Communication de Guy Rumelhard
Modélisation mathématique en biologie en TPE
Guy RUMELHARD
guy.rumelhard@wanadoo.fr
Avant de décrire les TPE réalisés en terminale S consistant :
- à modéliser à l’aide des mathématiques certaines questions de biologie,
- à simuler à partir du modèle
- puis à comparer à la réalité pour détecter d’éventuels biais, c'est-à-dire des écarts,
je voudrais poser au moins quatre questions concernant les investigations ou plus largement le principe de mise en activité des élèves, principe d’action qui remonte à plus de cents ans, à l’école laboratoire ouverte par John Dewey à Chicago en 1897. Dewey est un pédagogue très influent, cofondateur du pragmatisme, violemment critiqué par Hanna Arendt et Dominique Lecourt .Première question :
Je m’appuierai sur une remarque faire par Jean Claude Hervé IA-IPR dans le fascicule ADAPT Vuibert ouvrage coordonné par Maryline Coquidé et Stéphane Tirard intitulé « Neuroplasticité » publié en 2007.
Il note que « le programme d’enseignement de 1967 est trop axé sur l’expérimentation possible en classe », et plus tard en 1994 « c’est la possibilité d’enregistrer en classe l’activité du muscle au cours du réflexe myotatique chez l’homme» qui guide son introduction en classe à l’aide de l’EXAO et qui guide les notions à établir « à partir de ce support ». Il précise que « le réflexe myotatique n’est pas enseigné pour lui-même ».
D’une manière plus large si le programme n’est assez souvent que le support de nombreuses activités pratiques et non l’inverse cela distord les objectifs cognitifs.
Pour ne citer qu’un exemple en physiologie nerveuse on met en avant la physiologie du nerf et non pas celle des axones ou des synapses pourtant largement connue à l’époque. Mais tous les lycées n’ont pas un Calmar géant à leur disposition !
Evidemment il est regrettable que « le procédé pédagogique transforme ce qu’il transporte ». La vulgarisation est souvent soupçonnée d’appauvrir et de distordre le savoir, mais dans le domaine pédagogique une telle affirmation demande beaucoup d’audace. Elle sera récusée par une bonne partie de la recherche pédagogique, de l’APBG, du corps d’inspection. Je m’explique. Dès la réforme de 1902 les enseignants demandent des travaux pratiques et le Lycée Condorcet à Paris est l’un des quatre premiers à disposer dès 1903 d’une salle de TP, d’une salle de collection, d’un laboratoire pour les préparations. Je l’ai trouvé dans le même état en 1968 à part le procédé d’éclairage ! Dès la création de l’Union des naturalistes (U.d.N) en 1911 dans le premier numéro du bulletin une collègue décrit l’école de Chicago qu’elle vient de visiter. En 1968 une circulaire rappelle encore que les élèves doivent être les acteurs essentiels des exercices, depuis le choix initial de l’étude jusqu’à sa conclusion. Cents ans plus tard Georges Charpak, croyant innover, redécouvrira en toute méconnaissance de l’histoire, cette même école de Chicago.
J’ai peut être tort de parler de procédé pédagogique. Il s’agit de la question fondamentale des relations entre connaître et faire. Piaget disait « CONNAITRE C’EST OPERER » (opérations logiques et mathématiques essentiellement), Jean Louis Martinand en physicien disait « CONNAITRE C’EST TRANSFORMER ». Dans ces deux affirmations l’action est première. Mais ensuite il y a une réflexion qui peut être un long détour bien souvent hélas sans retour à la question initiale. Charpak traduira « hands on » par « la main à la pâte », mais oubliera de traduire « mind on ».
A la décharge de ceux qui ont conçu les programmes de 1967 ont peut noter qu’historiquement jusqu’au début des années soixante il n’y avait que peu d’écart entre certaines recherches universitaires et le savoir enseigné en classe. D’ailleurs de nombreuses thèses ont été préparées en lycée et non pas dans des laboratoires de l’Université :
Travaux de cytologie : Joyet Lavergne cytologie des mitochondries lycée Condorcet, avant guerre, premier IG de SVT, Camefort double fécondation chez le Pin 1962 prof à Chaptal puis à Paris 7 prépa agreg ; travaux de zoologie ou botanique : Badonnel les Psoques Muséum ; Bournérias phytosociologie en Ile de France prof dans divers lycées puis en CPGE Lycée Chaptal, etc. ; et même des travaux de physiologie nerveuse : Gribenski et les réflexes de posture chez la Grenouille au lycée Condorcet, avec Causin.
