Les origines de la vie dans l'Univers : Des molécules interstellaires aux acides aminés

par clea last modified 2010 Apr 15 14:06

Guy Moreels


Comprendre l'origine de la vie, analyser la suite des événements qui ont conduit à l'apparition d'organismes vivants et essayer de reconstituer le processus évolutif du monde vivant à l'endroit même où nous sommes situés dans l'Univers, voici quelques-uns des problèmes les plus fondamentaux que les scientifiques de cette fin de siècle essaient d'aborder.

Dans sa grande simplicité, à savoir fabriquer de la matière organique dotée de vie à partir de la matière inorganique disponible dans l'Univers, le problème repose sur un énorme paradoxe. Alors que le deuxième principe de la thermodynamique stipule que les systèmes tendent vers le désordre, ce qui est illustré par le fait que deux gaz maintenus isolés initialement se mélangent l'un à l'autre jusqu'à ce que l'on ne puisse plus en distinguer les composantes, la suite des processus ayant conduit à l'apparition de la vie semble avoir produit l'effet exactement inverse. Si nous envisageons par exemple de construire une maison, nous commencerons par constituer un tas de sable et de graviers et un ensemble de sacs de ciment. La construction de la maison demandera une activité coordonnée où la main de l'homme sera indispensable. Il n'est pas possible d'imaginer un instant que, si on laisse les matériaux les uns à côté des autres, que l'on s'éloigne du chantier pendant quelques années ou quelques centaines ou milliers d'années, la maison se construira toute seule et que, lorsque l'on reviendra, on se trouvera en présence d'une magnifique résidence en train de fonctionner comme une belle mécanique bien huilée. Le problème des origines de la vie est, sous bien des aspects, comparable à celui de la maison. D'un côté, nous savons que l'Univers contient tous les éléments dont sont constitués les êtres vivants : l'hydrogène et l'oxygène dont est formée l'eau, qui est le corps le plus fondamental, puis le carbone que l'on trouve dans toutes les molécules organiques et l'azote que l'on trouve dans les protéines et enfin le soufre, le phosphore et les éléments minéraux comme le calcium, le sodium et le potassium. D'un autre côté, les mêmes éléments se trouvent assemblés dans des molécules géantes et extrêmement complexes, mais dont l'agencement est ordonné de manière aussi simple et logique que possible en vue d'accomplir toutes les fonctions dévolues à la vie.

Comment est il possible de passer d'un ensemble apparemment désordonné comme celui qui est constitué par les gaz et les poussières de nuages interstellaires à des systèmes moléculaires aussi bien agencés que ceux des macromolécules qui sont les moteurs des mécanismes de la vie ? Voici un problème ardu, faisant appel à un grand nombre de disciplines scientifiques, mais combien excitant et enthousiasmant pour les êtres humains qui commencent à disposer des moyens d'investigation adéquats permettant de résoudre cette énigme.

La vie est gouvernée par des processus biochimiques très spécifiques inventés par la nature. Elle repose sur des molécules que l'homme n'est pas encore parvenu à synthétiser. Ses caractéristiques sont résumées par Stanley Miller qui a été l'un des tout premiers, à la suite de Oparine et de Haldane, à élaborer un scénario réaliste de l'apparition de la vie dans l'Univers.
Selon S. Miller, la matière vivante est caractérisée par un organisme qui est capable de se reproduire et qui est sujet à des mutations pouvant se transmettre d'une génération à l'autre.
L'origine de la vie se confond avec celle de la création de cet organisme qui doit être capable de se reproduire et de subir des transformations pour s'adapter à la pression sélective de son environnement.

Le schéma adopté dans cet exposé suivra les grandes lignes de ce scénario. Tout d'abord, nous nous poserons la question de savoir si les composés chimiques présents dans les organismes vivants existent réellement, sous une forme simple, dans certaines régions de l'Univers. Cette démarche fera appel principalement aux résultats obtenus avec les différentes méthodes d'analyse spectroscopique, comme cela se pratique dans les laboratoires de chimie. Nous nous intéresserons ensuite aux comètes et à des objets qu'il est facile d'analyser : les météorites car l'on peut penser que ces objets peuvent fournir des informations précieuses sur les premiers instants de la formation du système solaire. Nous examinerons ensuite quelle a pu être l'évolution de l'atmosphère et de l'hydrosphère des planètes en portant un intérêt particulier à la Terre, Mars et Titan. La partie suivante sera consacrée à une description sommaire des principaux constituants de la matière vivante : acides aminés, protéines, ADN et ARN. Les principales étapes de l'évolution du monde vivant seront décrites.

