Vanuatu et Santo
Vanuatu et Santo
Synthèse sur l’histoire et la géographie du Vanuatu
Elisabeth Mouilleau, professeur-relais de Paris au Muséum (Direction de la recherche de l'Enseignement et de la Pédagogie - Muséum National d'Histoire Naturelle).
I Un archipel du Pacifique
1 Situation :
Vanuatu est un archipel en forme de « Y » situé dans l’océan pacifique sud, il fait partie de la Mélanésie avec les Salomon au nord-ouest, les Fidji à l’est, la Nouvelle-Calédonie au sud, la Papouasie et la Nouvelle-Guinée. Il se trouve à plus de 2000 km au nord-est de Sydney. Il est formé de nombreuses îles volcaniques et de volcans sous-marins qui se déploient sur 900 km, ce qui correspond à 12 189 km2 (une fois et demie la Corse). 66 îles sont habitées. La capitale Port-Vila se trouve sur l’île d’Efate. Espiritu Santo (3 677 km2) dite Santo, située au nord-ouest de l’archipel, est l’une des îles les plus étendues et abrite Luganville, la deuxième ville du pays.
Cet archipel qui se trouve à la frontière de deux grandes plaques océaniques, la plaque indo-australienne plongeant sous la plaque pacifique, constitue un des éléments de la ceinture de feu du Pacifique. Vanuatu est situé sur la plaque ascendante. Cette zone de subduction, bordée par la fosse sous-marine des Nouvelles-Hébrides, est une des zones les plus instables de la planète, toute la panoplie des séismes sévit sur l’archipel : volcanisme (9 volcans sont en activité), tremblements de terre, tsunamis, glissements de terrain. Cette situation a donné à cet archipel une physionomie d’arc insulaire jeune, construit par des mouvements tectoniques incessants dans un milieu d’intense activité sismique. Ces accumulations volcaniques disloquées par la tectonique produisent des paysages imposants et variés dans ces îles montagneuses.
On rencontre 4 types d’îles :
- les îles-volcans comme Ambrym et Tanna
- les îles décombres qui correspondent à des volcans éclatés : Tongoa
- les îles-blocs plus anciennes comme La Pentecôte et Maevo
- les îles-continents aux formes complexes composées de terrains anciens faillés, de formations coralliennes et d’accumulations volcaniques récentes : Santo est de celles là. Cette île est formée à l’ouest d’une chaîne montagneuse imposante avec ses deux points culminants : le Tabwemasana (1879 m) et le pic Santo (1704 m ) qui plonge verticalement dans l’océan. La façade orientale est formée de plateaux calcaires peu élevés parsemés de quelques « pains de sucre » et bordée de récifs frangeants.
2 Climat et végétation
L’archipel s’étend du nord au sud entre les latitudes 13° et 21° sud. Le climat de type équatorial au nord passe à un climat tropical à deux saisons au sud. Santo enregistre 1900 mm de pluie par an (Paris : 600 mm). Les versants sud-est des îles montagneuses « au vent » sont exposés aux alizés maritimes, les versants « sous le vent » plus abrités sont plus secs. L’altitude constitue également un facteur de différenciation climatique, les montagnes sont plus arrosées que les plateaux. L’archipel appartient aussi à la zone des cyclones qui sévissent de novembre à avril en saison chaude. Les dégâts souvent considérables s’ajoutent aux conséquences des séismes. Les sols issus de l’altération des roches volcaniques sont les plus favorables à la vie végétale et à tout type de culture ; ils correspondent à près de la moitié de la superficie du Vanuatu. La végétation s’étage selon une graduation qui va de la forêt tropicale humide (fougères arborescentes, palmiers) à une forêt sub-tropicale avec des savanes semi-arborées. Les plaines côtières sont bordées de cocotiers, d’une brousse arbustive adossée à une basse forêt littorale composée de banians entourés de plantes épiphytes et de lianes. Santo est l’une des îles dont la flore est la plus diversifiée. La mer n’offre pas de ressources biologiques abondantes. Les espèces sous-marines du Pacifique existent bien, mais elles sont d’une relative pauvreté. Ceci est dû à l’absence de plateau continental. De plus le rivage et les conditions maritimes sont dangereux, l’absence de mouillage rend la navigation malaisée.
