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La bipédie

Par apothet — Dernière modification 10/03/2021 17:08
Un point complet sur ce caractère de la lignée humaine. Pascal Picq, Collège de France

 

Station bipède et marche bipède chez les vertébrés

Dans la nature actuelle, l’homme est le seul animal, avec le pingouin, capable de marcher sur deux membres postérieurs devenus inférieurs et le buste parfaitement redressé. Chez les autres bipèdes, tels que les oiseaux ou les kangourous, le buste est fortement incliné vers l’avant. Les masses du corps s’équilibrent de part et d’autre de la ligne joignant les articulations des fémurs. La queue, souvent très développée, joue un rôle important dans les équilibres statiques et dynamiques. 

Lorsque l’on évoque la bipédie, il convient de distinguer la position relative du buste et des jambes, mais aussi ce qui tient de la position ou station verticale (situations statiques) et ce qui procède de la marche comme de la course sur deux jambes (situations dynamiques). 

Les oiseaux, comme leurs ancêtres dinosaures, sont adaptés à la station comme à la locomotion bipède. Parmi les reptiles, certains lézards se montrent surprenants, comme les dragons d’Australie (dont un individu infâme sévit dans Bernard et Bianca au pays des kangourous) ou encore les redoutables varans du Bengale, sans oublier les dragons de Komodo.

Comparés aux oiseaux, peu de mammifères ont l’habitude de se tenir sur leurs membres postérieurs. Dans ce cas, ces deux membres et la queue forment un trépied et le buste est redressé. Les singes à queues (cercopithèques, vervets, patas), les castors ou encore les suricates ou mangoustes se postent ainsi pour scruter les environs (vigilance, recherche de congénères….). Plus nombreuses sont les espèces qui se hissent sur leurs pattes postérieures et se tendent pour attraper des nourritures (chiens, antilopes, girafes, félins….ect). Mais de telles attitudes restent dictées par des circonstances trop rares pour que l’on puisse parler d’adaptation. Ce sont des aptitudes admises par la morphologie de ces animaux. Dans les situations conflictuelles, il arrive que des animaux marchent ainsi sur quelques pas : chevaux combattants, ours, gorilles…etc. C’est une bipédie éphémère et instable. Dans ce rapide survol des mammifères, on retient de piètres aptitudes à la fois pour la station debout et la marche bipède. Cependant, c’est parmi les singes et les grands singes que l’on retrouve des aptitudes proches de celles des hommes. 

 

Station bipède et marche bipède chez les primates 

Les primates composent un ordre de mammifères fondamentalement adaptés à la vie dans les arbres. Se déplacer dans un monde à trois dimensions exige des aptitudes locomotrices particulières. C’est parmi les lémuriens de Madagascar que l’on rencontre des espèces possédant les caractères fondamentaux de la locomotion des primates. Les indris, makis et autres sifakas ont pour habitude de se tenir le buste droit et accrochés au tronc par de long bras. Pour sauter d’un arbre à l’autre, ils se propulsent à l’aide de membres postérieurs longs et puissants. Afin de mieux contrôler les mouvements du corps, le centre de gravité de leur corps se situe près du bassin. C’est une caractéristique des primates. Chez les autres mammifères terrestres, le centre de gravité se localise dans la région des épaules. Les primates ont donc l’habitude, et ce depuis plus de 40 millions d’années, de se déplacer dans un habitat complexe en exerçant un contrôle volontaire de leurs mouvements. Cela explique une autre caractéristique unique à ce groupe : la jouissance d’un répertoire locomoteur qui inclut sauts, grimper, quadrupédie au sol ou sur les branches et aussi la bipédie occasionnelle. Lorsqu’un indri se trouve au sol, il se déplace verticalement par sauts successifs. Un tel registre locomoteur s’accompagne d’un traitement neuronal qu’on ne retrouve pas dans les autres groupes de mammifères. 