 

Le milieu interstellaire, les comètes, les météorites.

La radioastronomie consiste à détecter et à étudier le rayonnement électromagnétique émis par les astres dans la partie du spectre qui correspond aux longueurs d'onde (ou aux fréquences) des ondes radioélectriques. Cette discipline de l'astronomie s'est développée après la deuxième guerre mondiale grâce aux progrès effectués dans le domaine des récepteurs radio : antennes, télescopes et détecteurs. Les émissions détectées se situent aux longueurs d'ondes supérieures à quelques dixièmes de mm, i.e. au-delà du domaine infrarouge. Les échanges d'énergie lors de ces transitions correspondent à des changements dans l'état de rotation des molécules qui émettent le rayonnement. On a ainsi pu identifier de nombreuses sources dans le domaine radio : quasars, pulsars, radiogalaxies. Jusqu'à présent, les radiotélescopes ne permettaient pas d'obtenir des images au sens où on l'entend dans le domaine visible.
Actuellement, la situation est en train de changer avec le développement d'interféromètres dans le domaine radio. Sur le plan spectroscopique, l'étude des raies contenues dans le spectre du rayonnement radio des objets est très efficace pour identifier les composés. Dans le milieu interstellaire, de très nombreuses molécules organiques et inorganiques ont été identifiées au sein des nuages interstellaires. La liste en est donnée dans la table 1. On note la présence d'hydrogène et d'eau, ce qui n'est pas surprenant puisque l'hydrogène est, de loin, l'élément le plus abondant dans l'Univers. L'oxygène, tout comme le carbone, est synthétisé dans les réactions thermonucléaires qui ont lieu dans le coeur des étoiles. Les molécules organiques détectées sont très nombreuses. Le monoxyde de carbone CO a été l'une des premières molécules détectées en radioastronomie. On note la présence d'acide cyanhydrique, de formaldéhyde et de méthanol dans le milieu interstellaire.

Toutes ces molécules interagissent sous l'action de processus chimiques qui ont lieu à température faible dans le milieu interstellaire et en présence d'un champ de rayonnement lié à la présence d'étoiles. Les molécules se forment par des collisions entre des composés plus simples. Elles se cassent sous l'effet du rayonnement ultraviolet, ou lors de collisions avec d'autres molécules. On constate qu'elles sont formées des mêmes composants que ceux que l'on trouve dans le système solaire : hydrogène, oxygène, carbone, azote, soufre.

Ces éléments sont formés au sein des étoiles, par fusion thermonucléaire. Ils sont dispersés dans l'espace interstellaire à la fin de la vie de l'étoile, lors de ses explosions. Les particules de poussière qui constituent l'autre composante de la matière interstellaire constituent des nuages pouvant être opaques. Ils sont composés de silicates, mais comportent aussi de la matière organique.

Peu à peu, les astronomes parviennent à résoudre les différentes questions que pose l'évolution de l'Univers. Comment les atomes simples dont il est constitué comme l'hydrogène, le deutérium, l'hélium, peuvent-il évoluer vers des éléments dont le noyau, formé de neutrons et de protons, est beaucoup plus complexe, puis vers des molécules absolument identiques à celles que l'on trouve dans les planètes du système solaire que nous visitons ? Tout d'abord, ce milieu proche, que nous connaissons bien, a-t-il subi la même évolution que le milieu interstellaire dont la composition a été donnée plus haut ?

Des éléments de réponse nous sont donnés par les comètes. Ces objets chevelus présentent, dans le système solaire, une caractéristique remarquable : les comètes sont constituées d'un noyau de glace et de silicates et se situent aux confins du système solaire dans une région appelée le nuage de Oort qui est situé à environ 100 000 unités astronomiques du Soleil. Sous l'influence de la perturbation induite par une légère variation de la distance d'une étoile voisine, certaines sont injectées vers l'intérieur du système solaire. Leur vitesse augmente rapidement le long de leur trajectoire parabolique ou elliptique et elles effectuent une ou plusieurs révolutions autour du Soleil.

