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Les phénotypes associés à la digestion du lactose
- Le lactose, principal glucide du lait, est un disaccharide formé par l’union d’une molécule de glucose et de galactose. Son absorption nécessite au préalable une hydrolyse réalisée par la lactase, enzyme de la bordure en brosse des cellules de l’épithélium intestinal. Le gène de la lactase humaine, situé sur le chromosome 2, comporte 17 exons et code pour un polypeptide de 1927 acides aminés.
- Il existe des cas d’une déficience congénitale en lactase, qui se manifeste donc dès la naissance. Ils sont dus à des mutations qui affectent la séquence codante du gène et qui font que le polypeptide n’a pas d’activité enzymatique. Parmi les mutations identifiées, nous en avons retenu une qui se traduit par l’apparition d’un stop anticipé au codon 1390. En conséquence, le polypeptide ne comporte que 1389 acides aminés au lieu de 1927 pour un polypeptide fonctionnel.
Ce déficit congénital en lactase, maladie héréditaire récessive, se traduit par des symptômes qui débutent dès les premiers jours qui suivent la naissance par des diarrhées. Les selles liquides sont souvent accompagnées de vomissements. Les diarrhées sont dues au fait que le lactose du lait restant présent dans la lumière intestinale entraîne un transfert d’eau, par osmose, dans la lumière intestinale. En outre, le lactose non hydrolysé atteint le colon où il est métabolisé par la flore bactérienne qui le transforme en acides gras, hydrogène et dioxyde de carbone par fermentation. En l’absence d’exclusion du lactose, une dénutrition et une déshydratation sévère surviennent, menaçant la vie de l’enfant. Le traitement repose sur l’exclusion définitive du lactose.
- Les adultes humains se répartissent en deux phénotypes en ce qui concerne l’aptitude à digérer le lactose.
- Les uns n’ont qu’une aptitude très faible à digérer le lactose car ils ne produisent plus de lactase (ou très peu). Ils sont dits « lactase non persistants ».
Les autres dits « lactase persistants » gardent l’aptitude à digérer le lactose durant toute leur vie, car leurs cellules intestinales continuent à produire de la lactase. Chez les individus au phénotype « lactase non persistante », les manifestations d’intolérance au lactose débutent généralement vers 3-5 ans et se traduisent par un ballonnement abdominal, des douleurs abdominales, des borborygmes et dans les cas les plus nets des diarrhées. Il faut bien voir que tous durant les premières années de la vie exprimaient le gène de la lactase.
- Ces phénotypes sont héréditaires. Le phénotype « lactase non persistante » est récessif et donc le phénotype « lactase persistante » dominant. Ces deux phénotypes sont diversement répartis dans la population mondiale, le phénotype « lactase persistante » étant particulièrement fréquent en Europe du nord. En France, la fréquence du phénotype « lactase non persistante » est de 20% dans le nord et de 50% dans le sud.
Les séquences du gène de la lactase sont identiques chez les « lactase persistants » et « lactase non persistants ». Ce n’est donc pas dans la séquence codante du gène qu’il faut rechercher l’origine de la différence phénotypique. A partir de biopsies intestinales, on a recherché les ARN messagers du gène de la lactase chez des individus « lactase persistants » et «lactase non persistants ». Chez les premiers on a mis en évidence l’ARNm du gène de la lactase alors qu’il était absent chez les seconds. La différence phénotypique est donc due à une différence dans l’expression du gène et plus précisément dans sa transcription. Chez les « lactase non persistants », le gène s’exprime à la naissance mais cesse de s’exprimer à partir de 3-5 ans ; chez les « lactase persistants », il continue à s’exprimer durant toute la vie.
- On a alors recherché la cause de cette différence dans la transcription du gène suivant les individus en explorant le génome autour du gène de la lactase. Chez les Européens, on a constaté une différence nucléotidique à la position -13910 en amont du point de départ de la transcription du gène, entre les individus « lactase persistants » et « lactase non persistants » : une thymine chez les « lactase persistants », une cytosine chez les « lactase non persistants ».
Fragment des deux brins d'ADN autour de la position -13910 en amont du début de la transcription du gène de la lactase. La paire de bases différentes est en rouge. A faire.
On a constaté une corrélation parfaite entre le phénotype « lactase non persistante » et l'homozygotie pour le variant C-13910. De même, corrélation complète entre le phénotype « lactase persistant » et la présence d'au moins un variant T en -13910.
