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Eléments de réflexion philosophique sur le climat (Terminale S ES L)

Par Anne Chemin-Roberty Dernière modification 15/01/2019 16:02

Présentation

  • L'anthropocène : une révolution géologique d'origine humaine, par Jean-Baptiste Fressoz. Conférence présentée le 29 avril 2015 lors de la journée organisée par l'Agence de l'Eau à l'Ens de Lyon Adaptation au changement climatique

Ecouter la conférence et Télécharger le diaporama

Quelques éléments de réflexion (notamment philosophique) sur la question du changement climatique

par Vincent Charbonnier, Ifé-Ens de Lyon.

Une version mise en page au format PDF de cette contribution est disponible sur le portail des Archives ouvertes de l'ENS de Lyon à l'adresse : https://hal-ens-lyon.archives-ouvertes.fr/ensl-01214883.

« La plupart de nos maux physiques sont encore notre ouvrage. Sans quitter votre sujet de Lisbonne, convenez, par exemple, que la nature n’avait point rassemblé là vingt mille maisons de six à sept étages, et que si les habitants de cette grande ville eussent été dispersés plus également, et plus légèrement logés, le dégât eût été beaucoup moindre, et peut-être nul. […] Vous auriez voulu, et qui ne l’eût pas voulu ! que le tremblement se fût fait au fond d’un désert plutôt qu’à Lisbonne. Peut-on douter qu’il ne s’en forme aussi dans les déserts ? mais nous n’en parlons point, parce qu’ils ne font aucun mal aux Messieurs des Villes. »
J.-J. Rousseau, Lettre à Voltaire du 18 août 1756

1/ De quoi le « changement climatique » est-il le nom ? ou De quoi parle t-on quand on parle de « changement climatique » ?

2/ Quel est, au fond, le problème du changement climatique ?

3/ De la responsabilité et de l’obligation

Préalables

Avant de développer ces questions mais afin de les « asseoir » théoriquement, je voudrais formuler une série de thèses préalables :

a) Le climat est une réalité objective qui dispose d’une autonomie relative vis-à-vis des humains que nous sommes (question d’échelle).

b) Le climat est une réalité dynamique ou mieux, historique, et plus exactement encore objectivement historique, c’est-à-dire qu’il « possède » une autonomie relative à l’égard des hommes. Cela signifie, concrètement dit, que le ou plutôt les climats actuels n’ont pas toujours existé tels que nous les vivons et les connaissons aujourd’hui. La grande difficulté à laquelle nous sommes confrontés réside en ce que son historicité n’est pas située à la même échelle spatio-temporelle que celle du quotidien des humains, ni, sans doute non plus, à la même échelle spatio-temporelle que celle des sociétés humaines [1].

c) l’histoire humaine est à double face, simultanément et indissociablement, objective et subjective. Objective parce que les êtres humains sont des êtres naturels vivants objectifs, qu’ils sont une partie de la nature et par conséquent soumis à ses lois générales et particulières. Subjective en ceci que cette singularité « naturelle » (zoo-biologique) est redoublée par le caractère nativement social (et culturel) de l’espèce humaine puisque, comme l’écrit Aristote dans Les Politiquesl’être humain est par nature un animal politique (zôon politikon). J’y reviens plus bas.

[1]. L’histoire objective du climat est en fait une fraction de l’histoire objective de notre planète, une histoire qui nous précède et nous excède, qui nous inclut donc nécessairement. Cf. ce qu’écrit Marx dans le livre 1 du Capital (Paris : Éd. Sociales, 1983, p. 417, n. 89) : « Darwin a attiré l’attention sur l’histoire de la technologie naturelle, c’est-à-dire sur la formation des organes des plantes et des animaux en tant qu’instruments de production de la vie des plantes et des animaux. Mais l’histoire de la formation des organes productifs de l’homme social, de la base matérielle de toute organisation particulière de la société, ne mérite t-elle pas la même attention ? Et ne serait-elle pas plus facile à exposer, puisque, comme le dit Vico, l’histoire des hommes se distingue de l’histoire de la nature en ce que nous avons fait l’une et pas l’autre ? La technologie révèle le comportement actif de l’homme vis-à-vis de la nature, le procès immédiat de production de sa vie, donc aussi des conditions sociales de son existence et des conceptions intellectuelles qui en découlent. » 

De quoi le « changement climatique » est-il le nom ? ''ou'' De quoi parle t-on quand on parle de « changement climatique » ?

Quand on parle de « changement climatique » que désigne t-on par là ? On dénote une réalité qui est la relation systémique de plusieurs faits objectifs et en particulier, l’augmentation de la température moyenne globale à la surface du globe – laquelle est une construction le résultat d’un calcul [1] –, augmentation qui s’atteste, objectivement, dans les phénomènes de rétrécissement de la banquise et de fonte des glaces. Bref, on constate à l’échelle topologique de la planète, des changements significatifs, qui se sont produits sur une échelle de temps (ou dans une intervalle) assez courte ou ramassée du point de vue de l’histoire objective générale de notre monde, c’est-à-dire aussi depuis que nous pouvons objectiver ces faits, les mesurer, etc., bref, en faire la science…

De cet ensemble de faits, se déduisent plusieurs assertions ou hypothèses :

a) mes activités humaines ont des effets objectifs sur le climat de la planète, notre planète ;

b) ces effets objectifs sont à grande échelle de temps et de lieu ;

c) ils sont « majorants », au sens où ils bouleversent ou transforment fortement, voire radicalement (c’est-à-dire à la racine), une situation antérieure donnée, laquelle a valeur de norme, eu égard aux échelles de temps et de lieu évoquées plus tôt.

Cet ensemble de faits contracté(s) dans l’expression de « changement climatique » signale en outre un point important, sur lequel C. Bonneuil et J.-B. Fressoz, dans leur ouvrage, L’Événement anthropocène : la Terre, l’histoire et nous (2013), insistent avec force : l’homme, ou mieux, l’humanité, s’est constitué-e comme « une force géologique majeure » (p. 19).

Pour le dire autrement et de manière plus large :

a) l’humanité s’est – de manière réflexive donc – non seulement auto-constituée – pour insister ici sur le caractère profondément autonome (i. e. non-hétéronome) et réflexif de cette constitution – comme une époque géologique à part entière : « l’Anthropocène » ;

b) elle a collectivement acquis ou plutôt construit ce pouvoir, cette capacité objective (et effective) de transformer, radicalement et rapidement, le climat de sa planète, sans en avoir pour autant pensé ou anticipé les conséquences prévisibles, et sans non plus pouvoir les penser au futur, autrement que sur le mode de la pré-vision, par définition incertaine, d’autant plus à ces échelles de temps et d’espace.

Cela signifie au moins trois choses.

1 / L’efficace des activités objectives humaines sur la planète a fait que l’humanité s’est hissée à la hauteur d’entités qu’elle pensait auparavant infiniment plus grandes, plus immenses, transcendantes en un mot. Dit autrement et de manière imagée, bien que sans aucune arrière-pensée, l’humanité s’est collectivement faite Dieu [2]. Et ce hissage s’est fait de manière non-consciente : il n’a pas été opéré se sachant comme tel. Jamais, peut-être, l’humanité n’avait jusqu’à présent, pensé que la résultante objective de ses activités la ferait se hisser à cette « hauteur ». Elle ne pouvait donc naturellement pas non plus réfléchir à ses conséquences et à leur ampleur [3].

