Le protocole de KYOTO
Actualité 2005 :
- depuis le 1er janvier, Emissions Trading System dans l’UE 1 : 12000 sites des principales industries émettrices de GES (énergie, métallurgie, minerais, ciment, papier…) de l’UE ont reçu une allocation de permis d’émission qu’elles peuvent utiliser ou échanger ; le dépassement est taxé à 40€ la tonne (100€ en 2008).
- 16.02.05 : entrée en vigueur du protocole de Kyoto (site du secrétariat des nations unies pour la convention cadre sur le changement climatique : http://unfccc.int/2860.php )
rappel succint en 3 points
-
l’activité humaine est responsable de la concentration des GES dans l’atmosphère
le CO2 dont l’accumulation dans l’atmosphère explique environ ¾ de l’augmentation du pouvoir de réchauffement découle pour l’essentiel de la combustion des carburants fossiles (¾ du CO2 émis). En 1990, ces émissions étaient imputables d’abord à la production d’énergie – 38%, puis aux transports – 24%.
-
la réversibilité des concentrations en CO2 est extrêmement lente (demi-durée de vie du CO2 : 1 siècle)
Les modèles prévoient d’ici 2100 une augmentation des températures comprise entre 1,4 & 5,8°C en moyenne, une élévation du niveau de la mer de 9 à 88 cm, voire une modification des courants marins et notamment du Gulf Stream…
transition : une traduction relativement rapide de la sphère scientifique à la sphère politique…
1972 : sujet abordé à Stockholm à la conférence mondiale sur l’environnement
1979 : première conférence mondiale sur le climat
1988 : création du GIEC (groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat)
1990 : premier rapport du GIEC
1992 : conférence de Rio qui envisage du quantifier les droits d’émission de GES
1997 : protocole de Kyoto qui distribue pour chaque pays – en référence aux émissions de 1990 – les quantités d’émissions autorisées sur 2008-2012
1998 : l’union européenne s’engage à une réduction de 8% de ses émissions de GES en 2012 par rapport à 1990 mais choisit de constituer une « bulle » en distribuant l’effort de manière différenciée selon les pays (l’Allemagne qui brûle beaucoup de combustibles fossiles pour produire de l’énergie doit ainsi diminuer ses émissions de 21%, la France de 0%).
2001 : Bush annonce qu’il s’oppose à la ratification du protocole
2004 : Moscou ratifie le traité
2005 : entrée en vigueur du traité
… pourquoi ? c’est à première vue étonnant puisque la préservation de l’environnement a un coût, mais compréhensible car on connaît l’incapacité du marché à anticiper des scénarios de long terme.
Un nouveau coût économique ?
La conférence de Rio marque un tournant : l’atmosphère était jusqu’alors un bien libre, sans valeur d’usage. Mais l’analyse scientifique a souligné les conséquences climatiques d’un rejet massif de GES. Dès lors le climat est devenu un bien collectif pur dont le dérèglement est potentiellement dangereux pour tous (tout le monde risque de souffrir du réchauffement et nul ne peut y échapper2). La collectivité décide alors de limiter les émissions de GES en retenant le principe des permis d’émission négociables qui permet de définir a priori la quantité maximum de GES qui pourront être émis3. Les droits d’émissions deviennent donc rares, ce sont des biens privés qui acquièrent un prix par la confrontation de l’offre & de la demande (leur valeur d’échange dépendra à terme de leur valeur d’usage).
L’accroissement des coûts de production est donc certain à court terme même si l’entreprise peut choisir de financer une recherche-développement qui lui permette à l’avenir de s’affranchir de l’achat des permis d’émission. Ce constat suscite des réticences bien sûr aux Etats-Unis qui ont refusé de ratifier Kyoto en raison des surcoûts pour l’économie américaine4 mais aussi en Europe où les entrepreneurs craignent de perdre en compétitivité-prix si l’Europe seule montre l’exemple5.
La minimisation du coût à court terme de la réduction des émissions a cependant été envisagée dans l’architecture même du protocole par le biais de divers mécanismes de flexibilité :
- l’objectif est fixé sur une période de 4 ans (2008-2012) pour lisser d’éventuels dépassements conjoncturels.
-
des quotas sont attribués à chaque pays en fonction des émissions de 1990. L’allocation initiale tient donc compte du niveau de développement pour donner plus à ceux qui émettent plus6.
