Par Vutheany LOCH
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Dernière modification
05/10/2018 13:08
Notre projet pluri et transdisciplinaire, croisant les enseignements d'exploration Méthodes et Pratiques scientifiques et Littérature et Société, est né du désir d'explorer les ressources offertes par le parc de notre établissement : le thème du jardin permettait en effet d'aborder des notions scientifiques par le biais d'une démarche d'investigation (observation, expérimentation, interprétation, conclusion) et des problématiques historiques (questionnement de la représentation des rapports entre nature et culture).
Notre projet pluri et
transdisciplinaire, croisant les enseignements d'exploration Méthodes et
Pratiques scientifiques et Littérature et Société,
est né du désir d'explorer les ressources offertes par le parc de notre établissement : le
thème du jardin permettait en effet d'aborder des notions scientifiques par le biais d'une démarche
d'investigation (observation, expérimentation, interprétation, conclusion) et des problématiques
historiques (questionnement de la représentation des rapports entre nature et culture). Première étape de
ce projet ambitieux, le jardin médiéval a fédéré tous nos efforts. Les travaux des élèves ont abouti à la
rédaction des textes suivants et à la création d'un "carré" médiéval dans l'enceinte du parc (simples, plantes tinctoriales, "racines")
- des élèves d'option MPS et littérature et
société
- des professeurs motivés par le travail interdisciplinaire et collaboratif
- le projet
Hortus (projet interdisciplinaire Université de Lyon - CNRS)
- des membres de l’équipe ACCES de
l’Institut Français de l'éducation pour l'encadrement de la partie technique : toute notre reconnaissance à
Sabine LAVOREL pour son suivi efficace et souriant tout au long du projet ainsi qu'à Charles-Henri EYRAUD pour
sa patience, son sens pédagogique et sa disponibilité exceptionnels.
- des chercheurs du CIHAM, Université
Lyon 2 : nous tenons à remercier Jean-Louis GAULIN pour son invitation et son accueil chaleureux à la journée
d'études HORTUS : "Histoire des savoirs et jardin de mémoire". Nous remercions tous
les intervenants qui ont animé cette journée et soutenu notre motivation par leurs éclairages précieux : Paul
ARNOULD, Cyrille AILLET, Beate LANGENBRUCH, Myriam CLEMENT-BOYER, Etienne GRESILLON, Claire DELFOSSE, Dominique
CARDON ; nous adressons un remerciement tout particulier à Laurence MOULINIER-BROGI pour les généreux échanges
qui ont de surcroît suivi cette journée d'études et enrichi nos travaux.
Qu'est ce qu'un
jardin? Un projet suggéré par les lieux
La présence, dans l'enceinte du
Lycée, d'un parc remarquable, prolongement de celui du musée Rodin, invite tout naturellement à questionner la
définition de cet espace où le végétal semble imiter la nature.... Il a donc été question de proposer aux élèves
de l'option Littérature et Société un parcours historique qui interrogerait les rapports critiques entre nature
et culture ; ce questionnement a paru tout simplement se présenter de façon concrète et pertinente dans
l'analyse du jardin. Le travail historique et culturel a conduit à des découvertes sur la botanique et
l'histoire des plantes, de leur acclimatation : il a donc été possible de donner un aspect pratique aux
activités scientitiques des élèves de l'option MPS ; en questionnant les simples, il fallait savoir si des
propriétés antiseptiques étaient à noter, il fallait extraire des huiles essentielles... Si les deux groupes ont
ainsi travaillé en parallèle, il a été aménagé des moments de rencontre pour que chacun prennent conscience des
travaux des autres et de leurs problématiques. Les travaux ont donc débuté par la découverte des lieux : les
élèves ont parcouru le parc afin d'en observer les éléments constitutifs et de réaliser des fiches de
reconnaissance des arbres et des arbustes ; il s'est agi aussi de fixer un vocabulaire d'architecture pour
décrire l'oraganisation de l'espace (prise en compte de l'étagement des volumes, des jeux d'ombres et de
couleurs, voire de senteurs) A partir de ce premier travail, la définition du mot jardin a été questionnée : une
recherche sur l'étymologie et sur l'origine mythique du jardin idéal a été faite. Les élèves ont ensuite été
amenés à travailler sur les instructions de leurs professeurs et selon leurs options :
- en Littérature
et Société, des groupes ont été constitués et chacun a choisi une thématique ayant émergé de l'observation et
des notions héritées de la leçon étymologique : la notion de clôture, la relation à l'Eden et à la religion,
l'accessoirement ornemental et le nécessairement nourricier, les herbes bonnes et les mauvaises herbes, l'idéal
et l'endémique... Neuf groupes ont ainsi préciser ces notions qui sont développées en neuf chapîtres.
-
en Méthodes et pratiques scientifiques (MPS), la progression a été programmée selon les domaines d'utilisation
des plantes à l'époque médièvale (plantes, textiles, plantes médicinales, plantes tinctoriales). Les supports
documentaires variés, les recherches en autonomie et les pratiques expérimentales ont permis aux élèves à partir
de démarches d'investigation, de démarches scientifiques, de répondre aux problèmes posés.
Tout au long de
l'année, des informations complémentaires ont été fournies aux élèves :
- une visite-conférence au musée
Tillequin (Faculté de Pharmacie de Paris) a permis aux élèves de se rendre compte de l'évolution de la
phramacopée depuis les conceptions médiévales.
- un atelier de travail avec des formateurs de la BNF a
ouvert aux élèves les possibilités de recherche sur la base GALLICA.
- une visite-conférence à la
Bibliothèque de l'Arsenal sur la fabrication du livre au Moyen-Age a replacé le projet dans une trajectoire
historique.
Les sciences au jardin médiéval (MPS)
MPS lycée Victor Duruy : classe de seconde 1
Paris 33 Boulevard des Invalides 75007 France
Résumé
Dans cet article, nous découvrons quelques caractéristiques scientifiques liées aux
utilisations de plantes textiles, médicinales et tinctoriales. .A partir d'une démarche d'investigation
, le plus souvent associée à une pratique expérimentale, les élèves de seconde de l'option méthodes et
pratiques scientifiques, découvrent quelques notions, expliquent, prédisent des phénomènes
scientifiques, tirent des conclusions. La démarche de projet a mobilisé certaines compétences
scientifiques, a développél'autonomie et l'initiative, a fait découvrir le travail en équipe et le
travail pluridisciplinaire. Ce travail a été proposé de manière collective à l'ensemble du groupe , la
présentation des résultats et des bilans ont été laissé à l'automie des élèves. Ce travail montre une
synthèse de quelques travaux d'élèves.
L'ortie est utilisée depuis l'époque médiévale ..découvrons un extrait de texte de
Victor hugo : Les misérables 1862 (première partie Fantine Livre V).
" Un jour il voyait des gens du
pays très occupés à arracher des orties. Il regarda ce tas de plantes déracinées et déjà desséchées, et dit :
- C'est mort. Cela serait pourtant bon si l'on savait s'en servir. Quand l'ortie est jeune, la feuille est un
légume excellent ; quand elle vieillit, elle a des filaments et des fibres comme le chanvre et le lin. La
toile d'ortie vaut la toile de chanvre. Hachée, l'ortie est bonne pour la volaille ; broyée, elle est bonne
pour les bêtes à cornes. La graine de l'ortie mêlée au fourrage donne du luisant au poil des animaux ; la
racine mêlée au sel produit une belle couleur jaune. C'est du reste un excellent foin qu'on peut faucher deux
fois. Et que faut-il à l'ortie ? Peu de terre, nul soin, nulle culture. Seulement la graine tombe à mesure
qu'elle mûrit, et est difficile à récolter. Voilà tout. Avec quelque peine qu'on prendrait, l'ortie serait
utile ; on la néglige, elle devient nuisible. Alors on la tue. Que d'hommes ressemblent à l'ortie ! - Il
ajouta après un silence : Mes amis, retenez ceci, il n'y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes. Il n'y a
que de mauvais cultivateurs. ".
Observation des fibres de cellulose
L'ortie
appartient à la grande famille des Urticales et à la sous-famille des Urticacées. Cette plante herbacée
présente une tige quadragulaire et des feuilles opposées , toute la plante est couverte de poils urticants,
sécréteurs de substances irritantes (histamine, sérotonine , acide formique) Les fleurs sont
vertes,unisexuées et réunies en inflorescences .
