Mission Santo
 
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Les Insectes Orthoptères de Santo : une mission de terrain qui s'inscrit dans un projet scientifique global

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La participation à une expédition scientifique représente un investisssement important en terme de moyens, de temps et de travail. Elle se justifie par son intégration dans une perspective de recherche plus large. par Laure Desutter-Grandcolas, chercheur au Muséum national d'Histoire naturelle

Le contexte …

     Un chercheur en biologie passionné par l’étude des espèces dans leur milieu naturel voudrait tout observer, tout étudier, sur tous les continents et dans tous les milieux. Cela implique bien sûr des problèmes de financement et de temps. Même en partant deux fois par an pendant 40 ans avec des crédits illimités, un chercheur ne pourrait effectuer que 80 missions de terrain durant toute sa vie, ce qui est très peu au regard du nombre de biotopes naturels remarquables.
     Indépendamment de ces contraintes, il est clair que le but premier des missions de terrain est d’étudier ce qu’on l’observe, et de le porter à la connaissance de la communauté scientifique. Chaque mission de terrain est ainsi suivie par l’étude détaillée des spécimens observés et collectés, étude qui peut demander des mois de travail en laboratoire, notamment pour identifier les spécimens collectés en les comparant avec les espèces déjà connues ou en définissant des espèces nouvelles. La publication des résultats, seul moyen de valider un travail scientifique, est également une activité très exigeante.
     Tout chercheur en biologie passionné par l’observation des espèces dans leur milieu naturel, doit ainsi choisir ses lieux de mission avec soin. Et le premier critère de choix concerne l’intérêt scientifique de la région à propecter, et son adéquation avec la problématique de recherche développée par le chercheur.

     En 2005, le Muséum national d’Histoire naturelle s’est engagé dans une expédition de grande ampleur sur l’île de Santo, dans l’état du Vanuatu, et les personnes intéressées ont été priées de se faire connaître. Il nous a donc fallu déterminer ce que cette expédition pouvait nous apporter scientifiquement. Notre décison d’y participer résulte d’un compromis entre le cadre dans lequel devait s’effectuer la mission, et les nécessités de nos propres travaux de recherche.

Une expédition à grande échelle … les avantages

     Sur le plan matériel tout d’abord, une mission collective, surtout à l’échelle d’un organisme comme le MNHN, présente plusieurs avantages potentiels. Tout d’abord la mutualisation de la logistique, tels que les moyens de déplacement par exemple, qui sont toujours un souci lors de missions individuelles, les autobus et autres voitures de location n’étant pas forcément adaptés à nos besoins ou à nos budgets. Les autorisations de collecte sur les sites d’étude sont également obtenus non plus à l’échelle individuelle, mais collectivement, ce qui permet de pallier l’absence éventuelle d’interlocuteur scientifique dans le pays d’accueil. La recherche de crédits pour le financement de la mission peut enfin se révéler simplifiée, ce qui ne signifie pas, bien entendu, l’absence d’une obligation de résultats.
      Donc, une mission potentiellement plus facile matériellement parlant.

     Sur le plan scientifique, être plusieurs à travailler au même endroit signifie que l’expérience de chaque chercheur peut bénéficier à toute la communauté impliquée dans le projet, et que les résultats obtenus sur les différents modèles à l’étude seront comparés au retour, autorisant une approche plus globale des biotopes étudiés.
     Donc, une mission potentiellement plus fructueuse.

