kt_ccl
Affiner les conditions de la crise K-T en utilisant un modèle de fractionnement isotopique du carbone.
Résumé
Le modèle numérique utilisé est celui de cycle du carbone dans le système océan-atmosphère associé aux changements du rapport isotopique du carbone (12C/13C). Ce modèle fonctionne sur une échelle de temps courte : entre 100 et 2000 ans. Il prend en compte les évènements courts liés à la théorie de l'impact météoritique. Ce modèle ne permet pas d'explorer les autres hypothèses, comme l'implication des trapps du Deccan. Avec ce modèle nous proposons d' explorer les perturbations qui eurent lieu à la limite entre l'ère secondaire et l'ère tertiaire dans le domaine océanique. Ce modèle permet d'interpréter les données du D13C enregistrées par les sédiments marins à la limite K-T et notamment l'impact des extinctions en milieu océanique sur le fonctionnement de la pompe biologique océanique. La disparition en milieu océanique de près de 80 % des espèces a en effet eu un impact important sur le cycle du carbone, comme les variations soudaines du rapport isotopique du carbone nous le montrent. Le modèle permet également de tester l'impact d'un relarguage important de CO2 dans le système océan-atmosphère par des incendies de grande ampleur comme l'attestent les traces de suie et de charbon associées à cette crise, et vérifier ainsi les compatibilités d'un tel scénario avec les données du D13C.
Abstract
This is a model of the ocean-atmosphere carbon cycle and associated isotopic changes to investigate what happened at the K/T boundary, one of the most important climatic and biotic rises in Earth's history. The model allows us to more clearly interpret the record of carbon isotopic changes in the oceanic realm following the impact. This crisis, which led to the extinction of around 80% of all species appears to have dealt a major blow to the carbon cycle.
Organisation
I. Première partie : des connaissances nécessaires à la compréhension.
- La crise K-T.
- La notion de pompe biologique
- Le fractionnement isotopique du carbone en milieu océanique.
II. Deuxième partie : comprendre la conception du modèle.
- Le facteur temps.
- L'ossature du modèle : les flux et les réservoirs de carbone.
- Le fonctionnement du modèle : aspects quantitatifs.
III.Troisième partie : utiliser le modèle, pistes d'activités.
I. Des connaissances nécessaires à la compréhension.
1. La crise K-T et ses causes
La limite K-T est reconnue sur plus de 100 sites dans le monde, parmi les plus connus, citons El Kef en Tunisie, Gubbio en Italie, Caravaca en Espagne, Bidart en France ou encore en milieu océanique le site ODP 761C dans l'océan indien. C'est une crise majeure pour l'histoire de la vie puisque on note la disparition de 80% des micro-organismes marins, des dinosaures, des grands reptiles marins, des ammonites et des belemnites. Sur le terrain, dans tous les sites d'enregistrement de la limite K-T en milieu océanique, cette limite est représentée par un fin niveau d'argile encadrée d'ensembles marneux. Le niveau d'argile correspond à l'arrêt de la sédimentation carbonatée suite à la disparition du plancton marin, principale source de carbonates en milieu océanique. La pompe biologique devient inefficace, le carbone prélevé en surface par les autotrophes n'est plus transféré vers les fonds océaniques. Comme nous le verrons plus loin, le D13C qui chute à la limite K-T vient confirmer une disparition conséquente de la vie dans les océans.
Figure 1 : Evolution du rapport isotopique du carbone au niveau de la coupe de Bidart.
Source : CRDP aquitaine
Figure 2 : a/La couche d'argile évoquée précédemment figure en noir dans la colonne stratigraphique. b/Proportion de carbonates dans les roches. c/Distribution de l'Iridium et des magnétites nickélifères. Source : Robin, E. and Rocchia, R. 1998, Ni-rich spinel at the Cretaceous-Tertiary boundary of El Kef, Tunisia, Bull. Soc. Géol. France, 169, p. 365-372, document extrait de pour la science, dossier H.S. la valse des espèces.
