Poissons des glaces - Proposition pédagogique
Introduction
· « La biodiversité, résultat et étape de l’évolution », tel est l’intitulé d’un paragraphe du nouveau programme de seconde. L’exemple de la biodiversité actuelle des Notothénioïdes de l’antarctique permet d’introduire ce concept car ces poissons adaptés aujourd’hui à vivre dans des eaux constamment froides, résultent de l’évolution d’espèces vivant dans des eaux beaucoup plus chaudes, il y a une trentaine de millions d’années.
· Un alinéa du programme précise : « Au sein des la biodiversité, des parentés existent qui fondent les groupes d’êtres vivants. Les parentés d’organisation des espèces d’un groupe suggèrent qu’elles partagent toutes un ancêtre commun ». Il est possible, en exploitant des caractères simples, d’établir les relations de parenté au sein des Notothénioïdes, de construire un arbre phylogénétique, de réinvestir ce qui a été vu au collège et de préparer ainsi l’exploitation d’arbres phylogénétiques en terminale. Cette étude permet d’introduire les notions d’état dérivé et d’état ancestral d’un caractère, et l’idée que le regroupement d’espèces se fait uniquement en prenant en compte les états dérivés des caractères. Ainsi va-t-on un peu plus loin qu’au collège. Bien entendu le logiciel « Phylogène » est l’outil approprié pour cela.
· Dans le programme de seconde, il est dit que « la variation génétique repose sur la variabilité de la molécule d’ADN » et entre parenthèses, on ajoute mutation. L’exemple des poissons de l’antarctique permet d’enrichir cette notion de mutation car on connaît celles qui ont conduit à la production de protéines antigel et à la disparition des molécules d’hémoglobine chez les poissons des glaces. C’est un bon exemple pour évoquer le concept de bricolage moléculaire.
· Dans le dernier alinéa relatif à l’étude de la biodiversité sous l’angle évolutif, le programme fait allusion à la sélection naturelle et à la dérive génétique. L’approche de la façon dont les innovations génétiques des poissons de l’antarctique apparues par mutations ont pu se répandre dans les populations permet de faire comprendre ces notions.
· Enfin, dans le programme, il est évoqué l’idée que l’activité humaine peut affecter la biodiversité. L’impact d’un réchauffement, même modéré, des eaux froides de l’océan austral en bordure de l’antarctique sur la faune des Notothénioïdes est un bon support pour évoquer cette idée.
Les adaptations des Notothénioïdes
Les documents sur les caractéristiques des eaux et celles des Notothénioïdes permettent de discuter à un niveau élémentaire de l’adaptation des Notothénioïdes à leur environnement. Le caractère le plus frappant est la possession de protéines antigel qui leur évite de geler lorsque la température de l’eau est très basse, inférieure à 0°C. C’est une propriété qui permet de survivre dans cet environnement et donc indiscutablement une adaptation.
L’absence d’hémoglobine chez les poissons des glaces est un cas unique chez les vertébrés. Les élèves de seconde savent que la circulation sanguine assure le transport du dioxygène depuis la surface d’échanges respiratoires jusqu’aux organes. En revanche, ils ignorent comment le dioxygène est transporté par le sang. Il importe donc de résumer simplement le rôle de l’hémoglobine dans ce transport chez les autres vertébrés sans oublier, bien que faible en pourcentage, la fraction dissoute. Chez les poissons des glaces, le transport est réalisé seulement sous forme dissoute et plusieurs faits font que cela suffit à assurer la respiration des cellules de ces poissons : riche oxygénation des eaux à cause de leur température très basse, métabolisme réduit de ces poissons dont la température du corps est constamment basse comme celle des eaux où ils vivent, volume cardiaque, volume sanguin et débit cardiaque plusieurs fois supérieurs à ceux des autres poissons de même taille. Dans le thème sur l’activité physique, on aborde l’importance de l’augmentation du débit cardiaque sur le prélèvement du dioxygène au niveau des poumons. Chez les poissons des glaces, en permanence, le débit cardiaque est très élevé ce qui facilite le prélèvement du dioxygène du milieu au niveau des branchies. Peut-on pour autant parler d’adaptation ? Les Notothénioïdes à sang rouge vivent aussi bien que les poissons des glaces dans ce milieu. On peut seulement dire que l’absence d’hémoglobine est tolérée dans des eaux très oxygénées grâce aux caractères de l’appareil circulatoire de ces poissons.
Les relations de parenté au sein des Notothénioïdes
Les données fournies intéressent 7 espèces de Notothénioïdes, l’une Cotterpa gubio, espèce subantarctique, les 6 autres endémiques des eaux froides de l’océan austral. Un petit nombre de caractères sont pris en compte dans les données fournies : présence ou non de protéines antigel, couleur du sang (ou présence ou non d’hémoglobine,), débit cardiaque, volume sanguin.
A partir de ces données, le premier travail à faire est de construire une matrice des caractères, chose à laquelle les élèves sont habitués au collège. Ensuite il faut réfléchir sur les deux états de chaque caractère et introduire les notions d’état dérivé et d’état ancestral. Il s’agit alors de passer à la construction d’un arbre phylogénétique en fonction du nombre d’états dérivés partagés par les différents taxons. Cela conduit à l’arbre ci-dessous, sur lequel on peut situer les innovations évolutives prises en compte.
Collection et arbre à illustrer
Cet arbre met en évidence que tous les Notothénioïdes haut-antarctiques, partagent le même état dérivé, la possession d’une protéine antigel, héritée d’un ancêtre commun qui n’est pas celui de Cotterpa. Cela reste vrai si on considère les 96 espèces de Notothénioïdes des eaux australes, suggérant l’idée qu’à la suite de l’acquisition de cet état dérivé, il y a eu une radiation évolutive créatrice de la biodiversité d’aujourd’hui.