Toujours est-il qu’à partir de 1965 les choses changent profondément. Un colloque international de l’OCDE sur l’enseignement des Sciences de la vie en Suisse en 1962 avait initié les transformations, mais en France c’est le prix Nobel de F. Jacob, A. Lwoff, J. Monod, en 1965 qui fait l’effet d’un séisme. L’écart entre la recherche et l’enseignement apparait brutalement immense, sauf peut être en Ecologie du moins selon la façon dont elle est introduite en 1966 en 1ère D : explorer la mare, la forêt, enregistrer des facteurs de variation.
En renversant l’ordre des priorités, en donnant priorité aux connaissances, J.C. Hervé note qu’rsquo;« il devient de plus en plus ardu de concevoir des activités mettant les élèves en situation d’investigation ». Deuxième question :
Quels raisonnements sont-ils utilisés pour passer des investigations aux connaissances ? Analogie, induction, déduction, abduction ?
Et en statistique, on parle souvent de corrélation. Je me souviens d’un sujet de bac ES. Il fallait mettre en relation diabète de type II, obésité, et « mal bouffe », mais dans quel sens ? Mettre en relation, la consigne est claire si l’on expérimente c'est-à-dire que l’on fait varier soi même un paramètre et que l’on observe les conséquences. Quand il s’agit de relation statistique il faut préciser que :
« Corrélation n’est pas nécessairement cause, en tous les cas pas nécessairement cause directe, et cela ne donne pas le sens de la relation. Inversement absence de corrélation ne signifie pas absence de relation causale ».
A moins que les faits ne se suffisent à eux-mêmes ! Dans ce cas « CONNAITRE C’EST VOIR » !
Deux remarques pour critiquer les partisans de la dictature des faits « purs » :
- Un président de jury d’agrégation, doyen de l’I.G. disait en 1978 « L’évolution n’est pas une théorie c’est un fait ! »
- Si on me montre un enregistrement d’un train de potentiels d’action sur un nerf, certains enseignants disent « j’observe un message codé en fréquence ». Non, on n’observe pas un concept. Il y en a au moins deux, sinon trois : vitesse de variation, la valeur absolue, et l’effet cumulatif. PID proportionnel intégratif, dérivatif. (Texte de Gribenski, dans L’Information scientifique et le traité de physiologie de Kayser en 1963)
Troisième question :
Dans l’étude des réflexes, le fait que la Grenouille soit spinale n’appelle en général aucun commentaire théorique. Plus tard on travaille sur les réflexes tendineux de l’homme qui n’est pas bien évidemment pas anesthésié, sans aucun commentaire théorique non plus. (Notons au passage qu’André Gribenski avait utilisé la technique des sections étagées, technique reprise par André Causin au Lycée Condorcet).
Faut-il avoir lu le chapitre de la thèse de Georges Canguilhem sur « la formation du concept de réflexe au XVIIème et XVIIIème siècle » publiée en 1955 et complétée par un article sur le XIXème siècle, pour réfléchir sur les animaux décapités et sur l’obstacle épistémologique qu’ils représentent. C’est une rupture, une révolution inaperçue : la décentration du centre de commande. La moelle seule suffit pour réaliser un mouvement. Cette décentration est inconcevable pour tous ceux qui pensent la commande nerveuse sur le mode hiérarchique centralisé partant nécessairement du cerveau.
La question est donc : quelle est la place des obstacles et de la façon de les surmonter dans l’investigation des élèves ? Le concept d’obstacle lancé en 1938, popularisé en didactique en 1972 est apparu pour la première fois dans le programme de spécialité de TS de 2001 à propos de Mendel (hérédité mélange versus hérédité particule).Quatrième question :
Le réflexe myotatique exploré à partir d’un choc sur le tendon achilléen ou rotulien est actuellement un geste médical.
Est-ce une observation empirique ou bien le produit du concept établit au laboratoire sur l’animal ? Autrement dit est-ce que le concept décalque l’observation, ou l’inverse ? Voilà une question d’histoire des sciences qui est immédiatement une question pédagogique.