Copyright : 2016 Victor Duruy
Figure 1. Une jeune ortie brûlante du jardin
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Figure 2. orties adultes du jardin
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Figure 3. Détails de l'inflorescence
Copyright : 2016 Victor Duruy
Figure 4. Coupe de tige d'ortie au microscope optique
les cellules ayant une paroi épaissie sont regroupées en faisceau
Copyright : 2016 Victor Duruy
Figure 5. Coupe de tige d'ortie au microscope polarisant
les parois cellulaires riches en cellulose apparaissent brillantes au
microscope polarisant
Les fibres de
l'ortie représentent 17% du poids de la plante.
La molécule de cellulose : une fibre
textile.
La molécule de cellulose constituant les fibres a été visualisée avec un
logiciel de visualisation en 3D (RASTOP) . .
Le composant majeur de la paroi de la cellule végétale
est la molécule de cellulose, un polymère linéaire à structure cristalline, cette molécule qui apparait très
complexe est en fait monotone car constituée de la répétition de nombreuses sous-unités de cellobiose (2
glucoses liés en bêta 1-4). Il y a jusqu'à 16 000 molécules de glucose par molécule de cellulose. Les
molécules de glucose sont liées par des liaisons osidiques : deux molécules de glucose perdent ensemble deux
atomes d'hydrogène et un atome d'oxygène (une molécule d'eau est formée), l'atome d'oxygène restant dans un
glucose forme une liaison covalente avec un atome de carbone de l'autre glucose. Un diholoside ou cellobiose
est obtenu, qui va lui-même former avec un autre cellobiose, une molécule de cellulose.
Une chaîne de
cellulose est formée de l'enchaînement de cellobiose (>2000), des liaisons hydrogènes intra-chaînes ou
liaisons H (pointillés horizontaux sur le schéma ) stabilisent la structure. Des chaînes superposées de
cellulose forment des feuillets maintenus par des liaisons hydrogènes inter-chaînes (pointillés verticaux sur
le schéma). Une microfibrille est composée de 6 chaînes ou plus, c'est une structure semi-cristalline
d'environ 8 nm de diamètre environ. Les microfibrilles peuvent s'associer entre elles et former des fibres de
diamètre compris entre 20 et 30 nm. Cette structure en feuillets donne à la cellulose une grande flexibilité
et une forte résistance mécanique : pour un même diamètre, la résistance mécanique d'une microfibrille de
cellulose est supérieure à celle de l'acier.
Copyright 2015 ENS de Lyon
Cette illustration est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons
Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
Figure 6. la molécule de cellulose
La molécule de cellulose
Copyright : 2016 Victor Duruy
Figure 7. La molécule de
cellulose
Des tiges d'orties aux fibres : rouissage, battage, teillage,
filage
Le rouissage consiste à immerger les tiges pendant 8 à 10 jours
dans de l'eau, les micro-organismes dégradent par hydrolyse enzymatique des ciments pectiques qui donnent la
cohésion des fibres entre elles et avec les autres tissus ; sans les pectines les fibres se détachent.
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Figure 8. Fibres d'orties après
rouissage
Après le rouissage, les tiges sont séchées puis
battues (action mécanique réalisée ici avec un pilon) pour faciliter l'extraction des fibres. Le teillage
permet de séparer d'une part les fibres de la paille et d'autre part les fibres entre elles. La filasse
obtenue est peignée afin d'éliminer les fibres les plus courtes et obtenir de longs fils : c'est le peignage.
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Figure 9. Fibres de cellulose extraites après
battage des tiges d'orties séchées
Copyright : 2016 Victor Duruy
Figure 10. débris après battage des tiges séchées
La paroi des cellules végétales
: lieu de localisation des fibres
Après l'observation et l'extraction des
fibres de cellulose localisées dans les parois, une séance d'observation de cellules d'épiderme d'oignon est
réalisée afin de travailler la schématisation et déterminer les différents organites de la cellule végétale :
noyau, cytoplasme, vacuole, membrane cytoplasmique et paroi. Les cellules végétales d'oignon rouge sont placées
dans des conditions de turgescence et de plasmolyse afin de bien distinguer la vacuole et de préciser son rôle
dans la croisssance cellulaire. Les notions de parois primaire et secondaire sont présentées.
une représentation schématique de
la cellule végétale
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Figure 11. Quelques productions d'élèves
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Figure 12. Schéma d'Aimée
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Figure 13. Schéma d'Arthur
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Figure 14. Schéma 4
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Figure 15. Schéma de Livia
Bilan : Les végétaux possèdent deux parois.
La paroi primaire correspond à la paroi des jeunes cellules, qui n'ont pas terminé leur croissance.
Une fois la croissance achevée, les cellules mettent en place une paroi secondaire, souvent plus épaisse que
la paroi primaire, et dont la stucture et la composition sont très variables en fonction des types
cellulaires. La paroi primaire est formée de plusieurs polymères associés par différents types de liaisons.
Les microfibrilles sont disposées sans ordre, on parle de texture dispersée. Elle est plastique, de 1 à 3
microns d'épaisseur et composée de cellulose, d'hémicellulose et de composés pectiques.
La paroi
secondaire est rigide et peut atteindre une épaisseur considérable dans certains tissus de soutien. Elle est
appliquée contre la paroi primaire et à l'intérieur de celle-ci. Elle est rigide et donc ne permet plus la
croissance cellulaire. Elle est formée de microfibrilles de cellulose et d'une matrice comme la paroi
primaire mais les microfibrilles sont disposées de façon régulière décrivant des hélices très redressées par
rapport au grand axe de la cellule.
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Figure 16. cellulose et pectine dans la paroi primaire
Plantes médicinales et action
antifongique
Afin de faire écho au travail de nos camarades de l'option
«littérature et société» nous souhaitons constater de nous même, l’efficacité de certaines pratiques utilisant
des "herbes" comme remèdes. Les jardins médiévaux "hortus", "herbularius" sont caractéristiques de nombreux
couvents et monastères au Moyen Age où les plantes médicinales , arômatiques et potagères sont cultivées . Entre
le VIII ème et le X ème siècles les Arabes importent en Occident le principe de l'hydro-distillation : l'eau de
rose et les huiles essentielles connaissent alors un essor important. Certaines huiles essentielles étaient
utilisées pour guérir les infections bactériennes ou fongiques de la peau ou plus invasives du corps.
Nous cherchons à montrer si les huiles de thym, de romarin et de lavande présentent cette action
antifongique.
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Figure 17. Observation de levures au
microscope objX40
Cellules de levure de boulanger observées au microscope optique,
grossissement : 400
Pour cela, nous
cultivons des levures en présence d'huiles essentielles dans des boîtes de Pétri. La levure est un champignon
unicellulaire, qui se multiplie en donnant des colonies. Pour se developper la levure prélève les éléments
nutritifs présents dans la gélose des boites de Pétri. Nous imbibons des pastilles en papier de ces huiles
essentielles pour que celles-ci puissent diffuser dans la gélose par l’effet buvard.
Dans le cas où
l’huile essentielle présenterait une activité antifongique, on s’attend à ce que là où l’huile essentielle s’est
propagée, il n’y ait pas de levures (celles-ci auraient été détruites). Dans le cas contraire, si l’huile
essentielle ne présente pas d’activité antifongique, on devrait observer des colonies de toute part : les
levures se seraient multipliées et développées sur toute la surface de la boîte de pétri. La manipulation a été
réalisée dans des conditions stériles (zone de travail à proximité d’un bec électrique, matériel utilisé
stérile, mains préalablement lavées à l’alcool …)
Nous décidons de tester trois huiles essentielles de
Thym, de Romarin, de Lavande.
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Figure 18.
Préparation des boîtes de Pétri
Après 4 jours dans un incubateur à 29° C, nous
avons pu observer les résultats suivants :
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Figure 19. Résultats obtenus
On observe la présence de nombreuses petites
taches jaunes : ce sont des colonies de levures qui se sont développées. A certains endroits, les levures se
sont tellement multipliées qu’on observe une surface totalement jaune couvrant une grande partie de la boîte de
Pétri. On observe vers le bas de la boîte, un espace où il n’y a pas eu de formation de colonies, probablement
dû à une absence d’ensemencement lors de l’étalement des levures. On observe autour des pastilles imbibées un
halo sans colonies, l’huile essentielle s’est propagée autour de la pastille dans la gélose ce qui a empêché la
multiplication des levures.
