Terre végétale
Relu par Jean DEJAX
Maître de conférence
au Muséum National d'Histoire Naturelle
Les premiers êtres vivants aériens trouvés sur les continents
La colonisation des terres émergées par les végétaux remonte certainement à l’Ordovicien ( -450 Ma). Des spores1 ont été trouvées dans des "schistes" d’Oman. Elles possèdent des caractéristiques très proches de celles des actuelles Marchantiales2.
C’est cependant le Silurien (- 430 Ma) qui offre les premières preuves du développement d’une flore terrestre.
On trouve en effet dans le Silurien des fragments fossilisés de tissus caractéristiques de végétaux terrestres aériens appartenant aux Embryophytes3:
- une cuticule4 protectrice contre la dessiccation comportant des stomates permettant le contrôle des flux de CO2 et de vapeur d’eau avec l’air.
- des trachéides5 ou tissus conducteurs de sève brute permettant l’alimentation en eau des organes aériens à partir de l’eau puisée dans le sol par les racines ( cet appareil vasculaire constitue une innovation majeure).
où ont ils été observés ?
On trouve, surtout dans le Silurien supérieur des sites qui livrent des macrophytes, c'est-à-dire des végétaux entiers que l’on peut identifier et dont on peut étudier, plus ou moins en détail, l’anatomie de l’appareil végétatif et des organes reproducteurs. Ces sites sont particulièrement situés dans l’ancienne Laurasie6et présentent une flore assez homogène. Le genre commun à tous ces sites fossilifères est Cooksonia.
Cooksonia est le premier Embryophyte connu (Silurien inférieur, site de Tipperary, Irlande, -428 Ma). D’aspect très simple, il possède cependant un sporophyte7 ramifié dichotomiquement et est donc plus évolué que les Bryophytes. |
Document 1 : reconstitution de Cooksonia caledonica dont on ne connaît pas la base (certainement un rhizome). ©www.bio.indiana.edu/ |
Zosterophyllum est un genre que l’on retrouve dans certaines flores dévoniennes comme celle de Rhynie, en Ecosse. Cependant, il apparaît dès le Silurien supérieur et peut constituer un composant majeur de communauté diversifiées (exemple : site de Holy Cross Mountains, Pologne) associé à Cooksonia et à d’autres genres de Rhyniophytes.
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Document 2: reconstitution de Zosterophyllum d'après des fossiles |
Le Gondwana8a fourni moins de données sur les flores siluriennes, mais a cependant produit la plus discutée, celle du site de Yea, dans l’état de Victoria, Australie. Elle est connue sous le nom de flore à Baragwanathia, et datée de -420 / -415 millions d’années. Cette datation a été longuement débattue (et l’est encore, d’ailleurs) car l’espèce qui caractérise cette flore, Baragwanathia longifolia, présente une anatomie plutôt " moderne ", avec des feuilles présentant une nervure centrale et des racines.
fossile de Baragawanathia Document 3 à droite : reconstitution (en a) de Baragwanathia longifolia montrant le rhizome porteur de tiges verticales couvertes de microphylles (M en b et c) vascularisées (V) mais aussi de vraies racines (R). Les sporanges (SP en b) ne sont pas terminaux mais portés à l’axe de certaines microphylles. |
a
©www.museum.vic.gouv.au/
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b ©www.adonline.id.au/ |
c ©www.ujf-grenoble.fr/choler/BEV/cour
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La découverte de communautés comprenant des genres évolués (Zosterophyllum) en Laurasie a conforté l’idée d’une évolution rapide des végétaux terrestres, sur l’une et l’autre des deux grandes masses continentales de l’époque.
La colonisation des continents au Silurien s’accompagne donc d’une diversification assez importante de ces végétaux et l’apparition de formes déjà avancées sur le chemin de l’adaptation à l’environnement aérien.
La flore silurienne est donc déjà adaptée et diversifiée, et annonce en cela la flore dévonienne qui montre sa biodiversité dès le Dévonien inférieur (Rhynie, Ecosse), biodiversité qui va s’enrichir de l’apparition de nouvelles formes comme l’arbre (Archaeopteris, Lepidodendron), au Dévonien supérieur grâce à une innovation majeure, le cambium9.
reconstitution d'un paysage au Silurien
Lexique
1 spores : Elément unicellulaire produit et disséminé par les végétaux et dont la germination donne une forme préparatoire à la reproduction sexuée (mousse, prothalle de fougère, mycélium de champignon)
2 Marchantiales : Les marchantiales sont un groupe de petits végétaux à thalle de relativement grande taille présentant tous une morphologie particulière. Le thalle est un large ruban (1 cm de large voire même plus) chlorophyllien ramifié, en contact avec le sol. La face inférieure porte des filaments fixateurs : les rhizoïdes
3 Embryophytes : Les Embryophytes rassemblent ce qu'on appelle les plantes terrestres. Elles sont appelées ainsi car leur cycle de développement comprte un embryon; leurs gamètes sont contenus dans une structure appelée gamétange.
5 trachéides : Les trachéides sont des cellules très allongées dont les extrémités sont en biseau. Elles permettent le transport de la sève brute (composée d'eau et de sels minéraux).
6 Laurasie (ou Laurasia ou laurentia) : Laurentia est un continent apparu entre -1,8 et -1,9 Ga. Associé à d’autres continents vers – 440 Ma, il entre en collision avec le Gondwana entre -370 et – 270Ma. C’est la formation de la Pangée. Il se sépare de la Pangée entre – 220 et -160 Ma par l’ouverture de l’océan atlantique. Il poursuit sa migration vers le nord et se fracture vers – 85Ma en deux entre le futur Groenland et l’Amérique du nord. Son nom a pour origine le fleuve canadien le Saint Laurent.
7 sporophyte : Le sporophyte est la génération diploïde du cycle de reproduction des plantes qui produit des spores. Chez les mousses, le sporophyte est peu visible, alors que chez les fougères et les plantes à fleurs, il est constitué par la majeure partie de la plante.
8 Gondwana : Le Gondwana a été nommé par Eduard Suess d'après le nom d'une région de l'Inde, Gondwâna, où une partie de la géologie de cet ancien super-continent a pu être déterminée.
9 cambium : Assise continue de cellules ( à la limite du bois et de l’écorce) qui, par divisions et différenciation cellulaire entraîne l'accroissement en diamètre des racines, du tronc, des branches et des rameaux des végétaux.
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Quelques éléments de bibliographie (les articles sont disponibles en ligne) :
- “ Terrestrial ecosystems through time “, A.K. Behrensmeyer et al ; The University of Chicago Press, 1992
- “ The evolution of plants”; Willis et McElwain, Oxford University Press, 2002
- “Botanique : biologie et physiologie végétale”, S. Meyer et al, Maloine, 2004
- “The origine and early evolution of plants on land”, P. Kenrick et P.R. Crane, Nature, 4 septembre 1997“Morphologically complex plant macrofossils from the Late Silurian of Arctic Canada”, M. Kotyk et al, American Journal of Botany, n°89 – 2002.
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“A Cooksonia-type flora from Upper Silurian of Holy Cross Mountains, Poland”, A. Bodzioch et al, Acta Paleontologica Poolonica, 2003;
Quelques sites à consulter
- http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosevol/, avec un excellent dossier sur « la végétation au cours des temps géologiques »
- http://www.ucmp.berkeley.edu incontournable site de l’université californienne de Berkeley.