2 / Le « changement climatique » est donc un produit objectif des activités humaines et par conséquent aussi un produit foncièrement historique et même historiquement humain. En ce sens, ce changement relève de la responsabilité des hommes et n’a donc rien d’une fatalité religieuse ou cosmique. Il ne s’agit pas d’une « ruse » de la Raison surnaturelle/divine (« aux lieux du péril/croît aussi ce qui sauve », écrit le poète romantique allemand F. Hölderlin dans son poème Patmos), laquelle punirait ainsi, une seconde fois l’hubris (la démesure) de l’homme, celle-ci étant désormais augmentée d’une dimension collective. Il ne s’agit pas non plus d’une « cage d’acier » au sens que le sociologue M. Weber donne à ce terme, comme étant le produit objectivement nécessaire de la modernité, entendue comme un procès de dés-enchantement du monde (de dé-magification si on voulait traduire littéralement l’expression « Entzäuberung der Welt»).

3/ Le « changement climatique » actuel, celui que nous éprouvons concrètement et dont nous faisons aujourd’hui la science, a ceci de problématique que les bouleversements qu’il dénote, et qui sont induits par les activités humaines, consistent d’abord dans la déstabilisation d’un modèle établi qui a valeur de norme, en raison de son échelle spatio-temporelle. Ceci est redoublé par le fait, probablement angoissant à l’échelle d’une vie humaine, que rien ne dit que la dé-stabilisation ainsi engagée sera apocalyptique au sens eschato-théologique, d’une fin absolue et définitive de notre monde [4]. C’est la difficile question de ce que l’on pourrait nommer la « résilience » de la planète, c’est-à-dire sa capacité de réparation, d’auto-réparation des « dégâts » que lui causent les activités humaines, capacité par définition systémique et qui, inclut en outre ontologiquement, l’homme. Ainsi que le rappelle pertinemment F. Engels : « Et ainsi les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein et que toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement. » [5] Or, recourir trop rapidement et facilement, à cette présomption de résilience, équivaut à un report ou un débord commode sur le futur – « qu’on ne peut pas arrêter » annonce fièrement un slogan publicitaire (ce qui n’est pas anormal puisqu’il n’existe pas encore…) – ce qui n’est pas non plus satisfaisant. Pour paraphraser le philosophe hollandais B. Spinoza, on dira que, pas plus qu’« on ne sait ce que peut le corps », on ne sait ce que peut la Terre.

On le voit, la question du climat est donc une question fondamentalement humaine. Car c’est bien au nom et grâce à la connaissance de son histoire objective que l’humanité se pose la question de son avenir – de son à-venir –, et des conséquences objectives de ses activités sur la Terre qui est sa « nourrice » et sa nourriture – « notre mère la Terre » comme le chante Alain Souchon dans Pardon (premier titre de son album Au ras des pâquerettes' paru en 1999)

[1]. Ceci dit sans aucune intention fallacieuse ou explicite de remettre en cause la vérité objective de ce constat dont cette moyenne est l’expression.

[2]. Ce qui, au passage, ruine peut-être l’idée même de transcendance métaphysique. La seule transcendance qui « nous » reste c’est la transcendance physique au fond, anthropo-biologique (toute la thématique de la « post-humanité ») ou alors la « nouvelle frontière » spatiale (la planète Mars…). [3]. Plutôt que de conséquences, on devrait parler, comme W. Churchill, de « periodes of consequences »… [4]. Nous avons peut-être oublié que « l’hiver nucléaire » (cf. l’article de R. P. Turco et alii, 1983) comme résultat d’une guerre nucléaire massive a pu, un temps figurer, cette « fin du monde », ce dont le cinéma, en particulier nord-américain des années 1960-1970, s’est saisi, accréditant par la force de l’image (cf. infra), la possibilité réelle d’un anéantissement généralisé. [5]. F. Engels dans « Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme » (1876). In Dialectique de la nature. Paris : Éd. Sociales, 1975, p. 180-181. Cf. aussi la citation liminaire de Rousseau.

Quel est, au fond, le problème du changement climatique ?

Le problème est en fait multiple. De manière plutôt immédiate et émotionnelle [1] ce sont bien sur les conséquences des événements climatiques extrêmes sur les biens et les personnes qui nous affectent. Mais sur ce point, et comme l’ont d’ores et déjà indiqué de nombreux scientifiques, il n’est pas sur que la fréquence de tels événements soit en hausse significative par rapport aux années précédentes. Or – et on est ainsi reconduit à la question des usages politiques des passions que nous venons d’évoquer –, le régime médiatique actuel de la politique doit conduire à nous interroger, collectivement et réflexivement, sur l’information instantanée – au vrai, une pure et simple communication, intransitive de surcroît, une pure monstration en fait – qui fausse notre regard sur la réalité objective de ces catastrophes, et en particulier sur leur fréquence et leur ampleur. L’effet de contraste, instauré par l’immédiateté communicationnelle, dont l’image, et la fascination répulsive dont elle est porteuse, est le ressort intime et qui est certainement aussi à l’origine d’un puissant effet de sur-focalisation, une myopie revendiquée comme augmentation de la vision.

Ce sont donc les dégâts matériels et humains, mais aussi, et surtout les coûts économiques de ces catastrophes, au sens étymologique de bouleversement, qui sont pointés – et dont il est remarquable de constater que c’est sur eux que l’accent est d’abord mis au plan médiatique. Du coup, la question qui se pose doit être celle de l’organisation économique de la production des moyens de notre subsistance (laquelle est aussi et de manière indissociable politique, sociale, culturelle, etc.), notre subsistance c’est-à-dire les moyens matériels objectifs de maintien et de persévérance de notre existence biologique-sociale (se nourrir, etc.) [2].

Si on élargit encore la perspective, on saisit alors le caractère vital, objectivement et donc ontologiquement vital pour dire précisément les choses, de cette interrogation. Car in fine c’est la pérennité de l’humanité et plus largement encore la possibilité même de la vie sur Terre, la vie humaine incluse, qui est posée. Si donc on résume, en resserrant à l’extrême le regard, le problème majeur du changement climatique, est celui de la possibilité d’extinction en acte, et non plus seulement potentiellement (virtuellement), de la possibilité de la vie humaine sur Terre. Par voie de conséquence, c’est la question, ô combien majeure et difficile, de la responsabilité, que la réflexion philosophique sur l’éthique prend à sa charge (quoique de manière non-exclusive).

[1]. En mauvaise part du terme, d’usages politiques possibles de ces passions, et dans un sens qui n’est pas forcément irrationnel mais plus subtilement -raisonnable (voir infra et aussi le beau livre du philosophe italien R. Bodei, Géométrie des passions : peur espoir, bonheur : de la philosophie à l’usage politique. Paris : puf, 1997).