Dans cette radiation, les poissons des glaces avec leurs 15 espèces apparaissent une branche terminale. Il est fort probable que l’acquisition des états dérivés de l’appareil circulatoire a précédé la perte de l’hémoglobine.
L’évolution des notothenioïdes au niveau moléculaire.
Les gènes de l’hémoglobine
Le plus simple est de commencer par les données moléculaires relatives à l’hémoglobine. Cela implique de préciser que chez les poissons comme chez les autres vertébrés, l’hémoglobine est une protéine constituée par l’assemblage de 4 chaînes polypeptidiques deux à deux identiques. Il n’est pas nécessaire pour cela d’envisager la structure d’une chaine polypeptidique, ce qui sera fait en classe de première. Une vue globale suffit. Bien sûr, il faut aussi préciser que chaque chaîne est codée par un gène.
Structure 3D d’une hémoglobine
On dispose des séquences du gène alpha de Cotterpa, de Notothénia et des 4 poissons des glaces.
La comparaison des séquences des gènes alpha de Cottoperca et de Notothénia………. ?
Pas de séquences nucléiques
La comparaison de la séquence du gène alpha de chaque poisson des glaces avec celle de Nothotenia révèle que la séquence du gène alpha d’un poisson des glaces est nettement plus courte que celle de Notothénia et qu’elle présente une forte similitude avec l’extrémité terminale de celle de Notothénia. Le gène alpha d’un poisson des glaces est donc un gène tronqué et c’est cela qui fait qu’il n’est pas fonctionnel. Le gène alpha d’un poisson des glaces est donc un gène fossile qui indique que les ancêtres des poissons des glaces ont dû avoir un gène fonctionnel. La mutation à l’origine du pseudo gène alpha des poissons des glaces est donc une délétion importante de la séquence du gène.
Le fait que les gènes alpha de tous les poissons des glaces présentent les mêmes caractéristiques laissent à penser que c’est un caractère hérité de leur ancêtre commun,
La situation en ce qui concerne le gène bêta est plus simple. Alors que Notothénia a un gène bêta complet et fonctionnel, on ne trouve pas de séquence présentant de similitude avec le gène bêta de Nothotenia dans le génome des poissons des glaces. On est conduit à penser que la mutation qui fait que les poissons des glaces n’ont pas de gêne bêta est une délétion complète du gène.
L’ancêtre commun aux poissons des glaces possédait un gène alpha tronqué et n’avait pas de gène bêta. Les données moléculaires sont conformes avec l’arbre précédemment construit et permettent de le préciser en y incluant les mutations des gènes de l’hémoglobine.
Le gène codant pour une protéine antigel.
Là, il ne s’agit plus de perte d’un gène mais de l’origine d’un nouveau gène. Les chercheurs ont isolé et séquencé le gène qui code pour une protéine antigel puis en exploitant une banque de données sur les gènes des poissons téléostéens ont recherché un gène qui pourrait présenter des similitudes avec celui de la protéine antigel. Leur attention a été ainsi attirée sur le gène qui code pour une enzyme pancréatique, le trypsinogène. Ils ont proposé un scénario qu’on peut résumer de façon simplifiée de la façon suivante :
- Le gène de la protéine antigel provient d’une évolution du gène qui code pour le trypsinogène ; comme ce dernier est présent chez tous les poissons des glaces, cela suppose une duplication du gène et c’est à partir d’un des duplicatas que s’est formé le gène codant la protéine antigel.
- Les régions amont et aval du gène du trypsinogène se retrouvent dans le gène de la protéine antigel ; en revanche une grande partie du gène du trypsinogène ne se retrouve pas dans le gène de la protéine antigel et a donc été délétée au cours de la formation de ce gène.
- Un motif de 9 nucléotides (à vrai dire de 9 paires de nucléotides) présent dans le gène du trypsinogène se retrouve répété un grand nombre de fois dans le gène de la protéine antigel. Au cours de la formation de ce gène, il y a donc eu une amplification du motif acagcggca.
Ainsi, c’est au terme d’une histoire évolutive complexe comportant des mutations de divers types, qu’un gène du trypsinogène a été transformé en un gène codant pour une protéine antigel. C’est une belle illustration de ce que François Jacob a appelé le bricolage moléculaire. « L’évolution ne tire pas ses nouveautés du néant. La création de structures moléculaires ne peut se fonder que sur un remaniement de structures préexistantes… L’évolution biologique est ainsi fondée sur une sorte de bricolage moléculaire, sur la réutilisation constante du vieux pour faire du neuf. » Le jeu des possibles Fayard.
La banque de données permettant d’aborder cette question de l’origine du gène codant pour la protéine antigel se rapporte à l’espèce Dissosthicus mawsoni. Elle comprend :
La séquence du gène du trypsinogène (il s’agit de l’ADNc)
La séquence du gène de la protéine antigel
Les séquences amont de ces gènes
Deux stratégies pédagogiques peuvent être utilisées. Dans la première, on fournit un bilan des conceptions sur l’origine du gène et on demande d’exploiter la banque de données avec Anagène pour dégager des informations confirmant ce bilan. Suivant la deuxième, après avoir indiqué que les chercheurs pensent que le gène codant la protéine antigène provient de la transformation du gène codant le trypsinogène, on demande d’utiliser Anagène pour élucider les mutations à l’origine de cette transformation.