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Les Corallinales non articulées, algues rouges d'aspect pierreux

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Lucie Bittner, allocataire de recherche au Muséum d'Histoire Naturelle à Paris depuis le mois d'octobre 2006, débute une thèse sur la phylogénie et la phylogéographie des Corallinales du Pacifique Sud. Elle est en accueil dans les équipes 'Phylogénie' (MNHN) et 'Biogéographie marine tropicale'(IRD-Nouméa) de l'UMR 7138. Cet article présente brièvement le taxon des corallinales : leurs particularités, leurs rôles dans les écosystèmes coralliens et l'intérêt de leur étude d'un point de vue évolutif. Le dernier paragraphe de cet article décrit comment les échantillons de Corallines ont été traités sur le terrain.



Brève présentation des Corallinales.


Les Corallinales désignent un ordre d’algues rouges (Rhodophyta) comptant au moins deux familles : les Sporolithacées et les Corallinacées, et plus de 700 espèces.
Ces algues se caractérisent par un thalle "dur" , cette rigidité est dûe à des dépôts calcaires dans la paroi interne des cellules. Chez les Corallinacées on reconnait des formes entièrement calcifiées, que l'on qualifie d' 'encroûtantes' ou 'non-articulées' que l'on oppose aux formes 'articulées' chez lesquelles la calcification est interrompue plus ou moins régulièrement le long du thalle laissant apparaitre des zones souples (articulations). Les Sporolithacées montrent des formes exclusivement encroûtantes. 
 
 
On utilise communément le terme anglosaxon 'corallines' pour parler des formes encroûtantes des Corallinales.


Lorsque les parois sont totalement imprégnées de calcaire, les algues forment une masse entièrement calcifiée, pouvant être une croûte compacte à la surface lisse, ou au contraire verruqueuse, voire branchue. Il s'agit des  formes 'encroûtantes' d’aspect «pierreux ».
Lorsque qu’il existe des  zones non calcifiées, le thalle est formé d'une succession de segments calcifiés (articles) et de segments souples (articulations) conférant à l'ensemble un aspect robuste mais flexible. Il s'agit généralement de formes ramifiés et articulées.
Dans les clés d'identification des Corallinales, on oppose généralement les formes encroûtantes aux formes articulées. En revanche, ce critère morphologique ne permet pas de constituer des groupes monophylétiques, c'est à dire que toutes les Corallinales encroûtantes ne descendent pas directement d'un même ancêtre commun. L'état de caractère "encroûtant" a pu apparaître plusieurs fois lors de l'histoire évolutive des Corallinales.
 Corallinacée articulée.
 Corallinacée encroûtante.
 

Les Corallinales sont exclusivement marines. Elles sont présentes dans tous les océans et peuvent atteindre des records de profondeur pour les macroalgues (-262m aux Bahamas).
Elles recouvrent le plus souvent l’ensemble des subtrats rocheux. Certaines Corallinales sont épiphytes (elles grandissent sur d’autres algues ou sur des phanérogames marines : par exemple en Méditerrannée les feuilles des Posidonies sont tachetées de rose),  d'autres épizoïques (fixées sur les coquilles des mollusques), voire d'autres endolithiques (forant les substrats calcaires) ou parasites dans d'autres Corallinales.

On distingue également des formes libres tels que les rhodolithes (nodules compacts libres) ou le maërl (nodules branchus) formant des accumulations d'algues rouges calcaires vivant librement sur les fonds meubles infralittoraux; le maërl constitue des "bancs" auxquels est associé le développement de toute une macroflore et une macrofaune.
Les Corallinales encroûtantes sont très diversifiées dans les eaux tropicales. Elles y jouent un important rôle de bioconstructeur des récifs coralliens (cf. paragraphe suivant).

Le thalle des Corallinales varie en général du rose au rouge, mais prend aussi parfois des nuances mauve, bleu-gris, gris-vert, voire jaune. Chez une même espèce la couleur peut varier en fonction de l'exposition à la lumière. En zone profonde, ou dans les habitats peu éclairés les couleurs sont généralement foncées, alors qu'en plein exposition solaire les thalles prennent des couleurs jaune -orangé en raison de la forte proportion de caraténoides photo-protectants.  






