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Le cheminement intellectuel vers les trois domaines du monde vivant

Par Herve Levesque — Dernière modification 11/07/2017 10:14

 

 

 

 

arbre non enraciné u psud.JPG

Une étape essentielle, la distinction procaryote/eucaryote

Un apport majeur de la cytologie, du microscope électronique.

L'utilisation du microscope a rapidement conduit à l'identification de deux types cellulaires distincts par la présence (les eucaryotes) ou l'absence (les procaryotes) d'un noyau au coeur de la cellule [images ci-dessous]. En réalité au-delà du noyau enfermé dans son enveloppe (la double membrane) nucléaire, c'est en fait toute la cellule eucaryote qui possède une compartimentation faisant très généralement défaut aux procaryotes. Et cette richesse, cette complexité, fait bénéficier - là encore de manière générale - les cellules eucaryotes d'une plus grande taille [indication de taille et variation, virus vs bactérie vs eucaryote].

cellule eucaryote.JPG

la cellule eucaryote se distingue:

  • par sa relative grande taille, ici environ 10 µm;
  • sa grande complexité d'organisation (la somme de termes et de texte qu'il serait nécessaire de donner pour avoir une description exhaustive de cette image est à l'évidence très importante),
  • la présence d'un noyau (N) enfermé dans une enveloppe (mn), bien visible au centre de l'image;
  • la richesse de son contenu, les différents organites nettement différenciables dans le cytoplasme (ce qui fait la complexité de cette cellule).
 Cellule bactérienne.jpg

la cellule procaryote se distingue :

  • par sa relative petite taille, ici de l'ordre de 2 µm (mais il s'agit vraisemblablement d'une cellule sur le point de se diviser et donc de taille légèrement supérieure à la moyenne) ;
  • sa faible complexité d'organisation (la somme des termes et la longueur du texte nécessaires à une description exhaustive est nettement moindre que pour la cellule précédente, et cela en dépit du fait que le grossissement soit plus grand ce qui permettrait a priori de disposer de plus de détails) ;
  • l'absence de noyau (mais on distingue toutefois assez nettement le nucléoïde où se trouve localisé le matériel génétique de la bactérie) ;
  • d'une manière générale l'absence (au moins à ce grossissement) de détails particulièrement visibles au sein du cytoplasme (d'où l'idée de faible complexité) ;
  • notez l'agrandissement bien plus élevé que dans l'image précédente.

 

  • D'un côté des cellules plus petites, plus modestes d'organisation, les cellules des procaryotes, pour lesquelles on possède quelques arguments et quelques raisons de penser qu'elles sont plus anciennes, plus archaïques (c'est un des sens du préfixe pro-).
  • De l'autre, des cellules plus grandes, plus complexes et, plus récentes, plus modernes (à travers le préfixe eu- on exprime une idée d'accomplissement, de perfection...).
  • L'ensemble possède ainsi une belle cohérence, une bonne vertu explicative, avec valeur de théorie synthétique expliquant l'organisation et l'histoire du monde vivant ; une belle histoire de la nature dans la tradition de l'histoire naturelle, depuis la dimension microscopique que le microscope a ainsi révélée jusqu'à la dimension macroscopique que nous offrent nos sens communs, une nature actuelle et âgée de plus de trois milliards d'années [lien à établir...].

 

Distinction fondamentale et pourtant (histoire de semer une certaine zizanie et entretenir une saine pagaille), on notera:

  • l'emploi par certains scientifiques de l'expression "noyau bactérien", chose qui chez un élève de lycée sera taxée de monstruosité...
  • plus de 150 pages référencées par Google font apparaître l'expression "noyau bactérien", et plus de 2.400 pages l'expression "bacterial nucleus", dont un nombre important de publications scientifiques y compris dans des revues prestigieuses comme Nature! [analyse établie en novembre 2009];
  • le terme plus correcte de nucléoïde prétant finalement tout autant à une certaine confusion.
  • on a décrit une bactérie, donc un organisme procaryote, qui possède une structure dont il est difficile de ne pas penser que c'est un noyau, Gemmata obscuriglobus (le nom d'espèce obscuroglobus - sans doute erroné - est parfois donné); elle appartient au groupe des Planctomyces qui présente quelques originalités (voir les liens proposés ci-après pour aller plus loin concernant ce groupe). L'affirmation qu'il s'agit bien d'une bactérie s'appuie sur les analyses moléculaires qui rangent sans ambiguïté cet organisme parmi les bactéries. Celle-ci méritait bien le terme de joyau (gemme) et l'étrangeté de sa situation affirmée par "obscure".

 image MET de Gemmata obscuriglobus  autre image MET de Gemmata obscuriglobus

[photographies de microscopie électronique à transmission (on voit le contenu à l'intérieur de la cellule)]

quelques liens (fonctionnels en novembre 2009) pour aller plus loin :

 

(pour ce dernier lire le § Dendrogram)
 

 

  • d'ailleurs on a aussi des cellules eucaryotes sans noyau - par exemple les globules rouges des mammifères - ce qui, là encore, au moins pour l'enseignant, n'arrange rien. Ces cellules eucaryotes ayant perdu leur noyau au cours de la différenciation (on pourrait également citer les plaquettes sanguines) sont de fait de petite taille ce qui les rapproche encore un peu plus des procaryotes.

