Compte-rendu de l'essai "Ma vérité sur la planète", Claude Allègre, 2007
Cet essai qui vient de sortir au printemps 2007 n’est pas fait pour réconcilier son auteur avec une partie de l’opinion publique. En effet, Claude Allègre qui parlait de son intention, alors qu’il était ministre de l’éducation nationale, de « dégraisser le mammouth » manifeste une fois encore sa liberté de penser et de son franc-parler : alors qu’une grande majorité des gens et de la classe politique s’est ralliée à la grande cause écologique incarnée en France par Nicolas Hulot ou à l’échelle internationale par Al Gore, figure aujourd’hui incontournable depuis le succès retentissant du documentaire consacré à son action, Une vérité qui dérange (2006), il n’hésite pas à aller à contre courant.
Dans l’introduction, Claude Allègre évoque les raisons de son engagement : il s’agit de « faire de la résolution des problèmes écologiques le moteur de la croissance, du développement des pays du tiers-monde et de la réduction des inégalités » et de lutter contre « l’éco-intégrisme » catastrophiste qui, au nom du principe de précaution, fait « la recommandation d’un retour en arrière, d’un arrêt de la croissance économique, du non développement du tiers-monde ». S’opposent donc ici deux idéologies clairement identifiées : celle d’une écologie humaniste défendue par Allègre fondée sur la foi dans l’homme et le progrès et celle de l’écologisme, dénoncée dans cet essai, qui au contraire culpabilise l’homme et cherche à le contraindre.
Les deux premiers chapitres n’apportent rien aux débats actuels : ils n’existent que parce que l’auteur, situé en dehors de l’ « institution orthodoxe » (comprenez par là les tenants de l’idéologie majoritaire), a besoin de prouver sa légitimité aux lecteurs. Il n’en aurait pas été ainsi probablement s’il en avait fait partie. On le perçoit donc d’emblée : on ne peut comprendre les questions écologiques sans analyser aussi les jeux d’acteurs …
Dans un premier temps, C. Allègre déroule de ce fait en 11 pages la longue liste des fonctions éminentes qu’il a occupées et des actions qu’il a menées à travers le monde. Le lecteur ne peut être que convaincu : oui, la parole de ce géophysicien de renommée internationale mérite d’être entendue.
Dans un second temps, l’auteur revient sur plusieurs évènements qui permettent selon lui de mieux appréhender les rapports entre science et société tout en justifiant au passage son positionnement actuel. Parmi les points développés, on peut citer :
- « Wegener et la dérive des continents » : il est possible d’avoir raison même si l’on est seul face à l’institution !
- « Le Club de Rome : Halte à la croissance ! » : l’auteur fustige ici cet organisme qui, dans les années 1970, avait conclu à la nécessité d’une croissance économique zéro afin de préserver les ressources de la planète. Depuis les ressources ne se sont pas épuisées et la croissance a été particulièrement forte, en particulier aux Etats-Unis. En faisant le parallèle avec la question brûlante ( !) du réchauffement climatique aujourd’hui, C. Allègre nous exhorte à considérer l’écologie non comme un frein mais comme un « moteur de la croissance ». Il est à noter une réflexion intéressante à propos de cette écologie « punitive » qu’il dénonce : ne serait-elle pas à chercher du côté de notre « culture judéo-chrétienne marquée par la philosophie du péché originel » ?.