   

Elles peuvent évidement être happées par le champ gravitationnel du Soleil si elles passent trop près de cet astre. Lorsqu'elles se trouvent à moins de 3 UA du Soleil, sous l'effet de l'énergie reçue, leur noyau, constitué de glace et de poussière, produit une grande quantité de matière qui forme une queue illuminée sous l'effet du rayonnement solaire. Grâce à l'analyse spectroscopique dans les différents domaines accessibles du spectre électromagnétique (UV, visible, infrarouge, radio), de nombreuses molécules ont pu être identifiées : eau, hydrogène, hydroxyle, acide cyanhydrique, méthanol, hydrogène sulfuré.

Lors des rencontres des sondes interplanétaires Véga et Giotto avec la comète de Halley les 6, 9 et 13 mars 1986, un appareil appelé spectromètre de masse à impact des particules de poussière a mis en évidence un fait remarquable : la moitié environ des particules de poussière comporte une proportion importante d'éléments légers : carbone, hydrogène, oxygène et azote, ainsi que du soufre. Tous les grains de poussière contiennent, dans des proportions plus ou moins importantes, des silicates. Ce spectromètre de masse ne pouvait pas identifier les molécules, puisqu'il donnait l'abondance du composé en fonction de sa masse atomique : 12 pour l'isotope 12 du carbone, 14 pour l'isotope 14 de l'azote et ainsi de suite. De plus, la plupart des molécules étaient cassées sous l'effet de l'impact sur la cible. Une autre expérience montra qu'une partie du gaz émis par une comète est produit non pas par le noyau, mais par la poussière qui est éjectée du noyau. On a également pu montrer qu'une partie de ce gaz est constitué par du formaldéhyde et par des molécules organiques.

Nous touchons maintenant du doigt plusieurs constatations frappantes : il existe entre la matière interstellaire et celle dont sont constituées les comètes de nombreux points communs :

 

    • deux composantes, gaz et poussière,
    • présence d'eau ou de glace, de molécules organiques.

Ces points concernent directement les caractéristiques liées à la présence de la vie sur la Terre, qui impliquent nécessairement la présence de matériaux contenant les éléments légers carbone, hydrogène, oxygène et hydrogène.

La détermination de la composition de la matière des milieux interstellaire et cométaire a forcément des limites, puisqu'il n'est pas possible de prélever sur place des échantillons pour les rapporter sur Terre et les analyser au laboratoire, comme dans le cas de la Lune ou, dans le futur, de Mars. Toutefois, nous disposons d'objets qui peuvent fournir énormément d'informations sur la composition du milieu extraterrestre : il s'agit des météorites. Nous employons le terme extraterrestre, parce qu'il est souvent difficile de préciser l'origine de ces corps qui tombent sur la Terre après un voyage dans le système solaire dont on ne connaît pas la trajectoire.

L'une des météorites qui a été les plus étudiées ces dernières années est la météorite de Murchison, qui a été trouvée en Australie en 1965. On a découvert dans cette météorite deux types de molécules organiques remarquables : des hydrocarbures aromatiques polycycliques et des acides aminés. Par ailleurs, on a analysé la composition isotopique de cette météorite et on a trouvé que, contrairement au système solaire, elle présente un enrichissement fortement marqué en isotopes stables lourds : 13C 15N D.

La découverte d'acides aminés a évidemment suscité un certain doute sur la validité de ce résultat, car il est facile d'introduire des impuretés lors d'une analyse chimique. Cet argument critique semble à présent avoir été abandonné, et pour deux raisons (Engel, Macko, 1997) :

 

    • La météorite ne contient pas les acides aminés que l'on rencontre le plus fréquemment dans les protéines communes : sérine, thréonine, tyrosine, phénylamine, histidine, lysine, acide aspartique.
    • Par contre, elle contient un excès d'acides aminés ayant une nature différente : alanine, acide glutamique, acide aspartique. De plus, le pouvoir rotatoire de ces acides aminés "météoritiques" est très différent du pouvoir rotatoire des mêmes acides aminés rencontrés dans les protéines.

