Les cadres géographiques et géologiques
D’Annecy à Chamonix, le trajet emprunté recoupe une grande variété de paysages et de modelés, guidés, à l’Est, par la direction de l’arc alpin ici NE-SW et à
l’Ouest par celle des structures jurassiennes, ici subméridiennes. Ainsi, d’Ouest en Est, se succèdent (Figure 1.1) [Nicoud in Bertrandy et al, 1999] :
un avant-pays, serré au Sud entre Rhône et Bauges, puis de plus en plus ouvert vers le Nord, jusqu’à Thonon-les-Bains.
Formé de collines et de replats, d’altitude voisine de 500 à 700 m, délimité par les cours d’eau du Chéran et du Fier inférieurs, et des Usses, transpercé par
des chaînons allongés, s’élevant jusqu’à 1500 m, du Gros Foug, d’Age- Mandallaz, du Vuache et du Salève, cet avant-pays est dominé à l’Est par
les rebords calcaires des Bauges et des Bornes. L’avant-pays comprend l’Albanais, la Semine, Les Usses, le Genevois et le plateau des Bornes.
L’agriculture y est intensive, avec une production laitière très performante. L’arboriculture se développe avec succès.
Un vignoble d’appellation connaît un regain de vigueur autour de Frangy, Aÿse et Ripaille.
des massifs préalpins, des Bauges, des Bornes, du Chablais et du Haut-Giffre, armés par de puissantes barres calcaires s’élevant à plus de
2300 m (La Tournette, la chaîne des Aravis, Le Buet) dessinant de vastes plateaux (Semnoz, Glières, Platé) qui dominent d’étroites et longues vallées (Saint Ruph,
Manigod, du Borne, du Giffre ou des Dranses). Ces massifs sont le royaume d’alpages de qualité, avec des fromages d’appellation (Abondance,
Reblochon, Chevrotin ...) et d’épaisses forêts qui alimentent les scieries et les fabriques de meubles et abritent une faune sauvage diversifiée.
Les massifs préalpins sont isolés par deux sinueuses, la cluse d’Annecy à Ugine entre Bauges et Bornes, et la cluse de l’Arve entre Bornes et Haut- Giffre - Chablais.
- La cluse d’Annecy, occupée par le lac d’Annecy dans sa partie ouest, apparaît endormie, drainée par les seules Eau-Morte vers Annecy et la Chaise
vers Ugine. Le calme de cette cluse se poursuit à son débouché sur l’Avant-Pays par la bourgeoise Annecy, chef-lieu du département, ville touristique
et aujourd’hui universitaire.
- Celle de l’Arve, grande voie de communication, est parcourue par une Arve remuante qui rejoint le Rhône vers Genève. Des industries diversifiées,
de l’horlogerie au décolletage et à la mécanique de précision s’y sont installées, accompagnant une progression démographique régulière, illustrée par
l’expansion d’Annemasse et de Cluses.
les massifs cristallins du Mont-Blanc et des Aiguilles Rouges, aux altitudes élevées, supérieures à 3500 m, ciselés par l’érosion glaciaire. Ils abritent des glaciers encore nombreux mais aujourd’hui malmenés
par des conditions climatiques qui leurs sont défavorables. Mais méfions-nous, ils sont capables de soubresauts comme lors des siècles passés. En contrebas de ce paysage minéral accessible à tous par de nombreux
téléphériques et aux alpinistes par des voies surfréquentées, une forêt bousculée par les aménagements de ski s’accroche au flanc des auges glaciaires. Plus précisément, le bassin de l’Arve atteint une
superficie de 1856 km2, avec une altitude moyenne de 1427 m. Il culmine au sommet du Mont-Blanc à 4807 m et s’abaisse à 375 m dans le bassin genevois. Les glaciers sont, aujourd’hui, essentiellement
concentrés sur le Massif du Mont-Blanc. Ce dernier regroupe près de 170 km2 de glace et 101 glaciers. Il supporte 15 glaciers de plus de 5 km2 et, parmi eux, la Mer de Glace, vaste complexe glaciaire de 12 km de long et 40 km2 de superficie.
La Haute-Savoie est entièrement installée sur les zones externes s.l. de l’Arc alpin. Des éléments de zones plus internes y reposent en klippes, épargnés par
l’érosion (Chablais, Annes, Sulens). D’Ouest en Est, se succèdent : la zone jurassienne et le plateau molassique, puis la zone dauphinoise et les klippes préalpines et, enfin, les massifs cristallins externes (Figure 1.2).
La zone jurassienne et le plateau molassique Les chaînons jurassiens méridionaux sont constitués par une succession d’anticlinaux et de synclinaux, de direction générale N-S à NNE-SSW. Du Sud vers
le Nord, se dégagent les anticlinaux de la Chambotte - Gros Foug, du Vuache et d’Age-Mandallaz-Salève. Les synclinaux du Val du Bourget-Seyssel et du plateau molassique s’y intercalent, d’Ouest en Est.