Ce réflexe tendineux donne apparemment l’épaisseur d’un fait au concept de réflexe. En fait ce sont deux allemands Erb et Westphal en 1875 (Canguilhem p. 162) qui inventent ce test médical. En France c’est Charcot qui l’introduit en 1880. Mais le concept de réflexe est à peu près établit en 1850, même s’il sera complété par la suite.
Ce test permet de détecter une neuropathie sensitive ataxique des membres inférieurs liée au diabète ou à d’autres causes inconnues
Mais ce réflexe peut également être absent non pas à cause d’une destruction des axones mais parce qu’il est inhibé. En cas d’absence, avant de conclure à une neuropathie, Jendrassik propose de demander de serrer les deux mains et de tirer fortement vers l’extérieur pour le faire réapparaître, ce qui conduit à lever une inhibition. J. Dewaele a fait un long article sur ce concept .
[Même remarque pour A. Flemming. Invente-t-il l’idée d’antibiose à partir de l’observation de l’action du champignon Pénicillium sur les staphylocoques dorés, ou bien ne fait-il cette observation que parce qu’il a déjà en tête l’idée d’antibiose ? Preuve de la deuxième thèse : quarante auteurs ont dit après qu’ils avaient observé avant. La notion de précurseur est inopérante en histoire des sciences. Pour l’élève également. Comment peut-il savoir qu’il est sur le chemin d’une découverte qu’il ne connaît pas].
Revenons une dernière fois au réflexe. C’est l’un des mots scientifique le plus largement vulgarisé. Son application dans la physiologie du travail c’est le taylorisme, la mécanisation des gestes de fabrication. La résistance des ouvriers à cette mécanisation montre l’insuffisance de ce concept au niveau même de son analyse biologique.
Et le taylorisme est en accord avec le béhaviorisme (mot traduit par comportement par Henri Piéron au début du XXème siècle). Et les travaux sur le comportement décrits autrefois termes de capacités et d’aptitudes, se nomment désormais compétences. Les IG de plusieurs disciplines ont critiqué ce vocabulaire flou et continuellement changeant, mais ils ne savent pas que l’idéologie change continuellement de vocabulaire pour dire éternellement la même chose. Voilà jusqu’où doit aller un enseignement de biologie qui se veut une pièce d’une culture générale.
Méthodes scientifiques et non pas uniquement « expérimentale »
En fait il y a quatre biologies et quatre types de biologistes qui parfois ne se comprennent pas, s’ignorent ou se méprisent.
- Les expériences pour rechercher des « lois » de type déterministe, (Claude Bernard)
- Les mathématiques probabilistes qui proposent des plans expérimentaux a priori, qui mettent en forme les résultats expérimentaux, qui mettent l’aléa au cœur des explications. (Laplace, Bernoulli, P. Louis, J. Gavarret, et plus tard Mendel). C’est l’épidémiologie du début du XIXème siècle largement ignorée. C’est actuellement l’evidence based medecine. Le premier fascicule de Maryline Coquide, S. Tirard et Jean Marc Lange ne plaide pas pour l’introduction d’une discipline nouvelle, mais pour l’introduction de trois concepts centraux de la biologie : l’espérance de survie, le risque, et l’aléa.
- L’histoire irréversible, (Darwin)
- La biologie humaine médicale (sport, travail, loisirs, famine). Cette biologie oublie l’homme, pour ne se préoccuper que des maladies. Cela commence avec Pasteur. Mais la médecine réintroduit l’homme pour se préoccuper de « bien naître (naissance) », de bien vivre (définition de la santé de l’’OMS à Alma Ata : le bonheur, ou la qualité de vie), de « bien mourir » (je n’utilise pas les mots d’eugénisme, d’euthanasie qui ont été corrompus par les crimes commis en leur nom). Nous retrouvons ici la question des valeurs soulevée en particulier par Grégoire Molinatti dans le fascicule Neuroplasticité.