Nous entrons ici dans le vif du sujet car les acides aminés qui viennent d'être cités appartiennent à la famille des 20 acides aminés qui entrent dans la composition de toutes les protéines. Or, les protéines sont indispensables pour que la vie puisse exister. Sans protéines, il n'y a pas de réplication possible de l'ADN, c'est à dire que l'une des conditions indispensables à la vie : la reproduction, ne peut pas être assurée.

La présence d'acides aminés, qui sont des molécules complexes de masse moléculaire comprise entre 70 et 200 n'a pas encore été mise en évidence dans les comètes ou le milieu interstellaire, mais il faut remarquer que les atomes et radicaux qui les composent ont été détectés dans les deux milieux : carbone sous forme C2, C3, radicaux CN, CH, NH2, fonction acide COOH. On peut en conclure que les constituants, ingrédients si l'on préfère, nécessaires pour "fabriquer de la vie" sont tout à fait présents dans l'Univers. Ces éléments ont été élaborés en plusieurs étapes : d'abord par formation des atomes au sein des étoiles, puis par un ensemble de processus chimiques dans la matière interstellaire. Certains scientifiques ont notamment suggéré qu'une partie de l'eau et de la matière organique présentes sur Terre a été apportée par les comètes (Oro, 1961).

 

Les conditions nécessaires à l'apparition de la vie

Entre la présente description de la matière qui constitue l'Univers, qui est somme toute très partielle, et les formes élaborées de la vie que nous connaissons actuellement, il existe une étape énorme et difficile à franchir. Pourtant, l'astronome n'hésite pas à faire le pas. Pour cela, il comprime les chiffres employés pour mesurer les distances et les temps. C'est très facile pour lui : il lui suffit d'adopter une échelle logarithmique en se servant des puissances de 10. En étant largement aidé par le biologiste et le biochimiste, qui ont un objectif pratiquement identique, il n'hésitera pas à élaborer un ambitieux scénario pour tenter d'expliquer comment la vie a pu prendre naissance.

Il est indispensable, pour faire fonctionner un organisme vivant, de lui fournir trois types d'aliments, que nous appellerons "nutriments" :

leucine
lysine
méthionine
phénylalanine
thréonine
tryptophane
valine
Table 2 :
acides aminés nécessaires
à la vie de l'homme
   
  • les nutriments glucidiques et lipidiques qui satisfont les besoins énergétiques de l'organisme,
  • les nutriments protidiques que l'organisme va employer pour construire sa propre matière. Ces nutriments sont formés des 4 éléments chimiques principaux C, H, O, N et de 2 éléments en moindre proportion : P et S. Ils contiennent les acides aminés à partir desquels seront fabriquées les protéines. Les acides aminés ont un rôle clé dans l'élaboration et le renouvellement de la matière vivante. On a montré que les 8 acides aminés figurant dans la table 2 constituent un minimum indispensable à la survie de l'homme.

Ces 8 acides aminés font partie d'un ensemble de 20 acides aminés à partir desquels sont fabriquées les protéines (Table 3). Les acides aminés permettent à la matière vivante de "fonctionner", mais ils interviennent également dans le processus de reproduction et de renouvellement de cette matière. Ils entrent en effet dans la composition de l'ADN et de l'ARN qui sont les deux acides nucléiques à la base de toute forme de vie. La différence essentielle entre ces deux composés tient au fait que l'ADN est capable de modifier le caractère héréditaire alors que l'ARN ne possède pas cette propriété.

 

acide aspartique
acide glutamique
alanine
arginine
asparagine
cystéine
glutamine
glycine
histidine
isoleucine
      leucine
lysine
méthionine
phénylalanine
proline
sérine
thréonine
tryptophane
tyrosine
valine
Table 3 :
acides aminés entrant dans
la composition des protéines

Vers les années 1950, on connaît la composition de l'ADN contenu dans les noyaux cellulaires. Il comporte :

 

    • de l'acide phosphorique,
    • un sucre : le désoxyribose,
    • quatre bases organiques azotées :
      • puriques : adénine, guanine,
      • x pyrimidiques : thymine, cytosine.

