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L’étude des relations homme-nature en histoire

Par urgelli — Dernière modification 29/11/2016 10:32
Pour l’historien, la difficulté consiste à identifier les rythmes, les accélérations, voir les seuils et les ruptures majeures dans les relations homme-nature mais également à discuter, comme dans toutes disciplines scientifiques, les liens de causes à effets...

Document proposé par HG-Grenoble (Académie de Grenoble)

Le développement durable est un modèle de développement « qui permet aux générations présentes de satisfaire leurs besoins sans compromettre la capacité des générations futures de satisfaire les leurs »[1]. Sa définition même est un objectif tourné vers le futur, une exigence pour l’avenir. L’affirmation du développement durable est associée à une projection vers le futur des sociétés humaines et de leurs rapports à la nature.

 Ainsi depuis le sommet de Rio en 1992, la naissance d’une conscience de la dégradation de l’environnement a abouti à la création d’agenda, d’objectifs communs, d’engagements…. L’histoire est la science du passé, elle n’a donc de lien avec ces projections que dans la nécessaire prise en compte du passé comme élément de références pouvant éclairer les possibles évolutions futures.

  • Comment l’histoire peut-elle participer à la mise en perspective des évolutions contemporaines de l’anthropisation ?
  • Comment peut-on intégrer cette histoire des relations homme-nature dans les programmes actuels de l’enseignement secondaire ?
 

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I. La limite de la prise en compte actuelle du temps dans les enseignement relatifs à l’environnement et au développement durable.

 

Au collège et au lycée, on est forcé de constater que l’histoire est encore absente de l’EEDD tant dans les programmes que dans les activités proposées par les manuels.[2]

Le temps long de l’évolution géologique et climatique est abordé en SVT avec l’histoire des climats et des grandes glaciations, sur de longues durées, et n’ayant pas forcément de lien avec les sociétés humaines. C’est davantage en géographie que les évolutions du rapport homme-nature sont prise en compte à travers l’étude des aménagements humains. Mais l’enseignement de cette science de l’espace insiste surtout sur les aménagements récents et privilégie davantage le temps court. Si ponctuellement certaines études de cas proposent un document montrant les héritages dans les formes d’occupation et d’aménagements de l’espace, la géographie dans l’enseignement secondaire étudie les évolutions récentes.

Or cette « division » disciplinaire dans l’approche environnementale conduit à distinguer les processus naturels (anciens), de l’action de l’homme (récente), ce qui ne permet pas d’appréhender l’histoire de l’environnement en relation avec les sociétés humaines (contrairement aux avancées de la recherche en histoire de l’environnement). Pour appréhender la complexité des rapports homme-nature, il faut présenter ces rapports comme une co-évolution, c’est-à-dire une combinaison associant étroitement l’évolution de la nature et de l’anthropisation dans des relations instables. Cette complexité des dynamiques homme-nature invite les scientifiques à des études pluridisciplinaires où l’histoire joue un rôle majeur afin de les articuler. A travers l’étude des traces laissées par l’homme sur une période donnée, le temps des sociétés est partie prenante du rythme des évolutions.

A titre d’exemple, la vision que les scientifiques se font de l’histoire du climat s’est enrichie de nouvelles données.

Depuis 2003, W.F Ruddiman, spécialiste reconnu de l’évolution du climat insiste sur le fait que l’action de l’homme sur le climat est perceptible depuis l’Antiquité[3]. Auparavant, on soulignait le rôle décisif de la Révolution industrielle, additionnant les effets de l’utilisation des énergies fossiles et l’explosion démographique dans le réchauffement climatique. Selon Ruddiman, le phénomène serait bien plus ancien, l’effet de serre étant sensible depuis près de 8000 ans. L’impact de l’homme sur le climat daterait du néolithique, au moment où ce dernier se sédentarise, colonise de nouvelles terres pour les mettre en culture ou y développer l’élevage. Son hypothèse met ainsi en lumière les liens qui unissent effet de serre et riziculture. La découverte de la culture intensive du riz par les civilisations asiatiques, outre ses effets d’entraînement démographique (on parle « d’agriculture peuplante ») est une grande productrice de méthane. La première accélération dans la production des gaz à effet de serres contribuant au réchauffement planétaire aurait donc eu lieu il y a près de 5000 ans, de quoi modifier l’enseignement de l’histoire de l’environnement au niveau secondaire. Celui-ci devra remonter bien plus loin dans le temps et proposer des « étapes-clés », pour retracer l’ensemble de l’évolution des rapports homme-nature.