Une dichotomie sans valeur phylogénétique

Dans l'article "princeps" introduisant le concept d'Archée, Carl Woese - profitant en quelque sorte de l'importance de sa découverte et de l'audience qui lui est accordée - nous présente une analyse de sa discipline, la biologie. Il rappelle que le biologiste a coutume de concevoir le monde qui l'entoure en termes de dichotomie. Cette dichotomie s'appuyant essentiellement sur un principe de présence/absence d'un caractère considéré comme pertinent. Ainsi, rappelle-t-il, ce qui n'était pas plante était rangé dans le monde animal. Curieusement il semble d'ailleurs que ce soit surtout l'inverse qui ait joué, bien des organismes ayant été rangés parmi les végétaux par défaut d'attributs suffisants qui auraient justifié de les ranger dans la catégorie "noble" - les animaux - catégorie où auront finalement été rangés les humains...  Succédant à la dichotomie "animal-végétal", la dichotomie procaryote/eucaryote aurait ainsi eu le mérite de rassurer.

pour voir le contenu du tiroir du haut

   un meuble du vivant à deux tiroirs   

pour voir le contenu du tiroir du bas

Pourtant, les analyses ultérieures montreront que la comparaison des deux types de cellules n'est pas pertinente sur le plan phylogénétique. Les deux "objets" n'ont pas la même valeur, en quelque sorte ne se situent pas au même niveau dans l'organisation du vivant. La cellule eucaryote étant une sorte de consortium où cohabitent plusieurs entités, les organelles. Ce terme d'organelle (n. f.) est semble-t-il utilisé par les anglo-saxons avec le même sens et comme synonyme d'organite. On peut toutefois préférer réserver l'emploi d'organelle aux organites cellulaires pourvus d'un matériel génétique, d'un génome, indépendant  (et possédant également une double membrane) : ainsi noyau, mitochondrie et chloroplaste sont, parmi les organites cellulaires, les trois organelles. Seules les cellules végétales possèdent les trois organelles alors que les cellules animales dépourvues de chloroplaste n'en possèdent que deux.

les trois organelles
le noyau la mitochondrie le chloroplaste
 image MET du noyau  image MET d’une mitochondrie                      

 image MET d’un chloroplaste

 

 

http://www.vcbio.science.ru.nl/en/image-gallery/show/PL0337/

 

 

C'est donc bien plus que la cellule eucaryote considérée globalement, les découvertes successives des génomes chloroplastiques et mitochondriaux qui vont constituer une étape capitale dans la compréhension de l'organisation et de l'histoire du vivant. Et là où l'analyse phylogénétique va devenir pertinente c'est lorsque l'on va comparer les gènes ribosomiques des trois types d'organelles à ceux des procaryotes [voir activité proposée]. Ces derniers correspondant classiquement aux groupes des cyanobactéries photosynthétiques et des protéobactéries, un vaste groupe bactérien qui aura été alors et reste encore aujourd'hui parmi les plus nombreux et les plus étudiés. Le constat est alors fait que les gènes ribosomiques des chloroplastes et des mitochondries ressemblent davantage à ceux des bactéries qu'à ceux du noyau de la cellule eucaryote dans laquelle pourtant ils se trouvent. C'est ainsi que s'établit la théorie symbiotique de l'origine de la cellule eucaryote...

La théorie symbiotique de l'origine de la cellule eucaryote

 L'origine des mitochondries et des chloroplastes est à rechercher parmi les ancêtres des bactéries actuelles. Un ancêtre de la cellule eucaryote à noyau ayant alors capturé et conservé en son sein une bactérie qui allait dès lors rester dans le cytoplasme de manière permanente. A moins que ce ne soit la bactérie qui soit entrée et ait d'elle-même décidé de s'installer !

  • Cette théorie a reçu depuis de multiples confirmations.
  • Elle a aussi en quelque sorte radicalement changé avec l'accumulation de faits qui ont considérablement modifié et parfois embrouillé la situation initiale (voir en particulier les différentes origines du chloroplaste et les différentes manières de "s'accommoder végétal")

Et l'arrivée des Archées sur la grande scène du vivant

 Après une première remise en cause de la classification du monde vivant et - ce qui va de pair - une nouvelle conception sur l'origine de ce monde vivant, les travaux de Carl Woese vont conduire à une nouvelle rupture encore plus fondamentale celle-ci.