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Figure 20. schéma
d'interprétation
Conclusion : là où l’huile essentielle s'est
propagée, il n’y a pas eu de multiplication de levures ; une auréole sans levures s'est formée autour des
pastilles en papier. Ce résultat est valable pour les 3 huiles essentielles testées. Les huiles de Thym, de
Romarin et de Lavande ont donc une action antifongique : elles luttent contre les champignons.
NB : de
nos jours, les huiles essentielles sont toujours utilisées pour guérir les infections fongiques cutanées
(mycoses) : on parle d’aromathérapie.
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Figure 21. les huiles essentielles
C'est pas sorcier
Hydrodistillation, extraction et chromatographie
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Figure 22. montage de l'hydroditillation
Le but de la séance est de mettre en évidence les
deux constituants essentiels contenus dans l'essence du Clou de Girofle : l'eugénol et l'acétyleugénol. L'
hydrodistillation ou entraînement à la vapeur des essences de Clous de Girofle pilés, mélangés avec de l'eau. A
l'ébullition les cellules végétales éclatent et libèrent les molécules d'intérêt, la vapeur contenant les huiles
essentielles se dégage. Le passage de la vapeur dans le réfrigérant permet sa condensation : le distillat obtenu
est constitué d'un mélange hétérogène d'eau et d'huile essentielle de Clou de Girofle.
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Figure 23. schéma du montage
Dans une ampoule à décanter, on ajoute au
distillat de l'eau salée saturée, on agite doucement (en dégazant de temps en temps). La solubilité de l'huile
essentielle est moins grande dans l'eau salée donc l'huile essentielle dissoute dans l'eau est chassée par le
sel, elle est moins dense que l'eau elle se retrouve donc en surface.
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Figure 24. ampoule à décanter
Sous une hotte, nous versons quelques ml de
cyclohexane et nous agitons pendant 2 à 3 minutes en dégazant de temps en temps pour éviter la surpression. La
phase aqueuse a une densité de 1,10 tandis que la phase organique de 0,78. La phase aqueuse est retirée pour ne
conserver que la phase organique renfermant l'huile.
Nous comparons les composants de l'huile essentielle
obtenue par hydrodistillation, celle du commerce et le constitaunt de référence, en réalisant une
chromatographie sur couche mince : trois dépôts sont faits à partir de cure-dent à 1cm du bord inférieur de la
plaque de silice. Le 1er dépôt correspond au produit de référence (eugénol), le second au produit provenant
d'une huile du commerce et le troisième à l'huile issue de notre extraction. Nous plaçons la plaque de
chromatographie dans une cuve et nous versons de l'éluant à une hauteur de 0,5 à 0,8 cm. Les trois dépôts ont
migré à la même vitesse, ils contiennent les mêmes constitants. L'huile que nous avons extraite contient bien de
l'eugénol.
Poils glanduleux et huiles essentielles de Lavande
En
froissant des feuilles de Lavande, des composés volatils se dégagent ce sont les huiles essentielles de
Lavande.
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Figure 25. lavande officinale
Une coupe transversale de feuille est observée au
microscopique. Des structures circulaires (poils glanduleux) peu nombreuses et des poils épidermiques (ou
trichromes) très nombreux sont observés sur les deux faces de la feuille. Ces derniers jouent un rôle
protecteur, contre les prédateurs et pour limiter la perte d'eau. En froissant les feuilles, la membrane des
poils glanduleux se déchire, l'huile essentielle volatile se dégage dans l'atmosphère.
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Figure 26. Coupe de feuille de lavande observée au microscope optique
observée
Photo prise au microscope optique (X 100).
Le métabolisme secondaire des plantes produit de nombreux composés chimiques
secondaires dont les fonctions sont variées :
- Ils peuvent repousser les insectes/animaux par des actions
telles que l'indigestion, le goût ou l'odeur.
- Ils ont un effet fongique et inhibent les attaques des
bactéries.
- Ils peuvent attirer les insectes pour la pollinisation : la Menthe, le Thym, la Lavande, le
Romarin possèdent des cellules sécrétrices reparties sur l'ensemble de la plante.
Visite au musée
François Tillequin
Copyright : 2016 Victor Duruy
Figure 27. Vitrines : Collection de Matière médicale
La Matière médicale (aussi appelée pharmacognosie)
est l'étude des matières premières d'origine biologique à usage médical. On y étudie donc par exemple les
drogues (herbes séchées), les huiles essentielles... Dans les substances produites par les plantes, les plus
utilisées en pharmacognosie sont celles qui sont produites grâce au métabolisme secondaire des plantes,
c'est-à-dire celles qui ne leur sont pas indispensables.
Certaines huiles essentielles sont là depuis plus
d'un siècle, c'est pourquoi certaines s'étaient évaporées. Une grande partie de la collection du musée date de
l'époque des expositions universelles, moment privilégié pour les échanges scientifiques. Nous avons appris
comment les extractions d'essences se réalisaient. Pour les rutacées (agrumes), par exemple, il existe deux
manières : industriellement, on presse l'écorce pour obtenir l'huile, mais pour les produits de pharmacie, on
doit l'obtenir par entrainement à la vapeur d'eau, c'est-à-dire en faisant bouillir de l'eau afin que la vapeur
entraîne des particules d'essence.
le pavot et les opiacés
Le pavot à opium, Papaver somniferum, appartient à la famille des Papavéracées comme le
Coquelicot cultivé pour ses graines oléagineuses et comestibles utilisées en boulangerie (pain aux graines de
Pavot, farine de Pavot) et pour en extraire l’huile.
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Figure 28. Les opiacés
L'opium est une des plus anciennes drogues, il
est consommé de toutes les façons fumé, avalé, injecté... Il est produit à partir du pavot : papaver somniferum. Pour extraire l'opium de la plante, une incision
était réalisée dans la capsule encore verte, un latex blanc était récupéré : c'est l'opium brut ; celui-ci se
solidifie après évaporation pour former l'opium sec. Aujourd'hui la plus grande quantitié de l'opium issu de
la culture du pavot sert à extraire la morphine, matière première à la production d'héroïne.
Pendant
l'Antiquité le Pavot poussait surtout sur le bassin méditerranéen et c'est à Rome que la première description
scientifique en fut faite par Dioscoride au premier siècle. Vers le XVIIIème siècle, les Anglais ont commencé
à exporter l'opium en Chine, pour pouvoir importer du thé de Chine. L'opium était alors surtout connu pour
ses effets antalgiques et sédatifs. Mais les Chinois se sont trop vite habitués à cette substance et il y eut
bientôt de nombreux opiomanes (1 personne sur 5 environ). La guerre de l'opium déboucha sur la domination
anglaise en Chine. Parallèlement, au XIXème siècle, le pharmacien allemand Friedrich Wilhelm Sertürner
réussit à isoler la molécule principale de l'opium en 1805 : la morphine (alcaloïde, est baptisée morphine en
référence à Morphée le dieu grec des rêves). Cette découverte a permis de profiter des effets antalgiques de
l'opium. Un peu plus tard, Pierre Robiquet parvient à extraire la molécule de codéine (autre alcaloïde) de
l'opium du pavot, et découvre qu'elle peut constituer un traitement contre l'addiction à l'opium (et à
l’héroïne). En 1952, la synthèse chimique de morphine et de dérivés morphiniques est possible mais les formes
tridimentionelles et les effets de ces molécules sont différents de la morphine naturelle. La molécule de
morphine est chirale, (non superposable à son image dans un miroir) ce qui la rend très difficile à
reproduire par synthèse.
l'écorce de Quinquina et la quinine
Copyright : 2016 Victor Duruy
Figure 29. La poudre de Quinquina
La quinine est un alcaloïde utilisé en
particulier dans le traitement du paludisme, maladie mortelle. Sa première utilisation semble remonter au
XVIIème siècle, lorsque Louis XV, fut guéri par un Jésuite, grâce à une poudre préparée à base d'écorce de
Quinquina (la « poudre des Jésuites »). L'arbre à l'origine de cette poudre ne poussait que dans les Andes,
entre 1000 et 3000 mètres d'altitude. Joseph de Jussieu décide donc d'y partir, pour rapporter des extraits
de cette écorce. Dès lors, les Européens essayèrent d'acclimater cet arbre, comme par exemple les Anglais à
Darjeeling, ou dans les îles de Java. En 1820, deux pharmaciens français J. Pelletier et J. B. Caventou,
séparèrent la quinine des écorces d'un Quinquina jaune, et montrèrent qu'il s'agit du principe actif des
Quinquinas. La réalisation des médicaments fut simplifiée et la production augmentée. La quinine a plusieurs
propriétés : en plus d'être très efficace contre le paludisme, cette molécule est un alcaloïde ; amère, elle
est aussi phosphorescente, (elle absorbe les UV, rayons invisibles pour l'oeil humain, et en réémet sous
forme d'autres rayons, cette fois visibles). Pendant très longtemps, la quinine naturelle est restée une
solution plus efficace que les molécules de synthèse contre certaines formes de paludisme. Mais en 2001,
Gilbert Stock, de l'université Columbia réussit à créer des molécules de quinine de synthèse, qui ont
exactement le même effet que la quinine naturelle.