Une expédition à grande échelle … les inconvénients

     Qui dit organisation, dit contrainte. Contrainte pour les lieux prospectés, pour les dates de mission et pour les conditions de travail sur place. 
     Pour les Orthoptères tropicaux, les milieux les plus intéressants du point de vue de la faune sont généralement ceux qui ont le moins subi l’intervention de l’homme (cultures, abattage même sélectif, passages répétés, …). Les forêts sont d’autre part souvent plus riches que les milieux ouverts. Une mission dédiée aux Orthoptères privilégie donc des milieux forestiers peu, voire pas (quand ils existent encore) perturbés. Ces milieux sont de plus en plus souvent difficiles d’accès (forêts sur fortes pentes, par exemple), ce qui explique qu’ils n’aient pas été exploités ; ils se prêtent donc difficilement à l’établissement de campements conséquents.
     Beaucoup d’Orthoptères, et surtout les grillons et les sauterelles, sont d’autre part actifs de nuit, se cachant le jour dans un habitat propre à chaque espèce. Leur observation et leur collecte demandent ainsi de travailler de jour comme de nuit, afin :
* d’observer (de jour) leur habitat refuge, qui peut conditionner la survie d’une espèce dans un biotope, le jour pouvant être une période critique pour des espèces nocturnes (chaleur, dessication). Ces refuges sont très variés, tels que litière, dessous des écorces, troncs creux, troncs morts, litière aérienne, cavités diverses au niveau du sol ou dans la végétation, épiphytes, dessous des feuilles sur les arbustes et plantules, etc…
* d’observer les individus actifs pendant la nuit, pour noter leur habitat d’activité (tronc, souche, chandelle, canopée, litière, plantule, buisson, liane, …).
* d’observer et enregistrer leurs comportements, notamment les signaux de communication acoustique, les parades nuptiales, le comportement alimentaire et leurs prédateurs.
     Autant l’observation des habitats est « facile », ne demandant que de rechercher les espèces dans leur milieu naturel de jour comme de nuit dans des conditions adaptées (cf. faible lumière pour la nuit), autant l’observation des comportements est, elle, difficile et fort demandeuse de temps. Il est rare d’observer une espèce manger en forêt, de même qu’une espèce sur dix seulement en moyenne sera enregistrée dans son habitat naturel. Ces observations, surtout si elles sont associées à un spécimen qui lui-même a été collecté, n’en sont que plus précieuses pour connaître la bio-diversité, i.e. la diversité du Vivant.
     Ces observations demandent un minimum de liberté et de tranquillité sur les lieux de mission, car le rythme de travail est celui des espèces, non celui d’un camp de base. Pour le travail de nuit, il est également préférable de s’installer dans un campement discret et léger le plus près possible des milieux prospectés. L’enregistrement de signaux acoustiques demande enfin un fond sonore minimal, les bruits naturels étant déjà en eux-mêmes souvent trop présents.
     Une mission à Santo ne pouvait pour nous se concevoir que dans un cadre restreint, relativement autonome et indépendant, nous permettant d’être efficaces dans nos observations.

Notre intérêt scientifique pour Santo …

 

Il est double. Tout d’abord, on ne connaît rien ou presque des Orthoptères des Vanuatu. Les grillons par exemple n'y ont jamais été étudiés jusqu'à présent et ne sont connus que par quelques spécimens collectés par hasard par des voyageurs des siècles passés. Ces maigres récoltes sont cependant importantes, car elles recèlent quelques spécimens appartenant aux taxa que nous étudions plus spécifiquement, les grillons Eneopterinae et Phalangopsidae. Ces spécimens attestent donc la présence à Santo de nos modèles d’étude. De plus il s’agit à l’évidence d’espèces originales, notamment pour les Phalangopsidae, dont l’observation dans le milieu naturel pourrait contribuer à nos recherches sur l’évolution des habitats et des modes de communication. De même, pour les Eneopterinae, la mission à Santo représente une bonne occasion d’enregistrer les chants à haute fréquence émis par ces espèces (cf. infra), et de déterminer conjointement les paramètres écologiques des espèces enregistrées.

Les spécimens des Nouvelles-Hébrides dans les collections du Muséum avant Santo 2006

 
     L’autre intérêt de Santo tient à sa proximité avec la Nouvelle-Calédonie, les deux territoires étant distants de seulement quelques 600 km. Ils sont cependant séparés par des fosses marines (ceinture de Feu du Pacifique) et des courants marins, qui sont susceptibles d’avoir influencé les échanges faunistiques entre les deux territoires, notamment par l’existence de barrière à la dispersion, même lors des baisses du niveau de la mer (jusque parfois moins 200 m). On peut donc se demander si le peuplement d’Orthoptères de Santo ressemble à celui de la Nouvelle-Calédonie, et par quels critères. 