Bien que plus proches de nous, les singes à queue adoptent un quadrupédie généralisée qui évoque celle des autres mammifères. C’est le cas au sol (babouins, patas, macaques, entelles … etc) mais aussi dans les arbres (cercocèbes, cercopithèques, colobes….etc). Cependant, ils adoptent des positions parfaitement assises, avec le buste vertical, que ce soit dans les arbres ou au sol. Leurs callosités fessières (tubérosités ischiatiques) sont bien visibles. Installés dans cette position, ils entretiennent des relations sociales (vocalisation, épouillage), mangent, manipulent la nourriture et explorent leur entourage. Ces remarques pour préciser qu’on n’a pas besoin d’être redressé sur deux jambes pour scruter et explorer le monde physique et social qui nous entoure. Tous les scénarios de l’évolution de l’homme qui associent la bipédie à l’usage d’outil et aux relations complexes entre la main et le cerveau ignorent cette évidence. Un éthologue de la planète Mars observant les hommes constaterait que presque toutes leurs activités culturelles et intellectuelles se font en position assise (spectacle, lecture, écriture, utilisation de l’ordinateur, couture, conduite….) alors que la marche et la course seraient considérées comme une adaptation de type Forest Gump. Ayant rappelé cette évidence, on observe aussi que les singes se dressent fréquemment en s’accrochant aux branches pour quérir des nourritures. 

 

Répertoires locomoteurs des grands singes et des hommes

Les singes hominoïdes – gibbons, orang-outans, gorilles, chimpanzés, bonobos et hommes- diffèrent considérablement des autres singes et, évidemment, des autres mammifères. Les hominoïdes actuels sont tous adaptés à la suspension. Notre anatomie corporelle est adaptée à cet habitude singulière de nous déplacer sous les branches, suspendus au bout de nos bras : longs bras, clavicule robuste, articulation de l’épaule orientée vers le haut, omoplate dans le dos, cage thoracique peu profonde entre le sternum et la colonne vertébrale mais large d’un flanc à l’autre, région lombaire courte et composée de 5 à 7 vertèbres, membres inférieurs relativement courts (mais ce sont les bras qui sont véritablement longs). Tous les hominoïdes actuels ont l’habitude de se tenir verticalement dans les arbres. C’est un vieille habitude qui remonte à plus de 15 millions d’années (le gros intestin, par exemple, s’accroche à la paroi dorsale de notre cavité coelomique lui évitant ainsi d’écraser le gracile intestin grêle placé en dessous.) Autrement dit, la verticalité du corps est la règle au sein du répertoire locomoteur des hominoïdes. L’habitude de se tenir assis l’est tout aussi. 

Lorsqu’ils sont à terre, les gibbons sont bipèdes. Ils se déplacent comme des funambules cherchant à s’équilibrer à l’aide de leurs long bras. Les orang-outans préfèrent adopter la quadrupédie. Les chimpanzés et les gorilles en font de même. Cependant, leur quadrupédie est très particulière. Comme chez tous les singes qui marchent au sol, le pied repose sur la paume (plantigrade). Mais au lieu d’en faire de même avec les mains, ils s’appuient sur le sol au niveau des articulations entre les premières et les deuxièmes phalanges. Ils ne sont pas digitigrades à proprement parler. On évoque un « marcher sur les phalanges », traduction littérale du knuckle-walking des anglo-saxons. Cette attitude contribue à installer le buste dans une position semi redressée. Cette quadrupédie très spécialisée ne s’observe que chez les grands singes africains (les orang-outangs préfèrent s’appuyer sur les articulations entre les os du métacarpe et les premières phalanges; nous faisons ainsi lorsque nous nous appuyons sur une table ou un bureau.) Les autres chimpanzés, les bonobos, se montrent plus arboricoles que les chimpanzés et les gorilles et pratiquent aussi le marcher sur les phalanges.

La quadrupédie spécialisée des chimpanzés et des gorilles comme la marche des orangs-outans laissent peu de place à la bipédie. Cependant, des observations récentes incitent à reconsidérer cette question. Les gibbons une fois au sol, ce qui est rare, sont bipèdes. Les orang-outangs, aux mœurs peu terrestres, sont très rarement bipèdes. Les gorilles, aux mœurs très terrestres, sont peu bipèdes, sauf quand ils menacent en frappant la poitrine de leurs poings. Les chimpanzés sont plus éclectiques. Ils sont bipèdes en se déplaçant les pieds sur des grosses branches et en se tenant à l’aide d’un bras saisissant une banche plus élevée. Au sol, ils sont bipèdes lors de déplacements menaçants et pour effectuer des gesticulations intimidantes, ce qui est très fréquent chez les mâles, mais observé aussi chez les femelles. Plus intéressant, ils marchent debout lorsqu’ils transportent des bâtons ou certaines nourritures. Parfois, quand le sol est boueux ou offre un contact désagréable, ils déambulent sur deux jambes. La bipédie fait partie de leur répertoire locomoteur, même si elle intervient dans à peine 5 % de leurs déplacements. Ils ne sont évidemment pas adaptés à la bipédie, mais leur répertoire locomoteur offre cette possibilité. 

