Le développement de la vision chez l'enfant
Le développement du système visuel chez l’enfant est à connaître pour comprendre la physiopathogénie de l’amblyopie et du strabisme, et pour analyser l’examen de dépistage de la fonction visuelle obligatoire chez l’enfant au 8e mois.
Le système visuel de l’enfant n’est pas mature à la naissance. Une maturation post-natale s’observe au niveau rétinien, au niveau des voies visuelles et au niveau cortical et sous-cortical.
I - Les voies sensori-gnosiques de la vision
Il s'agit des voies centripètes, afférentes, voies sensorielles qui vont conduire à l'analyse et au décodage des images rétiniennes.
1. Le récepteur : la rétine
a) Structure
A la naissance, la rétine périphérique est identique à celle de l'adulte. Par contre la rétine maculaire est profondément immature. Toutes les couches cellulaires y sont, mais de faible épaisseur. Les photorécepteurs sont formés d'un article interne et d'un article externe encore très court et ramassé. Toutes ces particularités apparaissent dès la région nasale adjacente à la fovéa et atteignent leur maximum au centre de cette fovéa.
Il est classique de penser que l'immaturité constituée par l'écartement des articles externes et leur faible contenu en pigment contribuent à la mauvaise acuité visuelle du nouveau-né dont la vision est davantage extrafovéolaire. Cependant, le nouveau-né est capable de fixation centrale quand il est placé dans de bonnes conditions.
b) Développement
Une rétine d'un nourrisson de 11 mois présente une morphologie de type adulte, la rétine périphérique est plus rapidement fonctionnelle que la zone centrale.
La surface totale de la rétine (épithélium pigmentaire) croît rapidement durant les derniers mois de gestation, puis plus graduellement lors des deux premières années post-natales à la fin desquelles, elle atteint sa taille adulte. Sa surface est alors la même que chez un adulte soit de 944 mm2.
Le développement de la structure maculaire est long et ne se rapproche du stade adulte que vers 45 mois.
- A 22 semaines de gestation, la zone fovéolaire est identifiable par la présence d'une fine couche de cellules ganglionnaires et d'une couche de photorécepteurs contenant uniquement des cônes. La fovéa est très immature à la naissance (fig 2). Sa maturation morphologique est marquée tout d'abord par la migration périphérique des couches rétiniennes centrales, formant ainsi la dépression fovéale qui continue de s'approfondir jusqu'à 15 mois. Dans un deuxième temps, nous assistons à un allongement et à une migration centrale des articles externes cônes.
- A la naissance, la zone sans bâtonnets ou fovéola a environ 1000 µm de diamètre, elle devient progressivement plus étroite pour atteindre la dimension adulte de l'ordre de 400 à 700 micron vers 45 mois. L'aire maculaire, dont les limites sont difficiles à déterminer, correspond à une surface de 1,7 mm2 à 3 mm2 soit un champ de 3 à 10 degrés. Parallèlement, la concentration des cônes augmente, 18 cônes / 100 µm à 1 semaine à 42 cônes / 100 µm chez un adulte.
Cependant bien que l'on considère la macula presque mature à 45 mois, on relève que la densité centrale des cônes et la longueur de leur segment externe, sont, à cette période à la moitié de leur valeur adulte. Ces éléments anatomiques contribuent largement à expliquer que l'acuité soit encore plus faible que chez l'adulte.
Les axones des cellules ganglionnaires de la rétine vont converger en direction de la papille puis former le nerf optique (dont la myélinisation s'achève totalement à la fin de la deuxième année). La papille du nouveau-né paraît pâle et devient rosée vers le 4 ème mois.
Les processus photochimiques rétiniens sont fonctionnels très rapidement. Des études électrorétinographiques sur la sensibilité scotopique et la régénération de la rhodopsine montrent que vers 10 semaines les amplitudes des ondes b scotopiques sont similaires à celles trouvés chez l'adulte (FULTON 1988).
La myélinisation des fibres ganglionnaires qui constituent le nerf optique, débute entre le 6ème et le 8ème mois de vie foetale et cette myélinisation se poursuit jusqu'à l'âge de 2 ans.
Figure 1 : sections verticales d'une rétine humaine d'un nouveau-né de 5 jours. Zone A : centre de la fovéa . Zone B 900µm en nasal du centre de la fovéa soit approximativement 5°. Zone C 1800µm en nasal du centre de la fovéa soit approximativement 10° . Un cône est souligné sur chaque photographie (CANDY 1998) |
2. Le corps genouillé latéral (CGL)
a) structure
Par des méthodes histologiques, la structure du cGLd est bien connue chez le singe et chez
l'homme. On retrouve les 6 couches, 2 magnocellulaires ventrales à grande cellules (1 et 2), 4
parvocellulaires dorsales à petites cellules (3, 4, 5, 6). On retrouve également la ségrégation oeil droit, oeil gauche). Entre ces deux ensembles de couches qui constituent les voies M et P, on décrit une multitude petites cellules situées entre les couches M et P, qui constituent la voie Koniocellulaire, ou voie K, qui aurait un rôle dans le maintien de l'inhibition entre les canaux de transmission des types de signaux (VITAL-DURAND 1999).
b) Développement
Chez l'homme, la lamination du cGL est identifiable dés la 24ème semaine de gestation .Les différents types de neurones sont repérables vers la 35ème semaine d'âge gestationnel .
