes qui permettent d'expliquer l'absence de transmission d'ADNmt paternel.

La reconnaissance et la destruction des mitochondries paternelles reposent sur le processus d'ubiquitinylation d'une protéine membranaire mitochondriale (la prohibitine), commencé au cours de la spermatogenèse. Lors de la décondensation du spermatozoide dans le cytoplasme ovocytaire, les sites ubiquitinylés des membranes mitochondriales paternelles (sites initialement masqués par des ponts disulfures durant le transit épididymaire) seraient alors démasqués et pris pour cible par les enzymes protéolytiques du cytoplasme ovocytaire.
Cette destruction se produirait au plus tard lors de la troisième division de segmentation de l'embryon.

Ce mécanisme semble "spécifique" au sens propre du terme, car dans des embryons "chimères", issus de croisements murins interspécifiques (entre espèces de souris différentes), on observe une persistance des mitochondries paternelles. Ce mécanisme est également spécifique des mitochondries de la lignée germinale mâle, puisque des mitochondries d'origine tissulaire différente (de foie par exemple) injectées dans un ovocyte de souris ne sont pas détruites, et que l'on retrouve de l'ADNmt "étranger" chez les nouveaux-nés.

B. Les situations d'assistance médicale à la procréation

Il semble que le dogme de l'uniparentalité des mitochondries soit remis en cause dans un certain nombre de cas (très faible cependant). Il a été possible de retrouver, chez l'homme, de l'ADNmt d'origine paternelle dans des tissus extraembryonnaires, de même que dans les muscles d'un patient atteint d'une forme mitochondriale de myopathie. Certaines techniques d'AMP comme le clonage ou le transfert de cytoplasme, fournissent à l'ovocyte receveur un volume important de cytolasme exogène, et apportent donc un nombre non négligeable de mitochondries de la même espèce mais qui, n'étant pas d'origine paternelle, ne seront pas éliminées par l'ovocyte receveur. Il s'en suivra un individu à cytoplasme hétéroplasme, ce qui n'est pas sans poser un certains nombre de problèmes éthiques.

On peut remédier aux échecs de fécondation chez des patientes présentant une mauvaise qualité ovocytaire, en réalisant, en même temps que l'ICSI (avec le sperme du conjoint), une injection de cytoplasme d'un ovocyte donneur de bonne qualité (provenant d'une autre femme), à raison de 5 à 15% du volume de l'ovocyte receveur. Une trentaine d'enfant, principalement aux Etats-Unis, ont ainsi déjà vus le jour. L'hétéroplasmie se retrouve après la naissance, dans des proportions variables selon les tissus.

Dans le cas de clonage embryonnaire ou somatique (le clonage humain reproductif est toujours interdit, mais le clonage humain à but thérapeutique est déjà autorisé en Angleterre par exemple), on va faire fusionner (par electroporation) une cellule entière (embryonnaire ou somatique), avec un ovocyte énucléé. Certes, le volume cytolasmique de l'ovocyte est toujours bien supérieur à celui de la cellule (notamment s'il s'agit de cellule différenciée), mais ce dernier n'est pas negligeable.
Une des hypothèses avancées par les spécialistes pour expliquer le faible taux de réussite du clonage animal (3% au maximum), quelque soit la technique utilisée (cellule donneuse embryonnaire ou somatique, en phase G1 ou G0), est l'hétéroplasmie de l'oeuf obtenu dans ces conditions.
Dans le cas du clonage thérapeutique chez l'homme, toutes les cellules souches (cellules ES) issues de l'embryon obtenu par fusion entre un ovocyte humain énucléé et une cellule somatique du patient, devraient présenter une forte héteroplasmie.

Outre les problèmes éthiques que posent la création d'embryon ou de tissus porteurs d'information génétique multiple (trois "parents" dans le cas d'une ICSI avec transfert de cytoplasme), il est impossible de prévoir actuellement les conséquences à long terme, et en particulier les éventuels risques pathogènes, de telles hétéroplasmies.
 
 

Glossaire spécifique


Haplogroupes mitochondriaux: combinaisons spécifiques de polymorphismes géniques reflétant l'évolution des populations
Ubiquitinylation: marquage de protéines endogènes leur permettant d'être adressées vers le protéasome qui les dégradera en peptide