- « Le trou dans la couche d’ozone et le protocole de Montréal » : dans les années 1980, les scientifiques ont alerté sur le rôle néfaste des CFC dans la destruction de l’ozone troposphérique ce qui a amené rapidement à leur interdiction, remplacés par des gaz non nocifs. Depuis, le trou dans la couche d’ozone n’augmente plus ce qui tendrait à prouver la capacité de l’homme et surtout des scientifiques à prendre conscience des dangers et à y faire face par des technologies innovantes. Par contre le fait que ce trou ne soit pas en diminution laisse en outre apparaître le long chemin qu’il reste à parcourir pour comprendre tous les mécanismes de la machine atmosphérique…
Sous couvert d’une référence légère au personnage de Jacques Tati, le chapitre III, intitulé « Les vacances de M. Hulot » constitue une attaque frontale des thèses défendues par Nicolas Hulot dans son ouvrage intitulé Pour un pacte écologique, 2006. Si l’auteur y consacre autant de place, c’est parce le contenu de cet ouvrage a quasiment fait l’unanimité parmi les candidats lors de la campagne présidentielle en France en 2006-2007. D’ailleurs Alain Juppé, promu à la tête d’un grand ministère de l’environnement, n’était-il pas jusqu’au soir des législatives le n°2 du gouvernement Fillon et seul ministre d’Etat ?
Même s’il affirme se moquer « des manœuvres de la politique politicienne », nous pouvons dans ce chapitre légitimement nous interroger sur la personne qui l’a rédigé. Est-ce uniquement le scientifique ou bien aussi l’homme politique, fidèle de Lionel Jospin, remercié d’ailleurs à la fin de l’ouvrage (avec d’autres) pour avoir « fait de nombreuses suggestions fructueuses » ?
Quoi qu’il en soit, selon C. Allègre le programme d’Hulot est dangereux car il repose sur une vision catastrophiste et des réponses héritées de la philosophie du Club de Rome : l’appliquer serait donc synonyme de décroissance (ce que revendique Nicolas Hulot d’ailleurs comme un de ses conseillers Jean-Marc Jancovici, voir son intervention sur RMC Info), de chômage, de renforcement des inégalités sociales et par delà de déclassement de la France sur l’échiquier mondial.
L’auteur rappelle aussi que le concept de « développement durable » comporte trois axes : respect de l’environnement bien sûr mais aussi recherche d’une amélioration économique et sociale ce qu’il ne faudrait pas oublier. Il déplore donc une fois encore cette écologie de la crainte et de l’auto-flagellation (l’auteur évoque une attitude « écolo-maso ») qui peut même mener à des positions politiques dangereuses : « Le temps de l’information, du débat, des controverses est révolu » écrit Nicolas Hulot. Il est vrai qu’avec ces propos, les partisans de telles thèses ne seront pas surpris d’être taxés d’ « éco-intégristes » puisque c’est de la fin des fondements de la démocratie dont il est question !
Pour résumer ce qu’il pense de cet ouvrage, C. Allègre reprend un vieil adage : « L’enfer est pavé de bonnes intentions »…
Le chapitre suivant s’éloigne de la simple personne de Nicolas Hulot pour élargir le propos à ce qu’il nomme « la secte verte ». Indépendamment de l’opinion que l’on peut se faire des propos avancés par C. Allègre, cette partie de l’ouvrage est particulièrement intéressante car elle tente d’appréhender selon plusieurs angles (philosophique, économique, religieux, psychologique, politique ou encore social) les fondements du mouvement écologiste actuel. Il repose selon Allègre sur plusieurs points :
- l’existence d’un « dogme » reposant sur la conviction que « la nature doit dominer l’homme » ce qui sous-tend l’aversion pour la croissance et le progrès (encouragement de la croissance zéro voire de la décroissance, lutte contre le nucléaire civil ou encore les OGM).
- une raison psychologique qui est le « besoin de croire en quelques chose » maintenant que le communisme est mort et le christianisme moins influent. L’écologie permet de lier les deux (idée de « péché originel » car l’homme est coupable de détruire la nature et de « société dominée par le collectif, par l’Etat » puisqu’il s’agit d’imposer des mesures très dures afin d’assurer à l’homme son salut et son bonheur.
- le rejet de toute opinion divergente, comme dans toute religion, non pas sur la base du savoir mais de la croyance : pour poursuivre l’image de Claude Allègre, celui qui n’adhère pas à la religion dominante est considéré comme un hérétique (par exemple le scientifique qui s’interroge sur la réalité du réchauffement climatique anthropique !).
