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Invasions biologiques et biologie de la conservation

Un essai de synthèse publié dans le Courrier de l'environnement de l'INRA -juin 2000

Invasions biologiques et biologie de la conservation

essai de synthèse

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par Michel Pascal, Philippe Clergeau et Olivier Lorvelec

Responsable du module Fraches et aliens à Santo 2006 INRA - Équipe faune sauvage et biologie de la conservation - SCRIBE, 35042 Rennes cedex
pascal@beaulieu.rennes.inra.fr - clergeau@univ-rennes1.fr - lorvelec@beaulieu.rennes.inra.fr


Lors de la conférence de Rio, la communauté scientifique a fait prévaloir que l'évolution récente de l'importance et de la nature de l'activité humaine était à l'origine d'une récente et forte accélération du processus naturel d'extinction des espèces. Au nombre des facteurs d'origine anthropique identifiés actuellement comme responsables de cette érosion, figure en seconde place, après la modification des milieux, l'introduction de taxons hors de leur aire de répartition spontanée.

Que recouvre exactement le terme d'invasion biologique souvent associé à une introduction conduisant à l'installation d'une espèce ? Que sait-on de la nature et de l'importance de l'impact passé et présent de ces invasions ? Quelle prédiction peut-on faire quant à la nature et l'importance de cet impact ? Quelle valeur heuristique accorder à l'étude comparée des invasions en milieux insulaires et continentaux ? Ce texte n'a aucune prétention exhaustive mais veut tenter de donner quelques définitions nécessaires pour cadrer des questions et un débat d'actualité.

 

Contextes et définitions


Williamson (1) donne comme définition de l'invasion l'accroissement durable de l'aire de répartition d'un taxon. Cette définition, large, intègre les invasions biologiques " naturelles " identifiées à l'échelle des temps géologiques (2) et réputées participer à l'évolution dans sa globalité (3,4,5,6,1). Cependant, pour les seuls vertébrés, de récents travaux montrent que, depuis le néolithique et surtout depuis l'avènement de l'élevage (7), puis de l'agriculture (8), l'Homme interfère avec ce processus naturel, d'une part, directement, en introduisant volontairement ou non des allochtones (a) (9,7,10,11,12,13) et, d'autre part, indirectement, en modifiant les habitats, autorisant ou favorisant ainsi des événements invasifs (14,15).

Plus récemment, la prééminence de l'Homme s'est affirmée dans ces processus, dès le XVIe siècle avec l'épisode des grandes découvertes, au XIXe et au début du XXe siècle avec la réalisation de grands travaux (à titre d'exemple, les invasions lessepsiennes (b) (16,17)) mais surtout depuis la fin du dernier conflit mondial. En effet, cet événement est contemporain de l'amorce d'une très forte augmentation du volume des échanges internationaux, des linéaires de communications terrestres (c) (18,19) et de la démographie humaine (20). Il est aussi l'amorce d'une importante évolution des motivations à l'origine des introductions (encadré 1, ci-dessous)(21), de profonds changements de l'usage de l'espace sous la contrainte d'un fort renouvellement des pratiques culturales et d'élevages, et enfin d'une mutation touchant l'habitat rural et les processus d'urbanisation (d) et de gestion du péri-urbain (e) (22).

C'est la prise de conscience de l'actuelle prééminence de l'action anthropique dans les processus d'invasions, les premières évaluations globales de leurs fortes incidences sur les économies nationales (23) (f) et le fonctionnement de la quasi-totalité des écosystèmes du globe (24) (g) qui ont fait prendre en compte l'étude des invasions biologiques dans le cadre d'institutions internationales (Convention sur la diversité biologique (25,26), Communauté européenne (27)) et nationales. Ce sujet relève d'autant plus de l'actualité qu'avec le développement des travaux sur les OGM, se posera immanquablement lors de leur libération, et pour chacun d'entre eux, les questions de leur potentialité invasive et de la nature de leurs éventuelles interactions avec diverses composantes des écosystèmes d'accueil, y compris les taxons réputés les plus évolués (vertébrés).