La modélisation
Mettre en avant le processus de modélisation devrait permettre de contourner certains des obstacles cités précédemment, sinon de le surmonter. Je n’évoquerais que les modèle mathématiques, les modèles analogiques étant déjà traités ailleurs (Modèle clé/serrure dans ASTER 10, 1990)
Les relations mathématiques/ biologie suivent une évolution en plusieurs étapes :
- Programmes de mathématiques de 1966-1967 en 1ère D et TD, polycopié de l’IREM Paris Sud de Mireille Bardos et Guy Rumelhard à partir du livre de Daniel Schwartz. Echec
- Introduction des mathématiques en Ecologie. Lamotte et Bourlière, puis Blandin, Barbault, etc.
- Apparition des calculatrices programmables avec écran à cristaux liquides (TI 89) : les calculs faisant appel à des différentielles (inaccessibles) peuvent se traiter à l’aide de suites récurrentes (accessibles). Exemples : Modèle logistique (moutons d’Australie) et chaos, modèle de Hardy Weinberg.
- Travaux de didactique engagés il y a vingt ans en 1987
- Livre INRP 1992 traduisant la recherche dirigée par Jean-Louis Martinand,
- Livre causalité INRP (2000) traduisant la recherche dirigée par Guy Rumelhard,
- Thèse de Jean-Marc Lange le 15 décembre 2000.
- Introduction de la modélisation à l’agrégation de mathématiques en 1999.
- Apparition du mot modèle au Bac TS en SVT en 2004,
- Epreuve pratique de mathématiques expérimentée en 2007-2008
- Les mesures négatives de Claude Allègre entre 1997-2000.
- La résistance des enseignants de mathématiques qui doivent « adapter » leur enseignement certains pensent le dénaturer.
- ASTER n°7 et n°8, 1987, et n° 43, 2006 (contenant un article de Dominique ROJAT),
- En amont il y a eu des travaux d’épistémologie historique : Texte de Canguilhem 1964, J. Piquemal 1965, Colloque sur la mathématisation des doctrines informes 1972, thèse d’Anne Fagot-Largeault. Mais aussi Colloque de l’ENS Ulm 2006, 2007.
- Plus en amont encore il y a les travaux de Teissier, Lhéritier sur les populations de Drosophiles et de J. Monod sur les populations de bactéries (1935-45).
Comme je n’aurai pas le temps de développer tous les exemples voici quelques :
Références bibliographiques récentes :
D’abord des sites : Statistix, IREM de Paris, Eduscol (Université d’été), sites académiques de Créteil, Orléans, Toulouse, etc.
CHABROL Sylvie, CROS Nathalie, JAUZEIN Françoise (2006) Du dépistage au diagnostic de la trisomie 21, le contexte de la décision. Paris Vuibert. ADAPT-SNES p. 57-84.
RUMELHARD G. (2001) Le rôle créateur des mathématiques en sciences de la vie. Propositions pour les TPE en première S. in Biologie-Géologie (APBG) 4. 715-729
RUMELHARD G. (2003). En 1865 Claude Bernard versus Mendel. L'utilité des statistiques et les rapports entre théorie et expérience. Biologie Géologie (APBG) 3. 503 - 507
RUMELHARD G. (2004) Modéliser et prévoir l'évolution de la maladie de Creutzfeld Jacob. Biologie-Géologie (APBG) 1. 297-301
RUMELHARD G. (2006) Analyse statistique de l’ADN. Modélisation probabiliste par les chaînes de Markov, puis simulation et détection de biais. Biologie-Géologie (APBG) 3, 479-505
RUMELHARD G. (2006) Corps normalisé, corps individualisé. ASTER 42, 21-36
Modélisation en sciences de la vie.
Certains de mes titres traduisent l’essentiel : « rôle créateur », « modélisation, simulation, détection d’écarts ».
PROCESSUS ou PRODUIT
Le processus de modélisation, consiste en un aller / retour entre un modèle analogique ou mathématique et une observation ou un résultat expérimental obtenu empiriquement, ou en fonction d’un modèle mathématique de construction de l’expérience. Le risque pédagogique consiste à se centrer sur un modèle à apprendre comme un produit, une donnée factuelle de plus parmi d’autres (le modèle logistique, le modèle clé/serrure de sûreté). Ce qui a une valeur éducative c’est bien le processus de modélisation. Sinon, pourquoi apprendre par cœur une formule mathématique ? Nous ne parlerons ici que des modèles mathématiques. Le modèle clé/serrure de sûreté a été analysé ailleurs (ASTER 10).