le chocolat une préparation
pharmaceutique
Le chocolat provient d'un arbre d'Amérique Centrale, le Théobrome Cacao. Les Aztèques et les Mayas l'utilisaient pour en faire
une boisson épicée. Les Espagnols ont apporté la mode de cette boisson en Europe et l'ont transformée en
boisson sucrée. Contrairement à la majorité des arbres qui portent leurs fruits au bout de leurs branches,
celui-ci les porte sur son tronc. Ces fruits, les ''cabosses'', une fois coupés en deux, laissent apparaître
des fèves. Dans une fève de cacao il y a environ 55% de matière grasse. Pour faire du cacao, les fèves sont
dépulpées et mises à fermenter afin de bien les nettoyer. Les fèves séchées sont torréfiées (à 130-160°) et
broyées pour obtenir du cacao. A l'origine, le cacao était une préparation pharmaceutique (sous prescription
du médecin). C'est pourquoi les premières recherches et les premières expériences ont été réalisées par des
scientifiques. Van Houten, chimiste hollandais du XIXème siècle, a inventé le pressage du chocolat (il presse
la fève torréfiée), ce qui permet d'enlever une partie de la matière grasse (beurre de cacao). Le pressage
permet de réduire de 50% à 25% la quantité de matière grasse. Le cacao pressé (le tourteau) obtenu est
pulvérisé, pour obtenir le cacao en poudre. Le beurre de cacao extrait est utilisé en cosmétique, pour la
réalisation de savon ou en pharmacie, pour la production de suppositoires, ou en chocolaterie, pour le
chocolat blanc. Ensuite, les perfectionnements se multiplièrent : un médecin anglais inventa la tablette de
chocolat, puis Lindt, fils de pharmacien, inventa le conchage, procédé d'affinage du chocolat par brassage à
une température de 80 degrés Celsius et à malaxer pendant longtemps en y incorporant du beurre de cacao, ce
qui change les propriétés physiques du chocolat, et qui donne un chocolat de meilleure qualité.
Copyright : 2016 Victor Duruy
Figure 30. Le chocolat en pharmacie
les poisons et des flèches
A un
moment de la visite, nous avons parlé des poisons de flèche. Il y a plusieurs type de poisons de flèche. Les
deux principaux sont ou bien d'origine animale ou bien d'origine végétale. Les poisons de flèche étaient
principalement utilisés pour la chasse par les Indiens d'Amérique, et le sont encore aujourd'hui par quelques
populations de «chasseurs-cueilleurs». Comme la viande de l'animal chassé est mangée par les chasseurs, il a
fallu trouver des poisons qui ne soient pas nocifs pour l'homme. Il y a donc deux techniques principales :
pour les poisons d'origine animale, on trempe une flèchette dans une substance visqueuse et toxique de
l'animal, comme la peau, le venin... Par exemple, le poison couvrant la peau d'une espèce de grenouille était
très efficace. Pour ceux qui sont d'origine végétale, des plantes contenant du poison non-létal pour l'homme
ont été trouvées. Il suffisait alors de récupérer ce poison et d'en enduire les flèches. En Afrique, par
exemple, des flèches cardio-toxiques, qui agissent sur le cœur de l'animal, sont utilisées. Le poison utilisé
est recueilli dans le Strophantus, végétal d'Afrique. En Amérique du
Sud, le curare est utilisé, pour ses effets paralysants : il bloque la transmission neuro-musculaire,
empêchant ainsi l'animal de s'enfuir. Il s'agit d'un myorelaxant qui provoque la mort par paralysie du
système respiratoire, entraînant l'asphyxie. Grâce à cette technique, les animaux peuvent être consommés.
Mais cette substance peut être allergénique. Les flèches étaient tirées à l'aide d'une sarbacane, qui pouvait
mesurer entre 2 et 4 mètres.
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Figure 31. Les
poisons de flèches
Plantes tinctoriales et
couleurs de plantes
La couleur verte des végétaux est liée a la presence de
chlorophylle dans certains de leurs organes comme les feuilles. La chlorophylle est un melange de plusieurs
pigments. Nous pouvons donc nous demander quelles sont ces substances ? Nous cherchons donc à séparer et à
identifier les constituants du pigment vert. Pour cela nous utilisons la technique de la chromatographie : c'est
une technique de separation des substances presentes dans un mélange. Elle utilise la migration par ascension
des constituants d'un mélange liquide sur un support solide ( le papier). Les constituants du mélange sont
entrainés plus ou moins rapidement suivant leurs propriétées physico-chimiques : masse, polarité, solubilité.
Nous disposons pour cela de papier Wattman, d'un cache noir, d'une éprouvette, d'un agitateur, d'un bouchon avec
crochet de suspension et d'un solvant à chromatographie et d'une feuille verte de laurier palme.
Le
protocole est le suivant :
Copyright : 2016 Victor Duruy
Figure 32. Le montage
d'une chromatographie
on verse 2 cm de solvant dans l'éprouvette, que l'on bouche pour saturer
l'atmosphère
on écrase directement la feuille de Laurier sur le papier Wattman en pressant à
l'aide d'un agitateur et on répète plusieurs fois l'opération afin d'obtenir un dépôt bien
concentré
nous couvrons l'éprouvette à l'aide d'un cache noir afin que la chlorophylle ne
reçoive pas de lumière
nous attendons 20 à 30 minutes afin que puisse avoir lieu la migration
Copyright : 2016 Victor Duruy
Figure 33. Résultat obtenu
Observations : on observe une migration de dépôt :
différentes taches sont apparues à différentes hauteurs du papier. Grâce à la position des différentes taches et
à la migration, et selon le schéma ci-dessous, nous pouvons identifier les composants de la chlorophylle
brute.
Copyright : 2016 Victor Duruy
Figure 34. interprétation de la
chromatographie
Les couleurs des pétales de fleurs
La chromatographie de la « chlorophylle brute », extraite dans des feuilles, a
montré qu’il s’agit d’un mélange de plusieurs pigments : chlorophylle a,
chlorophylle b, caroténoïdes et xanthophylles. D’autres organes végétaux,
comme les pétales des fleurs ont une coloration liée à d’autres pigments, les anthocyanes. On cherche ici à
localiser la partie de la cellule contenant des anthocyanes et à trouver à quoi tient leur couleur.
Copyright : 2016 Victor Duruy
Figure 35. observation de pétale d'oeillet au
microscope
Protocole : On a prélevé un lambeau d’épiderme de
pétale de fleur (Œillet) qu’on a placé sur une lame, dans une goutte d’eau puis recouvert d’une lamelle. On a
observé cette préparation au microscope. On constate que la couleur rose provient de l’intérieur des cellules,
alors que les parois ne présentent pas de coloration. Comme la vacuole occupe la plus grande partie du
cytoplasme, on peut dire que les anthocyanes, qui colorent la cellule en rose, sont localisés dans la vacuole
cellulaire. Les anthocyanes sont solubles dans l’eau. Nous avons coupé en lamelles une feuille de chou rouge,
puis nous avons broyé les morceaux de feuilles dans un mortier, avec de l’eau. Nous avons recueilli l'extrait et
l’avons réparti dans plusieurs tubes (3ml) dans lesquels nous avons ajouté 3 ml de solution tampon à différents
pH. La couleur des anthocyanes du chou varie selon le pH.
Copyright : 2016 Victor Duruy
Figure 36. Action du pH sur la couleur des anthocyanes
De la gauche vers la droite pH 5, 7 , 8 et 11. On
remarque que la couleur change selon le pH. On en déduit que la couleur des anthocyanes est liée au pH. Plus le
pH est acide , plus les roses dominent ; c'est ce qui explique les différentes couleurs d'Hortensias : plantés
dans un sol acide, ils sont roses, dans un sol neutre et légérement alcalin (calcaire basique), ils virent au
bleu pâle. A un pH 11(4eme tube à droite) la solution d'anthocyane est composée d'un mélange de formes bleues et
jaunes lui conférant sa coloration dans la gamme des verts.