-
les permis peuvent être échangés selon le mécanisme de marché : ainsi une entreprise à qui une réduction d’émission coûtera 10 pourra acheter à 8 un permis à une entreprise dont le coût de réduction vaut 5. En conclusion, les réductions d’émissions auront d’abord lieu là où elles coûtent le moins7.
-
Le mécanisme de développement propre permet dès aujourd’hui à des entreprises d’un pays industrialisé de récupérer des permis d’émission à hauteur des réductions d’émissions obtenue dans des PED par un investissement propre8
-
Le mécanisme de mise en œuvre conjointe débute en 2008 et permet ce même type de transferts entre pays développés.
On peut ajouter que certains économistes suggèrent de réduire la distorsion de coûts en utilisant les recettes fiscales des « amendes » pour réduire la pression fiscale sur le travail9. Enfin à moyen et long terme on peut envisager une baisse des coûts liée à l’innovation technologique et à la réorientation de la demande vers des produits ou des services dont la production engendre peu d’émissions de GES. D’ailleurs, même sans la contrainte de Kyoto, les industriels américains envisagent aussi d’investir dans la recherche & développement de technologies propres car les unités de production et les débouchés des multinationales américaines sont à l’échelle du monde.
Un petit pas environnemental
L’impact de Kyoto sur la concentration de GES et donc sur le réchauffement sera négligeable. Avec les Etats-Unis, la réduction moyenne de 5,2 % des émissions de GES en 2008-2012 par rapport à 1990 devait permettre de limiter le réchauffement de 0,06°C. Sans les Etats-Unis qui représentent 46% des émissions des pays riches et sans la certitude que les autres réussiront à atteindre leurs objectifs…on peut se demander quel est le sens de cet accord ? Politique certainement.
Un premier pas politique dans le domaine de l’environnement
Enjeu : le marché est incapable de prendre en compte le très long terme… quel homo oeconomicus renoncerait à son intérêt immédiat pour celui – hypothétique – des générations futures ? Le politique doit donc pallier cette insuffisance du marché10.
Question problématique : comment gérer le risque de défection puisqu’il s’agit d’un bien collectif (le non-réchauffement du climat) dont on ne peut exclure l’usage. Chacun a intérêt à se retirer du protocole dès lors que les autres continuent à participer. Pour minimiser ce risque dans Kyoto 1, les ambitions ont été modestes (et cela n’a pas empêché le refus américain !). Qu’en sera-t-il lorsqu’il faudra amplifier l’effort de réduction des émissions jusqu’à changer de modèle de développement ?
En conclusion, on peut souligner une hypothèse intéressante pour renforcer Kyoto développée par Roger GUESNERIE dans son rapport (cf. bibliographie). Il faudrait reconsidérer la séparation entre champs du commerce & champs des biens environnementaux globaux. Si les négociations interétatiques intègrent à la fois les enjeux commerciaux et environnementaux, en sachant par ailleurs que l’OMC est la seule institution internationale à avoir un réel pouvoir sur les Etats11, le risque de défection sera amoindri.
Bibliographie commentée
p. 92-94 : Le marché peut-il sauver la planète ? par Denis CLERC. Une analyse critique de l’intérêt et des limites des mécanismes de marché dans le domaine de l’environnement. Synthétique et très clair.
Hors-série Alternatives économiques n°64, 2ème trimestre 2005
Alternatives économiques n°233, février 2005.
Roger GUESNERIE, Kyoto et l'économie de l'effet de serre, Rapport du Conseil d’Analyse économiquE n.39, la Documentation française, 2003, 265 p.
Analyse économique coûts/avantages d’une politique de maîtrise de l’effet de serre. L’évaluation économique du protocole de Kyoto. Des remarques intéressantes sur les enjeux politiques notamment concernant l’allocation initiale de permis d’émission.
Un excellent site, celui du Dr Ben MATTHEWS http://climatechange.unep.net/jcm/
une mine de données au travers de modèles d’évolution des émissions de CO2 en fonction de multiples variables (population, objectifs politiques de limitation des émissions ou non, avec ou sans les Etats-Unis…). On peut à la fois détailler les différents scénarios de l’IPCC et projeter ses propres conjectures : interactivité & aides sont très bien conçues.