Ce processus rencontre deux obstacles :
- du côté des enseignants de mathématiques les données observées peuvent ne devenir qu’un prétexte pour faire des mathématiques, sans revenir à l’observation, et ceci d’autant plus que le modèle mathématique est polyvalent. Il en est ainsi de l’exponentielle. Autant l’étudier pour elle-même sans analyser son utilisation dans la dynamique des populations, la radioactivité ou la mesure du temps. Le processus est alors tronqué, interrompu. Les données réelles du dénombrement d’une population s’écartent de ce premier modèle qui doit être ajusté par plusieurs rectifications successives. Là est l’intérêt du travail de modélisation. Autre difficulté, il faut connaître suffisamment de biologie pour comprendre quels paramètres sont retenus ou négligés. La modélisation d’une population ou d’une épidémie ne demande que peu de connaissances biologiques (taux de reproduction, relation proie prédateur, etc.). La modélisation de l’ADN implique beaucoup plus de connaissances et c’est un obstacle.
- du côté des sciences de la vie il faut connaître suffisamment de mathématiques pour comprendre les limites du modèle proposé et les possibilités de le rectifier, ou bien, à l’inverse, la nécessité de rechercher une observation ou de construire une expérience conforme au modèle.
ADEQUATION ou ECART
On souhaite rechercher l’adéquation la meilleure possible entre le modèle et l’observation, quitte à rectifier le modèle, à lui ajouter des termes correcteurs, ou à changer de modèle. Mais on recherche aussi l’écart, le décalage, la discordance imprévue car cet écart est moteur de recherche. En statistiques prouver qu’un médicament agit c’est tester l’hypothèse nulle, c'est-à-dire celle de son inefficacité pour observer si l’on s’en écarte. Dans le cas du sexe ratio, on recherche aussi si l’on s’écarte de l’équi-répartition en fonction du modèle de l’urne de Bernoulli.
POLYSÉMIE
Les significations du mot modèle sont nombreuses, mais il y a essentiellement un double sens du mot qui peut faire obstacle. Le « sens commun » conçoit qu’un modèle est à imiter (l’art imite la nature, on imite les stars !). En sciences le modèle explique la réalité ou du moins en rend compte et permet de prévoir. Il s’agit donc de deux sens (direction du trajet intellectuel) exactement contraires : de l’objet au modèle (imitation) ou à l’inverse du modèle à l’objet (explication ou prévision).
Ce double sens est utilisé idéologiquement ce qui renforce l’obstacle. Par exemple à propos du concept de régulation on explique le fonctionnement de l’organisme à l’aide de modèles technologiques (modèles concrets, ou formalisés), et à l’inverse les régulations organiques servent de modèle idéal à imiter pour le fonctionnement social. Il s’agit d’idéologie car ce fonctionnement supposé harmonieux masque le fait que la réalité sociale est faite de conflits et se déroule selon une histoire humaine imprévisible et irréversible. De même certains aspects du fonctionnement du cerveau peuvent s’expliquer à l’aide du fonctionnement des ordinateurs (théorie de l’information, messages, codes), et inversement on ne saurait refuser les programmations administratives, et la mise en fiches puisque le cerveau « est » (fonctionne comme) un ordinateur.
FONCTIONS
Le modèle scientifique sert à décrire, ou à expliquer, ou à prévoir et décider (prescrire un médicament par exemple).
Il permet également de construire une observation, par exemple de définir a priori un plan expérimental. Mendel propose de randomiser les groupes de graines de petits Pois à comparer en travaillant aussi sur un grand nombre. En agriculture pour comparer l’effet de plusieurs paramètres on dispose les champs dans lesquels on expérimente chaque paramètre selon le carré latin. En statistique tester un modèle ce n’est pas nécessairement évaluer la vraisemblance du modèle en fonction des hypothèses faites sur les paramètres retenus, mais aussi évaluer la vraisemblance des données en fonction du modèle et des hypothèses.