- l’existence de « gourous » pour mener cette « secte verte » : par référence cinématographique encore, C. Allègre cite « le bon » = Nicolas Hulot, « la brute » = José Bové et « le truand » = Al Gore dont il dénonce à la fois le contenu de son film mais aussi ses contradictions, en particulier son mode de vie de milliardaire bien éloigné de la « frugalité » qu’il préconise (ainsi sa maison individuelle consommerait 20 fois plus d’énergie que la moyenne des maisons individuelles américaines selon un article de Newsweek rapporté par Claude Allègre…).
- cette « secte » serait aussi agressive dans les actes (démolition du Mc Do de Millau, arrachage des champs OGM) comme dans les paroles (dénigrement systématique des opposants) en vue d’imposer par la terreur ses préceptes.
- l’importance de l’ « éco-business » : l’auteur dénonce en particulier l’attitude des scientifiques qui, pour obtenir des crédits de recherche, sont prêts à toutes les compromissions.
- le danger représenté par le principe de précaution vidé selon l’auteur de sa substance initiale : désormais « l’évaluation scientifique » et la « prise en compte des problèmes économiques et sociaux afférents » auraient disparu. Ne serait restée que la peur du progrès, irraisonnée, qui conduit l’Europe, seule à avoir adopté ce principe, à l’immobilisme et à l’accentuation de son retard sur le plan international. Le risque zéro n’existe pas et il fait partie de la vie !
- une récupération politique, en particulier en France : beaucoup de militants d’extrême gauche (José Bové en tête) ont phagocyté le mouvement écologiste afin de faire passer leurs idées alter voire antimondialistes. C’est d’ailleurs l’argument évoqué par Patrick Moore, ancien dirigeant de Greenpeace, pour expliquer sa démission (voir par ailleurs l'analyse des controverses "Climat" à travers quelques vidéos internet).
Toutes ces considérations permettent à Claude Allègre, dans le chapitre V, de lancer son « pacte de croissance écologiste », contrepoint évident à celui de Nicolas Hulot. Les enjeux écologiques, réels, doivent être considérés comme des stimuli favorisant la croissance et le développement à l’inverse de ce qu’il a évoqué jusqu’à présent. Il s’agit donc de remettre l’homme, et non la nature, au centre des préoccupations.
Sa vision de l’écologie est déclinée dans les 7 chapitres suivants : C. Allègre se pose en défenseur des OGM, pointe du doigt d’enjeu majeur constitué par les réserves en eau, milite pour une sauvegarde de la biodiversité et une véritable prise en compte des problèmes écologiques spécifiquement urbains. Nous nous arrêterons sur les chapitres VI et VII intitulés « Le changement climatique » et « L’énergie : quelles mutations ? Quelles échéances ? » car ils touchent directement nos préoccupations.
Le chapitre concernant le changement climatique est le plus important de l’ouvrage (30 pages) : tout en dénonçant le fait que cette question est devenue « l’élément clé du débat politico-écologique actuel et la cause principale de la peur écologique », la place qu’il lui accorde montre bien que Claude Allègre est happé, comme les autres, par le déchaînement médiatique qu’il dénonce !
Il brise sur le sujet l’apparent consensus, jugé dangereux en science, et reprend la position et les arguments des « sceptiques » :
- parler de réchauffement global n’a pas de sens tant la variabilité géographique est grande et parfois contradictoire
- les modèles informatiques ne démontrent ce que l’on veut qu’ils démontrent !
- le fonctionnement de la machine atmosphérique est bien trop complexe pour pouvoir isoler le rôle d’un seul de ses composants, en l’occurrence le CO2
- comme le montre un article publié dans Science en mars 2003, la relation entre taux de CO2 et température serait inverse : les variations de la température précèdent celles du CO2 ce qui exonère l’implication humaine dans le réchauffement actuel et met à bas le postulat de départ !
C. Allègre parle ainsi de « propagande » sur cette question du réchauffement global anthropique. Il dénonce par la même occasion le fonctionnement du GIEC accusé d’écarter tout scientifique porteur d’une opinion divergente (voir par ailleurs l'analyse des controverses "Climat" à travers quelques vidéos internet) et la majorité des journalistes qui, emportés par la vague catastrophiste, ne font que l’amplifier.
