L'ADN néandertalien en nous : quelques questions
1 - Comment sait-on qu'un fragment d'ADN présent dans le génome d'un sapiens est d'origine néandertalienne ou denisovienne ?
La comparaison de l'ADN nucléaire des néandertaliens et des sapiens est réalisée en en examinant plusieurs fragments de quelques milliers de base.
Le principe de la méthode d'analyse de chaque fragment est le suivant : on considère par exemple 2 fragments homologues l'un appartenant à un européen et l'autre à un africain. On repère dans chacun les SNP (Single Nucléotide Polymorphisme) c'est à dire les sites où le nucléotide diffère entre les deux séquences. Le segment sera considéré comme informatif si la divergence entre les deux séquences est importante par rapport à la divergence entre deux génomes entiers de sapiens (qui est au maximum de 0,1%). On compare ensuite ces fragments au segment homologue de l'ADN d'un néandertalien. Si la divergence entre le fragment néandertalien est faible avec l'un des sapiens et nettement plus forte avec l'autre on conclut à une similitude plus grande entre l'ADN du néandertalien (pour ce fragment) et l'ADN de l'un des sapiens qu'avec l'autre sapiens.
C'est ce qui a permis d'établir que pour plusieurs régions de l'ADN génomique, l'ADN des néandertaliens était plus proche de celui des européens et asiatiques que de celui des africains.
Comme les sapiens non africains ont une origine africaine, ces portions du génome ne peuvent être héritées des africains. L'explication la plus simple fournie par les généticiens est qu'il y a eu dans le passé un métissage entre les ancêtres des non-africains sortis d'Afrique et les néandertaliens.
2 - Une confusion à éviter
Un segment informatif d'une origine néandertalienne forme un haplotype et se transmet en bloc de génération en génération car la probabilité de crossing-over à l'intérieur est faible. Il peut avoir une longueur de quelques milliers à dizaines de milliers de paires de bases. Si on additionne les longueurs (en nombre de bases) de ces segments informatifs et qu'on rapporte le résultat à la longueur totale de l'ADN du génome, on trouve que 2% environ de l'ADN des non-africains est d'origine néandertalienne.
Cette estimation de 2% n'est pas contradictoire avec les 99,9% de similitude (et donc 0,1% de différence) entre 2 génomes de sapiens quelconques (européen et africain par exemple). Ce dernier pourcentage se réfère au nombre de sites identiques dans les deux génomes par rapport au nombre de sites global.
Il ne faut pas confondre la somme en bases de la longueur des segments informatifs avec le nombre de sites (SNP) différents. L'exemple suivant relatif à l'intégration d'un fragment d'ADN denisovien chez certains sapiens, les Tibétains, l'illustre. On voit que l'ADN des Tibétains présente à 5 sites le même nucléotide que le denisovien contrairement aux finlandais et aux africains ce qui traduit leur origine denisovienne. Le fragment denisovien présent chez les Tibétains a une longueur de 2430 environ alors que le nombre de sites différents est de 5.
3 - Les chercheurs estiment à 20% au moins l'héritage néandertalien présent dans la population mondiale actuelle de sapiens, alors que chaque individu ne possède que 2% environ de fragments d'origine néandertalienne. Comment expliquer ces données ?
Un article de Nature de 2014 (Genome sequence of a 45,000-year-old modern human from western Siberia) décrit la séquence d'un sapiens de 45 000 ans trouvé à l'ouest de la Sibérie. Dans ce génome on trouve des segments d'origine néandertalienne ce qui indique que le métissage avait déjà eu lieu. Certains de ces segments d'ADN néandertalien sont plus longs que ceux trouvés chez les Hommes actuels.
4 - Un ADN néandertalien inégalement réparti dans le génome des sapiens
Les individus résultant d'une union entre néandertalien et sapiens possédaient 50% d'ADN d'origine néandertalienne et 50% d'origine sapiens. Cela ne veut bien sûr pas dire que chez ces individus toutes les séquences des 23 chromosomes d'origine néandertalienne diffèrent entièrement des séquences des 23 chromosomes d'origine sapiens. Un certain nombre de fragments seulement diffèrent entre les 2 types d'ADN par des SNP et sont caractéristiques de chacun d'eux. L'ensemble de ces fragments représente au moins 20% du génome. Lorsque ces individus métissés fabriquent leurs gamètes ceux-ci reçoivent un nombre variable de chromosomes d'origine néandertalienne et d'origine sapiens par suite du brassage interchromosomique. En réalité le brassage intrachromosomique fait que chaque chromosome comprend à la fois des parties néandertaliennes et des parties sapiens. Si un métis s'accouple avec un sapiens la part d'ADN d'origine néandertalienne transmise à sa descendance sera plus faible que chez lui et variable chez chaque individu de sa descendance. Et cela se répète de génération en génération. Les fragments trouvés chez les sapiens actuels sont plus courts que ceux du sapiens de 45000 ans car au fil des générations ces derniers ont pu être fragmentés par la recombinaison intrachromosomique (crossing-over à l'intérieur des segments).
5 - Un ADN néandertalien inégalement réparti dans le génome des sapiens
Il existe des régions du génome qui sont très pauvres en ADN de type néandertalien. C'est le cas de l'ADN du chromosome X. L'interprétation privilégiée par les chercheurs est que l'ADN néandertalien incorporé dans ce chromosome devait conférer un désavantage sélectif aux individus qui en étaient porteurs, de sorte qu'au fil des générations il a été éliminé par la sélection naturelle. De nombreux gènes conditionnant la fertilité mâle sont situés sur ce chromosome X et exprimés dans les testicules. On suppose que l'ADN néandertalien devait causer une diminution de la fertilité des individus.
Inversement, d'autres régions du génome, notamment celles portant des gènes contribuant aux caractéristiques de la peau, sont particulièrement riches en ADN de type néandertalien. On suppose que cet ADN devait conférer un avantage sélectif aux sapiens hors d'Afrique en particulier pour la résistance au froid.