Exploitation. 6. L’immunoediting des cancers
III - Exploitation des documents
Immunité antitumorale
6. L’immunoediting des cancers
a - Naissance du concept
Au cours des années 1990 et 2000, Schreiber et son équipe (A critical analysis of the tumour immunosurveillance controversy for 3-MCA-induced sarcomas) ont étudié les conséquences de l’injection d’un carcinogène chimique, le méthylcholanthrène (MCA), sur des souris syngéniques, les unes « sauvages » immunocompétentes, les autres rendues immunodéficientes, notamment par une déplétion des lymphocytes T. Les résultats de ces expériences les ont amenés à proposer une révision de la notion d’immuno surveillance, en l’intégrant dans un concept plus large, celui de l’immunoediting des cancers (édition des cancers par le système héréditaire). Ce concept vise à rendre compte des interactions entre le système immunitaire et la tumeur au cours de développement de celle-ci.
b - Les rôles du système immunitaire à la base du concept d’immunoediting
Le concept repose sur le double rôle du système immunitaire à la fois protecteur de l’organisme contre les tumeurs et promoteur de la croissance tumorale. L’intensité de ces deux actions varie au cours du développement de la rumeur, ce qui a conduit les immunologistes à reconnaître trois phases dans l’immunoéditing (document 7a : l’élimination, l’équilibre, l’échappement – « les 3 E ».
c - Arguments soulignant les rôles du système immunitaire
- Rôle protecteur
Les données expérimentales du document 3a montrent que, suite à l’injection du carcinogène MCA, la fréquence des tumeurs est plus forte chez les souris immunodéficiences, ainsi que leur précocité, que chez les souris immunocompétentes. C’est un fort argument en faveur du rôle protecteur du SI (système immunitaire). Le document 7b1 où des souris immunocompétentes n’ont pas eu de tumeurs pendant 200 jours à la suite d’une injection de MCA à faible dose, mais en subissent lorsqu’on rend leur SI immunodéficient suite à une déplétion des lymphocytes T, est aussi une confirmation du rôle protecteur du SI. Les lymphocytes TCD8 cytotoxiques sont les cellules effectrices qui assurent ce rôle protecteur.
- Rôle promoteur de la croissance tumorale
Les immunologistes de l’équipe de Schreiber ont étudié le phénotype, en particulier l’immunogénicité des cellules des rumeurs formées chez des souris immunocompétentes et chez des souris immunodéficientes syngéniques, suite à l’injection de MCA. Ils ont trouvé une différence qualitative entre les tumeurs des deux lots de souris. Les cellules des tumeurs formées chez les « immunocompétentes » «étaient nettement moins immunogènes que celles des « immunodéficientes ». Une première conclusion est que l’action du SI contribue à diminuer l’immunogénicité des cellules des tumeurs.
Comme l’action destructrice du SI sur les cellules tumorales est faible lorsque leur immunogénicité est réduite (voir le paragraphe sur l’échappement) on arrive à la conclusion que les cellules d’une tumeur cliniquement décelable, sont résistantes à l’action du SI.
Cette faible immunogénicité des tumeurs visibles est la conséquence de l’action du SI. Les tumeurs dans les premiers temps de leur croissance, sont constituées par des populations de cellules plus ou moins immunogènes en fonction des antigènes tumoraux qu’elles possèdent et de la densité des molécules du CMH à leur surface. Le SI exerce une sélection « darwinienne » en éliminant les cellules les plus immunogènes. Il en résulte qu’au cours du temps la tumeur est surtout formée de cellules peu immunogènes résistantes à l’action du SI et qu’ainsi ce dernier promeut la croissance tumorale.
d - Les trois phases de l’immunoediting
Les actions du système immunitaire sur les tumeurs évoluent au cours du temps. Pour en rendre compte, Schreiber et son équipe ont proposé que la cancérogenèse dans sa version complète se déroule en trois phases illustrées par le document 7a.
La phase d’élimination, version de l’immunosurveillance dans l’immunoediting, est précédée par la transformation des cellules normales en cellules tumorales suite à des mutations de proto-oncogène (Ras) et de gènes suppresseur de tumeurs (P53, Rb), mutations spontanées ou induites par différents facteurs. Le document traduit l’effet protecteur du SI durant cette phase car elle aboutit à un retour à une structure normale. Si toutes les cellules tumorales sont éliminées, le processus d’immunoediting est terminé. Le document indique que des cellules de l’immunité innée, les cellules NK interviennent durant cette phase mais le rôle majeur d’élimination des cellules tumorales revient aux cellules TCD8 effectrices de l’immunité à médiation cellulaire.
Si quelques variants des cellules tumorales survivent à la phase d’élimination, on entre dans la phase d’équilibre qui peut durer de très nombreuses années. Durant cette phase, il n’y a pas de tumeurs visibles, cliniquement apparentes, mais des cellules tumorales persistent dans l’organisme. Il y a un équilibre entre la production de nouvelles cellules tumorales par mitoses et l'élimination de cellules tumorales par le SI. La réalité de cette phase est bien traduite par les données du document 7b3 sur le cas clinique. Suite à la transplantation rénale reçue d’un même donneur, les deux personnes « transplantées » ont développé un mélanome. Les analyses ont révélé que leurs cancers provenaient de cellules du donneur donc du rein transplanté. Le donneur avait eu un mélanome 16 ans auparavant, qui avait été éliminé chirurgicalement. Durant ces 16 années le donneur n’avait pas eu de récidive de tumeur cancéreuse bien que des cellules tumorales persistaient chez lui. Elles ont été transmises par la transplantation rénale aux deux patients chez qui elles ont engendré des tumeurs visibles à cause du traitement immunosuppresseur reçu pour éviter le rejet du rein transplanté. La phase d’équilibre chez le donneur avait duré jusqu’à son décès survenu 16 ans après le traitement de son mélanome, décès non dû à un cancer.
Les données expérimentales du document 7b1 confortent aussi la réalité de la phase d’équilibre en considérant le cas des souris immunocompétentes chez qui on a injecté un carcinogène. Elles n’ont développé des tumeurs qu’après avoir rendu leur SI immunodéficient et cela sans nouvelle injection du MCA. Les tumeurs apparues provenaient de cellules tumorales formées suite à l’action du MCA mais qui n’engendraient pas de tumeurs visibles à cause de l’action du système immunitaire.
Le document 7a précise que cette phase d’équilibre est caractérisée par l’instabilité génétique des cellules tumorales donc par de nouvelles mutations et par la sélection immunitaire. Cela peut être à l’origine de cellules tumorales peu ou pas antigéniques invisibles pour le système immunitaire. On entre alors dans la phase d’échappement où l’action du SI est insuffisante pour s’opposer à la croissance des cellules tumorales qui forment des tumeurs visibles.