L’image mythique de cet archipel offrant des plages paradisiaques, l’abondance végétale, la diversité, la beauté, la douceur de vivre doit être singulièrement tempérée par les conditions climatiques et les risques naturels.
II Les hommes
1 Le peuplement
La question des origines de la population du Vanuatu a divisé les chercheurs, cependant l’origine asiatique des populations est certaine. Le peuplement ne s’est pas fait en une vague migratoire homogène, mais résulte d’apports divers effectués par des migrations pluriséculaires. On peut distinguer deux apports principaux :
Un apport ancien paléolithique constitué par les Australoïdes, venus du sud-est asiatique, qui passant par l’Australie et la Nouvelle-Guinée se fixent au Vanuatu, avant d’amorcer une expansion vers l’est du Pacifique. Ces groupes de chasseurs-cueilleurs développent alors un système d’horticulture irriguée fondée sur une tubercule : le taro.
A l’époque néolithique, une nouvelle vague d’expansion venue de la Chine du sud-est composée de peuples mongoloïdes, de langues austronésiennes, s’installe sur les littoraux insulaires. Constructeurs de pirogue à balancier, ils pratiquent la pêche, cultivent le riz et élèvent le porc, la volaille. Ces marins sont également des potiers, leur poterie dite « lapita » se caractérise par des décorations géométriques, en lignes pointillées imprimées au peigne. Certains d’entre eux se déplacent ensuite vers la Polynésie.
C’est de ces mélanges que vont naître les habitants des îles de l’Océanie occidentale : les Mélanésiens. Les contacts entre ceux qui s’installent, ceux qui partent vers l’orient et ceux qui reviennent, mêlant plusieurs branches de peuplement océanien, diversifient et enrichissent encore ce peuplement. A cet égard, la diversité linguistique est caractéristique puisque l’on enregistre encore aujourd’hui dans l’archipel plus de 105 langues plus ou moins proches selon la position des îles.
2 Les croyances
Les croyances reposent sur le culte des ancêtres, la célébration des forces de la nature et l’existence de grands cycles mythiques cosmogoniques, liés à l’action de héros-fondateurs. De ce fait, l’espace est quadrillé par un maillage de lieux, d’itinéraires (roches sacrées, sources, arbres, routes suivies par un héros) qui illustrent les mythes. Le monde profane n’est que la continuation du monde mythique qu’il doit reproduire par la coutume grâce aux rites d’initiation, de fertilité, à la magie et à la médiation des ancêtres. Les cérémonies d’échange réitèrent cette histoire légendaire. L’homme du Vanuatu ne peut donc vivre qu’enraciné dans son lieu fondateur, transmis selon les règles de filiation locale ; c’est cet ensemble qui lui confère une identité. Pour lui, l’espace est constitué d’un groupe de cercles qui fluctuent à partir de centres fixes. Le cercle intérieur où il vit est le lieu protecteur du « séjour paisible », les cercles extérieurs conduisent aux chemins d’alliance, ceux du contact et de l’échange avec les autres.
3 L’organisation sociale
L’organisation sociale est issue des croyances et des mythes fondateurs. Le groupe local coïncide avec un clan, segment d’une chaîne, enraciné dans un territoire, qui unit un ensemble de lieux. On trouve au Vanuatu deux systèmes d’organisation sociale : matrilinéaire où le mode de filiation se fait par la mère et patrilinéaire où le mode de filiation s’inscrit dans le lieu où vit le père.
Santo fait partie des sociétés patrilinéaires, dans un espace cloisonné à l’habitat dispersé, constitué de territoires indépendants. L’échange des épouses est le moyen principal de nouer des systèmes d’alliance. Les relations entre groupes voisins sont caractérisées par une alternance de périodes de guerre et de paix. Dans les cycles guerriers, le mariage se fait alors au sein du groupe local.