[2]. Cette organisation a un nom, le capitalisme, et une logique interne, celle du profit pour le profit, de la valeur pour la valeur, la satisfaction de besoins humains venant par surcroît.

 De la responsabilité et de l’obligation, de l'humanité et de la nature

« le chœur : Il est bien des merveilles en ce monde, il n’en est pas plus grande que l’homme.

Il est l’être qui sait traverser la mer grise, à l’heure où soufflent le vent du Sud et ses orages, et qui va son chemin au milieu des abîmes

que lui ouvrent les flots soulevés. Il est l’être qui tourmente la déesse auguste entre toutes, la Terre,

la Terre éternelle et infatigable, avec ses charrues qui vont chaque année la sillonnant sans répit, celui qui la fait labourer par les produits de ses cavales. »

Sophocle, Antigone [1]

La question de la responsabilité humaine dans une perspective « écologique » – ce dernier terme volontairement entendu au sens large, désignant donc la problématique politique autant que le domaine scientifique proprement dit (cf. Acot, 1988 ; Deléage, 1991 et Canguilhem, 1974/2000) – a été (re-)posée et à nouveaux frais par la publication de deux ouvrages publiés à l’orée des années 1990 en France. Il s’agit d’abord de l’ouvrage du philosophe allemand Hans Jonas (1903-1993), Le Principe responsabilité : [Essai d’]une éthique pour la civilisation technologique [2], lequel a initialement paru en 1979 (cf. Jonas, 1990) et de l’essai de Michel Serres, intitulé Le contrat naturel (Serres, 1990).

Sans a priori se limiter à ces deux ouvrages, ils sont toutefois emblématiques d’une re-considération, dans la sphère occidentale en tout cas, de la question écologique lato sensu. C’est la raison de leur mise en exergue, comme témoins de cette (re)considération et d’avoir contribué à remettre ainsi, à un relatif premier-plan, les thèmes de la responsabilité et de l’obligation de l’homme (l’humanité) vis-à-vis de son environnement, ou mieux, de son « milieu », ce que l’homme lui-même est aussi [3].

Ces questions sont pleinement anthropologiques et même, ce qui en est la conséquence, profondément ontologiques – en précisant aussitôt que la dimension ontologique doit être conçue dans un sens historico-matérialiste et non pas spéculatif. Ontologiques en ce qu’elles interrogent l’être de notre humanité et plus exactement, notre être-en-commun, son sens, sa signification autant que sa direction, en ce qu’elles interrogent également le sens et la portée de nos activités objectives terrestres, profondément terrestres. Ces interrogations valent tout autant pour l’assiduité humaine à partir à l’assaut de la voûte étoilée – l’une des trois raisons d’espérer selon Kant.

Par contraste, cette dimension « supra-lunaire », insiste sur la « terrestréité » de la question du changement climatique, qui ne doit donc pas être occultée ni mésestimée, notamment parce qu’elle apparaît comme un exit possible à une planète qui serait devenue humainement inhabitable (et cela en raison même des activités humaines) [4]. Et quand bien même elle apparait techniquement problématique aujourd’hui, cette possibilité de fuite doit être interrogée et doit aussi, réflexivement, nous interroger.

La question de la responsabilité et donc de l’obligation, qui lui est intimement nouée, sont donc (re)venues au centre de l’agenda, notamment politique et aussi médiatique – lequel est au fond le revers ou l’autre face du premier, de la même pièce. Dans cette perspective, un premier fait à relever, qui doit immédiatement nous interroger, est celui que le discours politique-médiatique dominant, parle de « devoir », d’« obligation », et parfois aussi, avec une nuance délibérée de dramatisation, d’« impératif » de l’humanité, au niveau planétaire donc, à l’égard de la, de sa planète (le possessif est révélateur). Cette affirmation d’une « collectivité » de la responsabilité/obligation humaine se délivre comme une globalisation à bon compte dans l’imputation des causes du « changement climatique ».

À bon compte en ceci qu’elle se pare volontiers de l’ampleur des phénomènes de « changement climatique », en particulier de leur échelle et de leur effectivité, spatiales et temporelles, pour finalement s’y retrancher. Plus exactement, cette (autre) globalisation de la responsabilité qui apparaît ici fort opportune, ne tend t-elle pas à occulter la pluralité, et plus encore, la hiérarchie des causes et des responsabilités de ces changements climatiques ? Autrement dit, et sur un mode plus interrogatif, que peut signifier une responsabilité collective ? En quoi réside ou peut résider le caractère collectif de la responsabilité ? Chacun des membres de cette collectivité est-il également, c’est-à-dire de manière égale, responsable ? (Sur cette question, voir le texte de M. Neuberg, 1997)

C’est aussi poser, en d’autres termes, la question de savoir si l’humanité n’est qu’une idée régulatrice ou un concept, ou si elle n’est pas d’abord, une réalité matérielle objective, qui est précisément le support à sa conceptualisation comme idée et qui sert d’appui à cette exigence de responsabilité-obligation ? Il me semble que l’humanité n’est pas qu’une idée, mais bien une réalité objective et – c’est à mon sens le point essentiel – une réalité objective, économiquement, socialement, culturellement, etc., non seulement plurielle, mais différenciée et stratifiée. Peut-on ainsi mettre sur un même plan, une entreprise multinationale, ou plutôt trans-nationale et un pêcheur sénégalais, un exploitant agricole italien et l’industrie indienne ? Il y a bien, me semble t-il, et qu’on le déplore ou non, des « niveaux d’humanité », tant historiquement que spatialement, lesquels sont corrélés à des niveaux de dignité variables (cf. D. Fassin, 2010), des humanités au sein de l’humanité en somme [5].

En outre, il ne s’agit pas seulement d’un argument théorique au plan éthique-moral mais d’une question pratique. Car pour être réellement efficiente, pour n’être pas que verbale, la responsabilité ne peut en rester au stade d’une généricité globale mais doit être concrétisée, exigeant de ne pas occulter la réalité actuelle de l’humanité, une humanité certes plurielle mais aussi fractionnée, en mauvaise part, c’est-à-dire, « jetable » (Ogilvie, 1995) ou « superflue » (Tosel, 2008 & 2011). Il n’est pas vrai que nous avons toutes et tous le même pouvoir d’agir.

De ce qui précède, il ressort une autre interrogation celle de savoir ce que peut signifier une responsabilité-obligation à l’égard de la nature ? Et cette question en ouvre simultanément plusieurs autres, qui lui sont étroitement nouées. En premier lieu définir ce qu’est ou ce qu’on entend par responsabilité et par obligation. Et en second lieu, et de manière encore plus large, ce qu’est ou ce qu’on entend par nature et par homme. On le voit l’interrogation devient alors potentiellement vertigineuse. Je me limiterai donc ici à la question de la responsabilité et de l’obligation, en précisant toutefois qu’elles apporteront un éclairage sur les autres questions et qu’elles permettront enfin d’apprécier les idées défendues par H. Jonas et M. Serres sur lesquelles je reviendrai in fine.