Rôles des Corallinales dans les écosystèmes coralliens.


 
Les algues marines rouges calcifiées encroûtantes (ou non-articulées) appartenant aux Corallinacées et Sporolithacées jouent un rôle fondamental dans le fonctionnement et l’évolution de l’écosystème corallien.
Elles participent avec les coraux hermatypiques (coraux à symbiontes) à la construction de l’édifice corallien. Les Corallinales apportent la matière première calcaire (le ciment) et structurent l'ensemble du récif; ceci est tout particulièrement visible dans les zones de fort hydrodynamisme où les coraux auront tendance à être moins développés voire cassés. Les Corallinales peuvent représenter jusqu'à plus de 40% de la biomasse des récifs.

De plus, les Corallinales forment des assemblages plurigénériques caractéristiques d’un type d’environnement récifal. 
En raison de la trame calcaire, les Corallinales fossilisent très bien. Elles constituent de ce fait un groupe d’intérêt particulier pour l’étude des archives sédimentaires et sont considérées comme de bons indicateurs pour la reconstitution des paléoclimats et paléoenvironnements. Ce sont d'excellents marqueurs stratigraphiques de l'ère Quaternaire.
Les Corallinales sont en quelque sorte les témoins de l'évolution des récifs.

 
Les Corallinales stockent du carbone à la fois par les activités de  photosynthèse et part les processus de calcification du thalle. A l’échelle de la planète et plus particulièrement des océans, les formations d'algues calcaires représentent  un des plus grands stockages de carbone dans la biosphère.

D'autres rôles peuvent être encore attribués aux Corallinales :
- elles offrent à un essemble d'organismes brouteurs, commes les poissons perroquets, les oursins, les patelles, les polyplacophores (mollusques) etc., un support nutritif,
- elles favorisent et conditionnent certaines étapes du développement d'organismes marins (larves de mollusques, oursins, coraux),
- elles consitutent pour diverses espèces fixées un substrat d'accrochage leur permettant alors de se développer,
- elles abritent dans les microanfactuosités du thalle une communauté d'invertébrés libres (crustacés, mollusques..),
- enfin leur squelette calcaire abrite souvent une microflore et microfaune d'espèces perforantes ou endolithes.

La diversité, la richesse et le développement des communautés biologiques récifales (algues, poissons, mollusques, …) sont donc intimement liés aux Corallinales.






Etudier les Corallinales ...

 
En dépit de leur très large répartition spatiale et bathymétrique, ainsi que de leur abondance dans les écosystèmes coralliens, les Corallinales sont le plus souvent en marge des inventaires phycologiques.
Ceci est une conséquence directe des difficultés taxonomiques. La reconnaissance et la description (l'alpha-taxonomie) des espèces de Corallinales est complexe en raison de leur histologie particulière, liée entre autre à la présence d'une trame calcifiée. L’identification des espèces, genres et familles nécessite l’avis d’un spécialiste ; une coupe du thalle et une étude de l'organisation cellulaire et des organes de la reproduction sont quasi indispensables.

D'un point de vue théorique, la thèse "Phylogénie des Corallinales" visera à établir une classification des Corallinales basée sur des données moléculaires. Puis à partir de cette classification, la compréhension de l’évolution des caractères morphologiques utilisés jusqu'alors dans les clés de détermination, sera envisagée, ainsi que la reconstitution de la phylogéographie des Corallinales à l’échelle du Pacifique Sud.
D'un point de vue pratique, un ou plusieurs marqueurs moléculaires du type « barcode », adéquat(s) aux Corallinales, seront développés, en vue de s’affranchir de l’alpha-taxonomie complexe et des techniques d'histologie lourdes que nécessitent l'étude de ce groupe.
Les objectifs sont à la fois d'appréhender la grande plasticité morphologique de ce groupe (couleurs, formes)  en fonction des conditions de leur milieu de vie ainsi que d'accélérer l’acquisition des connaissances sur le terrain dans le cadre d'inventaire et d’évaluation de la biodiversité d’un milieu.
Le developpement de ces aspects est essentiel pour la gestion et la conservation des écosystèmes coralliens.

