Construire un modèle numérique de cycle du carbone avec des élèves
Cette activité permet de passer du "modèle papier" au modèle numérique. Elle utilise le logiciel de modélisation Vensim gratuit et elle a été proposée en 2008 dans la cadre du colloque Formaterre (INRP-ENS) sur le thème de la modélisation.
Objectifs de l'activité
- S'initier à l'utilisation d'un logiciel de modélisation à compartiments.
- Construire un modèle numérique.
- Mettre en évidence les interactions entre les différents réservoirs du cycle du carbone à court terme: faire apparaître l'existence de boucles de rétroactions.
- Utiliser un modèle numérique pour comprendre la complexité des phénomènes mis en jeux.
- Comprendre l'importance de l'effet anthropique et envisager des mesures d'atténuation.
- Analyser des données pour modifier, rejeter ou confirmer une hypothèse.
- Confronter les données de terrain avec les résultats du modèle construit. Critiquer un modèle.
- Former des éco-citoyens.
Sommaire
Diaporama utilisé pour la présentation à Formaterre 2008
Etape 1 : Découverte et analyse du modèle "papier".
Etape 2 : Comprendre la nécessité de passer au modèle numérique.
Etape 3 : Le passage au modèle numérique.
Etape 4 : Analyse des premiers résultats.
Etape 5 : Les perturbations anthropiques du cycle du carbone.
Etape 6 : Ajouter les rétrocontrôles.
Etape 7 : Tester et envisager des mesures d'atténuation.
Quelques liens d'intérêt pour la mise en oeuvre de l'activité.
Etape n°1: Découverte et analyse du modèle "papier".
Le modèle qui suit est extrait des rapports du GIEC 2007.
Le cycle du carbone préindustriel (1750), d'après un document du GIEC 2007 modifié. La sédimentation vers le fond des océans n'a pas été considérée dans cet exemple en raison de la faiblesse des flux à l'échelle humaine. |
Dans une séquence de classe, cette partie introductive où l'on soumet ce document aux élèves, peut être un moment d'échange entre le professeur et les élèves. Le professeur remobilise les connaissances de ses élèves et apporte les éléments cognitifs manquants. Redéfinir les notions de flux et de réservoirs et justifier l'absence de la sédimentation dans le cycle semble ici indispensable.
Les premières questions même si ce n'est pas indispensable, peuvent porter sur la nature des flux entre réservoirs qui ne sont pas nommés dans le document. A savoir les échanges physiques et biologiques qui s'opèrent entre l'atmosphère et les océans et entre les différentes strates de l'océan.
Pour en savoir plus sur la nature des flux entre réservoirs
Etape n°2 : Comprendre la nécessité de passer au modèle numérique.
Il s'agit ici de faire comprendre aux élèves que l'image des manuels scolaires ou de la presse écrite offre une vision statique du cycle du carbone, phénomène dynamique par excellence.
- On peut leur demander de prédire par le calcul quelles quantités de carbone seront présentes dans chaque réservoir dans un an puis deux ans...
Le calcul sera long et fastidieux. C'est à ce moment que le professeur introduit l'existence d'un outil de modélisation numérique pour envisager de suivre le fonctionnement du cycle du carbone sur des temps plus longs.
La problématique des rejets anthropiques de carbone est en effet intimement liée au temps et s'étudie sur le moyen terme. La construction d'un modèle numérique permettra d'étudier les conséquences des rejets anthropiques sur le cycle du carbone.
Etape n°3 : Le passage au modèle numérique.
S'il s'agit d'une première utilisation, il est souhaitable de guider pas à pas les élèves dans l'utilisation de Vensim.
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- Construire le modèle.
- Ajouter des graphiques.
- Spécifier la durée de fonctionnement.
- Faire fonctionner le modèle.
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Construction du modèle du cycle préindustriel du carbone avec le logiciel Vensim. |
Etape n°4 : Analyse des premiers résultats
Les premiers résultats obtenus pour la période 1750-2000 |
- Le modèle est-il correctement construit ?
