Les déterminismes du sexe
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Mise à jour : 14/08/2001

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LA BACTERIE QUI REND FEMELLE

Rédigée par Françoise Jauzein, Lycée Berthollet, Annecy
Relue par Pierre Juchault, Université de Poitiers

Chez les Cloportes (crustacés isopodes, espèce parmi les plus courantes: Armadillidium vulgare), on ne trouve en général que peu de mâles dans une population naturelle, l'espèce s'accomodant fort bien d'un nombre de mâles restreint car un seul accouplement suffit à une femelle pour procréer sa vie durant. En effet, au cours de l'accouplement, les spermatozoides du mâle, introduits dans l'oviducte, sont stockés dans un réceptacle séminal, assurant les fécondations des ovocytes de cette femelle tout au long de sa vie. Les oeufs fécondés sont ensuite pondus dans une poche incubatrice ventrale (marsupium).

Des générations de femelles

Cependant, certaines femelles engendrent presqu'uniquement des femelles (60 à 100% de leur descendance) alors que des femelles normales ont une descendance présentant un sexe-ratio de 1.
Ces femelles particulières résistent à la masculinisation qui se réalise pourtant facilement chez des femelles normales lorsqu'on leur implante la glande productrice de l'hormone mâle (on voit alors apparaître des brosses de soies sur les pattes et desstylets copulateurs  se mettent à pousser).
Lorsque l'on prélève sur ces femelles particulières des tissus aussi divers que les ovaires,  le coeur, le tissu adipeux  ou  l'intestin, et qu'on les greffe sur des mâles, ceux-ci se féminisent: les deux ouvertures génitales apparaissent, ainsi que la poche incubatrice. De plus ils se mettent à secréter de la vitellogénine et perdent leur instinct copulateur.
Un facteur féminisant  existe donc dans tous les tissus de ces femelles, mais ce facteur est absent dans les tissus qui sont broyés et filtrés à 0,2 microns, taille qui arrête la plupart des micro-organismes.

L'observation au microscope électronique de ces tissus montre en effet un foisonnement de bactéries de 0,5 à 1 micron de long. Un cloporte de 100 mg pouvant contenir jusqu'à 200 000 unités infestantes (l'unité infestante est le nombre minimal de bactéries nécessaire à la féminisation d'un mâle adulte).

On a évidemment cherché à débarasser ces cloportes femelles à descendance féminine, de leurs bactéries, de façon à mieux comprendre le mécanisme de féminisation induit par les micro-organismes. Cette destruction bactérienne peut se faire par les antibiotiques ou par l'exposition de l'animal contaminé à une température de 30°C, ce qui permet la survie du cloporte mais pas celle des bactéries. Les tissus de ces femelles particulières traitées, n'induisent plus de féminisation des mâles, et si on oblige ces femelles particulières à vivre à 30°C avec des mâles normaux, leur descendance n'est plus composée que de mâles. Enfin, si ces femelles sont jeunes, les organes n'étant pas définitivement sexualisés, le traitement leur permet d'évoluer vers un phénotype mâle.

Bactéries contre chromosomes

Chez les cloportes, le déterminisme du sexe est dû à deux chromosomes sexuels, ZZ chez les mâles et ZW chez les femelles.

Les femelles à descendance femelle majoritaire sont des mâles "travestis", de sexe chromosomique ZZ, qui en s'accouplant avec de vrais mâles ZZ, ne donnent que des animaux de sexe chromosomiqe ZZ, mais dont le degré d'infestation par les bactéries commmande une majorité de femelle (oeufs très infectées) et quelques mâles (oeufs non infectés).

La bactérie produirait donc un facteur féminisant , f, qui s'opposerait à l'expression du facteur chromosomique de masculinisation commandant la différenciation et le fonctionnement de la glande androgène. La glande androgène secrète une hormone de nature protéique (10 kilodaltons) dont le rôle est de transformer la gonade embryonnaire en testicule.
Ces bactéries, classées parmi les protéobactéries et appartenant au genre Wolbachia, sont également connues chez les insectes où elles peuvent, selon les espèces parasitées, entraîner une stérilité ou permettre une reproduction par parthénogénèse.

Des bactéries "envahissantes"

Il existe des populations où les femelles n'ont pas de bactérie, mais dont leur descendances présentent cependant un fort excès de femelles. On pense que ces cloportes ZZ ont intégré le facteur de féminisation dans leur génôme (grâce à l'action d'un rétrovirus ou d'un plasmide, l'information génétique codant pour le facteur féminisant passe du cytoplasme, où se trouve la bactérie, au noyau).
Ainsi, on peut rencontrer des cloportes:
- ZZ  non infectés, de phénotype mâle normal
- ZZ + Wolbachia, de phénotype femelle
- ZZf dépourvus de Wolbachia mais ayant intégré l'information du facteur féminisant, donc femelle.

Les études actuelles portent sur l'analyse de la séquence de l'information codant pour le facteur f; on cherche à savoir si cette séquence est similaire à celle qui est présente sur le chromosome W et détermine la féminité.

Le gène M fait de la résistance !

Il existe des lignées de cloportes "travestis" qui continuent de donner naissance à 50% (ou plus) de mâles. Chez ces animaux, un gène (qui n'est pas situé sur un hétérochromosome mais sur un autosome) est capable, à l'état dominant M, de faire de la résistance; il inhibe le facteur féminisant et assure la production d'une proportion importante de mâles dans la descendance. Le gène M freine l'action initiale de la bactérie, ce qui aboutit à la formation de nombreux types d'individus intersexués. Chez les femelles dépourvues de Wolbachia mais ayant intégré f, il inhibe totalement l'action féminisante de ce facteur, ce qui permet alors la réalisation d'un phénotype mâle.

Observation au microscope électronique à balayage de la face ventrale de cloportes
                    clichés UMR 6556, CNRS-Unversité de Poitiers (Demande de droits en cours)
 
Phénotype mâle :
organes copulateurs bien développés
Phénotype femelle (femelle vraie ou mâle infecté) : absence d'organes copulateurs Phénotype intersexué(résultat d'un conflit entre gène M et bactérie féminisante) : organes copulateurs réduits

Le cas des cloportes féminisés par une bactérie est un exemple particulièrement intéressant pour analyser les conflits entre gènes.


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