Notre jardin
médiéval
Notre jardin est réalisé dans le patio du bâtiment des sciences, des carrés de
1,20 m sont utilisés.
Le plan
Copyright : 2014 Victor Duruy
Figure 37. Le plan du jardin dans le patio du bâtiment des sciences (réalisation Thibaud)
Carré des petits fruits : Framboisier, Groseillier, Cassis
Carré des légumes feuilles : Poirée, Chénopode
Lin Carré des plantes textiles et tinctoriales : Ortie, Genêt des teinturiers,
Pastel, Garance, Indigotier
Carré des plantes arômatiques : Romarin, Mélisse, Thym, Ciboule, Sarriette,
Lavande, Menthe, Ail des Ours, Oseille
Carré des plantes médicinales : Tanaisie, Pimprenelle, Hysope, Absinthe,
Cataire
Arnica, Angélique, Anis
Quelques activités en images dans notre jardin.
Copyright : 2016 Victor Duruy
Figure 38. Desherbage manuel
Copyright : 2016 Victor Duruy
Figure 39. Les simples
Copyright : 2016 Victor Duruy
Figure 40. Tous au jardin : vue du 1er étage
Remerciements
Remerciements aux
élèves de l'option Méthodes et Pratiques Scientifiques qui ont rédigé et illustré cette partie sciences au
jardin médiéval (2de 1 ): Andréa Amprou, Amaury Beuzelin, Arthur Breen, Arthur Burlinchon, Salomé Choukroun,
Thibaud Deléon, Raphaél Fizycki, Celine Goncalves, Sirine Gougam, Elina Grigorian, Nathan Levy-Arditti,
Emilia M'Bako Mam, Livia Maskos, Thérèse Rabotin, Aimée Roland Gosselin, Stanislas Sellier pour la
réalisation de toutes ces productions .
Les activités proposées aux élèves se sont intégrées dans le
programme de Littérature et Société : le thème principal retenu Regards sur l'autre et l'ailleurs a orienté toute notre démarche. Le projet de
publication finale, sur un support numérique, a permis de traiter plus brièvement le thème de l'aventure du livre, notamment grâce à la visite conférence et à l'atelier de
la Bibliothèque de l'Arsenal sur le livre médiéval (formes, supports, organisation textuelle).
Le
parcours historique et culturel autour du thème du jardin a permis d'envisager, sur le rapport entre
nature et culture, un point de vue
radicalement différent du regard moderne et de questionner l'organisation de l'espace aux multiples
facettes qu'est le jardin.
Par groupe de deux à quatre, les élèves se sont emparés des aspects
qui ont émergé de nos étonnements : origine du jardin et jardin des origines, jardin sacré et jardin
profane, jardin nourricier et jardin merveilleux... Deux groupes ont par ailleurs élargi la démarche en
s'interrogeant sur les aspects des goûts culinaires et sur le rite du festin
médiéval.
Le terme persan pariri-daeza s'est
transmis, dans la mythologie judéo-chrétienne, sous le nom de «paradis», puis de jardin d’Éden qui signifie
en premier lieu «espace fermé». Plus tard, le terme « jardin» est attesté au XIIe siècle, rattaché au composé
latino-germanique hortus gardinus, qui se traduit littéralement par
«jardin entouré d'une clôture» : du latin "hortus", jardin et du francique «gart ou gardo», clôture. Le
jardin est un terrain, clos ou ouvert selon les époques et les civilisations, où l'on cultive des légumes,
des fruits, des arbres et des arbustes fruitiers. Il est agrémenté dans un souci esthétique d’ornements
divers et peut être souvent aménagé de parterres, de bosquets, de plans d'eau et de tonnelles qui permettent
la promenade, le repos, la rêverie.
Cette étymologie suggère que le jardin se doit d'être clos pour
être protégé de l'extérieur et bien entretenu à l'intérieur. C'est à l'aide de cette définition qui
s'adaptera au fil des millénaires que nous allons aborder un cas particulier : le jardin
médiéval.
Le
modèle idéal :
Le premier jardin connu du monde est cité dans la Bible, et,
n'avait d'autre créateur que Dieu-lui même. C’est dans ce lieu mythique que sont engendrés les deux premiers
jardiniers Adam et Eve, issus du Créateur. C’est dans le Jardin des
Délices que Hieronymus Bosch (v.1453-v1516), en 1504, a peint ce lieu en tant que Paradis
terrestre.
C'est un triptyque en trois volets : sur le volet gauche, le Paradis, souligné par les
nuances tendres et claires du vert, du bleu, du jaune et de l’ocre ; et, sur le volet droit, l’Enfer musical,
maintenu dans les couleurs sombres et froides, du noir bleuté ou du gris. Sur le panneau central, une
véritable explosion de couleurs rehausse l’illustration prodigieuse d'un paradis artificiel où tout renvoie à
une tentative de retour à l’Éden idéal. Maints détails, comme les fruits et les oiseaux, sont d’une taille
disproportionnée, comme pour souligner que cette situation n’est pas naturelle et résulte du péché. Dans un
vaste paysage lumineux, Jérôme (Hieronymus) Bosch organise la scène centrale en allusions qui font passer
l’humanité, jugée par la Balance, du Paradis à l’Enfer.
Copyright : 2016 Galería online, Museo del Prado.
Cette illustration est mise à disposition par Museo del Prado
Figure 1. Jérôme BOSCH Le Jardin des Délices
Jérôme BOSCH Le Jardin des Délices ,1503, huile sur bois, 220 x 389 cm,
Musée du Prado, Madrid
Le thème du
jardin n'a pas seulement inspiré les peintres, mais il a également suggéré des images et des rêves aux
écrivains et aux poètes du Moyen-Age. Univers clos, le jardin est une Terre promise, mélangeant beauté et
sérénité et dans lequel ils peuvent se reposer et s'inspirer. Le premier à écrire sur le sujet est Venance
Fortunat. Écrivain italien et prolixe, il fuit Trévise en Poitou vers 565 après J.C. devant l'invasion
lombarde. Chapelain du monastère de Sainte Radegonde, il devient par la suite évêque de Poitiers. «Familier»
(précepteur) de la dynastie mérovingienne, il compose un court poème, pour la veuve de Childebert Ier : « Le
jardin de la reine Ultrogothe »; dont voici quelques extraits :
Ici l'éclatant printemps fait pousser un gazon verdoyant
Et répand les parfums des roses du paradis,
Ici les jeunes pampres offrent leur ombre protectrice aux ardeurs de
l'été
Et abritent sous leurs frondaisons les ceps chargés de grappes.
Le jardin est émaillé de mille fleurs variées,
Les fruits y ont une éclatante blancheur ou un habit de pourpre.
L'été y est plus doux et la brise aux discrets murmures
Balance sans relâche les pommes suspendues à leur tige.
Après une plongée dans les origines et les premières exploitations du jardin, il est temps maintenant
d'examiner les multiples rôles de l'espace clos. Et, à travers un Moyen-Age riche en découvertes et en
adaptations, nous pourrons admirer l'effervescence des jardins médiévaux.
Formes et symboles
Pour certains, les jardins du Moyen-Age évoquent une certaine nostalgie du paradis
perdu : le jardin d’Éden, dans sa représentation médiévale apparaît comme un espace sacré circulaire, le
cercle révèle le divin, le céleste alors que le carré exprime le terrestre. Le carré s’intègre parfaitement
dans la symbolique médiévale liée aux nombres, les quatre éléments, les quatre fleuves du paradis, les quatre
évangiles, les quatre saisons ; le chiffre quatre ou le carré est le symbole de perfection au Moyen-Age ; il
sert donc de base à la réalisation des jardins.
Figure 2. Jardin de Paradis
Maître du Paradiesgärtlein, peintre travaillant à Strasbourg dans le
premier quart du XVe siècle, Le Jardin de Paradis (Paradiesgärtlein), c. 1410-1420 Huile sur
panneau de chêne, 26,3 x 33,4 cm, Francfort, Städelsches
Kunstinstitut
Dès le début du Moyen-Age, on retrouve
l'Hortus conclusus qui est un jardin qui fait partie du château
médiéval. Il doit être construit au pied des tours et des créneaux, pour des raisons de sécurité. Le plus
souvent, il se trouve à l'intérieur de l'enceinte du domaine. S'il est à l'extérieur, il doit communiquer
directement avec le château et être entouré de palissades ou d'un petit mur bas. Le jardin sera alors
délimité par des haies décrivant une forme rectangulaire. Les clôtures, haies et palissades séparent le monde
clos où règne Dieu du monde extérieur où il existe une vie instable dans laquelle l'Homme est en proie aux
tentations et au mal.
