La journée d’un orthoptériste itinérant à Santo
La journée d’un orthoptériste itinérant à Santo
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6h-7h : Après une nuit trop courte, nous sommes réveillés par des chants d’oiseaux, au nombre desquels s’ajoutent parfois ceux des coqs du village voisin qui semblent s’être exercés toute la nuit. La sortie du hamac réunit l’équipe autour d’un café, puis nous planifions le déroulement de la journée à venir.
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7h-9h : Comme chaque matin, la première chose à faire est de traiter les données de la nuit précédente. Il faut étaler sur couche les spécimens collectés et les consigner dans le carnet de terrain (Photo), en reportant toutes les informations disponibles. Chaque spécimen est identifié par un numéro, la date de collecte, l’heure, la localité (point GPS), le lieu précis de collecte (type de végétation, positionnement du spécimen dans son milieu). On lui associe également différentes observations comportementales, et les références aux éventuelles photos, vidéos et enregistrements acoustiques. La mise au propre de toutes les notes que l’on a pu prendre sur le terrain est une étape cruciale qui doit être effectuée au plus vite et avec la plus grande attention, car chaque observation, photo, vidéo ou enregistrement, n’acquiert sa pleine valeur scientifique que si elle est associée à un spécimen en particulier.
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Laure à l'étalage (version Butmas) |
Une couche après étalage |
Pour finir, il faut s’occuper des spécimens gardés vivants pour étude depuis le début de la mission, vérifier l’état d’hygiène de leurs boîtes, ajouter de la nourriture, s’occuper des éventuelles victimes… Une chose est sure, plus l’on garde d’insectes vivants et plus il faut de temps pour les soigner, ce qui fait généralement patienter les collègues déjà prêts pour le départ (toujours les mêmes d'ailleurs... )
Tony occupé à filmer une oviposition Laure à l'étalage (en public à Peavot)
9-10h : Nous sommes à jour par rapport aux données et collectes de la veille, et nous voilà fin prêts pour notre expédition de jour. Filets en main, repas du midi dans le sac à dos, nous partons à pied ou en voiture selon la destination du jour. Les excursions de jour sont le plus souvent centrées autour d’un site, autour duquel nous rayonnons afin d’échantillonner différents types d’habitats : forêt primaire, lisières, bords de rivières, haut de plages, falaises, grottes, etc.… Sylvain équipé pour la chasse de jour
Les expéditions de jour ont plusieurs objectifs. C’est avant tout une phase de repérage pour la chasse de nuit à venir. Avant de s’aventurer de nuit en forêt tropicale, il est en effet nécessaire de voir le terrain de jour, pour reconnaître les lieux potentiellement intéressants à prospecter, informer la population des villages avoisinants de notre présence, repérer les passages à risque et baliser le chemin à l’aide de marques colorées pour éviter de se perdre à la faveur de la nuit.
Les excursions de jour sont aussi l’occasion d’observer et de collecter les espèces diurnes, mais aussi de rechercher les habitats de refuge des espèces nocturnes. Typiquement, de jour nous prospectons dans la litière du sol et les litières aériennes, sous les écorces, dans le bois mort, dans les troncs creux, et ce par battage, fauchage, ou simplement à vue.
Faune des plus intéressantes sur la plage de Peavot Observation d'espèces diurnes à Butmas
15-17h : De retour au camp dans l’après-midi, nous répétons les opérations du matin pour le matériel fraichement collecté : étalage sur couches, mise au propre des notes, remplissage du carnet, soin des nouveaux spécimens vivants. Certains en profitent également pour faire une sieste (toujours les mêmes d’ailleurs…) ou réécouter des enregistrements de la veille, puis bien vite il est l’heure de se préparer pour la chasse de nuit.
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17h-18h : La nuit tombera bientôt, mais pas question de céder à la traditionnelle cérémonie du Kava: il nous faut toute notre vigilance pour les heures qui s’annoncent. Passées les précautions d’usage, anti-moustiques (spray pour la peau et les vêtements) et autres antipaludéens (pris quotidiennement à la même heure, que l’on se rappelle mutuellement pour être sûr de ne pas oublier), nous voilà repartis. Outre le nécessaire pour le repas du soir, nous emportons chacun notre matériel d’enregistrement, des lampes frontales (deux par personne avec ampoules et piles de rechange, ainsi que l’indispensable parapluie… pour le matériel.
Nous retournons à l’un des sites que nous avons repéré dans la journée et pour lequel un marquage coloré a été mis en place. Nous installons un camp provisoire qui nous servira de point de ralliement et pour stocker matériel fragile et nourriture ; en général, une bâche tendue entre plusieurs arbustes fait l’affaire. Un autre repas en forêt, un comprimé de vitamine C, et nous sommes d’attaque. Entretemps, la nuit s’est installée sur la forêt, qui s’éveille véritablement. Grillons et sauterelles commencent à s’activer, et ils ont un public plutôt exigeant ce soir. 18h-23h : La chasse est ouverte. Armés de nos filets, microphones et caméscopes à lumière infrarouge, nous nous égayons chacun de notre côté, à l’affut de la moindre antenne d’orthoptère, ou guidés par le chant d’une espèce que nous seuls entendons. Les captures vont ainsi s’enchaîner, précédées et entrecoupées d’observations plus ou moins longues selon l’intérêt scientifique que l’on porte au spécimen. |
Chasse de nuit près de Luganville |
Lorsqu’un mâle est surpris en train de chanter, il est généralement enregistré, photographié, voire filmé, avant d’être capturé puis tué. De retour de mission, il ira intégrer les collections du Muséum national d’Histoire naturelle. Les enregistrements quant à eux s’accompagnent invariablement d’une prise de température et de la description précise du contexte d’appel du mâle : à quelle hauteur est-il perché ? sur quel type de support ? est-il en mouvement ? y-a-t-il d’autres individus à proximité ? Plus on a d’informations, plus un enregistrement a de valeur scientifique. De même, un enregistrement sans le spécimen correspondant a peu d’intérêt, car il est alors impossible de rapporter les caractéristiques du signal acoustique à celles de l’appareil émetteur, et l’identification même de l’espèce enregistrée est problématique lorsque la systématique du groupe n’est pas précisément connue, comme c’est le cas pour la majeure partie des groupes d’insectes de Santo, et plus généralement des régions tropicales.
Enregistrements, prises vidéos, photos du spécimen Réécoute et évaluation du pic de fréquence au bat-détector
23h-… : De retour au camp, le plus souvent trempés par la pluie, plus ou moins couverts de boue et les pieds à demi écorchés, nous trouvons la force d’installer les insectes capturés durant la nuit et gardés vivants pour étude en captivité.
Vient alors enfin l’heure du coucher, de la lecture pour certains (personnellement pas plus d’une page chaque soir…). Mais il arrive également que certains spécimens installés les jours précédents se soient enfin décidés à chanter, auquel cas la nuit n’est pas encore terminée pour tous. Débute alors une nouvelle séance d’enregistrement nocturne au milieu du camp endormi.