De la responsabilité

Sans dévoluer à l’étymologie le droit exclusif de rendre raison de la sémantique, elle a cependant l’intérêt de souligner les différentes significations d’un mot qui y sont sédimentées. Et le terme de responsabilité a déjà ceci d’intéressant que, en allemand (Verantwortung) autant qu’en français, il est forgé sur une racine de même valeur sémantique : antwort, « réponse ». Le terme « responsabilité » est en effet dérivé de « responsable » lui-même dérivé du latin responsum, supin de respondere pris au sens de se porter garant [6]. Un premier point donc est que la responsabilité relève donc du champ sémantique du « répondre ».

Précisément, « répondre » (d’abord orthographié « responsdre ») est, à l’origine, un terme de la langue religieuse [7], qui signifie « remplir un engagement pris solennellement », puis « répliquer par oral ou par écrit », « se présenter à un appel », « être à la hauteur de », etc., dimension d’engagement qui se retrouve dans la construction « répondre de », au sens de « se porter garant d’une chose ».

La sémantique de « responsable » reprend donc cette idée de se porter garant qui se retrouve également dans le terme de « responsabilité » qui en est dérivé. Apparu à la fin du XVIIIe siècle en français, ce terme a en fait subi l’influence sémantique de l’anglais responsibility. Relevant du lexique juridique, en particulier constitutionnel, pour désigner l’obligation pour les ministres de quitter le pouvoir lorsque le corps législatif leur retire sa confiance, il est ensuite passé dans le langage courant avec la valeur d’« obligation de répondre de ses actes ».

Comme le souligne le philosophe français Jacques Henriot dans son article (1990, p. 2251), l’idée moderne de responsabilité, « offre deux aspects qu’il est nécessaire de dissocier », la responsabilité juridique et la responsabilité morale, bien qu’on peut se demander « s’ils ne sont pas irréductiblement liés ». Mais c’est le sens juridique qui est premier, de sorte que la responsabilité apparaît « sous la forme d’une institution qui impose du dehors sa contrainte et à l’égard de laquelle le sujet se voit tenu d’adopter l’attitude que l’on exige de lui ». Il s’agit donc et en premier lieu, d’une institution objective et politique, qui a rapport à la cité, et par conséquent, sociale, culturelle, etc., avant d’être individuelle.

L’idée de « responsabilité morale » est dérivée de sa notion juridique de l’institution de laquelle elle dépend et dont elle se distingue par ceci qu’elle demeure strictement subjective. « Elle ne concerne que le sujet dans le rapport qu’il entretient avec lui-même – abstraction faite de la considération qu’il lui paraît possible d’accorder à l’opinion des autres, mais qui se ramène au fond à l’estime qu’il peut en prendre. » Elle ne comporte d’autre sanction que celle « de sentiments plus ou moins pénibles, comme le remords. » (Ibid.) De fait, la seule autorité « devant laquelle le sujet soit appelé à se découvrir moralement responsable est le “juge intérieur” » par lequel Kant désigne l’instance suprême de la moralité. Ce que l’on nomme la « conscience morale » est « la prise de conscience d’un tribunal intérieur en l’homme » (cf. Kant, Fondements d’une métaphysique des mœurs [112-115]). On aura noté que le modèle kantien de la responsabilité morale est directement emprunté à la réalité institutionnelle du système judiciaire, c’est-à-dire à une pratique sociale, politique, historiquement et culturellement déterminée.

Quoique Kant pourvoit la conscience morale de lucidité, de rigueur, de sureté (d’assurance) et d’exigence, qualités qui s’affirment d’autant plus qu’elles permettent à la conscience de dédaigner les faiblesses et/ou les défaillances de la volonté – laquelle n’est peut-être pas aussi inébranlable ou solide qu’elle le prétend [8], laquelle est donc toujours un peu fluctuante et capable de se dérober aux injonctions du devoir –, quoiqu’il en soit donc de la droiture a priori co-essentielle à toute conscience morale, celle-ci renvoie à une conscience « commune ». Or cette conscience « commune » est fluctuante et se soustraire aux principes qu’elle s’est donnée. C’est dire qu’elle n’est pas simplement un simple reflet optique de la réalité du monde qui existe de manière objective et indépendante d’elle, mais qu’elle est plus largement, et sur le fondement de ce rapport sensible au monde (au corps qui lui donne vie comme au monde qu’elle reflète), une instance de réflexion et de délibération, une instance qui exige « une prise », et plus spécialement une « prise de conscience ». Car, comme l’écrit joliment J. Henriot, la conscience « hésite et s’interroge » (c’est moi qui souligne) et L’expérience montre que « la conscience que chacun peut prendre de ses obligations et de ses responsabilités, se révèle tantôt plus sévère tantôt plus tolérante que la loi écrite, selon les individus et les circonstances » (Ibid.).

La conscience morale donc, hésite et s’interroge – ce qui en est une assez bonne définition finalement. La responsabilité morale, n’est pas une simple translation intra-subjective, ni la simple intériorisation subjective (passive) d’une institution objective extérieure – en l’espèce de la responsabilité juridique –, ni une pure phénoménalité privée de toute substantialité autonome. Parce que sinon, « si la responsabilité se réduisait au seul fait de la contrainte » – et quelle que soit la collectivité (famille, groupe, société, etc.) qui l’exerce(rait) – cette contrainte « ne serait au mieux qu’une simple règle de jeu : un peu d’habileté suffirait pour la tourner ou s’y soustraire. » (Ibid.) La responsabilité morale est donc une construction sui generis, qui répond à l’appel de la responsabilité juridique et qui ainsi la renforce comme institution objective et se renforce comme institution subjective. Pour le dire simplement et de manière peut-être schématique, il n’y a pas de droit(s) sans morale et réciproquement, pas de morale possible sans droit(s), il n’y a pas, autrement de droits sans devoirs et réciproquement.

Être responsable désigne alors le sujet que concerne l’obligation. La responsabilité est une forme d’obligation d’avoir à répondre et concerne nécessairement quelqu’un. Elle n’a de sens et ne fonctionne que « si quelqu’un est là, non seulement pour s’y trouver exposé, mais aussi pour l’endosser, l’assumer, s’y considérer comme légitimement soumis. » (Ibid.) Être responsable c’est, de manière indissociable, être assujetti, c’est-à-dire être sujet à l’obligation de répondre à/de, et c’est être sujet de l’acte par lequel on consent à s’obliger, à se faire responsable. Concrètement, par « sujet responsable » on désigne aujourd’hui « un être humain adulte, doué de raison, capable de discernement, conscient de la portée de ses actes, auteur libre et réfléchi des décisions qu’il prend, maître du choix de sa conduite, “sujet” réel et non [pas] seulement apparent des verbes que ses actes conjuguent. » (Ibid.) Du point de vue du droit, c’est la notion de sujet quelconque c’est-à-dire « n’importe qui », laquelle recoupe la notion morale de personne que Kant définit ainsi dans les Fondements d’une métaphysique des mœurs [98] : « Une personne est ce sujet dont les actions sont susceptibles d’imputation ». De sorte, également que les catégories de sujet, de personne, de responsabilité s’impliquent réciproquement et sont théoriquement inséparables [9].