A la naissance le cGL est déjà organisé en couches (6 couches).
Mais à la naissance ces cellules présentent des critères d'immaturité. Il existe de nombreuses épines sur le corps neuronal et sur les dendrites des cellules bipolaires et multipolaires. Le nombre d'épines atteint un maximum à l'âge de 4 mois puis diminue jusqu'à l'âge de 9 mois, les corps cellulaires et les dendrites arrivent alors à leur diamètre définitif. Le cGL atteint sa taille adulte à 6 mois. Chez le singe, les neurones de cGL sont formés entre le 36ème et le 43ème jour embryonnaire, puis pendant les deux premiers mois va se produire une maturation rapide avec une diminution des temps de latence, une diminution de la taille des champs récepteurs, une augmentation du pouvoir de résolution spatiale de la région fovéale (VITAL-DURAND 1985).
3. Le cortex visuel
a)Structure
Le cortex visuel primaire est une véritable carte rétinotopique composée de modules juxtaposés ou intriqués, de colonnes indépendantes. Les colonnes de dominance oculaire représentent des bandes de tissu cortical alternativement occupées par des afférences issues de l'oeil gauche ou de l'oeil droit. Ces bandes sont particulièrement marquées au niveau de la couche IV du cortex, couche qui reçoit les terminaisons des afférences du corps genouillé latéral, et où les neurones sont exclusivement activés par la stimulation de l'un ou l'autre oeil, mais sont encore visibles dans les couches supra ou infragranulaires où les neurones sont préférentiellement activés par l'un ou l'autre oeil.
Les colonnes d'orientation représentent des bandes fines de tissu cérébral à l'intérieur desquelles les neurones sont sélectifs par exemple à la même orientation du stimulus visuel.
Ces colonnes d'orientation traversent toutes les couches du cortex cérébral, à l'exception de la
couche IV où les neurones ne présentent pas de sélectivité à l'orientation. Ces colonnes d'orientation sont orthogonales aux colonnes de dominance oculaire, ce qui traduit leur indépendance. On parle alors d'hyper colonne .
Depuis quelques années, a été mis en évidence, grâce à l'analyse de la distribution dans le cortex visuel primaire d'une enzyme mitochondriale, la cytochrome oxydase un aspect important de l'architecture fonctionnelle du cortex strié (IMBERT 2000). Lorsque des coupes de cortex sont traitées pour révéler la cytochrome oxydase, on peut observer une coloration continue dans la couche IV et une coloration discontinue, par petits paquets ovoïdes périodiques appelés blobules, dans les couches superficielles et profondes. Sur des coupes tangentielles, passant dans le plan des couches II-III, les blobules de cytochrome oxydase apparaissent comme des colonnes vues selon leurs sections transverses, centrées sur les colonnes de dominance oculaire.
Cette différenciation cytochimique, désignée du terme anglais de " blobs " est fortement corrélée avec une ségrégation fonctionnelle nouvelle (fig. 3). En effet, les neurones enregistrés à l'intérieur des blobules sont pour la plupart non sélectifs à l'orientation : ils répondent de façon optimale aux basses fréquences spatiales, quelle que soit l'orientation du stimulus rectiligne employé ; en revanche, plus de la moitié d'entre elles sont sélectives à la longueur d'onde de la lumière utilisée.
Les cellules enregistrées en dehors des blobules sont au contraire sélectives à l'orientation, mais pas, pour la grande majorité d'entre elles, à la longueur d'onde .
Figure 2 Organisation de la voie rétino-thalamo-corticale chez le marmouset Les cellules ganglionnaires issues de chaque rétine se projettent dans les couches magno-cellulaire 2 (2 m) et parvocellulaire 3 (3 p) du corps genouillé latéral (CGL) ipsilatéral et dans les couches magnocellulaire1 (1 m) et parvo-cellulaire 4 (4 p) du corps genouillé latéral controlatéral. Les axones thalamiques liés au système magno-cellulaire se projettent dans la couche IVC, ceux liés au système parvo-cellulaire dans la couche IVCb du cortex visuel primaire, indépendamment pour l’oeil droit et pour l’oeil gauche. Les colonnes d'orientation (CO) sont orthogonales aux colonnes de dominance oculaire (CDO).