En 1953, Crick et Watson montrent que l'ADN est une macromolécule extrêmement longue qui a la forme d'une échelle qui s'enroule en "double hélice". Cette molécule a une largeur de 2 nm pour une longueur de quelques cm. Les proportions sont celles d'un "mètre" de couturière qui aurait une largeur de 1 cm et une longueur de 50 km. Les barreaux de l'échelle sont constitués par les bases azotées : adénine-thymine, toujours associées et uarune-cytosine, également toujours associées. Les montants de l'échelle sont constitués par le désoxyribose et l'acide phosphorique.

L'ADN est donc une structure moléculaire constituée par un enchaînement de séquences de nucléotides (un nucléotide = phosphate + sucre + base azotée).

Les liaisons entre les molécules des barreaux de l'échelle sont des liaisons hydrogène, fragiles. Par contre, les liaisons entre les molécules qui constituent les montants sont des liaisons covalentes, beaucoup plus solides que les liaisons hydrogène.

Chacun des deux montants constitue un brin de la molécule d'ADN. La molécule d'ARN présente la même structure que la molécule d'ADN avec les différences suivantes :

 

    • la thymine, base azotée, est remplacée par l'uracile,
    • le désoxyribose est remplacé par le ribose.
    • la molécule d'ARN n'est constituée que d'un seul brin. Elle ne comporte qu'une seule chaîne de nucléotides dont la séquence est complémentaire de celle de l'un des deux brins de la molécule d'ADN dont l'ARN transmet le code. On peut comparer le brin de la molécule d'ADN et son ARN correspondant à une photographie et à son négatif, avec la différence relative au remplacement de la thymine par l'uracile.

Le mécanisme de réplication de l'ADN est remarquable car il permet d'une part à la cellule de se dupliquer et d'autre part de préserver l'identité de l'espèce en favorisant éventuellement une meilleure adaptation à son environnement. Les deux chaînes de la molécule d'ADN s'écartent par rupture des liaisons hydrogène fragiles entre les bases azotées. En face de chacun de ces deux brins qui sont maintenant séparés vient se placer un brin nouveau qui s'est formé en incorporant les nucléotides dispersés dans la cellule. On constate en effet que la quantité d'ADN double au moment de la division cellulaire. Les bases azotées étant complémentaires, chaque molécule fille d'ADN qui vient de se former est identique à la molécule initiale ; mais, sur les deux chaînes de nucléotides, elle en comporte une nouvelle, identique à la moitié qui s'est détachée.

L'ADN est la molécule de l'hérédité. Elle comporte les gênes, fragments d'ADN dans lesquels la succession des nucléotides constitue l'information génétique sous forme d'un code. Le déchiffrage de ce code, ou génome, occupe, dans une mémoire d'ordinateur, une taille de 600 millions d'octets dans le cas du génome humain. La séquence des bases azotées, prises par groupes de trois, forme les codons qui définissent un acide aminé spécifique. L'ADN des gènes est donc indispensable pour déterminer la séquence spécifique des acides aminés dans les protéines. Or, les protéines accomplissent de nombreuses fonctions essentielles dans l'organisme notamment en tant qu'enzymes. Dès le début de la biochimie, des scientifiques ont tenté de recréer, au laboratoire, les conditions qu'ils supposaient être propices au développement de la vie.

Sans avoir cette ambition, Urey et Miller (1953) mirent au point une expérience qui est restée célèbre et a été répétée par de nombreux groupes à travers le monde. L'expérience consistait à chauffer un mélange d'eau, de méthane et d'ammoniac et à l'exposer à des décharges électriques. L'ensemble était censé simuler une atmosphère planétaire primitive, les décharges électriques remplaçant les orages dans l'atmosphère. Au bout de quelques jours, S. Miller vit apparaître un dépôt brunâtre dans lequel l'analyse chimique révéla la présence d'acides aminés. L'expérience a été répétée en modifiant certaines conditions et notamment en remplaçant les décharges électriques par du rayonnement UV. Dans la plupart des cas, l'apparition de matière organique assez élaborée comme des acides aminés fut observée. Les conditions recréées dans les expériences de ce type sont des conditions supposées être pré-biotiques. A l'heure actuelle, les scientifiques sont parvenus à effectuer la synthèse des 20 acides aminés qui sont nécessaires pour former les protéines.