La relation fondamentale qui opère la liaison entre chacune de ces notions et qui met en mouvement la logique de la responsabilité est la relation de cause postulée entre un agent et son acte. Être responsable, c’est, pour un agent, être susceptible d’une imputation de son/ses acte/s, ce qui revient à dire que, en dernière instance, seul est cause celui qui fait, que, toujours en dernière instance, c’est à cause de lui et de lui seul que ce qui est fait est fait, que c’est donc à lui et à lui seul qu’il faut, en dernière instance, s’adresser pour en obtenir raison (et le cas échéant, réparation). C’est ce que dit Aristote dans l’Éthique à Nicomaque (III, 7, 1113b et 1114a) : est responsable celui qui porte en lui-même le principe de son acte : celui qui en est source et origine.

Répondre est le fait de quelqu’un et suppose que quelqu’un d’autre soit présent, devant qui on répond. Plus encore. Il est nécessairement requis que l’agent-sujet accorde son respect « en face » ou « au-dessus » de lui à une instance, qu’il estime (au sens neutre d’apprécier) être détentrice de valeurs et qu’il se représente comme le fondement légitime de l’obligation à laquelle il accepte de se soumettre. En dépend notamment le caractère moral de l’autorité, car sans cette reconnaissance ni ce consentement, aucune véritable responsabilité n’est possible ni pensable. On ajoutera que la dimension synchronique de la situation responsabilité-autorité se double d’une dimension diachronique. On est responsable de ce que l’on a fait : la responsabilité porte donc sur le passé, l’acte accompli et plus exactement encore, sur le fait que cet acte a été accompli par quelqu’un et de telle sorte que c’est (prioritairement) ce quelqu’un que vise la responsabilité plutôt que sur l’acte lui-même.

 De l'obligation

Être obligé c’est être lié à quelque chose ou quelqu’un. Le latin obligare signifie en effet « attacher à, contre et au figuré, « lier, engager (par un contrat, un vœu, un bienfait ou un service) ». À l’origine, l’obligatio désigne un fait d’ordre juridique, notamment formulé dans le système du droit romain où l’obligation est le droit qui appartient à une personne, créancier/e (créditor) d’exiger d’une autre, débiteur ou débitrice (debitor) une prestation, que ce soit sous la forme d’un acte ou d’une abstention (d’acte), sous peine de sanction en justice. Il s’agit donc d’un droit contre une personne. L’obligation est donc, en dernière instance, liée à un engagement, c’est-à-dire à une mise « en gage » de soi-même finalement, avec toutes les conséquences qu’une telle décision ou qu’un tel choix peut impliquer pour le débiteur notamment. (Voir aussi la seconde dissertation de la Généalogie de la morale de Nietzsche.)

De fait, l’obligation ne naît qu’à partir du moment où elle a été contractée, qu’à partir du moment où une personne se constitue en créancier ou en débiteur, créant l’altérité nécessaire à l’existence de cette relation et aux droits et devoirs conférées à chacune des parties de la relation d’obligation. Cette relation, d’origine juridique, de la « dette » a été reprise et en quelque sorte « théologisée » par les religions du livre, où le monde et donc ses créatures, c’est-à-dire la création, est le fruit d’un créateur omni-scient et -potent [10]. Elle a notamment posée l’existence d’une relation symbolique de dette des créatures à leur « Créateur » à qui elles sont redevables de devoirs et donc aussi assujetties à sa loi. Sur ce point les éclairantes remarques d’A. Tosel, 2008, p. 73-76.

L’obligation ne désigne donc pas seulement un état, passif, de « contrainte », mais bien un acte, un « avoir à » ou un « devoir ». C’est dire que l’obligation revêt et possède une dimension intrinsèquement culturelle et sociale, et non pas seulement inter-individuelle – strictement contractuelle dans un sens très fermé. Autrement dit, l’obligation (pré-)suppose une collectivité humaine qui lui donne sens.

 Du « Principe Responsabilité »

Dans son ouvrage, Le principe responsabilité (1979/1990) H. Jonas formule le principe d’une « obligation de l’avenir » pour notre présent, autrement dit une « obligation à l’égard de la postérité » (Jonas, 1990, p. 64) impliquant donc de « nouvelles dimensions de la responsabilité » (Ibid., p. 24) qui sont au nombre de trois. 1/ La « vulnérabilité critique de la nature par l’intervention technique de l’homme » (Ibid.) laquelle n’a jamais été pressentie jusqu’à présent ; 2/ « un rôle nouveau du savoir en morale » puisque « le gouffre entre la force du savoir prévisionnel et le pouvoir du faire engendre un nouveau problème éthique. » (op. cit., p. 26), autrement dit une conception temporellement plus longue des droits et des responsabilités qui s’étendent (désormais ?) aux générations futures ; 3/ l’hypothèse que la nature doit-être l’objet d’un respect de nature morale, la question d’« droit éthique autonome de la nature » (Ibid.).

H. Jonas développe ainsi le thème d’une « heuristique de la peur » (Ibid., p. 49), que l’on pourrait reformuler sous le vocable de « peur responsable » ou encore, pour ici reprendre les termes de J.-P. Dupuy (2001 & 2002) d’un « catastrophisme éclairé ». Concrètement, il s’agi(rai)t de renoncer aux avantages immédiats procurés par les techniques, d’y renoncer de manière préventive donc pour ne pas nuire aux générations futures. Ainsi, la responsabilité de l’homme vis-à-vis de (la survie de) l’humanité doit revêtir la forme d’un impératif catégorique explicitement lié à conception kantienne de la morale, dont P. Ricœur a rappelé que la formulation « la plus sobre » est d’agir uniquement d’après la maxime qui fait que l’on peut vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle (cf. Ricœur, 2007, p. 690).

Dans les termes de H. Jonas, cet impératif se réfère à une « obligation » qui est celle « de l’avenir ». Or le principe de cet impératif ne repose pas d’abord sur l’idée de réciprocité, qui est au fondement des droits et des obligations humaines : « mon obligation est l’image à l’envers du droit d’autrui qui à son tour est vue à l’image de mon droit propre ». C’est-à-dire que l’établissement de « l’existence de certains droits d’autrui » est eo ipso celui de « mon obligation de les respecter et (en alléguant d’une idée positive de responsabilité) de les promouvoir également dans la mesure du possible. » (Jonas, 1990, p. 64)

Le problème qui nous est alors posé, et qui sourd également de la proposition d’un « contrat naturel » formulée par M. Serres, est celui de cette absence finalement du « réciproqué » par rapport au « réciproquant ». Car la relation d’obligation qui naît d’une responsabilité ne consiste pas seulement en la position d’un terme par un autre (et peu importe la polarité de son orientation, de la dette à la créance ou de celle-ci à la première) et à leur mise en rapport, qu’ils doivent être au moins deux (ou peut-être même trois au minimum comme le suggère M. Serres au début de son Contrat naturel). Elle naît aussi d’une conscience nécessaire de la responsabilité (par contraposition, songeons à « l’irresponsabilité » en droit pénal), c’est-à-dire du lien qui unit l’obligeant et l’obligé, une conscience des droits et des devoirs par chacune des parties, c’est-à-dire encore, de la possibilité d’articuler, du point de vue du langage, ce qui est juste et ce qui ne l’est pas (cf. infra et Aristote, op. cit.).