Claude Allègre rend aussi compte de thèses défendues par des scientifiques qui n’ont pas, selon lui, la diffusion qu’elles méritent :
- Richard Lindzen du MIT considère les variations actuelles comme faibles et résultant d’interactions et rétroactions complexes, mal comprises, entre les nuages, la vapeur d’eau et les différents aérosols.
- Fred Singer (université de Virginie) pose la question suivante : le réchauffement au Moyen Age a été plus important qu’aujourd’hui alors que le taux de CO2 était bien plus faible. Les causes sont donc naturelles.
- Marcel Leroux (Université Lyon III) : la différence de températures entre les pôles et les tropiques commande les paramètres climatiques fondamentaux, en particulier les évènements extrêmes comme les tempêtes (Allègre fait ici implicitement référence aux Anticyclones Mobiles Polaires découverts par Leroux). Ces évènements se renforcent ce qui montre que le gradient Nord-Sud ne s’affaiblit pas contrairement à la théorie du réchauffement climatique.
A la suite du danois Svensmark, Allègre est convaincu du rôle prépondérant joué par les variations du rayonnement cosmique et solaire qui, en commandant la formation des nuages, conditionnent aussi les températures terrestres.
L’auteur s’interroge enfin, quand bien même le réchauffement serait une réalité, sur son aspect « catastrophique » : il aurait probablement aussi du bon (hausse des rendements agricoles dans les hautes latitudes par exemple).
Ainsi si C. Allègre ne nie pas la réalité du changement climatique (en particulier l’augmentation des phénomènes extrêmes), il fait preuve d’esprit géographique en insistant sur la nécessité de prendre en compte des échelles locale ou régionale qui montrent des évolutions parfois contradictoires avec celles supposées à l’échelle mondiale (opposition microcosme / macrocosme). Il réclame également une diminution des émissions de CO2 non pas au nom de la lutte contre le réchauffement climatique mais simplement de la pollution. Il revendique enfin le droit au doute dans un domaine où les certitudes n’existent pas compte-tenu de la complexité des phénomènes.
A propos de la question purement énergétique, C. Allègre s’en tient au départ à un état des lieux classique des ressources et de leur longévité en ce qui concerne les énergies fossiles.
Les solutions qu’il préconise afin de poursuivre le développement des sociétés tout en tenant compte des impératifs écologiques ne sont pas révolutionnaires mais tout de même éloignées de préceptes de ce qu’il nomme « la secte verte » :
- poursuivre les recherches sur le nucléaire (surgénérateur) où la France possède un savoir faire envié
- développer les technologies de voitures propres (hybrides, électriques)
- développer les techniques de séquestration du CO2
- encourager les recherches sur les énergies renouvelables sachant qu’elles ne peuvent être que des énergies d’appoint.
Il s’agit donc de substituer à une logique de restriction une logique d’innovation permettant de poursuivre le développement.
Au final la lecture de cet essai nous convainc d’une chose : sur la question écologique et en particulier climatique, tout est question de croyance du côté des « écologistes orthodoxes » dénoncés par Allègre comme des sceptiques : en effet chacun cite en référence telle ou telle étude pour justifier ses affirmations. Rationnellement il n’est pas possible d’accorder plus de crédit à l’une qu’à l’autre puisque toutes ces publications, sérieuses, menées par des chercheurs reconnus, méritent notre confiance. Notre conviction résulte donc de notre foi construite au fil de notre existence qui fait soit que l’on va « croire » que le facteur explicatif majeur dans les changements climatiques est le CO2 soit qu’il faut faire intervenir d’autres facteurs comme les variations solaires et la nébulosité.
Les points de vue sont donc inconciliables et le dialogue impossible : « Une vérité qui dérange » clame Al Gore. « Ma vérité sur la planète » lui répond Claude Allègre. Cela en fait une de trop ! Ou peut-être deux…