Immunité antitumorale
I - Immunité antitumorale
1 - Système immunitaire et cancers
Les recherches d’immunologie fondamentale et appliquée de la fin du 19ème siècle et surtout du 20ème ont conduit aux connaissances sur les mécanismes par lesquels le système immunitaire protège l’organisme contre les bactéries et les virus. En revanche, pendant une bonne partie du 20ème siècle, de vifs débats entre immunologistes ont eu lieu sur l’implication du système immunitaire dans la protection contre les tumeurs carcérales. Les documents 1 et 2 fournissent des arguments relatifs à ces débats.
- Document 1 : Fréquence des cancers chez des personnes ayant reçu une transplantation d’organe.
La seconde moitié du 20ème siècle voit l’essor de la transplantation d’organes, en particulier rénales. Il est dû aux progrès chirurgicaux et aussi aux médicaments immunosuppresseurs comme la cyclosporine que doivent recevoir les patients transplantés pour éviter le rejet de l’organe par le transplanté lorsqu’il a un CMH (complexe majeur d’histocompatibilité) différent de celui du donneur. Ce traitement immunosuppresseur doit être poursuivi pendant toute la vie du transplanté. De nombreuses études ont eu pour objet d’étudier l’évolution clinique des transplantés.
Ainsi dans une étude publiée en 2020, Henrick Benonie et al ont publié une étude sur les cas de cancers survenus chez les patients de pays nordiques ayant subi une transplantation rénale entre 1995 et 2011. L’âge médian des transplantés était de 50 ans. ils ont comparé la fréquence de ces cancers chez les patients transplantés à celle de la population générale des pays nordiques présentant la même gamme d’âges et les mêmes facteurs de risques. Ils ont trouvé que sur les 12984 patients étudiés, 1845 avaient été atteints par un cancer, 1 sur 12 pendant les 5 premières années qui ont suivi la transplantation et 1 sur 6 pendant les 10 premières années. La fréquence des cancers chez les transplantés était 3,3 fois plus élevée que dans la population générale.
D’autres études relatives aux transplantations d’autres organes ont débouché sur les mêmes constats.
Source : Relative and absolute risks among Nordic kidney transplantation recipients. Transpi int2020
- Document 2 : infiltration des tumeurs par les cellules immunitaires
L’observation microscopique des tumeurs a souvent révélé la présence de cellules immunitaires, en particulier de lymphocytes T cytotoxiques (LT CD8c = CTL). Ils sont aussi appelés TIL (Tumor infiltrating lymphocytes). D’après leur distribution spatiale dans le microenvironnement de la tumeur, on reconnaît trois phénotypes principaux de la tumeur illustrés par la figure ci-dessous. Les cellules tumorales sont en bleu, les lymphocytes T en vert.
D’après : Turning cold tumors into hot tumord improving T-cell infiltration. Yuan-Tong LIU et Zhi-Jun Sun. Theranostics 2021.
Les observations du suivi des patients ont révélé que ceux ayant des tumeurs avec le phénotype « inflamed » avaient un meilleur pronostic que ceux avec les deux autres types de tumeurs.
- Piste générale de questionnement :
- Expliquer en quoi les informations extraites des documents 1 et 2 confortent l’idée que le système immunitaire a une activité antitumorale.
2 - La notion d’immunosurveillance.
En 1909, Paul Ehrlich, médecin partisan de l’idée d’action antitumorale du système immunitaire, supposa que des cellules cancéreuses naissantes, apparaissent continuellement dans l’organisme et que le système immunitaire les détecte et les élimine avant qu’elles soient cliniquement décelables.
Les connaissances en immunologie et les techniques expérimentales de l’époque ne permettaient pas de tester cette idée de sorte qu’elle tomba dans l’oubli pendant près de 50 ans jusqu’à ce que deux immunologistes, Macfarlane Burnet et Lewis Thomas la reprennent en 1957 avec le concept d’immunosurveillance.
- Document 3 : Le concept d’immunosurveillance (surveillance immunitaire)
3a : Les idées qui ont guidé Burnet et Thomas
L’étude des mécanismes du rejet d’une greffe d’un donneur par l’organisme du receveur avait montré que le système immunitaire était capable de reconnaître comme « non soi » le greffon et de le détruire. Burnet et Thomas ont pensé que la tumeur cancéreuse devait être perçue comme « non soi » par le système immunitaire et qu’en conséquence il devait être capable de l’éliminer.
En outre Burnet et Thomas raisonnaient à partir de considérations évolutives. Chez les animaux à durée de vie relativement longue, des mutations géniques devaient être fréquentes dans les cellules somatiques et une proportion importante d’entre elles devait entraîner un changement du phénotype des cellules transformées, première étape vers la cancérisation. Ils ont pensé que l’existence de mécanismes pour éliminer ou inactiver de telles cellules mutantes était une nécessité évolutive et qu’ils étaient immunologiques.
3b : Expression du concept d’immunosurveillance ;
Les cellules somatiques de l’organisme, transformées génétiquement et phénotypiquement par les mutations subies, sont reconnues comme le « non soi » par le système immunitaire qui les élimine avant qu’elles ne se développent.
