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L'analyse des mouvements des yeux sur le web

Par jauzein — Dernière modification 29/09/2017 15:36
Aude Richter et Michèle Ternaux, enseignantes de SVT, 2005-2006. Relecture Jean-Louis Vercher, Dr de recherche CNRS, Mouvements et perception, Contrôles sensori-moteurs.

  

Il existe des moyens d'enregistrement oculométrique appliqués à l'étude de l'utilisabilité des sites web.

Ces techniques fournissent au psychologue cognitif mais également à tous les acteurs de l'utilisabilité ( ergonomes, webmasters, designers…) un pistage en temps réel de l'activité cognitive des utilisateurs.

Il est ainsi possible de définir les mesures  spécifiques oculométriques et les champs d'intervention possibles sur le web, en, particulier pour évaluer la prise d'information, l'attention visuelle et les traitements cognitifs impliqués lors de la recherche d'informations.

La technique d'enregistrement des mouvements des yeux est déjà ancienne en psychologie : un aspect fondamental de ce couplage cognitif/oculomoteur est illustré par les travaux de Yarbus (voir page reconnaissance des visages) qui montrent une modification des mouvements des yeux en fonction des instructions données aux sujets pour réaliser une tâche d'inspection visuelle.

Depuis une vingtaine d'années, les travaux sur la lecture et les avancées technologiques ( couplage des systèmes oculométriques et des ordinateurs ) ont permis d'apporter des précisions sur la nature des mécanismes et les représentations cognitives qui guident le regard.

Au niveau de la lecture, si on restreint l'analyse des mouvements des yeux aux séquences de fixations ( pauses) et de saccades ( sauts rapides d'une fixation à l'autre ), les principales caractéristiques oculaires peuvent se résumer dans le tableau ci-dessous :

 

Tâche

Durée moyenne de fixation (en ms )

Taille moyenne de la saccade

(en degré d'angle visuel )

Lecture silencieuse

         225

       2°
( environ 8 carreaux)

Lecture orale

         275

        1,5°
( environ 6  carreaux )

Recherche visuelle

        275

             3°

Inspection de scènes visuelles

         330

               4°

Lecture de partitions

        375

               1°

 

Principales caractéristiques oculaires en fonction du type de tâche

Avec le besoin croissant d'évaluation des interfaces Homme-ordinateur, l'analyse des mouvements des yeux fournit un ensemble de mesures objectives et relativement directes des processus cognitifs engagés lors de la recherche d'informations sur le web ou la compréhension d'un document. L’enjeu majeur des études empiriques sur le web est de savoir ce que l’utilisateur regarde en priorité sur un site et quelles sont les stratégies qu’il développe pour naviguer sur le web. Par exemple, une étude réalisée par une école de journalisme ( Institut Poynter) suggère que les stratégies oculaires d’inspection de pages électroniques sont nettement différentes de celles imprimées sur support papier. Elle indique que l’attention des lecteurs est principalement attirée par les images lorsque les pages sont imprimées sur papier alors que, de manière surprenante, le texte constitue le point d’entrée des pages électroniques. Les auteurs l’expliquent par le fait que les sujets ne lisent pas une page web mais plutôt la parcourent pour rechercher l’information afin de réaliser rapidement leurs objectifs. C’est apparemment l’information textuelle qui est la plus efficace pour cela, les éléments graphiques étant ressentis comme moins informatifs et par conséquent plus facilement ignorés. De même, l’analyse du mouvement des yeux pourrait informer sur l’étendue de la perturbation provoquée par les affichages dynamiques et les stratégies palliatives élaborées par les utilisateurs : en effet, sachant qu’en lecture, 10 à 15% des saccades sont régressives (saccade déclenchée de droite à gauche pour revenir sur du texte déjà lu), il faut que les positions spatiales des mots n’aient pas été modifiées auparavant par un scrolling, ce qui arrive fréquemment sur le web. Avec la rapidité croissante des connections internet, le contenu des pages web a également suivi cette croissan

ce et on est passé à des sites formés simplement de pages de texte à des documents électroniques complexes. Cela entraîne souvent pour l’utilisateur une «  overdose » informationnelle.