 

II. La place de l’Histoire dans l’EEDD : une revalorisation nécessaire par la prise en compte du temps des sociétés humaines

 

 

 La mise en place d’un curriculum interdisciplinaire sur l’EEDD pourrait préciser la place de l’histoire autour de plusieurs questions de sociétés liées au développement durable. A partir des études sur l’histoire du climat et notamment des ouvrages fondateurs d’Emanuel Le Roy Ladurie[4] et de Pascal Acot[5], l’étude de l’évolution des interactions homme-nature pourrait présenter huit étapes  fondamentales qui permettent à l’enseignant d’histoire d’approfondir les problématiques liés au développement durable[6] 

1- Le temps des chasseurs-cueilleurs ( il y a 400 000 ans) (En sixième)

Les quelques 10 millions d’hommes sur la planète modifient bien peu la nature.

 

 Source : Muséum national d’histoire naturelle


 

2- L’apparition de l’agriculture (la révolution néolithique entre –10 000 et –3 000) (En sixième)

 

 

C’est l’étape fondamentale. Selon le travaux scientifiques récents, on montre que l’action de l’homme sur son milieu devient plus forte avec la sédentarité et la découverte de l’agriculture. Une place particulière devra être faîte à l’élevage et à la riziculture car ces deux activités émettent les premiers gaz à effets de serres ( méthane) et la riziculture parce qu’elle modifie aussi durablement les paysages

 

On pourrait aussi montrer dans un deuxième temps que cette première empreinte de l’homme sur la nature coïncident avec la mise en place de civilisations capables de maîtriser le nouvel équilibre avec la nature pour économiser les ressources. A titre d’exemple, on peut discuter la civilisation hydraulique égyptienne, au programme en 6ème, parfaite équilibre entre les ressources, le milieu et les aménagements humains.

 

 

3- Le développement de la métallurgie et de l’agriculture dans l’empire romain (IIIème siècle avant JC - IIème siècle après JC) (En sixième)

 

 

On montrera une contradiction : la préoccupation des Romains à gérer la forêt comme une ressource durable (notamment pour leurs besoins militaires) et leur empreinte sur le milieu méditerranéen avec la trilogie "blé, olivier, vigne" où la déforestation progresse. L’étude d’un paysage méditerranéen paraît essentielle. 

 

4- L’équilibre sylvo-pastoral du Moyen Age ( VIIIème siècle - XVème siècle) (En cinquième, quatrième et en seconde)

 

 

La mise en valeur de la nature par les trois acteurs principaux : le village, le seigneur et le pouvoir royal. C’est une forme de régulation allant de paire avec les révolutions agricoles pour gérer au mieux les ressources. L’étude de l’assolement triennal et de la conservation des forêts prennent leur sens dans un monde en accélération où les concurrences et les luttes pour la maîtrise des ressources sont plus vives (avec un passage sur le monde musulman pourtant rayonnant et qui perd progressivement la maîtrise de la Méditerranée au XIIème siècle en partie à cause de son manque de bois) ….et préfigurent la lutte des grands Etats.

 

 

5- Le mercantilisme et les débuts du colonialisme (XVIème siècle - XVIIIème siècle) : (En cinquième, quatrième et en seconde)

 

 

Il faudrait relier la géopolitique européenne du XVIème siècle des grands Etats modernes avec leur capacité à transformer l’espace et à gérer et mobiliser les ressources. Si les consommations de bois et de fer augmentent, avec la croissance démographique, l’équilibre permettant le renouvellement de la ressource semble préservé : les usages traditionnels sont conservés par le pouvoir royal,  les résistances paysannes sont encore fortes devant les exigences nouvelles du capitalisme naissant. Les grandes puissances européennes laisseront alors leur appétit de ressource sans limite s’exprimer durant la colonisation.

 

 

6- La révolution industrielle, l’urbanisation et les énergies fossiles (XIXème siècle) : En troisième, première et terminale

 

L’étude pourra se présenter en deux temps. La période est une rupture importante car les sources d’énergie désormais ne sont plus renouvelables, et la consommation d’énergie fossiles (charbon et pétrole) modifie durablement la composition de l’air.

 

 Mais dans un second temps il faudra aussi relativiser cette rupture en rappelant l’héritage et la présence de gaz à effet de serre anthropiques depuis l’Antiquité et en montrant que l’homme prend conscience de cette rupture et développe une réflexion « environnementale » centrée sur la ville, enfant de l’industrialisation, et la pollution.

