« Impression soleil levant » : Monet au Musée Marmottan

par Christian Larcher last modified 2014 Sep 25 14:45

Dans le numéro 147 des Cahiers Clairaut un article de Pierre Causeret explique comment l’étude d’un tableau peut nous renseigner sur l’époque et le lieu où il a été peint ? Je vous propose un autre exemple très célèbre avec « Impression soleil levant » de Claude Monet.

Ce tableau est resté longtemps méconnu. On savait qu’il avait été peint au Havre mais s’agissait-il d’un soleil couchant, comme on la pensé très longtemps, ou d’un soleil levant ?

Un peu d’histoire

A la fin du XIXe siècle certains peintres étaient quasiment interdits d’exposition officielle comme celles de 1867 et 1872. Aussi décidèrent-ils d’organiser la première exposition des artistes anonymes le 15 avril 1874, un peu avant le début de l’exposition officielle. Claude Monet était parmi ceux à qui on avait demandé une contribution. On l’interrogea sur le titre à mettre dans le catalogue de l’exposition.

En 1897 il expliqua comment lui vint l’idée d’un titre: «j’avais envoyé une chose faite au Havre, de ma fenêtre, du soleil dans la buée et au premier plan quelques mats de navire pointant. On me demande le titre pour le catalogue, çà ne pouvait vraiment pas passer pour une vue du Havre. Je répondis : Mettez « Impression »

Par la suite la critique s’empara du terme. Le critique d’art Louis Leroy écrivit dans Le Charivari : Que représente cette toile ? Impression ! Impression, j'en étais sûr. Je me disais aussi puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l'impression là-dedans […] Le papier peint à l’état embryonnaire est encore plus fait que cette marine-là.

A l'occasion du 140ème anniversaire de la première exposition d'Impression, soleil levant, le musée Marmottan Monet a décidé d'ouvrir une enquête et d’organiser, du 18 septembre 2014 au 18 janvier 2015, la première exposition jamais dédiée à l'œuvre fondatrice de l'impressionnisme.
Une équipe franco-américaine s’est lancée dans une enquête approfondie afin de déterminer scientifiquement s’il s’agissait réellement d’un soleil levant ou d’un soleil couchant mais également de déterminer la date précise, c’est-à-dire l’année, le mois, le jour, l’heure…

L’équipe était constituée de Géraldine Lefebvre (Musée d’Art Moderne du Havre), de Donald W. Olson Professeur d’astrophysique à la Texas State University, des responsables des Archives et de la bibliothèque municipale du Havre, un restaurateur de tableau, un ingénieur retraité du Port autonome.

Cette enquête minutieuse à nécessité des informations concernant :

  • La topographie du lieu, en particulier le cadastre de la ville du Havre, et l’acquisition de plusieurs centaines de cartes postales de l’époque.
  • L’horaire des marées (les écluses n’ouvraient que pendant 3 h à la haute mer)
  • Les heures de lever et de coucher du soleil (Almanach du commerce)
  • Les données météorologiques (ensoleillement et sens du vent, la rubrique météorologique du Times (Londres) pour l’année 1972 et le Bulletin international de l’Observatoire de Paris. (La météorologie était une des missions de l’Observatoire de Paris à cette époque).
  • Les données astronomiques (utilisation d’un logiciel informatique)
  • La durée nécessaire pour réaliser l’œuvre.

La démarche utilisée présente les caractéristiques d’une démarche d’investigation « en acte ». Quelques réflexions sur la méthode utilisée.

La direction du Soleil pour déterminer les dates possibles

A partir du cadastre du port, des cartes postales de l’époque, des repères qu’a donné Monet, les enquêteurs ont pu estimer que ce matin-là, le Soleil se levait entre les azimuts 117° et 121°. Pour le soleil sur le tableau au-dessus du quai on évalue un azimut. Le Soleil ne se lève dans cette direction que deux fois par an : à la mi-novembre ou à la fin janvier.

La hauteur du Soleil pour déterminer l’heure

On sait que le diamètre apparent de l’astre est de 0,5°, ce qui permet d’en déduire qu’il se trouve à un peu moins de 2° au-dessus de l’horizon. On peut aussi faire une autre estimation à partir de la hauteur des mâts des voiliers dans le bassin à la mi-marée. La hauteur typique des mâts des voiliers est d’environ 50 mètres. La distance de l’hôtel au centre du bassin de mi- marée vaut 550 m et la hauteur du balcon de Monet est de 9 m au-dessus du Grand Quai soit 11 m au-dessus du niveau de l’eau. Les enquêteurs en déduisent que le haut des mâts vue du balcon est d’environ 4° il évalue la hauteur du Soleil entre 2° et 3° ce qui correspond à un moment situé entre vingt et trente minutes après son lever.

L’heure de marée haute pour déterminer des périodes possibles

Les voiliers, tirés par des remorqueurs, ne pouvaient accéder à l’avant-port du Havre que durant trois à quatre heures au moment de l’étale de marée haute pour tenir compte de leur tirant d’eau. A l’aide de calculs astronomiques de la position du soleil, de l’annuaire des marées en s’aidant d’algorithmes informatiques les enquêteurs sélectionnent quatre périodes (jour, heure, année) possibles, compatibles avec les dates envisagées ci-dessus : en janvier et novembre 1872 ou 1873.

Les données météorologiques pour restreindre les possibles

Au final il reste une dizaine de dates mais l’on sait que dans cette région le soleil n’est pas présent tous les jours. Un autre indice est donné par le panache de fumée visible sur le côté gauche du tableau. Elle semble dériver de la gauche vers la droite ce qui suggère un léger vent d’est.

Par ailleurs les spécialistes des sciences atmosphériques se sont assurés de la pertinence des reflets sur l’eau tenant compte de la hauteur du soleil et une étude à l’aide de rayons IR rasant a permis de confirmer qu’il n’y eu qu’une seule séance et que le soleil et ses reflets ainsi que les bateaux au premier plan ont été ajouté au moment de terminer l’œuvre.
Ensuite une étude détaillée des différents bulletins météos (The Times de Londres, le Bulletin International de l’Observatoire de Paris) permet de réduire sérieusement dates compatibles avec l’ensemble des données.

 

En conclusion

En définitive l’enquête conclut que le tableau fut réalisé le 13 novembre 1872 à 7 h 35, du deuxième ou troisième étage d’une chambre de l’hôtel de l’Amirauté dans la ville du Havre….
Je vais aller voir cette exposition et je vous en dirai plus ; on a là une belle démarche d’investigation qui peut donner des idées pour étudier d’autres cas semblables.

 

Documentation

• Article dans le supplément du journal Le Monde (Culture & idées), daté du samedi 20 septembre 2014 ; page 2.
• Informations provenant de la documentation du Musée Marmottan Monet Paris

Musée Marmottan : L'histoire vraie du chef-d'œuvre de Claude Monet
du 18 septembre 2014 au 18 janvier 2015

 

Azimut : direction donnée par un compas de relèvement, par exemple 90° pour l’est


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