C'est pour tenir compte de ce contexte que l'Invasive Species Specialist Groupe (ISSG) de l'Union internationale de la conservation de la nature (UICN), organisme référence de la Convention de Washington (CITES), propose dans un texte très récent (28) les définitions suivantes :

- le qualificatif d'autochtone (indigène) :

est associé à une espèce, une sous-espèce ou une entité d'un niveau taxinomique inférieur qui se trouve à l'intérieur de son aire de répartition naturelle ou dans son aire de dispersion potentielle (c'est-à-dire, dans le domaine géographique qu'elle occupe naturellement ou peut occuper sans interventions humaines par introduction ou démarches particulières) ;


- le qualificatif d'allochtone (exotique, exogène, étrangère...) :

est associé à une espèce, une sous-espèce ou une entité d'un niveau taxinomique inférieur qui se trouve à l'extérieur de son aire de répartition naturelle ou de son aire de dispersion potentielle (c'est-à-dire hors du domaine géographique qu'elle occupe naturellement ou peut occuper sans interventions humaines par introduction ou démarches particulières) et est applicable à toute partie d'un individu (gamète ou propagule) susceptible de survivre et de se reproduire ;


- le qualificatif d'invasive :

est associé à une espèce allochtone, qui s'étant établie dans des écosystèmes ou habitats naturels ou semi-naturels, y est un agent de perturbation et nuit à la diversité biologique autochtone (h) ;


- introduction : 

signifie le déplacement par l'Homme d'une espèce, d'une sous-espèce ou d'une entité d'un niveau taxinomique inférieur (y compris toute partie d'un individu, gamète ou propagule, susceptible de survivre et de se reproduire) hors de son aire de répartition géographique historiquement connue. Les limites géographiques des états souverains ne constituent pas dans ce cas des limites géographiques pertinentes ;


- introduction fortuite :

correspond à une introduction par le jeux d'activités humaines non délibérément dirigées dans le but d'introduire une espèce ;


- introduction intentionnelle:

signifie une introduction réalisée délibérément par l'Homme impliquant le déplacement d'une espèce hors de son aire de répartition naturelle ou de son aire de dispersion potentielle (de telles introductions pouvant être ou non autorisées).


Si la prééminence de l'activité humaine dans l'accélération des processus d'invasion par le jeu essentiellement des introductions, volontaires ou non, et celui des modifications des milieux et de leurs interconnexions est donc largement admise, l'importance relative de ces deux facteurs est loin d'être établie.

Par ailleurs, il semble actuellement impossible de formuler une prédiction réellement fondée des capacités invasives d'une espèce donnée, ou de la susceptibilité aux invasions d'un écosystème donné. De même, il ne semble pas possible d'établir a priori les conséquences d'une invasion sur les diverses composantes et le fonctionnement des écosystèmes d'accueil. Williamson (1), dans la conclusion de son ouvrage consacré aux invasions, expose de façon convaincante que les modèles actuellement développés pour tenter de répondre à ces questions ne peuvent réellement progresser sans un apport nouveau et substantiel de documentations rigoureuses de cas concrets. D'après cet auteur, et nous partageons cette opinion (29,30), cet apport devrait porter avant tout sur :

- les modalités des invasions, en particulier afin d'identifier, au travers de leurs histoires, les mécanismes à l'origine des succès et des échecs ;

- les conséquences des invasions sur la composition spécifique et le fonctionnement des écosystèmes d'accueil ;

- la ou les causes à l'origine des invasions ;

ceci, dans la perspective d'intégrer l'ensemble de ces résultats dans l'élaboration des modalités de gestion destinées à maîtriser le phénomène.


Invasions biologiques et écosystèmes insulaires


En raison de diverses caractéristiques (écosystème géographiquement isolé et délimité, réseaux trophiques simplifiés, communautés animales et végétales disharmoniques, forte sensibilité de la résilience écologique (31,32,33)), les écosystèmes insulaires ont très précocement fait l'objet de spéculations (3) et de travaux en rapport avec les invasions (6).