Connus et observés depuis peu de temps, les bonobos ne cessent de nous surprendre. Plus arboricoles que les autres chimpanzés, ils ont une morphologie plus longiligne (à cet égard, ils sont moins corpulents mais plus grands : les appeler « chimpanzés nains » n’est donc aucunement fondé). Ils sont donc d’excellents acrobates, se suspendent, pratiquent la brachiation (déplacement par alternance des mouvements des bras). Au sol, ils utilisent aussi le « marcher sur les phalanges » et très volontiers la bipédie. Ils se révèlent beaucoup plus bipèdes que tous les autres grands singes connus et, en raison de leur morphologie longiligne qui rappelle celle de l’homme, suscitent des ressemblances étonnantes. Quant à l’homme, il se distingue comme un bipède exclusif qui conserve de belles aptitudes pour la suspension.

De ce voyage chez les grands singes, on retient une grande diversité de modes de locomotions au sein de répertoires locomoteurs combinant principalement de la suspension, du grimper vertical et, à des degrés divers de spécialisation, de la quadrupédie, de la bipédie et de la brachiation. Aucun groupe de mammifères comprenant si peu d’espèces ne présente une telle diversité. 

 

Les origines de la bipédie humaine

Le schéma classique de l’hominisation fait apparaître la bipédie au terme d’une succession d’espèces selon la séquence lémurien – singe – grand singe – homme. Celle-ci se met en place grâce au redressement progressif du corps. Ce scénario se passe à terre, alors qu’en fait les singes et les grands singes vivent dans les arbres. La verticalité et la bipédie sont monnaie courante dans les arbres. Par contre, c’est une autre affaire une fois au sol. Cette remarque pose la question des origines de la bipédie : adaptation acquise pour se redresser dans la savane ou aptitude héritée d’un répertoire arboricole qui inclut de la bipédie ?

On a évoqué toutes sortes de raisons ayant pu faire de la bipédie un caractère avantageux pour nos ancêtres bipèdes. Celles-ci sont indiquées dans le tableau ci-dessous. On ne manquera pas d’observer que ces caractères se retrouvent aussi chez les autres grands singes. La difficulté, comme toujours, consiste à savoir si c’est la bipédie qui autorise de nouveaux comportements ou si un comportement entraîne la bipédie. 

Tableau I : Des usages de la bipédie chez les grands singes et l’homme.
 

Espèce

 

Homme

Homo sapiens

Chimpanzé

Pan troglodytes

Bonobo

Pan paniscus

Gorille

Gorilla gorilla

Orang-outan

Pongo pygmaeus

Menace (1) fréquent fréquent fréquent fréquent rare
Transport :

Bâtons

Nourriture (2)

Enfants (3) 

très fréquent

très fréquent 

très fréquent

souvent

parfois

parfois

fréquent

parfois

souvent 

rare

très rare

rare

très rare 

très rare

très rare

Déplacements:

Dans arbres (4)

Au sol :

Marche

Course (5) 

Fuite (6)

pas habituel
 
 

habituel

habituel

habituel

fréquent
 
 

parfois

jamais

jamais

très fréquent
 
 

fréquent

jamais 

jamais

rare 
 
 

très rare

jamais

jamais

rare
 
 

très rare 

jamais 

jamais

Station debout fréquent/fatigue rare  souvent très rare jamais
Invite sexuelle variable rare souvent jamais jamais

Remarques : 

(1) La menace est plus fréquente chez les mâles, mais s’observe aussi chez les femelles. (2) Ne sont transportables que les nourritures transportables, comme les proies. L’homme transporte toutes sortes de nourritures depuis l’invention du panier. (3) Cela ne concerne que les femelles. Il arrive que les mâles agissent ainsi chez les hommes, mais c’est rare. (4) Chez les gorilles et les orang-outans les mâles, en raison de leur corpulence, observent des mœurs plus terrestres. (5) Seul l’homme est capable de courir debout, ce qui correspond à un trot vertical. (6) Les enfants abandonnés puis adoptés par des loups marchaient et couraient à quatre pattes. Une fois de retour chez les hommes, ils apprennent à marcher mais continuent à détaler à quatre pattes. Et il vont très vite (pensez à Moogly dans le Livre de la jungle)... 

Ce tableau montre que la bipédie n’est pas exclusive à l’homme, même si l’homme est devenu un bipède exclusif et très spécialisé. 