Modifiée d'après M. IMBERT, C. FONTA. Les Séminaires ophtalmologiques d'IPSEN, tome 11" Interfaces et interaction de la rétine ". Ed Y. Christen, M. Doly, M.-T. Droy-Lefaix, eds, © 2000, Irvinn, Paris, 35-47
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Relayée par le corps genouillé latéral (cGLd), l'information visuelle, codée par la rétine, arrive au niveau du cortex cérébral dans la partie la plus postérieure du lobe occipital. Les axones des neurones relais du cGLd se terminent presque exclusivement dans des couches déterminées (principalement la couche IV) de l'aire 17 de Brodmann (ou aire visuelle striée, ou V1). Dans le cortex primaire, les fibres afférentes thalamiques maintiennent l'ordre
topologique de la distribution rétinienne des cellules ganglionnaires d'origine, réalisant ainsi une carte précise du demi-champ de vision controlatéral. De là l'information est distribuée sur les 20 ou 30 autres aires corticales dans lesquelles les signaux circulent dans les deux sens, chaque aire spécialisée préparant les autres à traiter une partie du signal.
b) Développement
Il faut du temps pour qu'un cerveau parvienne à sa pleine maturité. Dans l'espèce humaine, près de 20 ans sont nécessaires pour que la myélinisation soit complète. La complexité du cerveau tient non seulement au fait qu'il est composé de très nombreux éléments, mais réside dans la richesse et la précisions des interconnexions entre ces très nombreux éléments : chaque cellule nerveuse reçoit ou est à l'origine de 5000 à 90 000 contacts fonctionnels à travers lesquelles les cellules nerveuse communiquent entre elles pour capter échanger, traiter, stocker et confronter des informations pertinentes qui assurent à l'organisme un comportement biologiquement adapté.
Dans la phase précoce du développement, les neurones, formés en nombre supérieur à celui qui constituera le stock adulte, doivent se déplacer sur de grandes distances. Pendant cette phase, les connexions réalisées sont relativement grossières et vont esquisser un cerveau seulement approximatif.
C'est au cours d'une seconde phase, plus tardive, que cette ébauche sera affinée, épurée, en particulier par des mécanismes d'élimination sélective (mort neuronale et apoptose), réduisant par mort cellulaire le nombre de neurones et de nombreuses connexions. Cette élimination massive commence avant la naissance. Elle continue après la naissance avec une perte de plus de 15% des neurones dans les premières semaines de la vie.
Chez tous les mammifères, le cortex visuel primaire est immature à la naissance. Des techniques autoradiographiques des voies nerveuses reliant entre elles les neurones des diverses structures visuelles - rétine, cGLd, cortex cérébral, associées à des techniques de traçage, antérograde et/ou rétrograde, ont permis de préciser le calendrier des étapes de mise en place des principales structures visuelles et de leurs interconnexions.
L'expérience visuelle précoce, que le jeune enfant éprouve, en particulier au cours de périodes dites critiques, régit le développement et le maintien des propriétés physiologiques et anatomiques caractéristiques de ce système chez l'adulte.
La plasticité du développement postnatal du système visuel dépend d’événements anatomiques, notamment la ségrégation en modules fonctionnels, qui sont sous la dépendance de cette expérience qui commande, en outre, l'acquisition des propriétés fonctionnelles spécifiques de ce réseau neuronal.
Il existe une période sensible, correspondant à la phase de développement au cours de laquelle le fonctionnement du système visuel est particulièrement dépendant de la qualité de l’expérience visuelle dont bénéficie le sujet.
La période sensible a été largement étudiée en privant les animaux de vision par tarsorapie. C’est ainsi que l’on peut montrer qu’une période de privation monoculaire d’expérience visuelle de quelques jours, pratiquée avant la huitième semaine, conduit chez le singe à une amblyopie durable. Cependant, une inversion des sutures pratiquée pendant cette période permet de restaurer la fonction de l’œil amblyope, ce qui constitue une démonstration de la plasticité cérébrale. Les observations cliniques permettent d’extrapoler ces données pour proposer que la période sensible du système visuel à une perturbation de la qualité de l’image s’étend chez l’homme jusque vers 5 ans avec un pic de sensibilité entre 6 et 18 mois. Il faut cependant distinguer la période sensible des différents éléments de la fonction visuelle : la fonction binoculaire est plus précoce que la fonction d’acuité. Certaines fonctions comme la vision des couleurs n’ont pas de période sensible.
II – Le décodage du sens : le niveau gnosique
C'est le cortex qui assure les traitements de haut niveau, débouchant sur l'interprétation de ce qui est vu, et l'accès à la signification.
Selon le type d'information, le décodage s'effectue dans des zones anatomiquement distinctes des lobes occipitaux. On peut donc distinguer cliniquement des "modules séparés, indépendants" qui traitent (fig 4) :
- Chez l'enfant plus grand, les pictogrammes, l'écriture.
Figure 3 : Les voies visuelles : organisation fonctionnelle. (Modifiée d'après MAZEAU 1995) |
CONCLUSION
Les voies neurovisuelles, constituent un ensemble fonctionnel illustrant les traitements d'informations spécifiques par "module" au niveau cérébral.
Chez l'enfant, le fait que la maturation des différentes voies visuelles n'est pas homogène et s'effectue avec des rythmes différenciés, complique singulièrement l'étude de ces modules et par là même, l'examen clinique d'un nourrisson atteint d'une déficience visuelle ou d'une forte amétropie. La figure 4 résume l'organisation fonctionnelle des voies visuelles. Une pathologie visuelle peut agir sur tout ou partie de ces voies.