Les lymphocytes agissent comme des sentinelles qui reconnaissent et éliminent continuellement les cellules cancéreuses naissantes.
3c : Données expérimentales testant l’immunosurveillance
Les chercheurs ont expérimenté sur des souris de même souche qu’ils ont divisées en deux lots. Le premier lot est constitué par des souris possédant un système immunitaire fonctionnel et sont donc immunocompétentes. Les souris du deuxième lot ont été rendues immunodéficientes. Les souris des deux lots ont été soumises a l’action d’un carcinogène chimique, le méthylcholanthrène. Les chercheurs ont étudié l’apparition de tumeurs chez les souris des deux lots par la suite. La figure traduit les faits constatés.
D’après : Cancer immuno editing : integrating immunity’s roles in cancer suppression and promotion. Robert Schreiber. SCIENCE Vol 331 25 march 2011.
- Piste générale de questionnement :
- Discuter dans quelle mesure les données expérimentales confortent la notion d’immunosurveillance.
3 - Les antigènes tumoraux
La capacité du système immunitaire à différencier les cellules tumorales des cellules saines implique que les cellules tumorales présentent des antigènes qui leur sont spécifiques. Les documents 4a et 4b permettent de dégager les caractéristiques de ces antigènes, notamment comment ils sont présentés aux cellules dendritiques qui initient la réponse antitumorale et aux lymphocytes T cytotoxiques, cellules effectrices du système immunitaire à médiation cellulaire (LT CD8 encore désignées CTL).
- Document 4a : Localisation et nature des antigènes des cellules tumorales
D’après : Cancer Immunology. Oliviera J Finn. New england journal of medicine June 2008.
MHC=CMH Complexe majeur d’histocompatibilité.
La figure évoque trois types de changements génétiques dans les cellules tumorales entraînant des modifications de protéines cellulaires. En A il s’agit de mutations causant des changements dans la séquence de la protéine. En B, les mutations ne modifient pas la séquence mais agissent sur l’intensité de l’expression de la protéine. En C, il s’agit de modifications de la protéine après sa traduction. La protéine modifiée à l’origine d’un antigène tumoral est en vert.
- Document 4b : Diversité des antigènes tumoraux
D'après Réponses immunitaires contre les tumeurs et les greffons.
- Pistes générales de questionnement :
- Dégager les caractères communs aux cellules saines et aux cellules tumorales en rapport avec la notion d’immunosurveillance
- Dégager les différences entre cellules saines et cellules tumorales qui permettent au système immunitaire d’identifier des cellules tumorales par rapport à des cellules saines
- Comment expliquer qu’il n’existe habituellement de réaction immunitaire contre les cellules saines ?
4 - Action des lymphocytes TCD8 (CTL) cytotoxiques sur les cellules tumorales
La réaction immunitaire antitumorale aboutit à la formation de lymphocytes T cytotoxiques spécifiques ayant pour cible les cellules tumorales. Les figurs du document 5 renseignent sur les mécanismes de l’action de ces lymphocytes TCD8 (=CTL) au sein de la tumeur.
- Document 5a : Etablissement d’un contact entre le lymphocyte cytotoxique et la cellule tumorale
Pour ce document, il faut considérer uniquement (Normal T cell) c’est-à-dire le lymphocyte T cytotoxique. L’exploitation de l’image CAR-T est envisagée plus loin dans le dossier.
- Document 5b : Comportement d’un lymphocyte cytotoxique issu d’une réaction immunitaire contre un virus cancérigène
D’après : Lymphocyte T cytotoxique.Extrait de Immunohématologie, page 36
- Document 5c : Mécanismes de l’action mortelle d’un lymphocyte T cytotoxique sur une cellule tumorale (cellule cible)
Source : Planet-vie Les LT cytotoxiques : de véritables tueurs ? Septembre 2018. Mathilde Calvez
- Pistes de questionnement :
- Dans la figure 3c, on trouve par analogie avec les synapses neuroniques la légende : synapse immunologique. Indiquer ce qui justifie l’emploi du terme synapse et nommer l’élément pré synaptique et l’élément post synaptique. Pourquoi la qualifie-t-on d’immunologique ?
- Indiquer les caractéristiques du lymphocyte TCD8 qui lui conférant une action cytotoxique que ne possède pas le lymphocyte TCD8 qui est à son origine.
- Nommer les évènements qui ont abouti à la présentation d’un peptide antigénique à la surface de la cellule tumorale.
5 - Echappement des cellules tumorales à l’action du système immunitaire
Le système immunitaire exerce une action protectrice contre les cancers. Néanmoins des cancers cliniquement décelables pouvant affecter divers organes apparaissent durant la vie de nombreuses personnes. Cela signifie que dans ces cas, les cellules tumorales échappent au contrôle du système immunitaire. Les données de ces documents se rapportent aux mécanismes d’échappement des cellules tumorales
- Document 6 : Diversité des mécanismes d’échappement des cellules tumorales
D'après : Réponses immunitaires contre les tumeurs et les greffons.