En développant leur théorie des peuplements insulaires, Mac Arthur et Wilson (4) se sont délibérément placés dans le cadre du peuplement spontané des îles et ont quantifié et modélisé le rôle de deux variables géographiques reconnues depuis comme essentielles : la superficie des îles et leur distance au(x) proche(s) continent(s) source(s). Cette théorie prédit qu'à distance égale du continent source, la diversité spécifique augmente avec la surface de l'île et qu'à surface égale, elle décroît avec la distance au continent. La " fonction biologique " associée à la superficie repose sur l'hypothèse qu'une grande île est susceptible d'accueillir des populations aux effectifs supérieurs à ceux d'une petite, situation qui réduit leur probabilité d'extinction. Par la suite, Lack (34,35) a montré le rôle de la diversité d'habitats en rapport avec la superficie. La " fonction biologique " associée à la distance repose sur le déclin du nombre d'espèces potentiellement invasives. Cette théorie des équilibres dynamiques, largement critiquée, a le mérite, d'après Williamson, d'être " triviale mais vraie " et, d'après Brown, " [...] de constituer la base pour interpréter la composition des peuplements en terme d'interactions entre, d'une part, les processus biologiques de colonisation, d'extinction et de différenciation évolutive et, d'autre part, le cadre historique et écologique où ces processus se développent " (in 36).

Si l'Homme n'a pas agit significativement sur la surface des îles et sur leur distance au proche continent, il est intervenu sur les fonctions biologiques associées à ces deux variables en modifiant les milieux insulaires et en " réduisant ", pour nombre de taxons, la distance aux continents (proches ou non) par le jeu des introductions volontaires ou fortuites. S'il n'est guère possible, dans l'état actuel des connaissances, de hiérarchiser l'importance de l'un ou l'autre de ces facteurs anthropiques pour les îles de grande superficie au peuplement humain ancien, pérenne et dense, le processus des introductions est réputé prépondérant pour les îles de petite superficie, voire, celles de grande superficie, siège d'un récent développement économique à l'européenne (37,24,21).

Diverses facettes de la problématique générale des invasions ont été abordées par la méthode expérimentale. Pour des raisons de maîtrise technique, la quasi-totalité de ces travaux s'est déroulée et se déroule en milieu insulaire, sur des entités géographiques de superficie réduite.

Le premier type d'expérience a porté sur les processus liés aux invasions spontanées. Il a consisté à éliminer le peuplement d'invertébrés de petits îlots de surface très réduite mais variée, situés à diverses distances du continent source, puis d'opérer un suivi diachronique des invasions (38,39). Ces expériences ont validé les prédictions de la théorie de Mac Arthur et Wilson sur les flux.

Le second type d'expérience a porté sur les invasions d'origine anthropique. Il a consisté à suivre l'évolution de la composition et du fonctionnement de peuplements suite à l'éradication d'allochtones. L'essentiel de ces éradications a porté sur des vertébrés (mammifères) et s'est déroulé sur des îles bénéficiant d'un statut de protection et dans le cadre d'opérations de restaurations (encadré 2, ci-dessus). Ces expériences ne sont pas totalement équivalentes à celles consistant à observer les conséquences induites par l'introduction volontaire d'une espèce allochtone. Ce sont les risques potentiels générés par de pareilles introductions qui font préférer la seconde démarche à la première (40).

Les travaux associés aux expériences d'éradication portent donc essentiellement sur les seules modalités de l'invasion et de ses conséquences. Leurs conclusions sont validées, et la généralisation de ces conclusions appréciée, par la comparaison des résultats obtenus lors de l'éradication d'un même taxon d'îles d'un même archipel ou d'îles de provinces biogéographiques différentes, ou encore, de divers taxons établis dans des îles d'une même province géographique.


Invasions biologiques et écosystèmes continentaux


Le cadre insulaire particulier dans lequel se développent les démarches expérimentales exclut d'y explorer comment s'exerce la seconde cause anthropique à l'origine d'invasions : les modifications de milieu. En effet, ces îles de petite superficie bénéficient généralement d'un statut de protection.