Les chaînons, à dominante de calcaires, déterminent classiquement des structures anticlinales dissymétriques, à coeur de Dogger marno-calcaire, faillées sur leurs bordures occidentales, le flanc occidental
apparaissant redressé. La construction des ouvrages souterrains a permis de découvrir des structures chevauchantes vers l’Est avec un grand cisaillement plan se perdant dans les molasses des synclinaux.
La succession lithostratigraphique s’étend des formations aaléniennes calcaires à intercalations marneuses au Barrémien calcaire, à faciès urgonien. Les calcaires massifs du Kimméridgien-Portlandien déterminent les corniches les plus apparentes. Les calcaires lités du Bathonien et de la base du Kimméridgien supérieur contiennent de nombreux rognons de silex. Elle se poursuit par les molasses oligo-miocènes déposées en transgression sur les calcaires jurassico-crétacés, avec les « molasses rouges » continentales argilogréseuses micacées, d’âge oligocène à aquitanien, et les molasses marines burdigaliennes gréso-glauconieuses et helvétiennes sablo-graveleuses. Ces séries tertiaires déterminent les synclinaux pincés à l’Ouest et de plus en plus amples vers le NE. Elles donnent alors naissance
au plateau molassique représenté par le synclinal de l’Albanais au Sud qui se subdivise vers le Nord en deux synclinaux de Cruseilles et d’Annecy-Evires. Les molasses peuvent atteindre plusieurs milliers de mètres d’épaisseur. La série tertiaire, complète dans l’Albanais, ne comporte plus que des « molasses rouges » au Nord du grand accident coulissant à mouvement sénestre du Vuache, entre Annecy et Chaumont. D’autre accidents transverses sénestres affectent spectaculairement les structures anticlinales du Salève.
La zone dauphinoise
Elle détermine ici les chaînes subalpines des Bauges, des Bornes et du Haut Giffre (ou Sixt) toutes séparées par des vallées transversales d’origine tectonique et façonnées par les glaciers.
La structure générale consiste en une série de plis parallèles entre eux, plus ou moins déversés et chevauchants vers le NW. Le relief est commandé par les deux barres calcaires du Tithonique (Jurassique supérieur terminal) et surtout de l’Urgonien (Crétacé inférieur terminal) qui émergent d’une épaisse série marneuse à marno-calcaire du Crétacé inférieur. La série se poursuit par les grès glauconieux de l’Albien, les calcaires clairs lités du Crétacé supérieur puis par la trilogie nummulitique classique des calcaires, des marnes et des grès. Dans la partie orientale des chaînes subalpines, des formations plus anciennes, marneuses du Lias à marno-calcaires du Dogger, sont dégagées par l’érosion. Elles restent adhérantes aux massifs cristallins externes. C’est dans ces formations tendres que se développe, vers le Sud, à partir du Haut Giffre, le sillon subalpin qui sépare ainsi les chaînes subalpines des Bornes et des Bauges du massif de Belledonne. Ce sillon subalpin est dominé, à l’Ouest, par le bord subalpin armé par les barres calcaires tithonique et urgonienne. Les plis externes des Bauges et des Bornes sont marqués par de vastes structures synclinales et anticlinales dessinées dans l’Urgonien et le Tertiaire. Plus à l’Est, le relief est inverse, les synclinaux dissymétriques,
à remplissage nummulitique, sont perchés et les Crétacé inférieur. La cluse d’Ugine à Annecy, entre Bauges et Bornes, a été façonnée par les glaciers qui ont emprunté une vallée préexistante, d’origine tectonique par ensellement des plis subalpins déterminant une gouttière transverse, du moins dans la partie centrale. La cluse de l’Arve, qui sépare le Chablais-Sixt des Bornes au Sud, permet une observation remarquable du plissement des chaînes subalpines, avec les calcaires
urgoniens rigides, fréquemment faillés et les calcaires tithoniques plus souples et plissés en S (Figure 1.3 a et b), comme à la cascade de l’Arpenaz (rive droite de l’Arve).
Les massifs cristallins externes
Ce sont les socles anciens des chaînes subalpines déportées vers l’W-NW. Mont-Blanc et Aiguilles Rouges comprennent du matériel ancien constitué principalement par des schistes cristallins avec gneiss et micaschistes et des granites métamorphisés d’âge compris entre 350 et 210 millions d’années. La fracturation y est intense, avec des accidents plus ou moins verticaux et des failles chevauchantes délimitant des écailles à déversement NW, pinçant des bandes de sédiments houillers transgressifs et mésozoïques, à l’issue des tectoniques fini hercynienne puis alpine.
Les klippes préalpines
Ce sont les klippes des Annes et de Sulens, au coeur du massif des Bornes et en appui sur les Bauges septentrionales, et du Chablais, entre Sixt et le lac Léman. Le matériel a perdu toutes ses racines avec les zones internes dont il est issu, suite à la surrection tardive des massifs cristallins externes. Il en est distant aujourd’hui de près de 40 km. A la base, un matériel ultra-helvétique, équivalent stratigraphique du domaine dauphinois, aurait servi de « semelle » tectonique à l’ensemble allochtone des klippes préalpines. Au-dessus, viennent les Préalpes médianes qui couvrent la plus grande partie de la superficie des Préalpes et surtout leur partie médiane. Elles se subdivisent en deux ensembles :
- les Préalpes médianes plastiques, à série subbriançonnaise calcaréo-marneuse, au style tectonique souple dans les niveaux jurassico-crétacés inférieurs
- les Préalpes médianes rigides, discrètes à l’Est du Chablais, à série condensée briançonnaise, riche en dolomies triasiques.