Demander aux élèves de noter la valeur en fin de simulation du contenu en carbone de chaque réservoir. Si les résultats diffèrent du schéma utilisé en début d'activité, il y a une erreur dans la construction. Il convient alors de corriger le modèle avant de passer à la suite de l'activité.
L'analyse des résultats calculés montre le cycle du carbone dans un état d'équilibre, les quantités dans chaque réservoir restent constantes.
Etape n°5 : Les perturbations anthropiques du cycle du carbone
- Analyse de données:
Cette étape de l'activité commence par l'analyse de données de terrain à savoir l'évolution de la quantité de carbone dans l'atmosphère depuis 1200 ans.
Quantité de CO2 dans l'atmosphère mesurée dans les carottes de glace de l'Antarctique pour les parties anciennes et depuis 1958 à l'observatoire de Mauna Loa. Les sources proviennent du GIEC (1995).La partie 1850 à 2000 est détaillée et elle est comparée avec l'utilisation des combustibles fossiles. |
La quantité de carbone depuis 1000 ans (850-1750) est restée relativement stable avec de faibles fluctuations autour de 280 ppmv. En revanche depuis le début de la révolution industrielle (1750) la quantité de CO2 augmente rapidement, corrélativement avec l'utilisation des combustibles fossiles, pour atteindre en 2000 une valeur de 360 ppmv.
Les élèves peuvent comparer leur modèle aux données de terrain pour s'apercevoir que l'augmentation mesurée n'apparaît pas. Leur modèle n'est pas complet et nécessite d'être complété. Des questions bien ciblées peuvent permettre d'arriver rapidement à la conclusion que les sources anthropiques de carbone ne figurent pas sur le modèle construit et doivent donc être ajoutées.
- Ajouter les perturbations anthropiques:
On peut débuter cette étape par quelques questions sur les états initiaux de nos élèves sur les sources de l'augmentation du CO2 atmosphérique. Le schéma utilisé précédemment enrichit des perturbations anthropiques peut-être employé et permettre une comparaison rapide.
* les valeurs des flux anthropiques sont des moyennes effectuées entre 1750 et 1994. Ces flux ont évidemment beaucoup augmenté entre 1750 et 1994. A titre d'exemple, le rejet de CO2 par combustion des carburants fossiles atteint pour la décennie des années 1990, 6.4 GtC/an et atteint aujourd'hui environ 8 GtC/an. |
Le modèle se construit pas à pas, les flux anthropiques sont ajoutés |
Les deux nouveaux flux et le nouveau réservoir seront donc ajoutés au modèle selon le même procédé que celui employé plus haut pour construire le modèle initial. Après simulation on obtient les résultats suivants :
Résultats obtenus après simulation avec le modèle initial enrichi des perturbations anthropiques |
On peut quantifier plus précisément les effets sur l'atmosphère avec le graphique suivant :
Augmentation du carbone atmosphérique calculée par le modèle de 1750 à 2000 |
Avant l'aire industrielle, on estime la quantité de carbone dans l'atmosphère à 597 GtC. Notre modèle nous indique pour les années 2000 une quantité d'environ 1100 GtC.
Une possibilité lecture des données chiffrées est offerte dans le logiciel Vensim. On peut ainsi préciser la quantité exacte de CO2 dans l'atmosphère après cette deuxième simulation.
- Comparaison des résultats du modèle avec les données disponibles.
On peut réutiliser ce graphique: On peut demander aux élèves de calculer le pourcentage d'augmentation entre 1750 et 2000 de la teneur atmosphérique en CO2. Le CO2 est passé d'environ 280 ppm à 380 ppm, soit une augmentation de 35%. Si on reprend l'augmentation fournie par notre modèle construit, on part de 597 GtC en 1750 pour atteindre 1100 GtC en 2000, soit une augmentation 84%. |
Cette différence entre le modèle et les mesures va amener un questionnement :
Pourquoi l'enrichissement de l'atmosphère en CO2 est-il plus faible que la somme des quantités injectées depuis 1750 ? Réponse: le modèle est incomplet.
