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RETRO : les biocarburants en 1979...

Par urgelli — Dernière modification 29/11/2016 11:31
Une chronique rédigée par Nicolas Chevassus-au-Louis, paru dans le quotidien Libération du mardi 20 novembre 2007.

Dans les années 1970, la flambée des prix du pétrole conduit la plupart des pays industrialisés à rechercher des carburants alternatifs à l'essence. Chez les constructeurs, les ingénieurs ressortent leurs vieux cartons à dessin. Depuis l'invention de l'automobile, on sait en effet faire tourner un moteur à explosion avec du méthane, divers alcools ou de l'huile. La légendaire Fort T roulait ainsi à l'éthanol, et le modeste parc automobile français des années 1930 en consommait la bagatelle de 400 millions de tonnes par an. La crise pétrolière donne un coup de jeune à ces vieilles technologies.

Pionnier en la matière, le Brésil lance dès 1975 son plan Proalcool, pour généraliser l'usage du gasohol, essence coupée avec 14 % d'éthanol. L'intérêt économique n'a rien d'évident : le gallon d'éthanol coûte alors 29 cents ; celui d'essence dix de moins. Mais les cours du sucre sont alors au plus bas et l'Etat brésilien voit dans le développement du gasohol un moyen de résorber cette surproduction. L'expérience fait école. Au début de 1980, le président américain Jimmy Carter lance à son tour un programme ambitieux, à base d'exemptions fiscales, visant à multiplier par six l'usage du gasohol en deux ans. Là encore, l'intérêt économique de ce qui est présenté comme « le plus grand effort industriel en temps de paix » ne saute pas aux yeux. Même le département de l'énergie américain reconnaît que le plan ne devrait diminuer les importations de pétrole que de 0,4%, si l'on tient compte de la consommation d'énergie lors de la production de maïs, à partir duquel est distillé l'alcool. Mais, là aussi, les intérêts agricoles priment sur les considérations économiques. Les céréaliers du Middle West s'inquiètent en effet de la suspension des exportations en direction de l'URSS décrétées par l'administration américaine en rétorsion à l'invasion de l'Afghanistan. Dans un discours du 6 janvier 1980, le président, candidat à sa réélection, les rassure : ce qui n'ira pas aux Soviets ira aux alambics !

Ce soutien fédéral au gasohol est loin de faire l'unanimité. Les constructeurs automobiles préféraient le méthanol, produit à partir des fermentations de déchets agricoles, aux performances énergétiques meilleures. Un éditorial du New York Times du 18 novembre 1980 relève de son côté que « tout accroissement de la production d'éthanol augmentera les prix mondiaux du maïs ». Et des voix s'élèvent, déjà, pour alerter sur les risques de famine dans les pays du Tiers monde. « Qu'ils bouffent de l'essence ! » lance ainsi un autre éditorialiste du prestigieux quotidien de la côte Est, pour qui le développement de l'alcool carburant va entraîner « les masses pauvres et affamées » dans une « guerre qu'ils ne pourront gagner » contre « les riches automobilistes ». Même la conversion de la totalité de la production céréalière américaine en éthanol ne couvrirait que 30 % des besoins du pays en carburant, calcule de son côté le Worldwatch Institute, une des premières ONG à se préoccuper de ce que l'on n'appelle pas encore le développement durable.

Et en France ? Nul ne songe alors à y développer le gasohol. Les experts de la Direction Générale de la Recherche Scientifique et Technique, bras armé de l'Etat en matière scientifique, ont fait leurs calculs : bilan globalement négatif ! La transformation de betteraves en éthanol coûterait ainsi 0,6 tonnes de pétrole par hectare et par an, pour fournir in fine une quantité moindre de carburant. C'est donc vers le méthanol et le bon vieux gazogène que se tourne le timide effort français. Cinq ans plus tard, le contre choc pétrolier de 1986 remisera au placard, pour deux décennies, ces carburants que nul ne songeait alors à qualifier de bio.