D’où la question de savoir si la Terre, et/ou l’avenir, est (sont) un (des) super-organisme(s) doué(s) de conscience et de langage, en capacité d’une réciprocité consciente et donc d’une capacité de délibération. On peut naturellement céder à l’animisme et à la mythologie, en considérant la Terre comme étant un animal ou un être pourvu d’une âme, plus terrestre [11] que céleste finalement. Mais dans cette perspective, c’est « anthropomorphiser » la Terre, c’est au moins lui prêter des attributs et des caractéristiques proprement humaines, ce qui est une autre et subreptice manière de reconduire à l’idée qui voulait justement être dénoncée, de l’homme « maître et possesseur de la nature » ainsi qu’on le fait dire à Descartes [12].

Pour étayer cette idée H. Jonas indique qu’il en existe une autre forme d’obligation sans réciprocité, du moins initialement, une obligation qu’il qualifie d’« élémentaire », reconnue et « spontanément » pratiquée, en l’espèce de « celle à l’égard des enfants qu’on a engendrés » (Jonas, 1990, p. 64). Or, et H. Jonas est en un sens contraint de le reconnaître mezza-voce, cette relation de sollicitude, désintéressée ne l’est pas tant que cela. Car en toute rigueur, et au surplus en toute rigueur éthique, on ne peut penser d’obligation à l’égard des générations ultérieures – qui donc n’existent pas encore et dont l’existence future est par principe, et par construction aussi, foncièrement contingente –, de la même manière que celle que les hommes peuvent penser à l’égard de leur progéniture.

Car au fond, l’obligation des hommes à l’égard de leur progéniture est – toute dimension affective mise à part, laquelle est naturellement variable et contingente –, une obligation résultant du fait d’être parent, une obligation « contractée » par l’engendrement d’une progéniture, une obligation de prendre soin de sa descendance, une obligation juridique en somme.

Il est dès lors impossible de parler d’une obligation juridique à l’égard des générations futures et par conséquent aussi à l’égard de la matérialité basique sur laquelle elle repose, c’est-à-dire la planète Terre, « notre » planète comme on l’affirme couramment. C’est pourquoi, on parlera plutôt de responsabilité, au sens d’une obligation morale – ce qui fait de la morale un surcroît de l’obligation au sens juridique (et fondationnel) et que condense le terme de responsabilité – à l’égard d’un futur, encore une fois contingent par définition. La réside sans nul doute la difficulté. Car une obligation morale, entendue lato sensu ou par extension, comme étant une « responsabilité », n’échappe pas aux hésitations et aux interrogations qui peuvent caractériser, comme nous l’avons vu plus tôt, de la conscience qui porte cette responsabilité. La question est donc bien celle d’une conscience planétaire, ou plutôt et mieux, générique, et de sa possibilité pratique.

Comment échapper à cette sorte d’im-puissance de la responsabilité, une responsabilité qui relève de l’intention et qui aussi noble soit-elle, n’en demeure pas moins qu’une intention ? H. Jonas est contraint de passer à la limite et de pourvoir l’Être en tant que tel d’une puissance normative d’obligation. De poser, autrement dit que l’impératif catégorique premier (au sens ordinal comme au sens d’originaire) se délivre sous la forme suivante : « qu’une humanité soit » (Jonas, 1990, p. 69).

C’est affirmer un caractère de valeur absolue (non relative) de l’Être (ontos) et de son existence, c’est affirmer de lui une dimension déontologique (d’obligation), Être qui est précisément la nature et l’homme en tant qu’il en est une partie éminente. Cela peut alors vouloir dire, comme le suggère A. Stanguennec (2014) citant P. Ricœur (1993), que « la vie comporterait en elle-même une pré-morale, en quelque sorte, en ce sens que la vie s’évalue elle-même comme bonne ».

Le fondement de l’éthique développée par H. Jonas dans son « principe responsabilité » est une éthique impérative (qui appelle réponse ?) et fondée sur une ontologie déontologique, sur une théorie de l’être lequel (l’Être) est en quelque manière « obligataire », selon la définition proprement juridique : « créancier dont le droit résulte d'un titre d’obligation négociable » et dont la sémantique doit aussi être entendue dans sa valence financière qui lui est associée (cf. Cornu, 1994, p. 548-549).

Il y a(urait) donc un « devoir-être » absolu de – c’est-à-dire ontologiquement inhérent à – l’existence humaine, comme modalité particulière du devoir-être absolu immanent à l’ontologie de tout vivant dans le monde. Il y a(urait) donc une normativité implicite de la vie, dont la santé et la conservation de soi sont des normes immanentes. S’agit-il de devoirs ou d’obligations au sens moral, c’est-à-dire moralement humain ? Pour poser la question autrement, qu’est-ce qui fait, qu’avec l’homme, l’existence acquiert une valeur absolue proprement morale ? S’agit-il de l’être humain en tant que stricte individualité zoo-biologique ? Nous laissons délibérément en suspens ces questions, sans donc en proposer immédiatement des réponses, parce qu’elles doivent précisément être appropriées par chacun et chacune.

 De la thématique du contrat (H. Jonas, M. Serres)

Le thème du contrat est profondément lié à notre modernité, en particulier depuis le fameux Du contrat social (1762) de Jean-Jacques Rousseau, ouvrage duquel les constitutions politiques occidentales sont fortement tributaires, même si leur calcification en « démocratie-régime », souvent devenue « démocratie-marché » au clair détriment d’une « démocratie-processus » [13] les éloigne de leurs idées fondatrices et matricielles. Qu’est-ce qu’un contrat ? C’est un engagement mutuel qui réciproque des droits et des devoirs et qui est précisément posé par Rousseau comme au principe ou au fondement idéal de la société politique. Ce contrat, qui est naturellement une fiction théorique, stipule un engagement réciproque, celui de limiter nos libertés « naturelles » afin qu’elles puissent co-exister pacifiquement, ou mieux pour faire signe à G.-B. Vico et à la tradition humaniste italienne, civilement, sous les lois de notre volonté devenue générale (Cf. Du contrat social, ##).

Le « contrat social » consiste donc en une limitation réciproque des libertés contre leur co-existence garantie par des lois. Il suppose donc de manière absolument nécessaire une conscience et par conséquent un langage articulé, autrement dit encore un être-sujet, non pas seulement comme sub-jectum, comme soubassement mais comme capacité, réflexive donc, d’assujettissement. En ce sens, le contrat et de manière générale la contractualité est une affaire humaine, strictement humaine et de fait, dans toutes les formes de contrats interhumaines, la nature extérieure à l’homme n’est pas sujet(te), ni partenaire d’un tel contrat. S’aperçoit alors cavalièrement quoique distinctement la difficulté soulevée par l’idée d’un contrat avec la « Nature ».