De nombreuses tentatives ont été effectuées pour atteindre l'étape suivante : la synthèse des acides nucléiques, molécules fondamentales de la vie. Pour l'instant, la plupart de ces expériences se sont soldées par des échecs, et les scientifiques ne sont pas encore parvenus à reproduire une molécule d'ADN dans des conditions biologiques.

Une expérience, toutefois, a fourni des résultats encourageants. Cette expérience, conduite par le Dr Szostak au Général Hospital of Massachussetts, a permis de reproduire des fragments de filaments d'ARN. L'ARN se duplique plus facilement que l'ADN et l'on estime généralement que, tout au début des origines de la vie, c'est l'ARN qui assurait la réplication des cellules primitives, l'ADN n'ayant fait son apparition que lors d'une phase ultérieure.

 

 

L'apparition et l'évolution de la vie sur Terre

La Terre a pris naissance, comme les autres planètes il y a 4,55 milliards d'années à partir d'un énorme ensemble, appelé généralement la nébuleuse primitive, constitué de particules de poussière, de cailloux et de gaz, le tout animé d'un vigoureux mouvement de rotation. Le concept de nébuleuse protosolaire a été émis par Laplace, ce qui amène souvent les astronomes à appeler nébuleuse de Laplace l'ensemble constitué par les matériaux où se sont formées les planètes. Sous l'effet de la gravité, la matière de la nébuleuse se condense et forme d'une part l'étoile centrale, le Soleil, et d'autre part des objets dont les dimensions sont de quelques dm à quelques km. Ces objets sont appelés planétésimaux. Ils s'entrechoquent et s'agglomèrent pour former les planètes. Toutefois, les collisions se poursuivent, pouvant être extrêmement violentes.
Dans le cas de la formation et de l'évolution de la Terre, c'est une rencontre avec un très gros objet de ce type qui, créant des énormes lambeaux de magma, donna naissance à la Lune. Le bombardement intense des planètes dura plusieurs centaines de millions d'années et ne prit véritablement fin que vers -3,8 milliards d'années. Entre temps, une vaste étendue d'eau et de glace avait du recouvrir la Terre. Au moins en partie.

La première étape vers l'édification de la vie consiste à former des molécules organiques complexes du type ATP (adénosine-triphosphate) à partir de molécules plus simples comme CO, C02, H2CO ou HCN. Plusieurs hypothèses sur les conditions de formation de ces composés sont proposées :

 

    • apport de matière sous forme de poussière interplanétaire et de composés comme du formaldéhyde, de l'ammoniac ou de l'acide cyanhydrique. Ces composés se déposent dans les océans et donnent naissance à des molécules complexes dans les endroits où l'eau existe sous forme liquide. Un de ces composés serait un acide aminé, la glycine.
    • une variante de cette hypothèse consiste à reprendre l'idée de Darwin et à imaginer que de petites étendues d'eau, des mares, existaient à la surface de la Terre et que, progressivement, le processus de l'évolution a créé dans ces réservoirs des assemblages de molécules aboutissant d'abord à de l'ATP, puis à de l'ARN.
    • une autre hypothèse consiste à prendre en compte le volcanisme initial la planète, qui devait être très intense et produire des geysers et des sources hydrothermales. Le monoxyde de carbone et les radicaux méthyle auraient ainsi formé de l'acide acétique activé, qui intervient dans la synthèse de nombreux composés organiques.

Il y a 3,8 milliards d'années, la première grande étape a donc été vraisemblablement la synthèse de molécules d'ARN, et l'on suppose que ces molécules étaient capables de se dupliquer. Les premiers organismes étaient sans doute très simples, sans noyaux. Ils devaient ressembler aux cellules procaryotes, aux bactéries et aux virus. Au demeurant, on a retrouvé dans des milieux naturels très anciens des bactéries appelées archéobactéries pouvant donner une idée de l'organisation des premiers organismes vivants ; elles comportent des ribosomes et un simple chromosome circulaire dans du cytoplasme, le tout enveloppé dans une membrane.