Figure 3 : La crise K-T, une superposition de plusieurs phénomènes ? Source : Lethiers, F. 1998, Evolution de la biosphère et évènements géologiques, Gordon and Breach Sc. Pub, 321 pp. | Figure 4 : Infléchissement du D18O à la limite K-T Source : CRDP aquitaine. |
Un scénario envisageable suite à l'impact météoritique : Au Crétacé terminal, une météorite de grande taille aurait heurté la terre, l'élévation de température aurait induit des incendies de grande ampleur. Le souffle provoqué aurait soulevé un épais nuage de poussières, de suies et d'aérosols composés notamment d'HCl, de SO2 et de CO2. Ce nuage stationnant dans la troposphère et la stratosphère aurait fait obstacle au rayonnement solaire plongeant le globe dans l'obscurité. Les conséquences biologiques de la nuit d'impact débutèrent probablement par la rupture de nombreuses chaînes alimentaires ayant pour point de départ les végétaux photosynthétiques.
Rappel : Ce modèle fonctionne sur une échelle de temps courte : entre 100 et 2000 ans. Il prend en compte les évènements courts liés à la théorie de l'impact météoritique. Ce modèle ne permet pas d'explorer les autres hypothèses, comme l'implication des trapps du Deccan.
2. La notion de pompe biologique
La pompe biologique océanique est le phénomène responsable d'un transfert du carbone provenant de l'atmosphère, de l'océan de surface vers l'océan profond (voir la rubrique "modélisation du cycle du carbone court"). Ce phénomène implique la mise en jeu du plancton marin avec en premier lieu, le phytoplancton marin. Le phytoplancton marin prélève du CO2 dans les eaux de surface (qui se renouvelle au dépend de l'atmosphère) et le transforme en matière organique. Le phytoplancton peut-être consommé à son tour par les organismes planctoniques hétérotrophes comme le zooplancton qui lui même peut-être consommé par des organismes de plus grande taille et ainsi de suite. La matière organique photosynthétisée alimente le stock de la biomasse marine. Une partie de cette matière biogène est reminéralisée dans les eaux de surface et remise en circulation au travers des échanges océan-atmosphère. Mais une part de la matière issue de l'activité biologique est exportée de la couche de surface vers les eaux profondes, sous forme d'organismes effectuant des migrations verticales ou sous forme de particules détritiques plus denses que l'eau (cellules phytoplanctoniques mortes ou sénescentes, cadavres d'animaux de toutes tailles, particules fécales, débris organiques divers) et même sous forme de matière organique dissoute en cas de plongée des eaux superficielles. Il en résulte un flux de carbone de la surface vers les profondeurs. Ce flux décroit progressivement, mais une faible fraction de la matière biogène produite en surface finira incorporée (éventuellement pour des millions d'années) dans les sédiments ; c'est ainsi d'ailleurs que s'est lentement constituée une part du stock des combustibles fossiles. Un mécanisme complémentaire est lié au cycle du CaCO3 dans les océans avec le plancton qui élabore des tests en carbonate de calcium qui pour la majorité sont dissous dans les eaux de surface mais dont une part rejoint le fond de l'océan pour former les sédiments carbonatés, participant ainsi à l'exportation du CO2 de la surface vers le fond des océans.(voir figure 5 ci-dessous)
3. Le fractionnement isotopique du carbone en milieu océanique.
- Principe
Il existe deux isotopes stables du carbone, le 12C (98.99%) et le 13C (1.11%) et un troisième radioactif, le 14C. Les principaux réservoirs du carbone sont la matière organique et les carbonates sédimentaires.
Pour la matière organique, tous les processus biologiques comme la respiration, l'action bactérienne ou encore la photosynthèse provoquent un fractionnements isotopique, c'est à dire qu'un des isotopes, le 12C, est préférentiellement utilisé par rapport à l'autre. L'effet de la photosynthèse est de concentrer le 12C dans la matière organique, le rôle des effets cinétiques étant ici important, le 12C étant plus léger que le 13C.
Il existe aussi un fractionnement associé au transfert physique du CO2 de l'atmosphère vers l'océan (non figuré sur la figure 6 ), le système CO2 dissous-bicarbonate-carbonate est enrichi en 13C par rapport au CO2 atmosphérique. L'importance de ce fractionnement "physique" dépend de la température.
Pour la pompe biologique (voir figure 5) qui nous concerne particulièrement, le phytoplancton qui vit en surface de l'océan prélève préférentiellement pour la photosynthèse le 12C, le milieu s'enrichit alors en 13C, le D13C augmente. En profondeur la dégradation des restes organiques libère donc plus de 12C, le D13C diminue. L'écart entre le D13C de surface et le D13C profond permet donc de mesurer l'efficacité de la pompe biologique, autrement dit l'importance de la production primaire en surface.Plus la photosynthèse est importante en surface, plus la concentration en 12C dans le milieu diminue et plus, après exportation, l'océan profond s'enrichit en 12C. Cette différence entre l'océan de surface et l'océan profond peut être étudiée grâce aux fosssiles benthiques et pélagiques conservés dans les sédiments marins.