De plus, ces clôtures écartent du jardin les influences malfaisantes et
empêchent les forces bénéfiques de s'en échapper. De ce fait-ci, on peut s'orienter vers cette idée de
séparation, comme le représentent fréquemment les miniatures médiévales (voir illustration ci-dessus).
Inspiré de l'hortus conclusus, ces jardins devaient surtout et avant
tout être des jardins utilitaires, procurant nourriture, vêtements, plantes médicinales avant d’être lié aux
plaisirs ; le Moyen-Age jugeait nécessaire de joindre l’utile à l’agréable. Durant la longue période qu’a
duré le Moyen-Age, presque mille ans, les jardins ont profondément évolué de l’hortus castral, jardin du
château, à l'hortus deliciarum, jardin des délices, prélude aux
jardins de la Renaissance. Les jardins médiévaux sont également le plus souvent d’origine monastique, chacun
gardant des particularités spécifiques.
- Le cas de l’hortus Castral
Avant tout, il s’agit d’un
lieu défensif où la moindre place est comptée. Le château féodal laisse peu d’espace pour le jardin. La
priorité est donc donnée à l’hortulus, ou jardin potager, jardin fermé situé dans une des cours de la
forteresse, et au jardin d'herbes utilisées quotidiennement dans la cuisine. Seuls quelques grands domaines
disposant d’une place plus importante peuvent se permettre de posséder un herbularius où sont cultivées les
plantes médicinales. Les cultures s’étendaient généralement au-delà des remparts avec les champs de céréales.
- Quant à l’hortus Monastique ou hortus conclusus...
Ce
type de jardin fait partie intégrante de la vie spirituelle des moines. Tous les jardins monastiques d’Europe
sont basés sur le fameux plan dit de « l’abbaye de Saint Gall », dessiné vers l’an 806 par Théodore de Trace.
Pour la première fois, les différents types de jardins sont identifiés et répertoriés. Ils sont répartis en
plusieurs endroits en fonction de la spécification et de la fonctionnalité des bâtiments : tout près du logis
du moine médecin, l'herbularium ou jardin des simples et aussi proche
de l’infirmerie. Il est constitué de rectangles bordés de planches où sont cultivées les plantes médicinales,
aromatiques et condimentaires. Nous retrouvons dans ces jardins 49 plantes citées dans le «Capitulaire de
Villis» (pommiers, poiriers, pruniers de plusieurs espèces, sorbiers et pêchers). Chaque ensemble de
bâtiments comportait un cloître plus ou moins grand, mais toujours divisé en quatre parties avec un point
central orné d’une fontaine, d’un puits, d’une statue ou d’un arbre, «arbre de vie» en mémoire de l’arbre
sacré du paradis, arbre de la connaissance du bien et du mal. Une partie de ce jardin, l'Hortus, a été reconstituée, il y a quelques années sur les rives du lac
de Constance à l’abbaye de Reichenau, en Allemagne. Dans cet Hortus, on trouve un ménagier ou potager, plus
grand que l'herbularius, constitué de deux rangées de neuf
plates-bandes rectangulaires où sont cultivés les légumes nécessaires à l’alimentation des moines et qui se
trouve naturellement près des cuisines. Derrière l’église, le verger-cimetière où les tombes des moines sont
alignées entre les arbres fruitiers.
Figure 3.
Plan original de St Gall et Plan en couleur de celui-ci.
Plan idéal de Saint Gall vers 820, Sankt Gallen,
Stiftsbibliothek
Le plan de Saint Gall,
dessiné sur cinq peaux de parchemins cousues est le plus grand manuscrit connu de cette époque, et mesure
1.12m sur 0.77 m. Il représente le modèle idéal qui servit de base à l’organisation de nombreux monastères
bénédictins à travers l’Europe . Les arbres plantés à Saint Gall sont les mêmes que ceux qui sont préconisés
dans le Capitulaire de Villis. Ce capitulaire a été édicté par
Charlemagne dans le but d'enrichir ses domaines et de propager la culture de plantes nouvelles ; il contient
une liste de plantes à cultiver : outre les plantes nourricières et les condiments, il mentionne trois
plantes décoratives : le lis, la rose et l'iris.
Le temps passe, les mentalités changent et évoluent
sous l’influence des chevaliers revenus des croisades avec dans la tête le souvenir des fabuleux jardins
d’Orient ornés de plantes aux couleurs chatoyantes et aux parfums envoûtants, ouverts sur la campagne
environnante. Cela permettra la création de jardins plus grands, plus vastes, ayant très librement inspiré le
«Roman de la Rose».
L'hortus deliciarum, ou jardin des délices,
est l'expression de l’amour de Dieu pour l’homme ; jardin du plaisir terrestre où fleurit l’amour courtois il
offre une abondance de fleurs, il est propice à la promenade, au repos et à la lecture. L’évolution est
perceptible : la clôture se fait plus fine, plus discrète, plus travaillée, la fontaine centrale paraît plus
riche, plus raffinée, le jardin se pare de pergolas, de volières, de viviers, de pièces d’eau, et même
d’automates, ouvrant ainsi la porte aux jardins de la Renaissance. Le verger planté d’arbres fruitiers
d’essences variées et de fleurs devient lieu de promenade alliant l’utile et l’agréable, le beau et le bon,
selon l'association platonicienne.
A travers la quête du jardin médiéval, l'univers clos s'est ouvert
à nous, et nous apparaît coloré et décoré, simple et strict. Ces différents jardins font faire perdurer les
correspondances métaphoriques avec le végétal et l'idée d'un parcours signifiant. Ceux-ci prennent des
valeurs magiques, mystiques, médicales, divinatoires parfois surnaturelles, héritées de la période médiévale.
Il est clair que l'Hortus Deliciarum annonce les jardins de la
Renaissance.
En utilisant cette définition de Larousse, à la différence de l'habituelle encyclopédie Wikipédia, j'ai
ainsi pu avoir une source sûre mais également une définition complète; que j'ai après transformée pour la
compréhension de tous, en une définition plus simple encore.
Livre dont le sujet est, «Jardin monastique, Jardin mystique», et est trop large. L'auteur est un
historien et scientifique, Bernard Beck. Intéressé par la botanique, il a écrit une revue sur la pharmacie.
Nous ne prendrons seulement que la partie sur: «le verger ou pomarius», qui possède un plan détaillé du
jardin De Saint-Gall mais également, le poème de Venance Fortunat ; qui fut le premier à parler des jardins
dans une illustration écrite.
Ce site a été une aide pour la description du triptyque de Bosch, et une source intéressante et
passionnante dessus. Une analyse dont je me suis inspirée afin de pouvoir faire la mienne, par la suite, de
cette illustration.
Le jardin mystique
Le jardin
mystique se rattache au premier des jardins, celui d’Éden. La tradition le situe en Mésopotamie. Avant la chute,
l’Éden était un lieu de paix et de plaisir, de fécondité et de fragrances, enchanté par la musique de l'eau et
des rires. Depuis les premiers royaumes d'Assyrie, les hommes ont toujours tenté de recréer ce « Paradis
mystique ». C'est cette recréation dans l'univers chrétien du Moyen-Age que nous allons étudier.
Les origines spirituelles du «
jardin mystique » occidental
le jardin d’Éden
L'étymologie du
mot « Éden » provient de l’hébreu et signifie délices. En disant
«jardin d’Éden», on revient à dire jardin des délices, expression conservée au Moyen-Age pour désigner ce
paradis perdu' ou celui qui se gagne. Selon La Genèse (2,4-15, Bible de
Jérusalem :
«Yahvé Dieu planta un jardin en Eden, à
l'Orient, et Il y mit l'homme qu'il avait modelé. Yahvé Dieu fit pousser du sol toutes espèces
d'arbres séduisants à voir et bons à manger, et l'arbre de vie au milieu du jardin, et l'arbre de la
connaissance du bien et du mal. Un fleuve sortait d'Eden pour arroser le jardin et de là il se
divisait pour former quatre bras. Le premier s'appelle le Pishôn : il contourne tout le pays de
Havila, où il y a l'or ; l'or de ce pays est pur et là se trouve le bdellium et la pierre de
cornaline. Le deuxième fleuve s'appelle le Gihôn : il contourne tout le pays de Kush. Le troisième
s'appelle le Tigre : il coule à l'orient d'Assur. Le quatrième fleuve est l'Euphrate. Yahvé Dieu
prit l'homme et l'établit dans le jardin d'Eden pour le cultiver et le garder.»
