Réchauffement climatique et incertitudes démographiques : La bombe démographique désamorcée ?
Le texte final du rapport 2007 du GIEC, juge avec une probabilité de plus de 90% que l’essentiel du réchauffement climatique de ces cinquante dernières années est imputable aux activités humaines et notamment à l’émission de gaz à effet de serre[1].
Ce constat sans appel confirme l’emprise de l’activité humaine sur l’évolution climatique et lui impute la responsabilité de l’accélération du réchauffement, notamment en stigmatisant la consommation croissante des énergies fossiles rejetant du CO2 dans l’atmosphère. Certes, l’avenir du climat est lié à plusieurs phénomènes qui recoupent la question du modèle de développement : l’évolution de la dépense énergétique et des rejets de gaz à effet de serre, les choix politiques capables de promouvoir un développement durable. Mais la question de la croissance démographique mondiale est primordiale pour appréhender le réchauffement climatique : plus il y a d’hommes sur la Terre, plus les facteurs qui accélèrent le réchauffement seront puissants. Il est donc nécessaire de comprendre les projections des démographes concernant l’effectif totale de la population mondiale dans 20, 25 voire 100 ans. Or de nombreuses incertitudes demeurent dans les prévisions des scientifiques sur l’évolution de l’Humanité.
Quelles sont les hypothèses les plus consensuelles dans la communauté scientifique ?
Quelles sont les incertitudes qui pèsent les chiffres proposés ?
I. Le mécanisme de la transition démographique
Les projections démographiques globales sont réalisées à partir des extrapolations de la courbe de croissance ou en déterminant quelques composantes essentielles comme le nombre de naissance annuel, la mortalité, l’espérance de vie et surtout la fécondité. Pour prévoir l’évolution de la fécondité, on s’appuie généralement sur le célèbre mécanisme de la transition démographique.
voir l'application interactive : www.ac-poitiers.fr/hist_geo/ressources/transition/appli1.htm
Cette transition d’un régime démographique traditionnel, avec une forte natalité et une forte mortalité, vers un régime démographique moderne, avec une faible natalité et une faible mortalité s’accompagne d’un fort accroissement démographique, la mortalité baissant plus rapidement que la natalité.
La transition démographique, commencé dans les pays d’Europe depuis deux siècle, a gagné d’autres continents. Les démographes pensent qu’elle va se généraliser au monde entier dans les cinquante prochaine années à venir et s’achever. La croissance démographique mondiale devrait donc ralentir après 2050 et se stabiliser vers 2150.
II. Les projections des Nations-Unies : l’hypothèse centrale
a) Une stabilisation de la population mondiale vers 2150
L’ONU propose depuis 1957, des estimations centrales, encadrées par des variantes basses et des variantes hautes. Dans l’hypothèse centrale, la plus probable, la population mondiale se stabilise à 9.7 milliards d’habitants en 2150, les experts considérants les hypothèses basses ( 3.2 milliards) et hautes (16.7 milliards).
b) Des évolutions régionales différenciées jusqu’en 2150
Les évolutions régionales dépendent de l’ancienneté de l’entrée dans la transition démographique[2] :
Continents | Croissance démographique | Estimations de l’ONU en 2150 |
Europe
|
négative |
900 millions d’habitants |
Amérique du Nord ( hors Mexique)
|
lente |
400 millions d’habitants |
Amérique latine
|
en ralentissement |
900 millions d’habitants |
Asie
| très forte (part. en Chine stabilisation en 2050) |
2.48 milliards d’habitants |
Afrique
|
très forte |
2.3 milliards d’habitants |
III. Les incertitudes démographiques demeurent grandes
Toutes ces projections, qui font l’objet d’un assez large consensus, sont basées sur les évolutions de la fécondité et suppose que celle-ci se stabilise partout, suivant le schéma de la transition démographique. Mais de nombreuses questions demeurent :
- les écarts très importants entre les estimations hautes ( 16.2 milliards) et basses (5 milliards) ne représentent qu’une très faible différence en terme de fécondité : 2.25 enfants par femme ou 1.85 enfants par femme. Comment la fécondité va-t-elle évoluer précisément ? Il est très difficile de le dire…l’ONU observant des rythmes de ralentissement plus faibles depuis 2000.
- la transition démographique sera-t-elle vraiment universelle ? En réalité ce schéma est plus ou moins bien respecté selon les pays. L'Angleterre suit assez bien le modèle théorique (décalage très net entre les deux courbes), alors qu'en France la natalité et la mortalité ont décliné à peu près au même rythme. Dans notre pays, la croissance démographique n'a ainsi jamais dépassé 1%. Plus important pour notre sujet, les pays industrialisés ont mis plus de deux siècles à accomplir leur transition démographique, alors que les pays en développement ont "profité" des progrès existants et n'ont mis que quelques décennies.
- la question liée à la mortalité est aussi à réévaluer : pour les pays développés, quelles sont les limites à la longévité ? Pour l’ONU, la base est 100 ans mais le débat est vif parmi les spécialistes. Pour les pays en développement , l’épidémie du SIDA (en Afrique), l’émergence de nouvelles maladies infectieuses pourraient modifier considérablement l’évolution de la mortalité. Les réductions de la mortalités ne sont-elles pas trop optimistes ?
Conclusion :
Cette évolution risque de s’amplifier encore avec les mutations qui touchent aujourd’hui certains pays en développement. Dans l’avenir, la croissance de l’Asie en terme d’urbanisation, de motorisation et de consommation d’énergie est un danger bien réel pour le climat de la planète[3].
[1] Hervé Kempf, Les scientifiques entérinent la responsabilité de l'homme dans le réchauffement climatique, Le Monde, 02/02/2007
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3244,36-862725,0.html
[2] LERDON Henri, « Certitudes et incertitudes de la prévision démographique. », C.R. Géoscience, 2003.
[3] « Selon la Banque asiatique de développement (ADB), le nombre de voitures en Chine sera multiplié par quinze dans les trente prochaines années, ce qui devrait porter le parc automobile chinois à 190 millions de voitures. En Inde, partant du nombre de voitures - de 2 millions en 1971 à 62 millions aujourd'hui -, un économiste indien, S. Sundar, de l'Institut indien de l'énergie et des ressources (TERI), prévoit 537 millions de véhicules en 2030, avec une croissance économique de 5 % du PIB. » cité par Kauffmann Sylvie, Comment croître sans polluer ?, Le Monde, 12/02/2007.