Sur la base de ces corrélations, on estime donc que cette différence est cause de la différence d’expression du gène. Cela introduit l’idée que des séquences situées en dehors de la séquence proprement dite du gène peuvent avoir une influence sur son expression.
Cela a été confirmé par des expériences in vitro portant sur une lignée de cellules intestinales dans lesquelles on a introduit par transgenèse diverses constructions génétiques. Trois types de constructions ont été utilisés qui comprennent tous une même structure de base : la séquence d'un gène rapporteur, la luciférase, associée à la région promotrice du gène de la lactase (la région promotrice se trouve immédiatement en amont du gène, sur laquelle se fixe l'ARN polymérase, processus indispensable à l'initiation de la transcription).
- le premier type de construction se limite à cette structure de base ;
- le second comprend en plus, en amont du promoteur, un segment incluant le variant T-13910 ;
- le troisième comprend en amont du promoteur un segment incluant le variant C-13910.
Ces types de constructions reviennent à mettre la transcription du gène de la luciférase sous la dépendance de la région promotrice du gène de la lactase. Le gène de la luciférase code pour une protéine, la luciférine, enzyme qui en présence de son substrat provoque une réaction s'accompagnant d'une émission de lumière. La quantité de luciférine synthétisée, mesurée par luminiscence, traduit l'importance de la transcription.
Même s'il y a une transcription du gène de la luciférase avec la première construction génétique, cette transcription est plus importante avec les constructions 2 et 3. Cela indique que la région entourant la position -13910 est amplificatrice de la transcription, ici du gène de la luciférase et dans les conditions physiologiques normales, du gène de la lactase. Cet exemple illustre la notion de zone régulatrice de la transcription (zone encore appelée Enhancer).
On constate aussi que l'amplification du gène de la luciférase est 4 à 5 fois plus importante avec la structure comprenant le variant T-13910 qu'avec le variant C-13910. Le polymorphisme -13910 peut donc expliquer le polymorphisme phénotypique « lactase persistante » et « lactase non persistante ». Mais l'activité d'une zone régulatrice n'est pas autonome ; elle dépend de protéines appelées « facteurs de transcription » qui se lient à la zone régulatrice. Cette liaison est indispensable à l'activation de la transcription.
Des études ont révélé dans le noyau des cellules intestinales la présence de protéines, notamment la protéine Oct1 (facteur de transcription connu), qui se lie à la région amplificatrice du gène de la lactase. La liaison de cette protéine avec la région comprenant le variant T-13910 est beaucoup plus forte que sa liaison avec la région du variant C-13910.
Ces données n'expliquent pas totalement ce qui se passe après le sevrage chez les personnes « lactase non persistants ». On peut penser que ce sont des changements dans les facteurs de transcription qui sont en jeu.
En dépassant le cas particulier de la lactase, cet exemple complète une vision du gène en associant à la région transcrite celles de zones promotrice et régulatrice.
Schématisation d'après L. Canaple.
Données générales sur l'évolution de ces phénotypes
La quasi totalité des mammifères sont capables de digérer le lactose et donc de produire la lactase avant le sevrage, mais ils perdent cette faculté après. Les adultes ont donc pour phénotype « lactase non persistante ». Ce phénotype est aussi majoritaire dans la population mondiale (65% sont « lactase non persistants » et 35% « lactase persistants »). Les populations asiatiques et la majorité des populations africaines sont très largement « lactase non persistants ». Les études sur l'ADN des Hommes du début du néolithique chez les Européens ont révélé pour tous les échantillons analysés qu'ils avaient uniquement le variant C-13910. Ces données font qu'on considère que l'allèle LNP est l'allèle ancestral et l'allèle LP un allèle muté. Cela implique que l'allèle muté s'est répandu dans les populations nord européennes et est resté rare dans les autres populations. Cela pose le problème des facteurs qui ont facilité l'expansion du phénotype « lactase persistante » dans certaines populations (sélection naturelle, dérive génique, etc.). Certaines populations africaines ont aussi une fréquence élevée de « lactase persistante » mais ce phénotype est dû à d'autres allèles que le T-13910. Cela traduit une évolution convergente sans doute en rapport avec la pratique de l'élevage.
Ces problèmes évolutifs pourraient être abordés en classe de terminale.