Dans les scénarios classiques de l’évolution de l’homme, on fait dériver la bipédie d’un grand singe redressé, comme s’il n’avait jamais existé qu’une seule bipédie devenue le propre de l’homme. Un tel schéma n’est plus aussi certain au vu des comportements des grands singes, notamment des bonobos.

En fait, deux modèles s’efforcent de reconstituer les origines de la bipédie. L’un comme l’autre sont tout aussi valides d’un point de vue scientifique. Le premier est qualifié de modèle troglodytien d’après le nom du chimpanzé, Pan troglodytes. Le deuxième est le modèle hylobatien, d’après le nom du gibbon, Hylobates. Le premier suppose que la bipédie est apparue dans la savane depuis des grands singes à moitié redressés et pratiquant le marcher sur les phalanges. Le second suppose que la bipédie fait partie du répertoire locomoteur de grands singes arboricoles et habitués à se suspendre. La bipédie descend tout droit des arbres et est renforcée par la suite. 

Historiquement, c’est le modèle hylobatien qui eut la faveur des anthropologues jusqu’au début du XX ème siècle. Puis avec l’affirmation de nos origines africaines, c’est le modèle troglodytien qui s’est imposé. Il est clair que tant que l’on ignorait les comportements locomoteurs des chimpanzés, on pouvait difficilement envisager des bipédies dans le monde des forêts. Actuellement, le modèle hylobatien revient à toutes jambes, mais il est tout aussi clair que les données exposées dans le tableau ci-dessus ne peuvent trancher pour l’un ou l’autre modèle. Depuis que l’on connaît les bonobos, on évoque un modèle bonobien qui postule que nos ancêtres, comme Lucy, avaient un répertoire locomoteur similaire, ce qui inclut de la bipédie.

Si on regarde du coté des fossiles de notre lignée évolutive, celle des homininés, on s’aperçoit que parmi les australopithèques et les premiers hommes, pas moins de 8 espèces entre 4 et 1,5 millions d’années, possèdent des répertoires locomoteurs incluant des bipédies plus ou moins affirmées. Il n’y a donc pas une bipédie humaine, mais des bipédies chez les australopithèques et les premiers hommes, différentes de la nôtre comme de celle occasionnelle des bonobos. La bipédie semble monnaie courante dans les savanes arborées d’Afrique avant l’émergence des premiers grands hommes, Homo ergaster, à la bipédie comparable à la nôtre, vers 1,8 millions d’années. Seul ce dernier était capable de s’aventurer dans les savanes dépourvues d’arbres. Reste à reconstituer si le dernier ancêtre commun des chimpanzés, des bonobos et des hommes actuels était plus ou moins bipède ou pas du tout. 

 

Un reconstitution du répertoire locomoteur du dernier ancêtre commun 

La difficulté de cet exercice réside dans le peu d’observations quantifiées dont nous disposons. Les observations sur les répertoires locomoteurs des chimpanzés et surtout des bonobos sont très récentes. Quant au répertoire locomoteur de nos ancêtre homininés, ils sont reconstitués à partir des études en morphologie fonctionnelle des ossements fossiles. Dans le tableau qui suit apparaît Lucy, une Australopithecus afarensis daté de 3,15 millions d’années, qui a fait l’objet de nombreuses études. 

Tableau II : Répertoires locomoteurs des hominidés
 

Locomotion Hommes Chimpanzés Bonobos Gorilles Lucy
Membres (proportions) (1)  72  105 102 116 105
Bipédie 98% 5 à 10% 10 à 20% 2% 40 à 60%
Quadrupédie 1%  40 à 60%  30 à 40%  50 à 80% 10 à 20 %
Suspension/grimper 1%  40 à 60%  50 à 60%  20 à 40%  30 à 50% 

(1) rapport entre la longueur du membre supérieur sur la longueur du membre inférieur

Ces chiffres proviennent d’observations sur le terrain, sauf pour Lucy, et sont très variables. 

L’homme est un bipède très spécialisé qui a sacrifié les autres modes de locomotion. En ce qui concerne le grimper, cela dépend du milieu et des activités économiques (collecte de fruits dans des milieux forestiers tropicaux), mais cela reste très marginal. Les variations sont plus marquées chez les chimpanzés. Ceux des forêts tropicales se suspendent plus et marchent moins à terre que ceux des savanes arborées. Les bonobos sont à la fois les plus arboricoles et les plus bipèdes des grands singes. Quand aux gorilles des montagnes, les mâles vont très peu dans les arbres alors que les femelles, bien moins corpulentes, s’y réfugient plus souvent. Les gorilles de plaine se révèlent plus arboricoles. Pour Lucy, les chiffres reposent sur l’analyse fonctionnelle de son appareil locomoteur. 