1 Un questions-réponses en français à cette adresse : http://europa.eu.int/rapid/pressReleasesAction.do?reference=MEMO/04/44&format=HTML&aged=1&language=FR&guiLanguage=en.
Le site de l’UE sur l’ETS (directives, modélisation des objectifs …etc) : http://europa.eu.int/comm/environment/climat/emission/press_en.htm
2 La diffusion des GES dans l’atmosphère est suffisamment rapide (qqs jours pour le CO2) pour que les conséquences climatiques soient indépendantes des zones d’émission.
3 l’Europe avait d’abord proposé de fixer un prix de l’émission de GES par l’intermédiaire d’une taxe. La taxe avait l’avantage de pouvoir être appliquée à tous les acteurs économiques – même les plus petits comme l’automobiliste… un atout dans l’objectif d’un changement de comportements. Mais elle avait aussi l’inconvénient d’une trop grande rigidité sans donner pour autant de certitudes sur la quantité finale d’émissions. A contrario, le choix des quotas d’émission permet de différencier les objectifs selon les Etats. C’est essentiel dans la mesure où le consentement à payer peut être très différent selon les régions. D’une part parce que les conséquences du réchauffement effraient plus ou moins du Bengladesh à la Sibérie, d’autre part parce que les PED ont des priorités de développement pour les générations actuelles qui semblent légitimement prioritaires sur l’objectif de soutenabilité du mode de développement.
4 Les Etats-Unis sont certes le territoire qui émet le plus de GES (6 t d’équivalent carbone par habitant) et l’objectif qui leur était assigné par Kyoto semble a priori raisonnable (-7% par rapport aux émissions de 1990) mais il faut tenir compte du dynamisme économique & démographique de ce territoire. Ces croissances conduisent toutes choses égales par ailleurs à une augmentation de 25 à 30% des émissions de GES entre 1990 & 2012 : respecter Kyoto revient dans un tel contexte à imposer une modification en profondeur les modes de production & de consommation aux Etats-Unis. Aucun des candidats à la dernière présidentielle n’a voulu prendre ce risque. Cela étant, à l’échelle des Etats, des initiatives sont prises : 9 Etats de la côte est sont en train de créer un marché de permis d’émissions pour les centrales électriques, et à l’ouest la Californie a adopté une loi contraignante pour les constructeurs automobiles, les obligeant à vendre des voitures rejetant moins de CO2 (objectif : -30% de CO2 émis d’ici 2016)
5 En octobre 2004, le Medef a jugé illusoire, voire dangereux, que l’Europe, se voulant vertueuse, s’isole dans ce combat. L’UNICE, organisation patronale de l’industrie européenne, par la voix de son secrétaire général, Philippe De Buck s’inquiète à la même époque d’une distorsion de concurrence (Today, even though the protocol has been ratified by 141 countries, it does not include emission reduction commitments for many of Europe's major competitors. For EU companies, which have already significantly reduced their greenhouse gas emissions by implementing technological improvements and management systems, it is vital that their competitiveness is not damaged). Dans le même esprit, Eric Le Boucher intitulait sa chronique économique au Monde le 03.07.04 : le protocole de Kyoto est moribond, achevons le !
6 A terme ce critère d’allocation devra être revu en vertu d’un critère juste… les PED demandent bien sûr une allocation initiale qui soit fonction du nombre d’habitants… ce qui n’est pas de nature à ramener les Etats-Unis à la table des négociations
7 De plus, le prix des permis d’émission risque d’être bon marché du fait des millions de tonnes de quotas russes rendus excédentaires par la récession russe des années 90.
8 Ce qui satisfait d’une part la nécessité d’éviter un développement « sale » des pays émergents sur le modèle de l’Occident et d’autre part l’impératif d’un transfert de technologies qui permettent au PED de s’insérer dans le commerce mondial
9 Le projet français de taxe générale sur les activités polluantes (TGAP 1999-2000) était ainsi envisagé à prélèvements constants.
10 ce qui veut dire qu’un développement durable ne se fera pas sans intervention publique
11 l’Organe de Règlement des Différents (ORD) créé en 1995 est la seule instance juridictionnelle internationale reconnue par tous les Etats. Elle seule peut légitimer des mesures de rétorsion protectionnistes. Or, depuis 2001, une timide jurisprudence se construit qui donne priorité aux considérations environnementale sur la liberté des échanges.