 

Localisation géographique du Vanuatu et de la Nouvelle-Calédonie Géologie de la région (in http://www.mobot.org/MOBOT/Research/newcaledonia/)
Localisation géographique du Vanuatu et de la Nouvelle-Calédonie Géologie de la région, avec le Vanuatu et la Nouvelle-Calédonie au centre.


     Depuis plusieurs années, les chercheurs du Muséum en association avec des collaborateurs internationaux étudient la faune et la flore de Nouvelle-Calédonie. Cette île située à l’est de l’Australie et au Nord de la Nouvelle-Zélande, possède une flore et une faune très particulières, riches de nombreux taxa endémiques, ayant souvent des particularités biologiques remarquables. Nombre de taxa, notamment pour les plantes, semblent occuper des places particulières dans l’évolution du vivant, à l’exemple des plantes du genre Amborella, décrit en 1999 seulement, mais qui serait le groupe-frère de l’ensemble des Angiospermes. Pourquoi et comment la Nouvelle-Calédonie en est-elle arrivée là ? Quelle est l’origine des taxa néocalédoniens ? Comment expliquer leur si forte diversification et leurs caractères biologiques ?
     L’hypothèse traditionnelle considère la Nouvelle-Calédonie comme un morceau d’un continent très ancien, le Gondwana, qui a éclaté au début du Cénozoique pour donner les actuels continents du sud (Australie et Nouvelle-Guinée, Amérique du Sud, Afrique, Inde, Antarctique). La Nouvelle-Calédonie serait restée inchangée depuis 80 millions d’années, gardant notamment un climat tropical, propre à la survie, à la différenciation et à l’accumulation de nombreuses espèces. 
     Depuis quelques années, des données géologiques soutiennent l’hypothèse d’une submersion totale de la Grande Terre au milieu du Cénozoique. Les taxa présents en Nouvelle-Calédonie se seraient donc dispersés depuis d’autres territoires, même ceux qui apparaissent comme phylogénétiquement basaux (cf. Amborella).
    Ces deux hypothèses s’opposent au moins partiellement par leurs implications quant à l’âge, l’origine et l’histoire des taxa impliqués, et contribuent à des analyses radicalement opposées sur la richesse de la biodiversité actuelle, et sa cause.

     Les grillons font partie de ces taxa à fort taux d’endémisme en Nouvelle-Calédonie. Sur ce territoire long de 400 km sur 50 km de large, et grand comme deux fois la Corse, ils comptent 116 espèces, dont 95 % ne sont connues que de Nouvelle-Calédonie.

  

Une femelle de Matuanus cachée dans une branche creuse Grillon vivant dans les calcaires alvéolés en bord de mer Proturana n. sp., une espèce diurne, vivant sur des herbes

Habitat refuge dans une branche creuse.

Un habitat très spécial : les calcaires alvéolés en bord de rivage. Un habitat d'espèce diurne, les herbes en milieu ouvert.


        L'étude des peuplements de sous-bois a permis de caractériser leurs habitats de refuge et d'activité, et de montrer ainsi la structure du peuplement, données importantes pour gérer, et comprendre le fonctionnement de la biodiversité. Des données sur les peuplements de Nouvelle-Calédonie  sont réunies dans le document joint (échantillonnage peuplement Nouvelle-Calédonie.pdf).
 

        L’origine des grillons néocalédoniens, d’après les données actuellement disponibles, est soit l’Australie, soit l’Indo-Malaisie, ce qui n’est pas courant au sein d’un même clade. Les grillons constituent ainsi un modèle judicieux pour dater la colonisation de la Nouvelle-Calédonie et étudier les modalités de diversification de sa faune. Tel est le cas des grillons Phalangopsidae, présents en Nouvelle-Calédonie par les genres Caltathra Otte, 1987 et Protathra Desutter-Grandcolas, 1997, endémiques de la Grande Terre, et Parendacustes Chopard, 1924, présent dans les îles Loyauté par une espèce originale ; il en est de même des Eneopterinae, avec les genres Agnotecous Saussure, 1878 (endémique de la Grande Terre), Lebinthus Stål, 1877 (une espèce endémique des Loyautés) et Cardiodactylus Saussure, 1878 (une espèce indo-malaisienne présente sur l’ensemble du Territoire).