Les ergonomes de l’utilisabilité ont, à cet égard, « du pain sur la planche » et l’enregistrement des mouvements des yeux représente à l’heure actuelle une technique fiable, précise et suffisamment simple d’emploi pour jouer ce rôle.

 

 

 

 


La technique de l'"eye-tracking" permet de déterminer, en fonction de la position de la rétine, les zones sur lesquelles se pose ou se fixe le regard. 

 

 Créée en 1998, la petite société française Novadis propose de déchiffrer le fonctionnement cognitif - le processus par lequel on apprend et on comprend - pour concevoir des programmes ou des sites Internet adaptés à la logique de l'utilisateur.  Pour ce faire, Novadis s'est associée au laboratoire Clips (Communication langagière et interaction personne-système) de l'Institut d'informatique et mathématiques appliquées de Grenoble, qui fédère des unités de recherche du CNRS, de l'Institut national polytechnique de Grenoble et de l'université Joseph-Fourier. Afin de décortiquer la stratégie du regard lors de l'observation d'un écran, Clips dispose d'un oculomètre (ou eye-tracker) qu'il loue à Novadis. Trente fois par seconde, l'appareil détermine la position de la pupille par rapport au visage, ce qui, grâce à une calibration préalable, permet de déduire sur quel point l'œil s'est posé.

"Si l'œil fixe le point plus de 250 millisecondes, on peut dire qu'il y a eu traitement cognitif du texte regardé, précise Jean Caelen, directeur du laboratoire Clips.

Entre 100 et 200 millisecondes, on a perçu quelque chose mais le cerveau n'a pas eu le temps de traiter l'information.

Si la fixation est inférieure à 100 millisecondes, l'œil a effectué une saccade : il s'est simplement servi de la zone en question comme point d'appui pour aller plus loin dans le texte." 

 

 

 

En 1999-2000, Clips a mené une première expérience baptisée Shiva, destinée à évaluer les sites Web en vue d'améliorer la pertinence des pages. "On mettait les sujets en situation devant les pages Web - des sites d'agences de voyages - avec une consigne précise, précise Jean Caelen, par exemple chercher, avec tel budget, un voyage dans les îles pour quatre personnes. L'oculomètre enregistrait la trajectoire suivie par les yeux tandis que nous enregistrions le temps nécessaire pour que la consigne soit remplie, car le temps de recherche est un paramètre crucial sur Internet." 

Novadis vient, quant à elle, de réaliser une étude interne sur le même principe, dont le but consistait à analyser l'impact de la mise en page sur le déplacement du regard des internautes. Les conclusions de ces deux travaux vont dans la même direction : les sites doivent privilégier la clarté et l'information.

"Premier résultat, résume Luc Rodet, plus de 50 % des fixations se portent sur les titres. Deuxième constatation, les experts, les habitués d'Internet, ne s'arrêtent pas sur les images car, contrairement aux novices, ils savent qu'elles ne sont généralement pas porteuses d'information, sauf si elles cachent un lien. Chez ces experts, nous avons constaté que les images étaient simplement traitées par la vision périphérique. Dernier enseignement, la disposition des blocs de texte est prépondérante."

Jusqu'à présent, les études par oculomètre se faisaient sur des pages fixes. Depuis peu, Novadis est capable de munir ses expérimentateurs de souris et d'enregistrer à la fois le déroulement des pages, les clics sur les liens et le trajet du regard.

Au lieu d'évaluer de simples pages au format de l'écran, ses ingénieurs peuvent maintenant reconstituer le voyage des yeux dans tout un site et identifier ses forces et ses faiblesses, voire ses no man's land, les angles morts du virtuel.