Effet de la morphine sur la transmission du message douloureux
au niveau spinal. Par Jean-Pierre Ternaux, Unité
de Neurocybernétique cellulaire, CNRS/UPR 9041
La stimulation naturelle d’un territoire cutané met en jeu des
fibres afférentes qui véhiculent des messages nerveux responsables
de la sensibilité tactile et nociceptive. Ces messages sont véhiculés
jusqu’à la corne dorsale de la moelle épinière par
des fibres sensitives de diamètres différents. Les fibres
A, myélinisées, de grand diamètre, transmettent les
messages de la sensibilité tactile avec des vitesses de conduction
très rapides, de l’ordre de 70 à 100 mètres par seconde.
Les fibres C, amyéliniques, de faible diamètre, sont responsables
de la transmission du message douloureux, avec des vitesses de conduction
de l’ordre de 1 à 2 mètres par seconde. Les neurones afférents
sensitifs ont leurs corps cellulaires situés dans les ganglions
rachidiens et leurs axones se projettent synaptiquement au niveau des arborisations
dendritiques des cellules de la couche V, cellules qui sont à l’origine
de la voie spinothalamique. Cette voie est croisée, c’est à
dire que les informations en provenance de l’hemi-corps se projettent sur
le thalamus et le cortex sensitif contralatéral.
Expérimentalement, chez l’animal anesthésié, les
cellules de la couche V de la corne dorsale de la moelle épinière
peuvent être enregistrées à l’aide d’une microélectrode
de verre. Ces cellules sont des neurones convergents qui reçoivent
à la fois des informations de la sensibilité tactile et nociceptive.
Ce type de réponse peut être obtenue par une stimulation électrique
de la racine dorsale. Les potentiels d’action enregistrés, dans
ces conditions, au niveau des cellules de la couche V, sont caractérisés
par une réponse de courte latence, correspondant à la mise
en jeu des fibres rapides A (latence courte), puis avec une latence plus
longue, à une salve de potentiels qui résulte de la mise
en jeu des fibres lentes véhiculant le message nociceptif. Dans
ces conditions expérimentales, l’injection de morphine par voie
intraveineuse, induit très rapidement une disparition du message
correspondant à la mise en jeu des fibres nociceptives. Cependant,
aucune modification du message transmis par les fibres A n’est observée.
Ce résultat montre que la morphine agit spécifiquement sur
l’activité électrique des fibres C qui véhiculent
le message nociceptif. Ceci est également confirmé par une
manoeuvre pharmacologique qui consiste à injecter à l’animal
un antagoniste des récepteurs aux opiacés (le naloxone),
avant l’injection de morphine. Dans ces conditions, l’injection de morphine
ne provoque pas l’inhibition des messages nociceptifs enregistrés
au niveau des cellules de la couche V. Cette expérience montre que
l’effet analgésique de la morphine implique un récepteur
spécifique dont la localisation a été précisée
par des techniques d’ autoradiographie et d’immunohistologie. |