Cette organisation est fédérée par un système de chefferie fondé sur une hiérarchie des grades, différent selon les îles. Ce système de pouvoir est théoriquement ouvert à tous, en fait il s’obtient par filiation aristocratique, héréditaire ou élective ou par une compétition de type économique où les qualités humaines et les mérites du prétendant (la réussite sociale entre autre), approuvées par l’ensemble du corps social, jouent un rôle important. Le pouvoir est réversible, pour le conserver, le chef doit être généreux et serviable. Les chefs (big men) n’incarnent pas un pouvoir politique pur, ils sont proches du sacré et des ancêtres. Ces hommes de contact, maîtres des rituels, contrôlent le réseau d’échange matrimonial. Ils ne possèdent pas de pouvoir sur un territoire, la population ne paye pas de tribut, mais travaille pour le chef et lui fournit un certain nombre de biens. L’accès au pouvoir passe par une échelle de grades qui correspond à certains insignes et parures rituelles. A chaque échelon, l’homme qui postule paye l’ensemble des rituels exigés et sacrifie des cochons de valeur (à défenses en cercle) pour des cérémonies plus ou moins ostentatoires selon le rang obtenu.
Plus on accède aux grades supérieurs, plus les cérémonies sont coûteuses, elles exigent une préparation qui s’étend sur de longues années. Elles ne concernent donc qu’une minorité d’individus, qui par un système d’alliances compliquées, ont obtenu de l’influence sur un territoire géographique assez vaste. Il existe d’autres types d’organisation secondaire comme les sociétés secrètes associées à la forêt et aux esprits. Certains grands hommes bénéficient d’un statut particulier (chaman, magicien, guerrier, grand chasseur).
4 Les activités traditionnelles
Les croyances conditionnent également le travail des hommes. Pour l’homme du rivage, la forêt est redoutable, magique, obscure, tandis que l’homme de la forêt considère le rivage comme un lieu de mort et d’errance des esprits.
On a l’habitude d’opposer les modes de vie des hommes du rivage « de la pirogue » et des hommes de la forêt. L’activité littorale traditionnelle repose sur la pêche, la récolte des produits du rivage et l’artisanat des écailles de tortues. L’espace de plantation des cocotiers sert de terrain de parcours aux cochons. On cultive l’igname, le bananier sur les basses pentes. Ce système vivrier s’avère assez fragile car l’igname ne produit qu’une récolte par an, la période de soudure, qui survient quand la récolte est consommée, peut engendrer des famines.
Le système de production de la montagne semble plus élaboré et plus abondant. Ces hautes terres sont le domaine d’une horticulture basée sur le taro, cultivé toute l’année sur brûlis dans des jardins itinérants avec de longs cycles de jachère. L’arboriculture fournit des bananiers, des arbres à pins, à noix, des palmiers, des racines de kava qui fournit un breuvage rituel à effet narcotique. Le cochon, animal emblématique, pâture librement hors des jardins. A cela s’ajoutent les produits de la chasse, de la cueillette de plantes alimentaires ou médicinales et des fruits sauvages.
Dans les deux cas, la culture des tubercules (taro, igname) est l’objet de soins attentifs, les hommes se consacrent à la culture intensive des jardins et les femmes à la culture extensive des espaces périphériques. Quand les cérémonies l’exigent, on étend la surface cultivable afin d’obtenir une production plus importante. On passe alors d’une économie de subsistance à une économie des surplus. Plus qu’opposés, les deux systèmes vivriers semblent bien être complémentaires. Tous les produits récoltés ou fabriqués dans une économie non monétaire s’échangent. La politique du don (niel), du contre-don, de la dette adaptée aux éléments du milieu naturel est l’une des constantes de la civilisation mélanésienne.
III Le choc de la colonisation
1 Les découvreurs
En 1606, Pedro Fernandez de Quiros découvre dans sa mission d’exploration du Pacifique pour la couronne d’Espagne ce qui allait devenir l’archipel du Vanuatu. Il le nomme « Terra Australia del Espiritu Santo » (d’où le nom de l’île qui nous intéresse), mais les contacts avec les habitants dégénèrent très vite. L’Espagne renonce alors à la conquête de terres nouvelles et les îles retombent dans l’indifférence. Au 18ème siècle, les découvreurs anglais et français entrent en scène dans la 3ème phase de l’exploration du Pacifique. Bougainville aborde l’archipel en 1768 et en déduit que cette zone n’est pas le continent austral recherché puisqu’il est seulement constitué d’îles. Cook cartographie et nomme l’archipel « Nouvelles Hébrides » en 1774.