Formule du D13C
Quelques valeurs du D13C dans la nature
Figure 7 : Evolution du rapport isotopique du carbone au niveau de la coupe de Bidart. Source : CRDP aquitaine | Figure 8 : Le D13C, pendant, et de part et d'autre la limite K-T, pour l'océan de surface et l'océan profond. |
La crise K-T représente une opportunité intéressante pour étudier comment le système terrestre répond à une perturbation extrême.
On sait que la vie a été affectée à la limite K-T. Ces modifications sont associées à des changements brutaux du delta13C (fig.8) liées à la perturbation de la pompe biologique. On dispose d'un modèle issu de la recherche sur le fractionnement du delta13C. On exploite ce modèle pour préciser et expliquer les conditions (durée et ampleur) de la disparition de la vie en milieu océanique à la limite K-T.
Pour répondre à ces questions nous avons choisi d'utiliser le modèle de fractionnement isotopique du carbone dans le système océan-atmosphère afin d'interpréter les mesures faites sur les micro-organismes planctoniques et benthiques
II. Comprendre la conception du modèle.
1. Le facteur temps
Nous avons choisi d'étudier l'hypothèse d'un impact cosmique et son influence sur le cycle du carbone. Un impact météoritique n'est pas un phénomène graduel comme la plupart des phénomènes en géologie mais un phénomène instantané avec des conséquences immédiates. Le temps 0 du modèle coincidera avec l'impact.
En tenant compte des données paléontologiques, est-il possible de définir la durée du phénomène pris en compte par le modèle? Dans le scénario qui sert de référence, on peut penser que la photosynthèse a été brutalement affectée par l'obscursissement de l'atmosphère, entrainant un disparition rapide du plancton( voir figure 2) comme l'atteste la chute extrêmement rapide de la teneur en carbonates des sédiments de la limite K-T. Les scientifiques donnent une estimation de la durée du pic de magnétites nickellifères (figure 2 ) de l'ordre de la centaine d'années; la disparition des carbonates doit être dans les mêmes ordres de grandeur. Par ailleurs, depuis le début des années 60 les micropaléontologistes ont repéré dans les premiers centimètres des sédiments du Danien un renouvellement extrêmement rapide de la flore et de la faune planctonique qui correspond à une durée de l'ordre du millier d'années. La disparition puis la "recolonisation" ont été, de fait, très rapide.
De plus,en considérant une vitesse de sédimentation de l'ordre 1cm/1000ans, l'épaisseur centimétrique de la couche d'argile corrobore l'échelle de temps choisie.
L'hypothèse choisie correspondra donc, à la lumière des données paléontologiques, à une disparition de la vie pendant des durées pouvant varier entre la centaine d'années et la paire de milliers d'années, donc une perturbation du cycle du carbone sur cette durée.
2. L'ossature du modèle : les réservoirs et les flux.
Ci-contre, un modèle "simple" des transferts de carbone entre 3 réservoirs : l'atmosphère, l'océan de surface et l'océan profond. On a séparé les flux de carbone organique et inorganique car seule la fabrication de matière organique à partir du CO2 opère une ségrégation isotopique, tandis que la formation des carbonates sera simplement le reflet du D13C de l'eau environnante. La valeur initiale des réservoirs est celle des conditions qui régnaient à la fin du crétacé quand la Terre était plus chaude. La valeur de D13C dans les océans est celle mesurée sur des micro-organismes marins tandis que celle de l'atmosphère est basée sur la teneur préindustrielle. Le modèle est compliqué par le fractionnement qui existe dans les échanges physiques entre l'atmosphère et l'océan de surface et qui n'est pas le même suivant le sens des échanges. Ce modèle calcule les transferts de masse de carbone entre les différents réservoirs. Lorsque le modèle sera ouvert avec Venread, on remarquera 3 "sous_modèles" chargés de calculer les conséquences sur la valeur du D13C au sein des trois réservoirs. Les variables en orange seront modifiables par l'expérimentateur. |