Dans Le contrat naturel, qui fait évidemment signe au texte de Rousseau, M. Serres formule donc l’idée d’un contrat passé entre les hommes et la nature tout entière. Et il s’agit explicitement d’un « retour » à la nature, signifiant ceci : « au contrat exclusivement social ajouter la passation d’un contrat naturel de symbiose et de réciprocité où notre rapport aux choses laisserait maîtrise et possession pour l’écoute admirative, la réciprocité, la contemplation et le respect » (Serres, 1990, p. 67). L’enjeu de ce nouveau contrat « naturel », qui s’ajoute au contrat « social » et le redouble peut-être aussi, est d’abandonner notre comportement (humain) de maîtrise et de possession (selon l’adage, distors comme nous l’avons signalé, de Descartes dans le Discours de la méthode) à l’égard de la nature, que M. Serres identifie comme un parasitisme. Il est surtout de céder la place à un véritable échange non seulement vital, symbiotique, selon le modèle, fortement empreint d’affectif (ce qui ne veut pas dire irrationnel), de la relation mère-enfant – dont il faut souligner qu’il est culturellement normé et historiquement déterminé –, mais encore d’un échange esthétique et intellectuel.

La justification de ce contrat avec la nature, qui est au fond un contrat symbiotique, qui excède dès lors largement sa seule dimension biologique, et qui se trouve donc élargi à un véritable contrat existentiel en ceci qu’il recouvre toutes nos dimensions d’existence relationnelle, repose, pour M. Serres, sur la relation affective et plus particulièrement la relation amoureuse. En conclusion du chapitre éponyme de l’ouvrage, dans la section significativement intitulée « Amour », il écrit ainsi : « Sans amour, pas de lien ni d’alliance […] Aimez-vous les uns les autres, voilà notre loi première […] Cette obligation contractuelle se divise en une loi locale qui nous demande d’aimer le prochain et une loi globale qui requiert que nous aimions l’humanité », ajoutant que « cette première loi fait silence sur les montagnes et les lacs car elle parle aux hommes des hommes comme s’il n’y avait pas de monde. » (op. cit., p. 82).

Cette « deuxième loi, qui nous demande d’aimer le monde », cette seconde « obligation contractuelle » se divise à nouveau en « cette vieille loi locale qui nous attache au sol où reposent nos ancêtres et une loi globale nouvelle […] qui requiert de nous l’amour universel de la Terre physique. » (Ibid., p. 82-83) Et l’auteur de résumer, quelques lignes plus bas, le précepte de ce contrat de symbiose : « Aimer nos deux pères, naturel et humain, le sol et le prochain ; aimer l’humanité, notre mère humaine, et notre naturelle mère, la Terre. » (Ibid., p. 83) Pour M. Serres, il en résulte d’abord que les deux lois, autrement dit les deux « obligations contractuelles, sociale et naturelle, ont entre elles la même solidarité, que celle qui lie les hommes au monde et celui-ci à ceux-là. » (Ibid.) Il en résulte ensuite, et par voie de conséquence, que « ces deux lois n’en font qu’une seule, qui se confond avec la justice, naturelle et humaine à la fois, et qui demandent ensemble à chacun de passer du local au global », un chemin qui, poursuit-il, est « difficile et mal tracé, mais que nous devons ouvrir. » (Ibid., p. 84)

On remarque que la thématique et le modèle de l’amour, tout spécialement l’amour filial, qui est un sentiment tout à la fois affectif, charnel et culturel, est progressivement régie par la loi, et en quelque sorte « légalisée », érigée en loi, ce que la dernière phrase du chapitre formule de manière ramassée : « Il n’y a de réel que l’amour et de loi que de lui. » (Ibid., p. 84) Or il ne fait de doute, comme nous avons pu le voir auparavant avec H. Jonas, que l’amour filial n’est pas qu’un sentiment mais qu’il revêt également une dimension morale, notamment d’obligation à l’égard de sa progéniture (que rappelle d’ailleurs le Code civil pour ce qui concerne notre pays). Autrement dit, le contrat naturel défendu par M. Serres comporte aussi et de manière indissociable, une obligation morale à l’égard de la Nature. C’est un contrat naturel-symbiotique-moral.

Ce faisant, nous retrouvons les difficultés annoncées plus haut et d’ores et déjà avec la question du « Principe responsabilité » chez H. Jonas. Pour aller à l’essentiel, la question centrale est celle de la réciprocité (des parties) contractant(e)s, où plutôt de son absence. Sauf à considérer la Nature comme un super-animal, un méta-organisme – ce que peut-être elle est objectivement d’un point de vue systémique – doué d’une sorte de conscience et d’une sorte de langage – mais il s’agit alors d’une nature sur laquelle l’homme projette ses propres formes, une nature anthropomorphisée –, on voit mal comment contractualiser avec la Nature qui est « muette », qui ne dit rien ni ne veut rien, ou plutôt qui ne dit rien ni ne veut rien comme les humains que nous sommes, fussions-nous une partie éminente de cette même Nature.

Sauf à faire de la contractualisation une simple figuration, éventuellement rhétorique, il appert que le contrat naturel-symbiotique envisagé par M. Serres, lequel est donc un contrat moral, est au fond un contrat de l’homme avec lui-même, avec l’humanité. Ce qui nous reconduit alors à la question du caractère intrinsèquement politique de l’humanité que nous avons incidemment évoquée plus haut. Car la caractérisation de l’homme comme un « animal politique » par Aristote nous rappelle d’abord que l’homme est un animal et n’est même tel, qu’en tant qu’il appartient à la nature, qu’il en relève ontologiquement comme l’une de ses parties.

Selon Aristote, être par nature un animal politique, signifie que celui qui est en dehors de la cité, d’une manière « naturelle » et non par le hasard des circonstances, qu’il est « soit un être dégradé soit un être surhumain et [qu’]il est comme celui qui est injurié <en ces termes> par Homère : “sans lignage, sans loi, sans foyer” [Illiade, IX, 63] ». Aussi, poursuit Aristote, il est évident que « l’homme est plus que n’importe quelle abeille et que n’importe quel animal grégaire » (I, 2, 1253 5 ; Aristote, 1993, p. 90) et, ajoute t-il, « seul parmi les animaux, l’homme a un langage » précisant que le langage humain « existe en vue de manifester l’avantageux et le nuisible, et par suite aussi le juste et l’injuste. » (I, 2, 1253 a 10- 15 ; Ibid., p. 91)

Cette distinction ou mieux, « ce propre » des hommes par rapport aux autres animaux réside dans le fait que seuls les hommes ont « la perception du bien, du mal, du juste, de l’injuste et des autres <notions de ce genre> » et qu’avoir de telles notions en commun est « ce qui fait une famille et une cité » [14]. Cet animal éminemment politique qu’est l’homme apparaît donc comme un pivot, comme un pli. « De même qu’un homme accompli est le meilleur des animaux, de même aussi quand il a rompu avec loi et justice est-il le pire de tous », Aristote ajoutant que « la plus terrible des injustices est celle qui a des armes. » (I, 2, 1253 a 30) Or il se trouve, poursuit-il, que l’homme « naît pourvu d’armes en vue <d’acquérir> prudence et vertu, dont il peut se servir à des fins absolument inverses. C’est pourquoi il est le plus impie et le plus féroce quand il est sans vertu et il est le pire <des animaux> dans ses dérèglements sexuels et gloutons.