 

 

7- Le XXème siècle et l’accélération des Trente Glorieuses : En troisième, première et terminale

 

 

Si l’ampleur des destructions des deux conflits mondiaux sont facilement démontrables en terme environnemental (sols stérilisées de la première guerre mondiale, radiations avec les bombes atomiques), il faudra insister sur les effets de la formidable croissance économique des Trente Glorieuses, dopée par la société de consommation qui va accélérer les rejets de gaz à effets de serre et la dilapidation des ressources. Cette fuite en avant est encore accentuée par la guerre froide, communisme et capitalisme rivalisant sur terre et dans l’espace dans un mépris commun pour l’environnement. 

 

Consommation totale d’énergie commerciale de l’humanité (en millions de tonnes équivalent pétrole).

 

 

Sources : Schilling & Al. 1977, IEA, Observatoire de l'Energie. Site de JM Jancovici, www.manicore.com

 

 Dans ce graphique on insistera sur la place ultra-prépondérante des énergies fossiles (charbon et pétrole) dans le modèle de développement occidentale.

 

 

8- Les années 1960-1970 : En troisième, première et terminale

 

 

La timide prise de conscience des problèmes environnementaux peut être appréhendée dans le cadre de la remis en cause des mécanismes de la guerre froide. A travers la naissance des contestations internes à la société occidentale et capitaliste, et externes avec l’émergence du Tiers-Monde. Les questions de l’usage des ressources du Tiers Monde, et de son développement futurs accentuent encore les prévisions catastrophistes provenant du monde occidental.

 

9- Les tensions géopolitiques prévisibles face au risque climatique

 

Il faudrait parler des prévisions géopolitiques réalisés sur la base des estimations d’évolution des ressources pour les XXIè siècle, en s’appuyant par exemple sur l’analyse critique du rapport du Pentagone 2003 qui prévoit conflits et migration de populations pour l’accès aux ressources [7]. La question des réfugiés climatiques dans le droit international [8] s'impose également.

 

 

BILAN

Les passerelles entre l’EEDD et l’histoire sont nombreuses. Les relations homme-nature figurent déjà à tous les niveaux des programmes d’histoire mais il est encore difficile de hiérarchiser les thèmes à aborder. Il est encore plus difficile d’identifier des seuils, des ruptures majeures dans l’évolution de ces relations : en terme d’émissions de GES, est-ce la première vague d’industrialisation au XIXème siècle ou l’accélération des Trente Glorieuses qui ont modifié radicalement  leur concentration dans l’atmosphère.
 


[1] Le « développement durable »dans la définition proposée en 1987 dans le rapport Brundtlandt est « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de " besoins ", et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. » 

 

[2] La place relative à l’histoire dans l’EEDD a été abordée lors du colloque Education à l’environnement et institution scolaire, IFREE 2005.  Les travaux de Christine Vergnolle Mainar  : Quelle convergence entre la géographie et l’histoire dans une perspective d’éducation à l’environnement pour un développement durable ? dans les actes du colloques de 2005 et dans la revue Education relative à l’environnement n°6, 2006 ont plaidé pour donner à l’histoire toute sa place dans l’EEDD. Elle signale également les références suivantes :
- C. Beck, Y. Luginbühl, T. Muxart, 2006 : Temps et espaces des crises de l'environnement, Quae, 410 p.
- Le numéro spécial de la revue "Géomorphologie" premier trimestre 2007
- Les travaux menés dans le cadre du laboratoire GEODE : http://w3.univ-tlse2.fr/geode/ pôle "anthropisation, temporalités, histoire de l'environnement", par les chercheurs D. Galop, J.-P. Métailié, J.-M. Carozza.

[3] Ruddiman W.F. (2003), The anthropogenic greenhouse era began thousands of years ago, Climatic Change, 61, 3, 261–293.

 

[4] Le Roy Ladurie Emmanuel, Histoire du climat depuis l’an mille, Flammarion, 1993.

 

[5] Acot Pascal, Histoire du climat : du Big Bang aux catastrophes climatiques, Tempus, Perrin, 2004.

 

[6] Vindt Gerard, Le développement durable, Alternatives économiques, n°63

 
 

[8] Publiée le 11 octobre dernier, une étude menée par l'Institut pour la sécurité environnementale et humaine (ISEH, Université des Nations Unies, Bonn) prévoit que la dégradation de l'environnement et les changements climatiques obligeront 50 millions de personnes dans le monde à devenir des réfugiés d'ici 2010. Les Nations Unies ont défini un statut pour ces individus " forcés de quitter leurs habitations traditionnelles d'une façon temporaire ou permanente, à cause d'une dégradation -naturelle ou humaine- nette de leur environnement qui bouleverse gravement leur cadre de vie et/ou qui déséquilibre sérieusement leur qualité de vie ".