Puis viennent, dans le Chablais uniquement, des éléments prépiémontais, riches en faciès bréchiques, à alternances pélitiques.
Enfin, couronnant l’édifice préalpin du Chablais, les Préalpes supérieures, attribuées à la zone liguropiémontaise, comprennent des flyschs exotiques (grès des Voirons, flyschs à Helminthoïdes, schistes et grès de la Simme, flysch des Gets).
Les formations superficielles
Les formations du substratum, observables dans les thalwegs et de part et d’autres des cluses, sont ailleurs largement masquées par les formations superficielles classiques des zones montagneuses et d’avant-pays intraglaciaires :
les dépôts glaciaires sont représentés surtout par un placage morainique de fond surconsolidé sur le plateau molassique et les versants. Des blocs erratiques jalonnent le passage des glaciers. Dans les hautes vallées, des moraines frontales et latérales sont encore bien conservées. Ailleurs, elles sont disséquées par l’érosion ou ensevelies. De nombreux dépôts latéraux aux glaciers (terrasses de kame) s’appuient sur les versants. Les plus célèbres sont les terrasses de Thonon et celles de la dépression des Usses, souvent exploitées pour les granulats.
les dépôts glacio-lacustres et lacustres sont particulièrement volumineux. Ils sont reconnus dans des lacs proglaciaires aujourd’hui disparus : silts et argiles laminés de la dépression de l’Albanais entre Saint Félix et Saint Girod, du plateau de la Semine entre Frangy, Seyssel et Bellegarde, de la dépression genevoise à l’amont du défilé de Fort l’Ecluse, dans les vallées glaciaires surcreusées de Sallanches, de Bonneville et d’Annecy [Monjuvent et Nicoud, 1987 ; Nicoud et al., 1987].
Cette sédimentation de fond de lac se poursuit dans les lacs périalpins d’Annecy et du Léman. Elle est plus grossière au débouché des cours d’eau dans les lacs comblés ou actuels : graviers deltaïques du Fier à Chavanod près d’Annecy, aux Iles à Annecy, du Laudon à Saint Jorioz, du Fier à Alex à l’aval de Thônes, du Giffre à Marignier, de l’Arve aux Houches, à Passy et à Genève, de la Dranse à Thonon [Baconnais et al., 1981].
les dépôts fluvio-glaciaires à fluviatiles sont relativement peu importants. Les épandages fluvio-glaciaires de la région de Genève (« alluvion ancienne » deLaconnex) témoignent de stationnements du glacier du Rhône. Les alluvions fluviatiles tapissent le fond des vallées. Elles ont une puissance de 20 m dans la vallée de l’Arve et déterminent des terrasses supportant de plus en plus des sites industriels et artisanaux. Ces alluvions fossilisent aussi d’anciens cours d’eau, en particulier creusés durant l’interglaciaire Riss-Würm s.l. : Rhône à l’aval de Genève où elles sont souvent confondues avec l’ « alluvion ancienne », Rhône entre Arcine, Mons et Seyssel suivant un paléo-cours longeant le Vuache, Fier à Brassilly, Chéran à Chavanod suivant un paléo-cours qui rejoignait le Fier à l’aval des gorges de Lovagny, Dranse avec ses conglomérats, Arve entre La Roche-sur-Foron et Reignier... Des cônes de déjection torrentielle font souvent suite en les surmontant à des deltas grossiers. Certains décrivent de vastes éventails : cône du Borne à La Roche- sur-Doron, cône du Giffre à Marignier, cône du Laudon à Saint Jorioz, cône de la Chaise à Saint Ferréol ... D’autres, dans les hautes vallées, sont plus fortement pentés : vallée de Chamonix, haute vallée du
Fier ... Ils deviennent alors mixtes, associés à des cônes d’avalanches.
les dépôts de versant sont omniprésents au pied des nombreuses corniches, avec des draperies d’éboulis peu épaisses mais longuement affleurentes. Des écroulements rocheux, massifs, sont reconnus : celui du Dérochoir, encore actif et menaçant, à l’aval de Servoz, a barré le cours de l’Arve et créé un lac temporaire, celui du Salève à Veyrier, celui de la Montagne de Bange à Cusy,... D’autres sont plus anciens, en particulier celui du rebord NE des Bornes sur le glacier de l’Arve aujourd’hui étalé au N de La Roche-sur-Foron (« moraine des Rocailles »). Des glissements de terrains morainiques affectent les pentes de l’avant-pays molassique (régions d’Evires, de la Semine...). Des coulées boueuses et de débris plus spectaculaires et tout aussi dangereuses se sont produites au plateau d’Assy à Passy et à Bellevaux dans le Chablais...