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Les fonctions des protéines P53 normale et mutantes

Par Naoum Salamé Dernière modification 31/07/2022 07:57

Les fonctions des protéines P53 normale et mutantes

Le gène P53 situé sur le bras court du chromosome 17 code pour une protéine nucléaire de 393 acides aminés. Lorsque la cellule n’est pas soumise à un stress, la concentration cellulaire de la protéine P53 est très faible. Cela est dû à ce que la demi-vie de la protéine est très courte, de l’ordre de 5 à 10 minutes. Autrement dit, la protéine P53 est dégradée très peu de temps après avoir été synthétisée. Le rôle de la protéine P53 dans la cellule non soumise à un stress est relativement mineur.

La cellule peut être soumise à des stress variés (stress causé par des altérations de l’ADN dues à des agents génotoxiques, stress dû à l’activation d’oncogènes, stress causé par l’hypoxie), ou à une privation métabolique. C’est dans la réponse à ces stress que la protéine P53 joue un rôle fondamental. On constate dans ce cas une augmentation de la concentration de la protéine P53 qui peut être de l’ordre de 15 à 20 fois sa concentration normale. Cette augmentation n’est pas due à une transcription plus forte du gène P53 mais à une stabilité accrue de la protéine causée par une forte diminution de sa dégradation. En outre, la protéine P53 subit des modifications post-traductionnelles qui font qu’elle est plus active. Ces modifications sont en particulier des phosphorylations au niveau de résidus sérine et thréonine de la molécule. Autrement dit, par des voies métaboliques complexes, le stress cellulaire modifie quantitativement et qualitativement la protéine.

Le gène P53 code pour une protéine P 53 qui est un facteur de transcription, c'est-à-dire qui se lie à des séquences bien définies dans la région régulatrice de nombreux gènes pour en activer l’expression. Les gènes cibles sont très nombreux. Les plus importants sont ceux qui contrôlent le déroulement du cycle cellulaire, notamment sa progression de la phase G1 à la phase S, ceux qui interviennent dans la réparation de l’ADN, ceux qui déclenchent l’apoptose, c'est-à-dire un suicide cellulaire. La protéine P53 activée suite à des altérations de l’ADN, active ainsi l’expression de gènes qui, directement ou indirectement, bloquent le cycle cellulaire en phase G1 et activent ceux qui assurent la réparation des lésions de l’ADN.  Si les altérations de l’ADN sont trop importantes pour être réparées, la protéine P53 active la voie métabolique qui conduit à l’apoptose de la cellule.

Ces informations générales sur les fonctions de la protéine P53, sont donc conformes à ce qu’on peut attendre d’un gène suppresseur de tumeur.

Dans plus de 50% des tumeurs, les cellules cancéreuses possèdent au moins un allèle muté du gène P53. Cela suggère une implication de ce gène dans la cancérisation de la cellule. Les mutations sont situées tout au long de la séquence codante, mais la grande majorité d’entre elles sont situées dans la région de la séquence qui code pour le domaine de la protéine qui se lie à L’ADN.

Les protéines P53 mutantes se dégradent beaucoup moins vite que la protéine normale, ce qui fait que leur concentration dans la cellule  est très nettement supérieure à celle de la protéine normale. C’est d’ailleurs à cause de cela que le gène P53 a été considéré durant les années 80 comme un proto-oncogène qui, muté, devenait oncogénique.

Actuellement, on sait que les protéines mutantes ont une activité transcriptionnelle très réduite par rapport à la protéine sauvage. Elles se lient mal à l’ADN des séquences régulatrices des gènes cibles. En conséquence, dans une cellule qui a subit un stress causé par des lésions de l’ADN ou dû à l’action d’oncogènes, les protéines P53 mutantes n’activent pas l’expression des gènes qui assurent  l’arrêt du cycle cellulaire en phase G1, ni ceux qui assurent la réparation de l’ADN. Il y a donc une perte de fonction des protéines mutantes par rapport à la protéine normale, ce qui conforte le gène P53 comme gène suppresseur de tumeur. Cette perte de fonction peut faciliter la cancérisation de la cellule.

Cependant, le gène P53 a des caractéristiques différentes de celles des  autres gènes suppresseurs de tumeurs dont le prototype est le gène RB. Chez ces gènes, la perte de fonction de la protéine qu’ils codent est due à des mutations ponctuelles non-sens, des délétions ou insertions qui entraînent l’apparition d’un codon stop anticipé. En conséquence, les protéines mutantes de ces gènes sont très raccourcies, rapidement dégradées. En revanche, la majorité des mutations affectant le gène P53 sont ponctuelles et  faux sens entraînant la substitution d’un acide aminé par un autre.

Les protéines mutantes P53 ont la même longueur que la protéine normale et on a vu qu’elles sont plus stables. Des études récentes ont conduit à la conclusion que certaines de ces protéines P53 mutantes exercent de nouvelles activités au sein de la cellule par rapport à la protéine normale. On peut parler de gain de fonction. Ainsi, l’expression du gène P53 porteur de mutations ponctuelles faux sens va au-delà de la simple perte de fonction et elle augmente considérablement le potentiel oncogénique des cellules tumorales. Il semble que ce soit important dans l’évolution des tumeurs et dans celle des phénotypes des cellules tumorales.

On revient ainsi à l’idée de P53 comme oncogène, exprimée durant les années 80. Plus précisément la fonction normale du gène P53 est d’être un gène suppresseur de tumeurs assurant l’intégrité du génome de la cellule. Muté, le gène P53 perd cette fonction mais certaines des mutations faux sens du gène font qu’il se comporte comme un oncogène. On saisit l’importance de P53 dans l’évolution du processus cancéreux car muté (certaines mutations) il perd sa fonction de gardien du génome et acquiert celle d’être un oncogène.