2 La domination coloniale
Dès lors, le monde mélanésien n’allait plus échapper à l’emprise coloniale. Les aventuriers recherchent l’holothurie (un animal marin fort prisé en Chine pour ses vertus aphrodisiaques), les perles, le nacre. En 1825, les îles sont soumises à l’exploitation brutale du bois de santal vendu également en Chine. Ce trafic animé par des marchands-aventuriers et des écumeurs de plage (anciens forçats, marins déserteurs) procure aux « indigènes » du tabac, des armes, des outils de fer et des cochons en échange du bois précieux convoité. Ce qui produit de nombreux affrontements et des conflits sanglants. En 1853, le santal découvert à Santo est exploité selon une logique capitaliste qui utilise la main-d’œuvre locale. Cette exploitation cesse en 1865 par épuisement des ressources. Elle est tout aussitôt remplacée par la traite des « oiseaux noirs ». Les marchands anglais transportent les Mélanésiens avec un contrat de travail de trois ans environ vers l’Australie sur les plantations de coton et de canne à sucre. Cette présence britannique est renforcée par l’arrivée des missionnaires de différentes églises protestantes anglo-saxonnes. Ils créent des communautés religieuses qui fonctionnent de façon indépendante sur les littoraux. Le processus de colonisation se poursuit avec la constitution d’une compagnie française (Compagnie Calédonienne) qui s’empare de la moitié des bonnes terres de l’archipel pour exploiter principalement le coprah (la chair séchée de la noix de coco qui broyée sert à produire des huiles végétales). Les missionnaires français catholiques accompagnent le mouvement et entrent en concurrence avec les églises protestantes.
Les Anglais dominent le commerce, les Français s’approprient sauvagement les terres, les églises rivales organisent des enclaves autonomes : des espèces de fiefs locaux se constituent dans un univers sans lois où la liste des incidents entre colons, marchands, Mélanésiens s’allonge. La rivalité entre les deux puissances coloniales, relayée à Sydney et à Nouméa, retarde la mise sous tutelle administrative du pays. Pourtant, le 16 novembre 1887, un accord entre la France et l’Angleterre institue une Commission navale mixte aux Nouvelles Hébrides, elle est chargée de maintenir l’ordre, mais n’a aucun pouvoir sur la colonisation sauvage. C’est seulement après l’entente cordiale de 1904 contre l’Allemagne, qui convoite l’archipel, que se met en place le condominium de 1906. Il dote le pays d’une organisation administrative et judiciaire conjointe, coiffée de deux hauts-commissaires Résidents. Chaque Résident gère ses ressortissants ; les indigènes « non citoyens » n’ont aucun droit politique et sont ignorés. Les Résidents laissent aux missionnaires la charge de l’éducation et de la santé. L’infrastructure urbaine sera créée par les Américains lors de la Deuxième Guerre mondiale.
Le conflit principal qui dure de nombreuses années est celui de l’immatriculation des terres. Le droit foncier européen s’oppose au droit coutumier et en bouleverse les données. Il provoque des contestations, des affrontements et des violences permanentes. S’il peut y avoir négociation sur des terres que les cultivateurs délaissent, il n’en va pas de même pour les terres utilisées par leurs anciens détenteurs. Même si les colons doivent réduire leurs prétentions, ils réussissent néanmoins à faire fructifier l’espace central de l’archipel aux dépens des Mélanésiens. Il est constitué de plantations de coprah, café, cacaoyers, coton, en utilisant de la main-d’œuvre tonkinoise face à la résistance et au refus des insulaires de travailler pour eux. La crise des années trente favorise les grandes sociétés d’exploitation et la constitution de grands domaines orientés vers la monoculture du coprah associée à l’élevage bovin. Dans les années soixante, Santo possède la moitié du cheptel bovin de l’époque. Sans être un échec pour les colons, cette économie spéculative est éloignée des circuits d’échange, elle pâtit du coût du fret et du problème de main-d’œuvre.