Et la généralisation directe aux écosystèmes continentaux des résultats obtenus en milieux insulaires est actuellement perçue comme illégitime sans un minimum de validation, et ceci en dépit du fait que la théorie de Mac Arthur et Wilson ait été étendue à diverses entités continentales en raison du caractère relatif de la notion d'isolement.
Une perception globale des processus d'invasion ne peut donc faire l'économie de travaux menés spécifiquement en milieux continentaux.

La forte sensibilité des écosystèmes insulaires aux introductions est attribuée à la simplicité des réseaux trophiques, à la naïveté des espèces constituant leurs peuplements et à leur faible résilience. Les caractéristiques inverses sont associées aux écosystèmes continentaux. Ces attributs sont relatifs : l'apparente résistance actuelle des écosystèmes continentaux est susceptible de fléchir si le nombre d'introductions franchit un seuil à déterminer.

C'est en raison de la difficulté à mettre en œuvre la démarche expérimentale que le contexte continental est moins étudié par cette voie que le contexte insulaire. Il n'en est pas moins le siège d'invasions aux conséquences économiques, sociales et écologiques importantes.

En Europe, ce sont les agroécosystèmes et les écosystèmes péri-urbains qui sont réputés actuellement les plus sujets à des modifications anthropiques importantes et rapides. L'évolution des agro-écosystèmes (emprise, usage des terres, pratiques culturales... et paysages émergeants), sous la dépendance étroite de contraintes économiques très versatiles, est difficile à anticiper. En revanche, outre que les structures urbaines et péri-urbaines bénéficient d'une forte pérennité, il est largement admis qu'elles vont accroître leur emprise à l'avenir. La nature et l'importance de cette croissance vont s'accroître selon une dynamique prédictive.

Divers travaux font état d'invasions de structures urbaines ou péri-urbaines par des espèces sauvages provenant des agroécosystèmes et provoquant des nuisances variées, dont des risques épidémiologiques (41,42,43,44,45,46). Inversement, d'autres travaux mettent en évidence le rôle de la ville en tant que source d'espèces invasives des agroécosystèmes (47,48,46) (i).

Parmi les perturbations anthropiques susceptibles d'engendrer ou favoriser les invasions en milieu continental, les structures linéaires (49,50,51,52) et leurs rapports à la matrice paysagère environnante (53,54,55,56) sont réputés jouer un rôle majeur.

L'essentiel des travaux conduits sur ce sujet procède de la démarche comparative appliquée soit sur un même site présentant un fort gradient de perturbations, établies (analyse instantanée) ou en cours d'établissement (analyse diachronique), soit sur une série de sites, sièges de perturbations d'intensité contrastée, les deux options ne s'excluant pas.

Ceux portant spécifiquement sur les invasions l'ont été au Canada, USA et Australie. Les échelles spatiales des structures paysagères des agroécosystèmes et écosystèmes urbains et péri-urbains de ces pays sont sans commune mesure avec ceux de l'Europe de l'Ouest. Ces différences d'échelles interdisent toute généralisation des résultats acquis et confèrent aux écosystèmes ouest-européens une originalité non explorée.


Invasions biologiques et biologie de la conservation


Science de la rareté et de la diversité selon Soulé (57), Blondel (33) reconnaît à la Biologie de la conservation deux courants de recherche : " Le premier s'intéresse à la conservation d'espèces particulières, de populations locales, de communautés ou d'espaces ; il s'appuie sur leur biologie pour intervenir. Le second aborde la question de façon holistique et fonctionnelle en partant de la théorie écologique... Le raisonnement se fait en terme de fonctionnement global des écosystèmes ".

D'après Barbault (58), " [...] la biologie de la conservation est une réponse de la communauté scientifique à la crise de la biodiversité... discipline de crise (57) : elle doit passer du statut de science qui enregistre des catastrophes à une science d'action... discipline de synthèse, elle applique les principes de l'écologie, de la biogéographie, de la génétique des populations, de l'anthropologie, de l'économie, de la sociologie etc., au maintien de la diversité biologique sur l'ensemble de la planète ".