Sa localisation a alimenté beaucoup de suppositions et de rêveries au cours du Moyen-Âge, et l’on
raconte comment de nombreuses personnes partaient à la recherche de ce jardin perdu, parfois encore appelé
le « royaume du prêtre Jean ». Le nom des fleuves, tantôt réels tantôt imaginaires a aussi beaucoup
contribué à ces spéculations.
Figure 4. Carte du premier âge ou situation du paradis terrestre selon les divers autheurs /
Desbruslins sc.
Collection d'Anville ; 10379 Bibliothèque nationale de France
Grâce à la référence, on peut
comprendre la géographie du futur jardin mystique : la fontaine, souvent en matériaux précieux dans les
représentations, symbolise la source puis sa division en fleuves. Les quatre fleuves sont symboliquement
repris par un schéma qui partage le jardin en deux allées formant une croix au centre de laquelle se situe
la fontaine. Par la suite, les textes sacrés évoquent la Chute (Genèse
: 3,6-7 et 23-24 ibidem) :
[«La femme vit que l'arbre était bon à manger et séduisant à voir, et
qu'il était, cet arbre, désirable pour acquérir le discernement. Elle prit de son fruit
mangea. Elle en donna aussi a son mari qui était avec elle et il mangea alors leurs yeux à
tout deux s'ouvrirent et ils connurent qu'ils étaient nus. [...] [Dieu] bannit l'homme et
il posta devant le jardin d'Eden les chérubins et la flamme du glaive fulgurant pour garder
le chemin de l'arbre de vie.»]
C'est à partir de ce passage que l'imaginaire chrétien construisit l'idée de la clôture
de l'Eden : le jardin mystique sera aussi enclos.
Figure 5. Adam et Eve au jardin d'Eden
Hours of Catherine of Cleves, in
Latin, Illuminated by the Master of Catherine of Cleves, Utrecht, The Netherlands, c. 1440,
Loc. Morgan Library Museum, New York, MS M.917.
Le Cantique des cantiques
La deuxième source d'inspiration du jardin mystique est le texte du Cantique des cantiques.
D'après A. Robert, in la Bible de Jérusalem, «le Cantique des
cantiques est comme le saint des saints de la Bible, lieu d'adoration chéri entre tous
par les plus grands mystiques. […] chef-d’illustration de poésie érotique, il proclame la sainteté du
désir : autant un désir religieux qu'une religion du désir, qui en Dieu va de joie en espoir et de
commencement en commencement, sans fin. […] de même qu'en l'amour s'éprouve une part d'éternité, de même à
la fin des temps, quand Adam et Eve jouiront du Paradis à venir, et quand il ne sera plus question ni
d'homme, ni de femme, l'humanité amoureuse de Dieu lui sera si semblable et si intime qu'elle même
deviendra divine. »
Ce texte fonde un chemin pour le retour en Eden par le moyen d'un amour plus
terrestre qui sera courtois : la Dame devient un symbole de la Vierge dont le culte se développe à partir
du XII ème siècle. Le jardin clos se charge de symboles de plus en plus forts. Ainsi parle le Cantique des cantiques (4, 7- 5,2) :
«Tu es un jardin fermé, ma sœur, ma fiancée,
Une source fermée, une fontaine scellée.
Tes jets forment un jardin, où sont des grenadiers,
Avec les fruits les plus excellents, Les troènes avec le nard ; » […]
Une fontaine des jardins,
Un jardin d'eaux vives, des ruisseaux du Liban.
Lève-toi, aquilon ! Viens, autan !
Soufflez sur mon jardin, et que les parfums s'en exhalent !
- Que mon bien-aimée entre dans son jardin,
Et qu'il mange de ses fruits excellents !
J'entre dans mon jardin, ma sœur, ma fiancée.
Je cueille ma myrrhe avec mes aromates,
Je mange mon rayon de miel avec mon miel,
Je bois mon vin avec mon lait...
- Mangez, amis, buvez, enivrez-vous d'amour ! »
La bien-aimée invite son amour à entrer dans son jardin pour manger de ses fruits exquis. Il y vient
pour recueillir sa myrrhe avec ses aromates, manger son miel et boire son vin. Ce jardin, comme le
vignoble, le verger ou le champ, symbolise le corps, plus précisément, la sensualité. Entrer dans ce
paradis amoureux, dans lequel sentir ces fragrances et savourer ces délices symbolisent le désir et le
plaisir, c’est se souvenir de l'Eden délicieux. Cueillir ses fruits, c’est jouir d'une présence divine,
c'est embrasser une pensée qui s'incarne et que l'on savoure sans « chuter ».
Le Cantique des cantiques permet aussi de comprendre l'organisation «
botanique » du jardin mystique : par ses références orientales, il valorise des plantes pas toujours
endémiques sous nos latitudes mais qui figureront toujours dans les images du Moyen-Age. Ces plantes
seront souvent acclimatées dans les jardins des monastères.
L'interprétation
médiévale
Dans les monastères : le jardin de Marie et le « paradis
».
Le jardin mystique devient au Moyen-Age une allégorie de l'Eglise, présidée
par la Vierge. Dans ces jardins de l’innocence, les "jardins de Marie", les fleurs étaient elles-mêmes des
symboles. On connaît ces jardins imaginaires par leurs descriptions dans la littérature médiévale. Le
jardin enchanté, dans Erec et Enide de Chrétien de Troyes, est un
paradis de fruits et de fleurs immortelles...
Dans le Roman de la
Rose, un guide de l'art d'aimer, de l'amour courtois, commencé en 1220 par Guillaume de
Lorris et complété ensuite par Jean de Meung, nous est présenté un jardin mélange d'imagination et de
réalité.
Le monastère, isolé des tentations du monde, enveloppé de silence, est l'image par
excellence du paradis. Les moines y cultivent les vertus, s'abreuvent à la fontaine des Écritures, y
butinent comme des abeilles les fleurs et les fruits des vertus afin d'assimiler le nectar et le miel de
la parole de Dieu. Et la sainteté exhale les plus délicieux parfums. Au centre du monastère, le cloître
est la première image de ce jardin mystique ou hortus conclusus. Il
concrétise l'une des aspirations profondes de la vie monastique : se retirer du monde, échapper à ses
déceptions et à ses souillures, s'enfermer dans la claustration exigée par la règle. À la fin du XIIIe
siècle, le théologien Guillaume Durand, évêque de Mende, en a dévoilé la symbolique profonde dans son
Rationale Divinorum Officiorum :
«Le cloître représente la contemplation dans laquelle l'âme se replie sur elle-même et où elle
se cache après s'être séparée de la foule des pensées charnelles et où elle médite les seuls biens
célestes. Dans ce cloître il y a quatre murailles qui sont : le mépris de soi-même, le mépris du
monde, l'amour du prochain et l'amour de Dieu. Chaque côté a sa rangée de colonnes. La base de
toutes les colonnes est la patience. »
Figure 6. Jardin de paradis
Maître du Haut Rhin Städel Museum de Francfort-sur-le-Main
Le jardin
mystique
Le jardin mystique (l’hortus
conclusus) est directement inspiré des jardins bibliques. C’est un jardin de rêve, jardin
secret, porteur d’un puissant symbolisme religieux inspiré par la description de l’Épouse, la Bien-Aimée
du Cantique des cantiques. Les représentations de ce jardin vont
reprendre la combinaison d'arbres et de plantes bordant les murs et poussant dans le gazon pour mettre en
évidence une tradition bien différente de celle des plantations limitées à de petits enclos géométriques
bordés d'allées. On y voit la Vierge Marie entourée d'anges, de saints et d'un concert d'oiseaux. S'y
trouvent aussi de nombreuses espèces de fleurs telles que le muguet, les iris, les primevères .... La
porte est gardée et les entrées sont surveillées. Les personnes y entrant cherchent un idéal.
Il
exprime l’essence de la Vierge et résume ses beautés et ses perfections. Dans ces jardins présidés par la
Vierge, les fleurs étaient elles-mêmes des symboles : la rose devenue au Moyen-Age la fleur de la Vierge,
le lys symbole de la chasteté et la violette, celui de l’humilité. Ainsi, les symboles chrétiens se
métamorphosent en figures allégoriques du plaisir.