  • L'examen des séquences de l'ARN de la petite sous-unité du ribosome montre que l'on peut regrouper toutes les séquences connues (et donc les organismes correspondants) en trois ensembles : les bactéries, les archées et les eucaryotes.
  • Les archées ne sont pas des bactéries un peu spéciales comme on l'avait imaginé initialement et d'ailleurs C. Woese lui-même avait contribué à introduire le terme d'archéobactéries contre lequel il aura eu peine à lutter par la suite pour asseoir l'idée que les archées ne sont véritablement pas des bactéries !

Ainsi le découpage fondamental du vivant n'est pas entre végétal et animal (dichotomie), ni entre procaryote et eucaryote (dichotomie) mais entre bactéries, archées et eucaryotes (trichotomie).

un arbre du vivant qui peut étonner

Archées dont le statut, la place, ne font pas l'unanimité chez les scientifiques

Woese / Mayr / Cavallier-Smith, la querelle des anciens et des modernes! Des idées, des hypothèses en conflit...

  • Une opposition importante à la proposition de Carl Woese viendra d'Ernst Mayr un zoologue et un biologiste parmi les plus prestigieux de sa génération. Il est pour lui difficile d'admettre le point de vue des molécularistes trop confiants dans ce que leur raconte leurs séquences de biomolécules. Plutôt un travail de chimiste somme toute pour un biologiste rompu aux organismes les plus complexes du monde vivant dont la formidable richesse des caractères phénotypiques sur lesquels il y a tant à dire représente bien plus que des microscopiques objets aux contours imprécis. Microorganismes dont la seule identité passerait par des molécules dont la platitude et la monotonie sont tellement évidentes à celui qui a pu en particulier étudier les chants, les comportements, la biologie des oiseaux dans les grandes forêts tropicales...
  • Deux approches radicalement opposées de la biologie. L'un - que l'on qualifierait d'orthodoxe - défendant l'idée des grands Règnes du Vivant, fondés sur des critères phénotypiques d'organismes complexes que notre éducation et nos sens habituels nous ont appris à reconnaître et à aimer (les animaux, les plantes, les champignons). De l'autre, qui jouerait en quelque sorte le rôle de l'hétérodoxe, le microbiologiste, qui propose que tout cela n'est en quelque sorte qu'une illusion (phénotypique) et que la véritable nature du vivant est dans cette conception nouvelle des trois domaines dont deux sont occupés par des microorganismes. Quelle dimension affective pourrions-nous développer avec des bactéries?
  • Cavallier-Smith réussit quant à lui la formidable prouesse de certes accepter la thèse de la parenté Archée-Eucaryote mais tout en lui retirant de sa superbe en l'assimilant dans un nouvel arbre du vivant où les événements clés des origines se font sans les Archées et a fortiori les eucaryotes décidemment trop complexes. Ainsi les Archées ne sont plus archaïques et bien au contraire auraient émergé à une époque récente peut-être moins d'un milliard d'années lors du grand cataclysme terrestre de la "Snowball Earth" il y a 800 millions d'années. Archées et Eucaryotes ne sont plus qu'une branche parmi de nombreuses autres, et toutes bactériennes. Archées et Eucaryotes ne seraient plus que les avatars d'un groupe de bactéries. Les clés de l'origine du vivant sont à rechercher parmi les seules bactéries. Les Archées qui avaient fait une entrée fracassante dans les origines du vivant, s'en trouvent maintenant exclues. Un exercice de démontage, de détrônement, parmi les plus réussis!
  • Une autre hypothèse (l'hypothèse dite "éocyte") formulée plus récemment réintroduit une dichotomie au sein ... des Archées. Ce taxon ne constitue plus dès lors un groupe monophylétique! Pour aller plus loin sur ce point : http://en.wikipedia.org/wiki/Crenarchaeota (en anglais).
  • A l'évidence des changements importants sont encore possibles, de nombreuses hypothèses ont été proposées, un foisonnement d'idées est en oeuvre. Les recherches dans le domaine de l'origine de la vie restent riches et passionnantes.

 

Voir sur ce thème les activités proposées.

 

Références : Présentation issue pour l'essentiel d'une lecture des travaux de Carl Woese et de son équipe publiés à partir de 1977 et des réactions que ces travaux ont suscitées. Sans oublier les riches et passionnantes discussions lors d'entretiens avec M. David Moreira (Directeur de Recherche au CNRS), Unité d'Ecologie, Systématique et Evolution, Université de Paris-Sud, Faculté des Sciences d'Orsay.