La politicité intrinsèque de l’animal humain réside donc fondamentalement dans sa capacité à la justice [15], parce que « la <vertu de> justice est politique » et qu’elle « <introduit> un ordre dans la communauté politique », qu’elle l’institue et qu’elle « démarque le juste <de l’injuste>. » (I, 2, 1253 a 35 ; 'Aristote, 1993, p. 92-93 ; c’est moi qui souligne). Démarquer le juste de l’injuste – au double sens, intimement mêlé, de la justesse et de la justice (voir aussi Aristote, Éthique à Nicomaque, II, 1) – c’est pouvoir discerner l’un de l’autre et c’est pouvoir l’articuler dans un langage, ce qui suppose, de manière préalable, une conscience possible et par conséquent aussi la capacité de pouvoir se forger des représentations, grâce au langage précisément [16]. Et la conscience comme le langage sont humains, profondément humains.

Vincent Charbonnier, Ifé-Ens de Lyon (novembre 2015)

Une version PDF de cette contribution est disponible sur le portail des Archives ouvertes de l'ENS de Lyon à l'adresse : https://hal-ens-lyon.archives-ouvertes.fr/ensl-01214883.

Notes

[1]. Sophocle, Tragédies complètes. Paris : Gallimard (« Folio classique »), 2014, p. 96. '

[2]. Das Prinzip Verantwortung : Versuch einer Ethik für die technologische Zivilisation. '

[3]. Au vrai, il convient de parler de milieux au pluriel donc. Sans pouvoir ici rentrer dans le détail de cette question, importante, voir déjà, G. Canguilhem (1952/2003) et aussi les remarques de Henri Wallon dans son article « Les milieux, les groupes et la psychogenèse de l’enfant » [1954], Enfance, 1959, t. 12, n° 3-4, p. 287-296 ; disponible en ligne : http://www.persee.fr/doc/enfan_0013-7545_1959_num_12_3_1444 (consulté le 27 octobre 2015).

[4]. C’est le thème dominant du cinéma d’anticipation, notamment nord-américain, sur la conquête spatiale. De manière tout à fait révélatrice, le tout récent film du réalisateur Ridley Scott, Seul sur Mars (et dont le titre original, The Martian – « Le martien » –est plus explicite) valorise cette thématique pluriséculaire, d’une nature à dompter et d’un homme par définition rusé et ingénieux qui va en triompher. De ce point de vue, Mars, est une autre Terre, juste un peu éloignée… Deux articles de presse qui rendent compte de film (D. Péron, « “Seul sur Mars : colonie de vacance », Libération, 20 octobre 2015 et Michael Wood, « At the Movies », London Review of Books, 2015, vol. 37, n° 20, 22 octobre 2015) insistent clairement sur ce point. M. Wood remarque justement que « l’homme sur Mars n’a d’angoisse d’aucune sorte ; il a seulement un problème, ou deux » (The man on Mars has no angst of any kind ; he just have a problem or two).

[5]. Et pour paraphraser la paraphrase* d’un célèbre humoriste français « les hommes naissent libres et égaux mais certains sont plus égaux que d’autres », on dira que « certains sont moins [humains] que d’autres » (* il s’agit semble t-il d’un emprunt à La ferme des animaux de G. Orwell : « Tous les animaux sont égaux, mais certains le sont plus que d’autres ! ».) Il est du reste significatif que c’est de l’égalité dont il est question…

[6]. Je m’appuie ici sur les articles « répondre » et « responsabilité » du Dictionnaire historique de la langue française sous la direction d’A. Rey. Paris : Dictionnaires Le Robert, 2012, t. 3, p. 3186-3187 et 3210-3211.

[7]. Soulignons que le propos de H. Jonas est pétri de cette sémantique théologique de l’engagement et de l’appel (cf. Pommier, 2012 ; Afeissa, 2012, p. 131-156 ainsi que Larrère & Pommier, 2013 ; voir aussi Stanguennec, 2014, p. 131-145).

[8]. On songe évidemment à Rousseau et à son idée, formulée dans Du contrat social que la « volonté générale ne peut errer ». Cela demeure toutefois une question à traiter pour elle-même et qui, en outre, ressortit pleinement à la question de la responsabilité et de l’obligation.

[9]. Sur la notion de personne, voir l’article de M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne celle de “moi” » (1938). In Sociologie et anthropologie. Paris : puf, 1950, p. 331-362.

[10]. Quel que soit le motif interne de sa décision, soit de manière très schématique : la libre volonté chez Descartes, l’inclination en raison du meilleur chez Leibniz, et le « nécessitarisme » panthéiste chez Spinoza.

[11]. Voir par exemple le beau conte de Marjane Satrapi, Ajdar (Paris : Nathan, 2002).

[12]. Écrivant cela, je me rends effectivement coupable de réitérer la torsion pluri-séculaire de son propos dont l’omission, au moins d’un mot et au plus de la phrase qui précèdent cette formule conclusive, est significative d’une forme de « suprématisme » qu’on voudrait lui imputer et dont la signification que lui donne le peintre russe Malevitch n’est peut-être pas étrangère à cette omission. Voici la phrase complète qui figure dans la 6e partie du Discours de la méthode : « Mais, sitôt que j’ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j’ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s’est servi jusques à présent, j’ai cru que je ne pouvois les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu’il est en nous le bien général de tous les hommes: car elles m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connoissances qui soient fort utiles à la vie ; et qu’au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connoissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connoissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme* maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui feroient qu’on jouiroit sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie ; car même l’esprit dépend si fort du tempérament et de la disposition des organes du corps, que, s’il est possibles de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu’ils n’ont été jusques ici, je crois que c’est dans la médecine qu’on doit le chercher. » (*je souligne). '

[13]. Sur cette question générale et sur cette distinction en particulier, voir les fortes analyses d’A. Tosel, 2011 et 2008, p. 253-291 (« Antipolis : vers l’auto-liquidation de la démocratie ? »).

[14]. Ou bien, en d’autres termes, « la communauté de [ceux qui ont en commun la perception de ces notions en question] constitue une famille et une cité. » (I, 2, 1253 a 15 ; Aristote, 1993, p. 92 et n. 18). '

[15]. Ou bien, quoique Aristote ne l’envisage pas explicitement, à l’injustice, laquelle serait (est) alors impolitique, introduisant un désordre dans la cité. Dans l’Éthique à Nicomaque (II, 5, in fine), Aristote a d’ailleurs cette remarque : « L’honnêteté n’a qu’une seule forme, mais le vice en a de nombreuses. » On pourrait dire la même chose de l’inhumanité : il n’y a que l’homme qui peut être inhumain…

[16]. Sur ce point voir Pensée et langage de Vygotski.

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CopInMyCity/COPPhilo (dernière édition le 2015-11-11)