La mise en évidence récente et fondée du rôle prépondérant de l'Homme dans les invasions biologiques, les conséquences de ces invasions sur l'érosion de la diversité spécifique à l'échelle du globe expliquent l'émergence de l'important nombre de travaux en biologie de la conservation en rapport avec ce sujet.

La dimension action conduit à privilégier non seulement l'interdisciplinarité mais aussi une approche holistique (prise en compte des différentes échelles). Nombres d'opérations actuelles de préservation et de restauration, dont les " nôtres "(j), s'inscrivent dans cette démarche.


Encadré 1 :

Évolution temporelle de la fréquence d'introduction de vertébrés en Nouvelle Calédonie selon trois catégories de motivations


Ne sont prises en considération que les espèces installées dans le milieu naturel ou constituant des populations viables maintenues en semi-captivité
(d'après Gargominy et al., 1996).

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3 espèces de Poissons (+ 7 ?) dont 16 endémiques
0 espèces d'Amphibiens
48 espèces de Squamates [lézards et serpents] dont 41 endémiques
116 espèces d'Oiseaux nicheurs dont 18 endémiques
8 espèces de Mammifères (Chiroptères) dont 6 endémiques
Total : 216

La Nouvelle-Calédonie, un des dix " hot spots " mondiaux de la biodiversité (62) et l'une des 18 " zones rouges " (6) découverte par Cook en 1774, constitue à cet égard un exemple particulièrement instructif. Sa très riche flore vasculaire, indigène comprenant quelque 3 322 espèces, dont 77% d'endémiques, serait actuellement " enrichie " de 1 324 allochtones (570 espèces cultivées et 772 spontanées). Les introductions réalisées pendant les 40 dernières années (1950 - 1990) représentent à elles seules 60% de ces introductions. De même, sa faune de vertébrés, comptait, en 1995, 216 espèces autochtones dont 81 endémiques, et 56 espèces allochtones dont 57% ont été introduites ces 40 dernières années. Le processus d'introduction s'est donc largement accéléré au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (21).

À l'évolution purement quantitative du nombre d'introductions se superpose une profonde modification des mobiles qui en sont à l'origine. Essentiellement réalisées dans un but " utilitaire " ou fortuitement jusqu'au deuxième conflit mondial, les introductions à vocation " ludique " (chasse, pêche, oisellerie, aquariophilie...) représentent 75% des introductions de vertébrés réalisées ces quarante dernières années en Nouvelle-Calédonie. Elles représentent à elles seules 54% du total des introductions.

Encadré 2 :

Évolution temporelle des motivations d'opérations d'éradication de populations animales en milieux insulaires : exemples néo-zélandais et français


Date de la premières opération recensée à l'égard d'une espèce et menée avec succès.
D'après Derenne, 1972, 1976 ; Pascal, 1980 ; Moors, 1985 ; Veitch et Bell, 1990 ; Mc Fadden, 1992a, 1992b ; Thibault, 1992 ; Crouchley, 1993 ; Chapuis et Barnaud, 1995 ; Dheilly, 1995 ; Pascal et al., 1996a

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Si, à notre connaissance, le témoignage le plus ancien d'une éradication programmée et réussie, concerne l'élimination entre 1911 et 1914 de la Glossine de l'île de Principe (126 km2) (66) pour des raisons de santé publique, l'analyse de la riche bibliographie néo-zélandaise consacrée aux éradications de mammifères allochtones montre que, pour la période antérieure à 1995, sur 161 tentatives d'éradication recensées (dont 113 couronnées de succès, et, parmi celles-ci, 80 à l'encontre de populations de rongeurs), 134 se sont déroulées entre 1960 et 1995 pour des raisons purement environnementales (30).



Notes


(a)  À titre d'exemple, le peuplement de mammifères sauvages terrestres de la Corse (hors Chiroptères [chauves-souris]) n'est actuellement constitué que d'espèces introduites. La disparition des autochtones a débuté avec la colonisation de l'île par l'Homme au septième millénaire avant JC et s'est achevée dès le premier siècle après JC.