3 Vers l’indépendance
Les conséquences de la colonisation sur la société mélanésienne sont autrement plus graves. Les épidémies issues du contact avec les Européens ayant décimé la population, à la fin du 19ème siècle, les îles sont vidées de leurs forces vives. Des groupes entiers disparaissent dans certaines régions, la chute de la population pouvant être estimée à 50% sur l’ensemble de l’archipel, ce qui entraîne le déclin des cultures traditionnelles. La petite partie des « oiseaux noirs » qui réussit à revenir d’Australie s’installe dans les villages de mission et se christianise. La fracture sociale et culturelle qui ne va cesser de se creuser dans le pays est ainsi définitivement amorcée. L’espace social traditionnel bouleversé va se reconstituer. Les réactions sont diversifiées selon les îles, mais l’opposition la plus flagrante divise les hommes de la forêt et les hommes de la pirogue.
Les communautés de la forêt (manbues) se replient sur elles-mêmes et continuent à vivre selon la coutume sous la domination des chefs. Pour obtenir des produits européens (armes et tabac), certains hommes jeunes s’engagent temporairement sur les plantations.
Les sociétés du rivage se détachent de la coutume et s’acculturent sous l’effet de la présence missionnaire qui interdit la nudité, les parures rituelles, les cérémonies et les voyages d’échange pratiqués en pirogue. Ce qui ne veut pas dire que les coutumes disparaissent définitivement, elles se transforment. L’appartenance à la même église recompose de nouvelles relations d’échange dans un espace élargi.
Les habitants adoptent les comportements des Blancs et leurs nouveaux modes de production : ils mettent en valeur des petites plantations de cocotiers et tirent profit de leur récolte. Ils vont commencer à imiter les Blancs et progressivement contester leur domination. C’est dans ce milieu que se développe le parti nationaliste du Vanuatu qui obtiendra l’indépendance en 1980.
Dès 1970, ce parti anglophone, à tendance centralisatrice, soutenu par les églises protestantes, revendique l’indépendance avec le soutien des 2/3 de la population du pays. Les partisans de la coutume, l’église catholique plus tolérante avec les rites locaux et le groupe des églises minoritaires se rassemblent dans une alliance de partis modérés qui devient le Tan-Union, francophone, partisan d’une fédération. Le clivage fait rejouer dans les deux camps de vieilles alliances guerrières et s’envenime, la question cruciale étant celle du futur pouvoir : celui des nouvelles élites anglophones ou celui des chefs traditionnels conservateurs minoritaires.
Sur l’île de Santo (et sur Tanna au sud), les conservateurs se considèrent majoritaires. Comptant sur le soutien des colons français, ils entrent en rébellion en 1980 contre le gouvernement d’autonomie interne qui vient d’être mis en place par le parti nationaliste (VAP). L’arrivée des délégués du gouvernement central provoque une insurrection, que les forces de police britanniques tentent de juguler. Mais les insurgés prennent Luganville et le contrôle de l’île de Santo. L’ordre est rétabli quelque temps plus tard lors de l’indépendance de l’archipel (30 juillet 1980), la population française de l’île est expulsée et 3 600 Mélanésiens sont emprisonnés. Le nouvel Etat est issu de l’ancienne fracture entre modernité et tradition, l’espace insulaire étant bien loin d’être réunifié.
IV Vanuatu aujourd’hui
1 La République du Vanuatu
Vanuatua devient une République parlementaire, le président, élu pour 5 ans, est le chef de l’Etat ; le premier ministre, le chef du gouvernement. Le pouvoir législatif est exercé par une chambre de 52 sièges (élue au suffrage universel) renouvelée tous les 4 ans. Le pays est divisé en 6 provinces. Le système judiciaire est hérité du droit européen, les langues officielles sont le bichlamar, le français et l’anglais. La majorité des 200 000 habitants du pays est chrétienne dont 70% acquis aux églises protestantes.
2 La situation économique
En 1980, le Vanuatu offre l’image d’un archipel certes un peu en retard au niveau économique mais heureux. Pourtant, le pays, dépourvu de ressources minières et pétrolières, sans infrastructure routière suffisante, sans industrie importante, aux prises avec une croissance démographique forte (3% par an environ) où la moitié de la population a moins de 15 ans, va connaître les problèmes habituels du tiers-monde. Le coprah est la culture d’exportation la plus importante. Il est intégré aujourd’hui dans de nouveaux modes de production agricole qui consomment plus d’espace, puisqu’il est associé en enclos à un élevage bovin d’excellente qualité qui se développe. Les enclos se déplacent, les cultures vivrières sont marginales et ne peuvent plus nourrir une population croissante. Si quelques nouveaux propriétaires-entrepreneurs en tirent les bénéfices, ainsi que quelques petits planteurs, le reste de la population tente de survivre. Les hommes se consacrent aux activités liées au coprah, car elles rapportent de l’argent nécessaire à l’achat de riz, de conserves importées d’Australie car de nouvelles habitudes alimentaires se développent L’horticulture traditionnelle repose désormais sur le travail accru des femmes.