Comme de nombreux autres taxons, l’expédition Santo 2006, a offert l’opportunité d’un échantillonnage qualitatif mais aussi quantitatif.






Santo 2006. De la récolte au conditionnement des Corallinales.

Les récoltes de Corallinales furent effectués par l’équipe algues (plus de détails dans la page L'équipe "algues" et ses recherches ), et principalement par Gregory Lasne en ce qui concerne les récoltes en scaphandre autonome. Afin de décrocher les formes encroûtantes de leur substrat, il a été nécessaire d’utiliser un petit piolet, et parfois un marteau et un burin.
Pente raide, tombant corralien Récolte sur un platier
 Récolte en scaphandre autonome.
 Récolte sur un platier.


De retour au hangar, les spécimens sont triés puis débarassés (à l’aide de pinces) des organismes épiphytes ou réfugiés dans les reliefs des thalles.
A ce stade (sans coupe histologie et observation des organes reproducteurs ), il est hasardeux d’établir une identification sérieuse des espèces. Tout au plus les taxons les plus communs peuvent être identifiés  par un expert.
 
Après la récolte et avant le conditionnement, chaque échantillon de Corallinale, est décrit de manière précise : la forme générale du thalle,  la couleur -déterminée à l'aide d'un nuancier de couleur-, l'aspect de la surface (mate, brillante...), la présence ou non d'organes reproducteurs sont consignés dans le cahier de terrain. Cette description sera complétée et révisée lors de létude au laboratoire.


Le tri Le nettoyage (1) Le nettoyage (2) Observation (1) Observation (2)
Tri des sachets de récolte. Sélection des fragments de Corallines (à la pince coupante). Nettoyage des Corallines (pince à dissection). Observation à la loupe binoculaire. Repérage de la couleur à l'aide d'un nuancier (personnalisé dans les gammes de couleur des Corallinales).

Ainsi d’après les caractères « pratiques » tels que, la couleur, l’aspect du thalle à l’œil nu et à la loupe binoculaire, différents morphotypes ont été distingués. Un morphotype constitue un échantillon. Des études ultérieures seront menées au plans morphologique et moléculaire  afin d’identifier ces différents échantillons.

A chaque échantillon est associé une photo ex situ (cf. ci-dessous).


Description, cahier de récolte Coralline n°CO-VU-06-074 Coralline CO-VU-06-078 Coralline CO-VU-06-081 Coralline CO-VU-06-207 Coralline CO-VU-06-120
Description des échantillons dans un cahier de récolte. Thalle foliacé. Thalle encroûtant. Thalle verruqueux. Thalle très branchu lisse. Thalle épihyte sur une algue verte (Halimeda sp.).

Chaque échantillon est conservé sous trois formes :
- un fragment de thalle portant des organes reproducteurs est fixé et conservé dans du formol dilué à 5% dans de l'eau de mer tamponée; ce fragment est destiné à l'étude histologique,
- un fragment de thalle choisi de préférence sans épiphyte et dans les zones de croissance est placé dans un sachet avec du silicagel (granules de sel de silice, produit qui absorbe l’humidité, utilisé comme agent desséchant), l'ADN de ce fragment est destiné aux études moléculaires,
- le reste du spécimen est conservé séché et servira de spécimen de référence lors de l'étude de l'échantillon.



En 4 semaines, pour 45 stations, 380 échantillons de Corallinales ont été récoltées, triées, décrites, conservées sous 3 formes (formol, silicagel, air), photographiées.

L'ensemble de ces échantillons a été conditionné avec l'aide précieuse d'Anne-Laure.
Séchage et conditionnement.
Anne-Laure au travail ...
  La malle aux trésors : 380 échantillons
prêts à partir en France.


Pour suivre le traitement des échantillons de la mission Santo 2006, voir le Blog des chercheurs du module "Biodiversité marine".