D’après ce tableau, on réalise combien les hommes sont spécialisés dans leur bipédie et comme les gorilles et les chimpanzés le sont dans leur quadrupédie. Les bonobos et Lucy maintiennent un répertoire locomoteur plus éclectique. 

Si on fait la moyenne de tous ces chiffres, alors le dernier ancêtre commun a toutes les chances d’incorporer la bipédie dans ses modes de déplacement. On doit même s’attendre à retrouver cette aptitude chez de nombreux fossiles, ce qui est effectivement le cas. Ceci n’a rien de surprenant puisque des études de laboratoire montrent que l’action de grimper verticalement le long d’un tronc d’arbre mobilise de la même façon les muscles des hanches, du bas du dos et des cuisses que pendant la bipédie. En d’autres termes, le grimper dans les arbres, comme la suspension qui place le corps en position verticale, sont des prédispositions (pré-adaptions ou aptation) à la bipédie

De cette approche, on retient qu’il n’y a pas un mode de locomotion mais des répertoires locomoteurs. La grande spécialisation des hommes et chimpanzés a occulté cette souplesse. Il en est de même pour les régimes alimentaires. Les hommes et les chimpanzés sont omnivores. Ils mangent tous de la viande. Mais cela fait partie des stratégies de survie des premiers, pas pour les seconds. La question n’est pas bipède ou pas bipède, végétarien ou omnivore, mais quelle est l’importance de la bipédie dans le répertoire locomoteur et la part d’alimentation carnée dans le régime. Dans le cas de la bipédie, la question est de savoir quand on passe d’une bipédie occasionnelle (aptation) à une bipédie assurant un avantage face à la sélection naturelle (adaptation).

 

Origines de la bipédie : perspective paléoanthropologique

Ce que l’on sait des hominidés actuels et fossiles permet de proposer la reconstitution de plusieurs types de répertoires locomoteurs. En d’autre termes, de faire des hypothèses sur la locomotion du dernier ancêtre commun. Mais que sait-on de l’évolution des hominoïdes avant que notre lignée, celle des homininés, ne se sépare de celle des chimpanzés et des bonobos, les paninés ? 

Nos ancêtres hominoïdes, les ancêtres des hommes mais aussi des orang-outans, des chimpanzés, des bonobos et des gorilles actuels, représentent un groupe très florissant dans les forêts tropicales d’Afrique d’y il a 16 millions d’années. Trois grandes lignées s’épanouissent depuis ce groupe ancestral. La branche des grands singes asiatiques, celle des pongidés qui n’est plus représentée que par les seuls orang-outans, semble passer à côté de la bipédie au sein de leurs répertoires locomoteurs. La lignée européenne, celle des dryopithécidés éteinte depuis 8 millions d’années, comprend plusieurs formes fossiles dont les répertoires locomoteurs incluent de la bipédie. C’est le cas des dryopithèques et surtout des oréopithèques datés de 10 millions d’années. Ces grands singes fossiles avaient un répertoire locomoteur incluant la suspension, la brachiation et la bipédie, une bipédie bine plus efficace que celle des bonobos actuels. Le fait que ces hominoïdes européens n’appartiennent pas à notre lignée montre que la vie arboricole, et surtout la suspension et le grimper vertical, offrent des aptitudes à la bipédie. C’est ce qui s’est passé aussi dans notre propre lignée, celle des hominidés d’Afrique. 

Les grands singes fossiles plaident pour une origine de la bipédie à partir d’un répertoire locomoteur adapté à la vie arboricole. L’habitude de se tenir verticalement, la façon dont les muscles des hanches et des cuisses sont mobilisés lors du grimper vertical sont autant d’aptitudes à la bipédie. 

En fait, au lieu d’évoquer des origines de la bipédie, on doit admettre qu’il a existé des bipédies. C’est le cas dans notre propre lignée comme dans d’autres lignées. En ce qui concerne les origines de la bipédie des hominidés, seule la découverte espérée de fossiles compris entre 10 et 5 millions d’années viendra éclaircir ce qu’on pense être l’adaptation clé qui a fait notre lignée. De toutes les manières, on peut s’attendre à des surprises et les paléoanthropologues n’ont pas fini de se prendre les pieds dans les hypothèses.