Des documents ou l'utilisation de l'EXAO peuvent permettre de faire découvrir aux élèves la nécessité d'ajouter des rétrocontrôles:
- des expériences de croissance végétale dans une atmosphère riche en CO2 permettent de montrer que l'augmentation du CO2 dans l'atmosphère se traduit par une augmentation de la biomasse.
- des expériences de dissolution du CO2 dans l'eau permettent de montrer qu'une augmentation de concentration atmosphérique se traduit par une augmentation de la dissolution océanique.
Cet appel à des documents et/ou des expériences a pour but de faire comprendre aux élèves que lorsque la quantité de carbone augmente dans un réservoir, cette augmentation a des répercussions sur les autres réservoirs ou la quantité de carbone augmente aussi sensiblement. La notion de puits de carbone est ainsi introduite.
Etape n°6 : Ajouter les rétrocontrôles
Les rétrocontrôles sont régis par des équations complexes comme par exemple la réponse de la photosynthèse (un des flux du modèle) à l'augmentation du CO2 atmosphérique. Il convient donc ici de simplifier les lois qui régissent les modifications des échanges entre réservoirs (les flux) face à l'augmentation du CO2 atmosphérique, ce que nous appellerons les rétrocontrôles.
La proportionnalité semble le moyen le plus simple d'aborder ce nouveau problème avec des élèves. Si un réservoir augmente de x%, un flux de sortie de ce même réservoir augmentera aussi de x%.
Si on prend pour exemple les échanges entre le réservoir "Végétation, sol et humus" et le réservoir "atmosphère", liés par le flux de photosynthèse, la simplification choisie permet d'écrire :
"Photosynthèse"/120 = "atmosphère"/597, soit
"photosynthèse" = 120*"atmosphère"/597
Cette équation sera introduite dans le modèle comme décrivant le flux "photosynthèse" de carbone entre l'atmosphère et la biosphère continentale. Il convient ensuite de procéder de la même façon pour l'ensemble des flux.
Les flèches bleues ajoutées au modèle correspondent aux rétrocontrôles du volume des réservoirs sur les flux. |
- Les résultats du modèle enrichi :
L'augmentation de la quantité calculée de carbone dans l'atmosphère est plus faible que dans le modèle sans les rétrocontrôles, en revanche la biosphère est devenue un puits de carbone, la quantité stockée y augmente.
On constate que le modèle construit comporte des différences avec les données de terrain, les 630 GtC calculées pour les années 2000 sont inférieures aux mesures qui fournissent plus de 700 GtC. Ce qui est important c'est que les ordres de grandeur soient conservés et que la critique du modèle soit constructive : les élèves ont construit un modèle très simple, il est donc logique qu'il soit imparfait. Ce qui serait scientifiquement douteux, c'est peut-être qu'un modèle si simple apporte des résultats très proches de la réalité. Pour arriver à des résultats proches de la réalité les chercheurs en climatologie conçoivent des modèles d'une très grande complexité, qui prennent en compte un nombre extrèmement important de paramètres, et ne fonctionnant qu'à l'aide de supercalculateurs.
Ce qui est important dans cette activité c'est l'aspect qualitatif des variations de CO2 et l'aspect méthodologique.
Etape n° 7 : Envisager et tester des mesures d'atténuation
- Réduire les émissions de gaz à effet de serre:
Le protocole de Kyoto signé en 1997 prévoit pour les pays signataires la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 5% par rapport à leur niveau de 1990 avant la période 2008-2010. Bien que les gaz à effet de serre soient plus diversifiés que le CO2 seul, nous ne considèrerons ici que celui qui en représente la plus grande partie. Cette partie peut débuter par une lecture d'articles de presse, nombreux sur le sujet.