 

D’autre part, les Eneopterinae néocalédoniens émettent leur chant d’appel dans des fréquences très élevées, situées à la limite des ultrasons, ce qui n’avait jamais été documenté dans ce groupe d’Ensifères avant 1997.

Chanter dans des fréquences hautes n’est pas quelque chose de facile, d’abord du point de vue du fonctionnement de l’appareil émetteur, mais aussi parce que plus les fréquences sont élevées, moins elles se propagent facilement dans le milieu naturel. Il est alors possible que l’écologie de ces espèces présente des aspects particuliers, susceptibles de « compenser » la faible efficacité de leurs signaux d’appel. Est-ce cela qui leur a permis de se diversifier en Nouvelle-Calédonie ?

Mâle d’Agnotecous en train de chanter


Quels objectifs pour notre mission à Santo …

     Nous nous proposons tout d’abord d'échantillonner par des méthodes adaptées le peuplement de grillons et de sauterelles des milieux forestiers, afin:
1/ d'en étudier la composition taxonomique et phylogénétique,
2/ de le comparer avec le peuplement de Nouvelle-Calédonie,
3/ d’observer et de caractériser les habitats des espèces présentes, et d’enregistrer leurs comportements (chants d’appel ; postures de chant ; si possible, parades nuptiales).

     Pour optimiser la mission et approfondir notre connaissance de la faune locale, tous les Insectes Orthoptéroides seront collectés : les criquets (Orthoptères Caelifères), phasmes (Phasmatodea), perce-oreilles (Dermaptères), blattes, mantes et termites (Dictyoptères) seront ainsi étudiées par d’autres chercheurs, travaillant ou non au Muséum.

     Nos travaux constitueront le premier inventaire véritable de la biodiversité pour le modèle étudié dans la région des Vanuatu. Ils représenteront également le premier effort structuré d’échantillonnage des caractères biologiques des taxa concernés dans cette région.
Ils nous permettront, pour les clades modèles (Eneopterinae, Phalangopsidae), de caractériser les modalités de colonisation des Vanuatu et de les comparer aux hypothèses proposées pour la Nouvelle-Calédonie.
Enfin, l’intégration des données biologiques sur l’habitat et le comportement des espèces locales dans des analyses historiques à l’échelle de clades entiers nous permettra d’affiner nos hypothèses sur l’évolution de ces paramètres écologiques de la biodiversité.

     Ce programme se replace dans des recherches en cours portant sur l’étude de l’endémisme des Orthoptères Ensifères en Nouvelle-Calédonie. Il s’intègre également dans des travaux sur l’origine et la structure de la diversité des modalités de communication chez les Eneopterinae et les Phalangopsidae.
Résultats attendus : Faunistique et collection de référence pour les Orthoptéroides de Santo ; systématique phylogénétique des Orthoptères Ensifères (taxonomie, analyse phylogénétique de modèles ciblés) ; description de la diversité biologique de ce clade, et incorporation de nos observations à des bases de données associées aux collections de spécimens (sonothèque, photothèque) ; comparaison avec la Nouvelle-Calédonie dans le cadre d’analyses biogéographiques ; tests d’hypothèses évolutives sur les modes de communication.

Les participants :

Sylvain Hugel (à gauche ), Tony Robillard (centre) et Laure Desutter-Grandcolas (à droite), en repérage de jour

    L'équipe, en repérage de jour à Natawa : 

           Sylvain Hugel (à gauche),

           Tony Robillard (au centre),

           Laure Desutter-Grandcolas (à droite)


 

   


Fichiers attachés
Les peuplements de grillons de sous-bois en Nouvelle-Calédonie Les peuplements de grillons de sous-bois en Nouvelle-Calédonie
(Echantillonnage peuplement Nouvelle-Calédonie.pdf - 123.51 Ko)