Pour le positivisme expliquer et prévoir sont étroitement couplés et se succèdent nécessairement dans cet ordre. Cette conception est un obstacle car on peut décider sans expliquer, et expliquer sans pouvoir agir. On peut prouver l’efficacité d’un médicament sans connaître son mécanisme d’action. Inversement on peut connaître le rôle d’une mutation d’un gène dans l’expression d’une maladie génétique sans pouvoir agir.
On parle donc du rôle créateur, opérateur, des mathématiques. Mais dans le langage courant les mathématiques sont souvent considérées comme un outil, un langage, une discipline de service, une servante et c’est un obstacle à la compréhension de leur rôle réel. La position ancillaire ne favorise pas l’échange sur un pied d’égalité.
PROPRIÉTÉS
Les modèles mathématiques sont polyvalents : un même modèle explique des situations très différentes comme par exemple l’exponentielle citée plus haut. Inversement plusieurs modèles peuvent expliquer un même phénomène et c’est un obstacle car cela donne le sentiment qu’il n’y a pas de vérité unique, ou bien que l’on recherche l’efficacité et non pas la vérité !
Il n’y a pas nécessairement de correspondance terme à terme entre réalité et modèle. Un détour est souvent nécessaire. On peut ne considérer que les entrées et les sorties, de « la boite noire », pas les mécanismes internes éventuellement inconnus.
Il faut simuler à partir du modèle pour comparer à une observation et évaluer l’adéquation ou le degré d’écart. (ADN modélisé par une chaîne de Markov).
Peut-on réfuter un modèle selon l’exigence de Karl Popper. En probabilité il y a toujours un certain risque d’erreur (au risque 5%), ou plutôt on est pris entre deux risques alpha et bêta.
OBSTACLES au concept de modèle en biologie
Le vivant est parfois pathologique ou monstrueux, donc non modélisable,
Le vivant a une histoire individuelle ou collective (évolution) qui entraine un processus d’individualisation. Le singulier ou l’unique est sans modèle,
Le mot simuler est mal compris et refusé. Il est proche de simulacre, dissimulé, assimilé globalement,
Ce n’est pas la réalité/vérité. On ne cherche plus la vérité, mais l’efficacité dans la prévision.
QUELQUES EXEMPLES étudiés en TPE :
- Un cas binaire : mâles, femelle, sexe ratio, maladies liées au sexe,
- Conséquences prévisibles de la vache folle, du distilbène,
- Dynamique des populations animales, prélèvements par pêche et chasse,
- Génétique des populations, modèle de Hardy Weinberg et remise en cause des six hypothèses,
- Description de la taille et du poids d’une population humaine, prévision de l’obésité, définition du pathologique,
- Epidémiologie : évolution des maladies contagieuses,
- Modélisation de l’ADN par les chaines de Markov, ou par le CGR,
- Les arbres d’évolution des espèces,
- Modélisation des régulations physiologiques,
- Modélisation des formes animales et végétales,
- Prévoir une trisomie 21 en début de grossesse.
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE SUR LE CONCEPT DE MODÈLE
Articles Encycl. Universalis : Modèle, Cybernétique, Automatique, Régulation
CHEVALLIER F. (1984) Systèmes et modèles, Une introduction à la méthode des indicateurs. Paris : Ed. du CNRS.
CANGUILHEM G. (1968) Modèles et analogies dans la découverte en Biologie in Études d'histoire et de philosophie des sciences Paris : Vrin (7ème éd. 1994)
LEGAY J-M. (1997) L'expérience et le modèle. Un discours sur la méthode. Paris : INRA éd.
NOUVEL P. (2002) Enquête sur le concept de modèle. Paris : PUF
Revue ASTER n° 7 (1987) et n°8 (1988) Modèles et modélisation. Paris : INRP ; n°43 2006.
MARTINAND J-L. éd (1992) Enseignement et apprentissage de la modélisation en sciences. Paris : INRP 266 pages
RUMELHARD Guy (1988) Statut et rôle des modèles dans le travail scientifique et dans l'enseignement de la biologie. ASTER 7, 21-48
ISRAEL Giorgio (1996) La mathématisation du réel. Essai sur la modélisation mathématique. Paris : Seuil
SCHWARTZ Daniel (1996) Les modèles en biologie et en médecine Pour la Science n°227
BAILLY Francis, LONGO Giuseppe (2006) Mathématiques et sciences de la vie. La singularité physique du vivant. Paris: Hermann