Le modèle du cycle du carbone étant construit, il peut servir aux élèves à prédire le futur. Un modèle permet en effet de décrire et d'expliquer un phénomène mais aussi de prévoir le comportement du système dans le futur. Cette activité va nécessiter quelques reparamétrages du modèle notamment la composante de temps, le modèle construit commence en 1750 et arrête le calcul en 2000. Cette nouvelle étude va débuter en 1750 et se prolongera jusqu'en 2070. Pour travailler sur la réduction de 5% des émissions par rapport au niveau des années 1990, il n'est plus possible comme précédemment de travailler sur une moyenne entre 1750 et 2000 mais il s'agit d'avoir des émissions annuelles pour leur appliquer les 5% de réduction.
Dans un premier temps, les élèves modifient les émissions anthropiques avec des données fournies dans le document ci-dessous et ceci jusqu'en 2000. On s'assure ensuite que le modèle fonctionne toujours, qu'il n'y a pas eu d'erreur de manipulation du logiciel.
Dans un deuxième temps, on demande aux élèves de calculer les émissions des années à venir (2000-2070) imposées par le protocole de Kyoto, un simple calcul de pourcentage. On modifie le paramétrage du modèle (temps de calcul jusqu'en 2070) et on complète par les émissions imposées par Kyoto pour 2000-2070.
D'un point de vue technique, des émissions qui varient dans le temps imposent l'utilisation d'une nouvelle fonctionnalité du logiciel, la fonction look-up.
Profil des émissions imposé au modèle pour la période 1750-2000.
Données ajoutées par les élèves à partir d'un document fourni.
Emissions imposées par Kyoto
On applique une réduction des émissions de 5% par rapport à 1990 pour la période 2000-2070
Quantité de carbone dans l'atmosphère 1750-2000 | Quantité de carbone dans l'atmosphère 1750-2070 |
Les résultats comparés des deux simulations permettent d'évoquer avec les élèves le premier pas déterminant que constitue le protocole de Kyoto mais aussi la nécessité d'aller plus loin dans la réduction des émissions. Les 5% de réduction ne suffisant effectivement pas à inverser la tendance, l'atmosphère continuant de s'enrichir en CO2, principal gaz à effet de serre responsable du réchauffement climatique.
- Stopper l'utilisation des carburants fossiles:
Les partisans de sources d'énergies alternatives pensent (et certains de nos élèves aussi) qu'il faudrait immédiatement bannir l'utilisation des carburants fossiles. On peut demander aux élèves d'imaginer un scénario de réduction progressive jusqu'à 0 et de modifier en conséquence le graphique des émissions.
Exemple de scénario d'arrêt progressif de la combustion fossile | Résultats sur l'atmosphère avec le scénario ci-contre |
Ces résultats permettent d'aborder l'inertie du système, ils montrent que l'arrêt net ne rétablit pas les conditions préindustrielles du cycle du carbone. La faisabilité du scénario choisi peut aussi être évoquée.
Conclusion
Mettre les élèves en situation d'acteurs, d'inventeurs de l'avenir, doit permettre de les motiver et de leur faire prendre conscience des enjeux existants autour du réchauffement climatique. La part de la modélisation dans les sciences ne cessant d'augmenter, cet exercice complet leur permet d'aborder les différents principes qui régissent la conception d'un modèle : la numérisation de la nature, la confrontation des données de terrain et des résultats calculés, le modèle en tant qu'outil de prévision, l'existence de rétrocontrôles que relatent mal un modèle papier, l'importance des scénarii d'émissions futures dans les résultats des modèles largement médiatisés, ainsi que la critique du modèle et de la modélisation.
Quelques liens d'intérêt pour la mise en oeuvre de l'activité.
Le logiciel Vensim dans sa version dite PLE, gratuite et téléchargeable sur le site de la société editriceVentana. Cette version amputée de quelques fonctionnalités permet de construire des modèles avec les élèves. Une version READER permet la lecture des modèles.
Un tutoriel pour la prise en main du logiciel de modélisation Vensim.
Le site de l'IPCC (GIEC) pour les données les plus récentes.
Télécharger les différents modèles