L'évolution des cellules jusqu'au stade de cellules eucaryotes (avec noyau) a duré plus d'un milliard d'années. Le point très important dans ce processus est la formation des mitochondries, processus évolutif résultant vraisemblablement, selon Margulis (1970), de l'absorption de bactéries procaryotes. Les mitochondries permettent la respiration aérobie.

Pendant ce long intervalle de temps, existent déjà des organismes simples, assemblages de cellules procaryotes appelés cyanophycées. On trouve en Australie, sur les rives de la Baie Shark, des organismes appelés stromatolithes constituant des petits massifs qui sont d'une certaine manière des survivants de cette époque datant d'il y a trois milliards d'années. Ces ensembles, ainsi que les cyanobactéries et les algues bleues sont dotées d'activité photosynthétique. Cette spécificité est fondamentale car, peu à peu, sous l'effet du rayonnement solaire, elle conduira à une transformation d'une partie du dioxyde de carbone de l'atmosphère en oxygène. On peut résumer le processus photosynthétique par le bilan global suivant :

 

6 CO2 + 12 H2O + photons solaires C6H12O6 + 6 H2O + 6 02

Certaines cellules, progressivement, comportent des chloroplastes, sortes de petits ballons remplis de chlorophylle, qui proviennent sans doute de l'absorption de cyanophycées.

L`enrichissement de l'atmosphère en oxygène constitue un tournant fondamental qui a pour conséquence des changements radicaux et une accélération importante dans le lent processus évolutif. Il ne faut tout d'abord pas perdre de vue le fait que l'oxygène pur présente une certaine toxicité. Il a donc fallu que la cellule eucaryote s'adapte à cette modification.

L'apparition de la reproduction sexuée il y a environ un milliard d'années constitue également une étape importante car elle permet, à cause du mélange des gènes au cours de la mitose, de créer un grand nombre d'espèces. Il y a environ 700 millions d'années, les premiers ensembles pluricellulaires se développent. Il s'agit d'organismes marins au corps mou appelés édicariens. Une grande explosion de la vie marine se produira dans les deux cents millions d'années suivants : invertébrés, éponges, méduses, poulpes, anémones de mer, algues vertes. Vers - 500 millions d'années, l'espèce dominante est constituée par les trilobites. Les premiers invertébrés à carapace apparaissent.

Pour que les premiers invertébrés s'aventurent à quitter les marécages, une condition essentielle doit être réalisée : il faut qu'ils soient protégés de la partie X et UV du rayonnement solaire. Ce filtrage est obtenu dans le domaine X et UV lointain grâce à l'oxygène. Dans l'UV moyen entre 200 et 330 nm le filtre est constitué par l'ozone dont la présence au niveau stratosphérique est liée à l'action du rayonnement solaire sur l'oxygène suivant le processus

Photolyse de l'oxygène à l 216 nm

 

02 + hn O+O

Formation de l'ozone:

0 + 02 + M 03 + M

M est une troisième molécule qui ne réagit pas avec l'oxygène, mais qui permet d'absorber une partie de l'énergie produite. Il s'agit d'azote principalement.

Il est probable que les plantes ont largement précédé les animaux dans l'occupation de la terre ferme. Ces plantes ont d'abord été, il y a 500 millions d'années, des champignons. Puis des plantes à chlorophylle s'adaptèrent à la vie dans l'atmosphère. Vers - 350 millions d'années, la flore était dominée par des prêles, fougères géantes, lycopodes. Les espaces côtiers découverts à marée basse ont sans doute joué un rôle important dans cette colonisation progressive du sol terrestre. En ce qui concerne les animaux, l'adaptation n'a pu se faire qu'au moyen de systèmes physiologiques adéquats aux fonctions respiratoire, digestive, sensorielles.