3. Le fonctionnement du modèle : aspects quantitatifs.
Valeurs initiales des réservoirs | ||||
Masse de carbone (en Gt de carbone) | Valeur du D13C | |||
Atmosphère | 600 Gt | -6°/°° | ||
Océan de surface | 884.391 Gt | 2.5 °/°° | ||
Océan profond | 38000 Gt | 1.1 °/°° | ||
Valeurs initiales des flux | ||||
"Production primaire" | Total = 8 Gt C/an * (de 0 à 8) | - 20 °/°° pour la ségrégation induite par la photosynthèse.Pas de ségrégation pour la formation de CaCO3. | ||
---|---|---|---|---|
Matière organique= 6.4 Gt/an | Carbone inorganique (CaCO3)=1.6 Gt/an | |||
6 Gt /an est décomposé par les micro-organismes marins et 0.4 Gt enfouit dans les sédiments | 1 Gt /an suit les downwelling et est dissous dans l'océan profond et les 0.6 Gt /an restant sont enfouits dans les sédiments. | |||
Ruisselement | 1 Gt/an | -7.5 °/°° | ||
Incendies | 0 Gt C /an *(de 0 à 100) | Relargage de carbone avec une valeur de - 20 °/°° (celui des végétaux |
*Les valeurs figurant en orange sont celles modifiables par l'expérimentateur, entre parenthèse figurent l'intervalle des valeurs pouvant être choisies.
III. Utiliser le modèle
Mode utilisation du modèle
On propose d'exploiter le modèle du chercheur en mode simulation (se reporter à la prise en main du logiciel).
On cherche à préciser la durée et l'ampleur du phénomène et à évaluer l'impact d'un incendie de grande ampleur.
La simulation permet de "jouer" avec les paramètres "durée", "Production primaire" et "Incendies". Les valeurs calculées par le modèle sont comparées aux valeurs du delta 13C mesurées de la figure 8:
- Le temps de simulation (entre 100 et 2000 ans). C'est la construction même du modèle qui impose ces échelles de temps.
- L'amplitude de la disparition de la vie ( entre 0 et 8 Gt de C, "productivité primaire") et le temps de cette variation. On peut tester un scénario du type : La vie planctonique a été affectée dès l'impact pour une durée de 400 ans, le plancton ayant ensuite lentement recolonisé les océans pour le repeupler complètement au bout de 800 ans.
Un exemple de scénario où la vie disparaît totalement dès l'impact (t=0) jusqu'à t=400, l'océan est ensuite recolonisé progressivement par la vie pour retrouver son état initial a t=800.
Un scénario de disparition totale de la vie pendant 600 ans, à partir de t=200.
- La présence ou non d'incendies et la durée de ceux-ci, comme le suggère les nombreuses traces de suie et de charbon retrouvées à la limite K-T
Un océan totalement dépourvu de vie pour une durée de 100 ans, avec un incendie qui relargue 100 Gt de C /an pour une durée de 4 ans.
Intérêt de la simulation
Se rapprocher le plus possible des données de terrain (figure 8) en testant différents scénarii, de manière à approcher au plus près les conditions de la crise K-T.
Téléchargement
La visonneuse Venread permettant d'utiliser le modèle: voir prise en main du logiciel.
Le modèle du fractionnement isotopique du carbone pour le crétacé terminal : crisebio_KT.vmf
Télécharger un exemple de fiche TP
Information et Bibliographie
- Sites internet
Modélisation :Le modele de l'Université de Carleton (le modèle n'est plus en ligne aujourd'hui)
Sur la crise K-T :
http://site.voila.fr/levolution/kt_3.htm
http://www.futura-sciences.com/comprendre/d/dossier269-5.php
http://www.ens-lyon.fr/Planet-Terre/Infosciences/Histoire/Evolution/Articles/limiteKT.html
- Ouvrages
Sciences de la Terre et de l'Univers. Brahic, Hoffert, Schaff, Tardy. Edition Vuibert. 1999.
Lethiers F. Evolution de la biosphère et évenements géologiques. Gordon and Breach Sc. Pub. 1990, 321 P.
Le cycle du carbone. Henri Jupin. Les fondamentaux, ed. Hachette.
Sédimentologie. Isabelle Cojan, Maurice Renard. Editions Dunod 1999
La Terre, une planète singulière. Roland Trompette. Belin- Pour la Science.2003
Géochimie. Philippe Vidal. Edition Dunod.1998
Edgar Morin. Relier les connaissances, le defi du XXIème
siècle. Seuil
- Revues
Dossier PLS : La valse des espèces (Juillet 2000) et les humeurs de l'océan (octobre 1998).
La recherche N°293, décembre 1996.Dossier la météorite, les dinosaures et le plancton.
Les dossiers de la recherche, le risque climatique. Novembre 2000