Les gènes suppresseurs de tumeurs
Une hypothèse ancienne sur l'origine des cancers
Document « Une hypothèse ancienne sur l'origine des cancers »
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Comme l’explicite ce document, l’idée de l’existence au sein des cellules d’un mécanisme qui s’oppose à leur cancérisation, à leur prolifération incontrôlée est ancienne, remontant à Boveri au début du XXème siècle. Auteur avec Sutton de la théorie chromosomique de l’hérédité, il met l’accent sur l’importance des chromosomes dans la vie cellulaire. Il se base sur ses propres observations sur les conséquences d’anomalies chromosomiques au cours du développement de l’oursin, et sur celles de Hansemann sur l’existence d’anomalies chromosomiques dans les cellules cancéreuses d’une tumeur, pour proposer une théorie sur la nature et l’origine d’un cancer. Il postule qu’une cellule devient cancéreuse à la suite d’une anomalie dans la mitose qui lui a donné naissance d’où résulte une garniture chromosomique anormale. Pour Boveri, une tumeur a pour origine une cellule possédant une garniture chromosomique anormale qui transmet ensuite cette anomalie à toutes les cellules qui résultent de sa prolifération incontrôlée. Cette idée sur l’origine génétique des cancers est visionnaire, quand on songe aux limites des techniques d’observation microscopique de l’époque et au peu de connaissances que l’on avait sur les facteurs héréditaires mendéliens (auxquels Johannsen donne le nom de gène en 1909).
Affinant sa conception cellulaire et génétique du cancer, Boveri insiste sur le fait que la cellule cancéreuse a perdu certaines propriétés de la cellule normale, en particulier celles de répondre aux signaux de l’organisme, ce qui la conduit à proliférer de façon indépendante. Il attribue cela à la perte de chromosomes ou de fragments de chromosomes sans pouvoir s’appuyer sur des observations pour étayer son hypothèse. Il imagine donc l’existence sur certains chromosomes de gènes qui, normalement, permettent à la cellule de se multiplier en harmonie avec l’organisme qui l’abrite et dont la perte fait qu’elle acquiert un comportement anarchique. Même si la formulation n’est pas aussi précise c’est l’idée de gènes qui s’opposent à la tumorigenèse qui est exprimée par ce biologiste et cela peut sensibiliser les élèves à la façon dont fonctionne la science.
Une hypothèse ancienne testée 60 ans plus tard
Pendant longtemps, les idées de Boveri ont rencontré peu d’écho auprès des cancérologues d’autant plus qu’on ne savait comment les tester. Là encore c’est un progrès technique, la mise au point de la fusion cellulaire au cours des années 60, qui a permis aux chercheurs (Harris, Klein) de réaliser ces tests.
Document « Les expériences de fusion cellulaire »
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Comme l’indique le document, la cellule hybride résultant de la fusion in vitro entre une cellule normale (un fibroblaste) et une cellule cancéreuse possède initialement un double stock de chromosomes. Le problème à résoudre est simple : la cellule hybride possède t-elle le caractère malin de la cellule cancéreuse ou a-t-elle le phénotype d’une cellule normale ?
Pour le savoir, les chercheurs ont injecté ces cellules hybrides à des souris de même lignée dont le système immunitaire avait été affaibli par irradiation. Le tableau du document indique quelques-uns des résultats obtenus. On constate que les 3 souches de cellules tumorales entraînent le développement de tumeurs chez les souris dans lesquelles elles ont été injectées, la souche Ehrlich étant la plus agressive car il suffit de 3 cellules pour causer la mort, ce qui témoigne de l’importance de la capacité de prolifération de ces cellules. On constate que le nombre de souris développant des tumeurs suite à l'injection de cellules hybrides est beaucoup plus faible, voire nul (hybrides de la souche MSWBS), que les cellules tumorales seules. Le schéma ci-dessous résume les conclusions de cette expérience.
D'après The Cell: A Molecular Approach. Geoffrey M Cooper. Boston University. Sunderland (MA): Sinauer Associates; 2000.
Nontumorigenic : capacité faible voire nulle à développer une tumeur.
On peut donc conclure que dans la cellule normale, il existe un mécanisme génétique, un ou plusieurs gènes qui s’oppose(nt) à la prolifération des cellules hybrides. Ce ou ces gènes devait(ent) être mutés et inactivés dans les cellules cancéreuses. Cela indique aussi que les allèles « normaux » de ces gènes étaient dominants et les allèles mutés récessifs. On est là dans une situation bien différente de celle des gènes oncogéniques où l’allèle oncogénique est dominant et l'allèle proto-oncogénique récessif.
Cette expérimentation confirmait donc la vue prophétique de Boveri. Une observation complémentaire la validait encore plus. En culture, les cellules hybrides « expulsent » certains de leurs chromosomes et ce sont les chromosomes de la cellule normale qui sont éjectés. Or, certaines des cellules hybrides ayant perdu une partie de leurs chromosomes récupéraient leur phénotype cancéreux. Chez la souris, on a constaté que la seule perte du chromosome 4 suffisait. Cela suggérait qu’un ou plusieurs gènes suppresseurs de tumeurs chez la souris étaient localisés sur ce chromosome.