Les observations de terrain et les données expérimentales
Les observations de terrain et les données expérimentales relatives à l'action de l'environnement sur la fréquence des phénotypes résistants
Des chercheurs ont déterminé le génotype des moustiques recueillis dans la région de Montpellier en ce qui concerne le gène Ace1 et les gènes des estérases. Les graphes ci-dessous indiquent la fréquence des différents génotypes en fonction de la distance au bord de mer (la zone traitée aux insecticides OP correspondant à une frange du littoral de 20 à 25 km de large) :
1 - Fréquence des génotypes relatifs aux locus Ace1 et (AB) en fonction de l'environnement
(mesures effectuées en 1996) Gène Ace1 :
Le génotype RS est attribué ci-dessus aux moustiques qui fabriquent les deux types d'enzymes (acétylcholinestérase sensible et acétylcholinestérase résistante). En réalité, la situation est plus complexe. En effet, la souche appelée ACE93 est caractérisée par une duplication du gène Ace1 avec l'allèle ACE1S à un locus et l'allèle Ace1R à l'autre locus. Les moustiques synthétisant les deux enzymes, peuvent donc avoir aussi les génotypes suivants : homozygote RS/RS, héterozygotes RS/S et RS/R. Au lycée, en première approximation, on peut faire l'impasse sur ces derniers génotypes pour évaluer la fréquences des allèles résistant et sensible de Ace en fonction de l'épandage ou non d'insecticide. Superlocus (AB)
|
A partir de ces données, les chercheurs ont calculé la fréquence des allèles de résistance Ace1R et Ester en fonction de la distance au bord de mer :
2 - Fréquence des allèles résistants pour chacun des locus Ace et (AB), en fonction de l'environnement
(OP = zone traitée aux insecticides OP) |
On peut donc constater que la fréquence des allèles de résistance est nettement supérieure dans la zone traitée et qu'elle diminue régulièrement lorsqu'on s'éloigne de cette zone.
La recherche d'une explication à ces observations conduit naturellement à faire intervenir la sélection positive des moustiques porteurs d'allèles de résistance dans la zone traitée... La fréquence faible des allèles de résistance dans la zone non traitée s'explique-t-elle seulement par les cazpacités limitées des migrations des moustiques de la zone traitée vers la zone non traitée, ou bien est-elle due à un désavantage des moustiques résistants dans un milieu sans insecticide ? Des données expérimentales fournissent des éléments de réponse.
3 - Expérimentation avec la souche R92
R92 est une souche de Moustiques résistants obtenue par les chercheurs en 1992 à la suite de nombreux croisements. La résistance de la souche est due à l'allèle EsterB1 (=B1R) qui entraîne une production considérablement amplifiée de l'estérase B1. La souche est initialement homozygote pour l'allèle B1 : tous les Moustiques ont deux allèles (B1)R avec le même nombre de répétitions de B1.
Les chercheurs ont divisé cette population de Moustiques de lignée pure pour EsterB1 (B1R) en deux. La première fraction a été élevée pendant 4 ans dans un milieu sans insecticide. La seconde fraction a été soumise, à chaque génération, au dernier stade larvaire, à l'action d'un insecticide OP (le temephos) à une concentration entraînant une mortalité d'au moins 80% des larves (souche SEdit). L'expérimentation permet donc de suivre l'évolution du phénotype des Moustiques initialement de même génotype, en fonction de l'environnement. En 1996, on a déterminé les courbes de mortalité des deux populations R96a (a pour absence d'insecticide)et R96i (i pour présence d'insecticide) et on les a comparées à celle de R92. Le graphe ci-dessous présente les résultats obtenus :
La courbe de mortalité de R96iest décalée vers la droite par rapport à celle de R92. Cela indique que globalement, la population R96i est plus résistante que la population R92 dont elle est issue. La dose DL50 pour la souche R92 est environ 5.10-2 et pour R96i elle est environ de 2,5.10-1 ce qui donne un rapport de 5 environ.
La courbe de R96a est décalée vers la gauche par rapport à celle de R92 : globalement, la population R96a est moins résistante que celle de R92. La DL50 de R96a est de 2.10-2 ce qui donne un rapport vis-à-vis de R92 de 0,4.
On constate donc une sélection positive des Moustiques résistants dans la population soumise au fil des générations à l'insecticide, mais aussi une sélection en faveur d'organismes moins résistants dans la population élevée en absence d'insecticide. Cela semble indiquer un désavantage des Moustiques résistants dans le milieu sans insecticide. Une première explication de ce coût de la résistance, certes sans support expérimental, consiste à dire qu'en l'absence d'insecticide, la quantité considérable d'estérase produite l'est pour rien. Il est possible que la production d'une telle quantité de protéines, comparativement aux Moustiques sensibles, affecte d'une certaine façon la valeur sélective.
Les recherches ont été poursuivies sur les souches R92 et R96a en comparant l'évolution du génotype des deux populations. Chez quelques individus de chaque population, on a déterminé le nombre de répétitions de B1 dans l'allèle B1R qu'ils possédaient. Le niveau d'amplification dans les deux populations R96a et R96i était bien différent : une moyenne de 23 +/- 7 copies chez R96i, et de 11+/- 2 chez R96a. Cela indique que dans l'histoire évolutive des deux populations de nouvelles mutations conduisent à un polymorphisme génique avec une sélection positive des individus porteurs d'un grand nombre de répétitions en milieu avec insecticide et de ceux dont le niveau d'amplification est faible dans le milieu sans insecticide. Ainsi, il y a une interaction permanente entre innovations génétiques et environnement.
Le plus difficile est bien sûr de faire saisir que le milieu n'oriente pas la nature des mutations, mais que celles-ci sont sélectionnées en fonction des caractéristiques de celui-ci.
4 - Les données de terrain et le coût de la résistance
Les données récentes ont fourni des précisions sur les facteurs susceptibles d'entraîner une sélection négative des Moustiques résistants en milieu sans insecticide : survie hivernale bien plus faible, prédation larvaire plus forte, charge en Wolbachia (bactérie) plus élevée.
Le document ci-dessous présente la densité des Wolbachia présentes chez des moustiques sensibles et résistants, adultes mâles ou femelles ou larves :
|
D'une façon générale, les femelles, qu'elles soient sensibles ou résistantes aux insecticides OP, sont plus infectées par la bactérie Wolbachia que les mâles et les larves.
D'autre part, qu'il s'agisse des larves ou des adultes, les individus résistants aux insecticides OP sont globalement plus parasités par cette bactérie que les individus sensibles à ces insecticides, que la résistance soit due à une production accrue d'estérases ou à une Ace insensible.
Une forte charge en Wolbachia ayant une action néfaste sur la reproduction du moustique, on comprend ainsi la sélection négative concernant les individus résistants dans un milieu sans insecticides OP.
5 - La compétition entre allèles de résistance
Le "gène ACe1RS", apparu en 1993, se répand dans la population de Moustiques de la région de Montpellier aux dépens de l'allèle ACe1R. La présence de la copie ACe1S ne modifie pas la résistance fournie par ACe1R mais sa présence, tant qu'elle n'est pas inactivée par l'insecticide, offre une activité acétylcholinestérasique plus forte au Moustique. Le coût de la résistance est moindre, d'où un avantage sélectif pour les Moustiques possédant ACe1RS par rapport à ceux ayant uniquement ACe1R.