Il y a 300 millions d'années, les amphibiens et les insectes géants constituaient le règne animal. Ils cédèrent peu à peu la place dominante aux reptiles qui apparurent vers - 250 millions d'années. Suivirent les dinosaures, dont les nombreuses variétés régnèrent sur la planète jusqu'à la date fatidique de - 65 millions d'années où ils disparurent soudainement. Il est vraisemblable que cette disparition brutale a été due à l'impact d'un astéroïde ou d'un noyau de comète. Cette hypothèse, proposée par Alvarez père et fils en 1980, apparaît de plus en plus réaliste. Deux observations viennent l'étayer :

 

    • la première est la présence d'un taux d'iridium anormalement élevé dans la couche K-T (crétacé-triassique) qui date précisément de cette période. L'iridium aurait été contenu dans le nuage de poussière, recouvrant toute la planète, qui aurait résulté de la rencontre du corps céleste avec la Terre, ce qui explique l'anomalie de composition, l'iridium n'étant pas, dans ce schéma, d'origine terrestre.
    • la deuxième est l'identification du cratère qui a été créé par cet impact. Bien qu'il soit recouvert de sédiments, il a été localisé, grâce à des sondages, dans le golfe du Mexique près de Chicxulub, centré sur l'extrémité de la péninsule du Yucatan.

L'éventualité de collisions catastrophiques de ce type a depuis longtemps fait l'objet de calculs de la part des astronomes. Lorsqu'elles se produisent, il en résulte évidemment une disparition plus ou moins étendue des espèces qui vivent sur terre. La fréquence de tels événements est d'environ un impact catastrophique tous les 100 millions d'années. Plus loin dans le temps, il y a 214 millions d'années, le début de l'ère triassique a également été marquée par une collision catastrophique qui a pris la forme d'un impact multiple analogue à celui de la comète Shoemaker-Levy 9 avec Jupiter en 1994. L'événement terrestre a été reconstitué à partir des traces actuelles des impacts en tenant compte de la dérive des continents sur cette période de 214 millions d'années (Spray et al., 1998). Cinq cratères d'âge comparable apparaissent alignés : Obolon (Ukraine), Rochechouart (France), Manicouagan, Saint Martin (Canada) et Red Wing (Etats-Unis). Ces cratères ont vraisemblablement été créés par l'impact d'un noyau de comète fragmenté comme celui de Shoemaker-Levy 9.

 

Conclusion

Le système solaire peut sembler maintenant un peu "étroit" pour aborder l'autre problème relatif à la vie : sommes-nous les seuls êtres vivants de par le monde ? En fait, il n'en est rien car, précisément, la résolution de ce problème se fera soit depuis la Terre, soit depuis des satellites ou la station spatiale, ou encore depuis la Lune.. Étant donné qu'il n'est pas possible de quitter le système solaire pendant la durée d'une ou de plusieurs vies humaines consécutives, il n'est pas possible d'envisager d'autre méthode que celle qui consiste à construire des instruments d'observation de plus en plus puissants dans ces sites qui sont maintenant accessibles. La découverte, par la sonde Clémentine, de quantités de glace importantes situées aux pôles de la Lune constitue une découverte fondamentale car elle permet de prévoir l'installation de bases en des régions où, précisément, les conditions d'exposition au Soleil semblent acceptables. Ce problème étant réglé, il s'agit de progresser rapidement dans la détection de planètes présentes éventuellement autour des quelques centaines d'étoiles les plus proches. Rappelons que la détection de planètes autour de l'étoile 51 Peg par Mayor et Queloz à l'Observatoire de Haute Provence a été confirmée par d'autres équipes.

Ces travaux ont fait germer dans le cerveau d'Alain Léger (IAS, Orsay) une idée de détection de la vie sur d'autres planètes par une méthode fort élégante dont voici le principe. La vie ne peut exister, en principe, que si l'atmosphère contient suffisamment d'oxygène. Or, il en résulte l'existence d'une couche d'ozone dont l'épaisseur optique dépend de l'intensité du champ de rayonnement dû à l'étoile. Il suffit donc de détecter cet ozone par l'une des méthodes classiques employées sur Terre : absorption UV, ou visible, ou émission infra-rouge, pour avoir une preuve sérieuse de la présence de vie sur la planète étudiée. Le problème de la vie dans l'Univers, et de son apparition sur une planète est absolument passionnant. Il est constitué d'un puzzle qui, comme le code génétique, sera peu à peu déchiffré.

 

Références

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