Le principal problème est celui de l’isolement, aggravé par les progrès des transports. Non seulement l’espace n’est pas désenclavé, mais il se rétrécit. Les liaisons aériennes survolent les îles de plus en plus marginalisées, la navigation conserve les lignes les plus rentables avec des bateaux de gros tonnage (moins de 10 aujourd’hui) qui font escale de moins en moins souvent dans les ports, ce qui pèse lourdement sur l’exportation du coprah, concurrencée par l’Asie. Cette monoculture est fragilisée par sa dépendance au marché mondial.
Les îles disposent de ZEE (zone économique exclusive) considérables qui permettent d’exploiter les ressources de la mer. Si on tente de moderniser les techniques de pêche côtières en profondeur, la pêche hauturière est laissée à des sociétés étrangères qui versent des redevances selon les prises. L’Etat qui a longtemps résisté à l’idée d’ouvrir le pays au tourisme a finalement accepté. Les groupes financiers japonais ont développé les infrastructures nécessaires et la capacité hôtelière, au profit des touristes Néo-Zélandais et Australiens.
Vanuatu mise sur les rentrées invisibles d’un paradis fiscal et d’un pavillon de complaisance où les conditions financières sont très avantageuses. Enfin, le gouvernement compte sur l’aide internationale qui est l’une des plus élevées d’Océanie (3 à 4 dollars par an par habitant) ce qui compense à peine le déficit de la balance commerciale. Le niveau de vie de la population baisse, les inégalités sociales se sont aggravées.
L’ancienne dichotomie territoriale est aujourd’hui remplacée par le système géographique classique centre-périphérie. Un espace central développé structuré autour de quelques lignes de communications englobe la côte sud-est de Santo, la côte est de Malakua, Ambae, la côte ouest de la Pentecôte, Epi et Efate. Ce centre s’est créé aux dépens d’un espace de plus en plus marginalisé. Dans les périphéries, les habitants des îles du nord et du sud migrent vers l’espace central dans les deux grandes villes de l’archipel. Pire encore, la population de l’intérieur des grandes îles quittent des terres pourtant fertiles, faute de routes pour les mettre en valeur ; ainsi à Santo où le dépeuplement de la plaine fertile est quasi-total. Même les groupes « manbus » enracinés dans la montagne descendent sur cette plaine, ce qui ne représente plus pour eux qu’une étape vers la côte mieux desservie.
Une fois de plus, la coutume se recompose et fait surgir de nouveaux réseaux d’entraide ethnique (l’entrepreneur est devenu le big man) engendrant de nouveaux syncrétismes culturels. Les repas rituels encore pratiqués sont composés désormais de riz et de conserves de poisson mais ils existent encore. Cet archipel fragmenté par la géographie, sans continuité territoriale, où chaque île conserve un sens jaloux de son indépendance, à société segmentée, est un espace dual et écartelé. Cette caractéristique grève sans doute l’avenir du pays mais constitue aussi une originalité, car les riches traditions s’adaptent et se réinterprètent. Il y a sans doute là une force vitale qui ne mériterait pas d’être transformée en folklore local. Ces hommes une fois de plus se trouvent à la croisée des chemins, dans un monde qui a tendance à s’uniformiser.
Bibliographie :
Joël Bonnemaison, Les fondements géographiques d’une identité : l’archipel du Vanuatu. Essai de géographie culturelle, IDR, Paris, 2002
Marc Kurt Tabani, Les pouvoirs de la coutume à Vanuatu. Traditionalisme et édification nationale, L’Harmattan, Paris, 2002
Géographie Universelle, Asie du Sud-Est, Océanie, Belin-Reclus, Paris, 1995.