(b) Prés d'un siècle après son ouverture, le canal de Suez a été à l'origine du passage de 130 espèces animales dans le sens Mer Rouge- Méditerranée et de 30 dans l'autre sens

(c) Aux USA, les routes et leur emprise représentent 1% de la surface du territoire  et en influencent 15 à 20% . Le réseau routier français représente 350 000 km soit 0,6 km/km2 . Le seul réseau autoroutier, de 80 km en 1955, atteint 8 000 km en 1996. Lui sont associés actuellement 160 km2 de dépendances vertes, et il devrait constituer le plus important réseau d'Europe en 2005 avec 10 000 km.

(d) D'après divers rapports des Nations unies, à l'horizon de 2020, 80 % de la population mondiale devrait être concentrée dans des zones urbanisées ; 75% de cette population serait confinée à une étroite bande côtière de 60 km de large.

(e) En 1988 les pelouses couvraient une surface de 10 millions d'hectares aux USA soit une superficie équivalente à celle de l'État de Pennsylvanie et une surface supérieure à l'une quelconque de l'ensemble des cultures de rente, blé, maïs et tabac compris. Les pelouses privées représentent à elles seules 81% de cette surface.

(f) Cette enquête, réalisée à la demande du Congrès des États-Unis, critiquable à divers égards, a le mérite de fixer des ordres de grandeur réputés valides et estime le coût cumulé occasionné à l'économie du pays à 97 milliards de dollars US (1 $ équivaut à 1 € environ ) et son coût annuel actuel, en augmentation constante, à plus du milliard de dollars US. Le coût " écologique " ou environnemental n'est pas pris en compte dans ces estimations en raison des difficultés à en réaliser l'évaluation marchande.

(g) D'après Wilson (6), 20 % des espèces aviennes présentes il y a 2 000 ans ont disparu, suite essentiellement à l'occupation d'îles par l'Homme, et 29% de ces disparitions ont pour cause avérée l'introduction d'espèces exogènes sur ces îles. Enfin, d'après Atkinson (37), l'Homme a introduit dans 82 % des îles du monde l'une ou l'autre, voire, les 3 espèces de Rattus, réputées pour leurs impacts sur les faunes et flores autochtones et endémiques, les dégâts qu'elles occasionnent aux cultures, leur rôle de réservoirs et de vecteurs qu'elles jouent à l'égard de divers pathogènes viraux, bactériens (cf l'histoire du bacille pesteux et du Rat noir (13), encore que cette interprétation de l'histoire soit actuellement en partie controversée (65)).

(h) La définition est réduite par l'UICN à un impact écologique. Ce terme d'invasif est, par ailleurs, largement repris pour des agents de prestations économiques, sanitaires ou sociales (46).

(i) A titre d'exemples :
- dès 1986, Legay (70) estimait l'effectif de la population mondiale de chats domestiques à 400 millions d'individus, et si, en 1988, May (67) évoquait de façon générale l'impact du félin sur les populations de vertébrés sauvages sous le vocable de " feline delinquency ", en 1987, Churcher et Lawton (47), suite à un minutieux travail d'enquête, estimaient que la prédation exercée par les 6 millions de chats domestiques de la Grande Bretagne engendrait un prélèvement annuel de 100 millions de passereaux et de micromammifères sauvages (48) ;

- dans leur publication de 1998, L'Hostis et al. (68) font état d'une population de 20 000 chiens errants pour l'île de la Martinique. Ils démontrent que cette population canine est vectrice de 3 espèces de tiques réservoirs de pathogènes pour les troupeaux ovins, caprins et bovins. Par ailleurs, un inventaire de la SCACOM (69) fait état entre janvier 1996 et août 1998 de la mort de 1 380 ovins et caprins engendrée par l'attaque de chiens errants. Enfin, ce problème n'est pas spécifique à la Martinique mais touche la Guadeloupe et la Réunion de même que plusieurs départements de la Métropole (Massif central) pour ce qui est du territoire français, mais aussi une large proportion des pays de la ceinture intertropicale.

(j) Nos travaux actuels concernent les mécanismes d'invasions de mammifères et d'oiseaux terrestres en milieux insulaires (îles bretonnes et corses, DOM-TOM) et urbains (villes bretonnes).



Références bibliographiques


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