Diversité des mécanismes d’échappement des cellules tumorales à l’action des lymphocytes T cytotoxiques.
- Piste de questionnement :
- Expliquer comment les divers changements des phénotypes des cellules tumorales peuvent entraîner une diminution voire un blocage complet de l’action du système immunitaire sur elles
6 - Evolution au cours du temps des interactions entre le système immunitaire et les cellules d’une tumeur : l’immunoediting des cancers
L’identification des mécanismes de destruction des cellules tumorales par le système immunitaire, la prise en compte des mécanismes d’échappement des cellules tumorales ainsi que des données expérimentales sur des modèles de souris présentant des déficits immunitaires variés, ont conduit les immunologistes de l’équipe de Robert Schreiber de revoir la théorie de l’immunosurveillance en l’intégrant dans un concept plus large, celui d’immunoedition du cancer (Cancer immunoediting). Cette théorie relative à l’évolution des interactions entre le système immunitaire et les cellules tumorales comprend trois phases (Elimination, Equilibre, Echappement) qui sont illustrées par la figure du document 7a.
- Document 7a : Les trois phases de la théorie de l’immunoediting
D’après : The immunobiology of cancer: immunosurveillance and immunoediting. Gavin P. Dunn. Immunity 2004
Les cellules « saines » sont en gris. Les cellules tumorales sont représentées initialement en brun puis ensuite avec des couleurs variées (violet, rose, orange). Plusieurs types de cellules immunitaires sont indiqués, les uns de l’immunité innée (comme les cellules qui sont à NK) les autres de l’immunité adaptative (LT CD4 et LTCD8). Ce sont les lymphocytes LT CD8 qui sont à l’origine des effecteurs antitumoraux les plus efficaces. Pb53 et RB désignent des gènes suppresseurs de tumeurs et Ras est un proto-oncogène.
- Document 7b : Interactions entre le système immunitaire et la tumeur au cours de la phase d’équilibre
Données expérimentales
Les immunologistes de l’équipe de Schreiber ont administré des doses faibles d’un carcinogène chimique, le MCA, à un lot de souris immunocompétentes. Ils ont suivi le développement de tumeurs pendant 200 à 230 jours. Seules quelques souris ont présenté des tumeurs. Après le 230ème jour, les autres souris ont subi un traitement immunosuppresseur axé sur une diminution importante des lymphocytes T. Les immunologistes ont constaté que par la suite des tumeurs se sont développées chez 50% de ces souris.
Un cas clinique
Des médecins immunologistes ont rapporté le cas de deux personnes décédées d’un mélanome, forme grave d’un cancer cutané, dû à la prolifération anarchique des mélanocytes, cellules pigmentaires de la peau. Les métastases du mélanome sont fréquemment mortelles. Ces deux personnes avaient reçu une transplantation d’un rein du même donneur, décédé à la suite d’une hémorragie. Les analyses génétiques du mélanome de ces personnes a révélé que les cellules cancéreuses avaient pour origine des cellules du donneur ayant fourni ses reins.
Les immunologistes ont consulté les registres médicaux des personnes ayant été soignés pour un mélanome. Ils ont ainsi appris que le donneur avait été traité chirurgicalement pour un mélanome 16 ans avant sa mort. La chirurgie pratiquée précocement avait été efficace et le donneur était considéré comme guéri.
Comme pour toute transplantation, les receveurs ont suivi un traitement immunosuppresseur après avoir reçu un rein du donneur.
L’immunogénicité des cellules d’une tumeur
Les immunologistes de l’équipe de Schreiber ont étudié l’immunogénicité des cellules des tumeurs apparues suite à l’action d’un carcinogène chimique (le MCA). Ils ont constaté que les cellules des tumeurs apparues chez des souris immunocompétentes (système immunitaire fonctionnel) étaient peu immunogènes contrairement à celles des tumeurs formées chez des souris immunodéficientes.
- Pistes de questionnement :
- Indiquer les évènements illustrés par la figure du document 7a qui interviennent durant la phase d’élimination.
- Expliquer en quoi les données expérimentales et cliniques du document 7b montrent que le système immunitaire exerce un contrôle des cellules tumorales durant la phase d’équilibre.
- La légende de la figure 7a indique : « Instability Immune sélection ». Indiquer en quoi la figure 7a traduit visuellement cette instabilité génétique (et phénotypique). A partir des données sur les mécanismes d’échappement des cellules tumorales (document 6) et sur celles relatives à l’immunogénicité des cellules cancéreuses des tumeurs, expliquer la notion de sélection immunitaire agissant sur les cellules tumorales intervenant durant la phase d’équilibre.
- Les immunologistes de l’équipe de Schreiber, en conclusion de leurs recherches disent que l’action du système immunitaire sur le cancer est double : protectrice de l’organisme contre la genèse de tumeurs mais aussi promotrice de la formation de tumeurs cliniquement décelables. Résumer les mécanismes des interactions entre le système immunitaire et les cellules tumorales intervenant dans ce double rôle.