L'exemple ci-dessus, représente un jardin
mystique traditionnel. Ce jardin est fermé ; à l'intérieur, peu de personnes. On peut voir que la porte
est gardée. Sur les murs extérieurs sont peintes les figures de la Haine, de la Félonie, de la Convoitise,
de l'Avarice, de l'Envie, de la Tristesse, de la Vieillesse, de l'Hypocrisie et de la Pauvreté qui n'ont
aucun droit dans ce monde de la courtoisie. La porte y est étroite et presque dérobée et semble ainsi un
symbole de l'inaccessibilité de la Dame. Ce jardin est agrémenté de fleurs et d’arbres, où les amants
pouvaient cacher leur amour. Au milieu de ce jardin, on trouvait un puits ou une fontaine, l’eau
jaillissante et pure s’opposant aux eaux dormantes du péché.
Au fils des siècles, le jardin mystique
a toujours alimenté les légendes de la sensualité, du paradis et du plaisir. Chagall s'inspirera du jardin
mystique pour représenter les amants dans leur propre paradis.
Bibliographie
Tous les jardins du monde Gabrielle van Zuylen, Découvertes Gallimard art de
vivre. 1994.
Bible de Jérusalem Mame-Cerf, 2009
Les ornements du
jardin médiéval
La structure du jardin médiéval s'inspire du premier des
jardins, le Jardin d'Eden dans lequel se trouvaient Adam et Eve (Genèse 2,8 à 15 Bible de Jérusalem : structure marquée par les quatre fleuves). Originellement lieu de
plaisir dans l’immanence de la contemplation divine, il ne peut se reconquérir que par le travail après qu'Adam
et Eve eurent été expulsés et condamnés à gagner leur pain “à la sueur de leur front”. Le jardin médiéval est
donc marqué par une dualité : ayant pour but d'être un lieu d'agrément, sa composition doit permettre de faire
oublier le travail qui s'y déroule, afin qu'il rappelle le paradis perdu. Les ornements doivent permettre un
confort à la fois visuel et pratique.
Le rappel de ses origines se dénote tout d'abord par sa clôture :
non mentionnée dans le texte biblique, sa présence surgit lors de la Chute à l'évocation de sa porte gardée par
un ange (Genèse 3,24 Bible de Jérusalem : « Il bannit l'homme et Il posta
devant le jardin d'Eden les chérubins et la flamme du glaive fulgurant pour garder le chemin de l'arbre de vie
»).
Par ailleurs, la longueur de la période médiévale et ses soubresauts historiques (notamment le
contexte de conflits et d'invasions) ne permettent pas de déterminer un modèle unique de jardin médiéval ; nous
nous concentrerons sur les informations suggérées par les illustrations du XIIIème siècle à l'aube du XIVème
siècle pour rendre compte de l'organisation de ce jardin.
Enfin, il conviendra de distinguer selon les
classifications même de Pierre de Crescens les "jardins princiers" des autres : ils marqueront la transition du
jardin au parc, espace qui prendra son essor à la Renaissance.
Une clôture symbolique
Il s’agit de la
première des caractéristiques du jardin médiéval : fonctionnelle puisqu’il s’agit de protéger l’espace de
toutes sortes d’invasions (militaires, divagations du bétail ou incursions des animaux sauvages), la clôture
est aussi hautement symbolique.
A l’intérieur même du monastère, où se sont repliées les premières
expériences médiévales dans l'art horticole, elle délimite un espace fermé, qui reprend l'évocation biblique
mais se conforme aussi aux caractéristiques du jardin antique tel que décrit par exemple au chant VII de
l'Odyssée (jardin d'Alcinoos). Un jardin est donc à l'époque
médiévale clos.
Cette clôture sert aussi à repousser les vilains et les gueux du jardin, et a donc un
rôle social : seules les demeures seigneuriales deviennent le deuxième espace pour le développement du
jardin.
La clôture s'inspirant du jardin d'Eden représentera la limite entre la terre et le royaume de
Dieu, symbolisant ainsi la distance entre le sauvage et le civilisé, entre le monde extérieur et le foyer.
Les moines donnent un sens spirituel à leurs jardins : la clôture marque l'isolement face au monde, l'abri
contre les tentations et le jardin rappelle donc le jardin d'Éden. Le jardin est fermé par un cloître
constitué de quatre murailles représentant le mépris de soi-même, le mépris du monde, l'amour de son prochain
et l'amour de Dieu. Le cloître est donc la concrétisation de la vie monastique, c'est-à-dire la marque de la
volonté de se retirer du monde pour s'enfermer dans une vie sainte régie par la règle.
Au XIIème
siècle, lorque se développe la littérature courtoise, le jardin va devenir une sorte de métaphore de la Dame
: il est clos, farouchement gardé par le mari jaloux, comme l'ange avec une épée de feu devant le jardin
d'Éden, et y pénétrer signifie alors posséder la Dame. Dans une illustration du Roman
de La Rose , on peut voir la Dame faire entrer son compagnon dans son jardin fermé à clef, afin de
pouvoir prendre du plaisir avec elle au cours de conversations ou en faisant de la musique comme les autres
couples présents...
Figure 7. Roman de
la rose
Guillaume de Lorris et Jean de Meung, Le roman de
la Rose – manuscrit d’Engelbert de Nassau, fin XVe siècle, British Library Harley MS 4425, f.12v.
détail.
La symbolique se retrouvera dans les matériaux choisis pour réaliser la clôture : haie vive, haie sèche
ou mur.
La haie vive est la plus fréquente dans le monde rural, et est constituée d'arbres, forestiers
ou fruitiers, et de végétaux vivaces comme des arbustes ou des plantes buissonnantes. Elle sert de
porte-greffe et fournit du petit bois utile pour le chauffage et la cuisson.
La haie sèche est
constituée de branches coupées et entrelacées autour de piquets ou d'échalas espacés. Les épines noires et
blanches se révèlent précieuses car leurs branches coupées restent bien solides. Elle est plus ou moins
élégante ou rustique selon la position sociale du propriétaire.
Le mur est fait de plâtre et de
pierres. Sa constitution dépend des matériaux disponibles localement ainsi que du niveaux d'aisance du
propriétaire. Plus qu'une haie, il est signe de puissance sociale car il est plus onéreux à édifier et
apporte en premier lieu moins à l'économie domestique, mais il peut servir de support d'espaliers et il peut
mieux couper le vent. En retenant la chaleur du soleil et en faisant obstacle au vent, le mur crée un abri
profitable aux cultures.
A mesure que la période se stabilise (règne des Carolingiens), le jardin voit
son intérêt s'étendre au monde paysan : les cultures étant libres dans le jardin, et échappant à l'impôt de
la dîme, la clôture renforce le sentiment de propriété lié au jardin, qui se développe dans la notion de
mesnie : habitation, cour et jardin attenant.
Un jardin modeste ne
comporte pas vraiment d'espaces de loisir, sa surface est variable, selon la richesse du paysan. Mais surtout
le jardin s'agrandit alors de la nature environnante où la cueillette des herbes sauvages est possible,
cueillette indispensable pour compenser les alea météorologiques :
lorsqu'une salade ou une herbe à porée n'arrive pas à pousser dans le jardin, on trouve toujours en
remplacement de l'ache, du plantain ou du pissenlit.
Il est de forme carrée et constitué d'arbres et
de plantes : les arbres ne doivent pas être trop touffus et pas trop nombreux afin que l'on ne manque pas
d'air. On y plante des herbes médicinales, diverses et de fine odeur, et s'il est assez grand, des herbes
aromatiques.
Ce jardin jouera alors un rôle capital dans l'économie vivrière du monde paysan et se
confirmera dans les siècles suivants.
L'organisation du jardin médiéval
la disposition
spatiale
Le carré sert de plan de base à la réalisation des jardins car le
chiffre quatre rappelle les quatre fleuves du jardin d'Éden : le Tigre, l'Euphrate,
le Gîhôn et le Pishôn ... Le jardin médiéval est ainsi consitué autour de quatre allées formant
une croix, notamment dans l'espace délimité par le cloître.
Selon le modèle du plan idéal du
monastère de Saint Gall, figure un jardin potager, situé à côté des cuisines. Il comportait neuf carrés,
neuf comme trois fois trois. Le nombre de carrés se référait à la symbolique chrétienne, neuf étant un
multiple du chiffre trois représentant la Sainte Trinité. Ces carrés étaient parfois réunis autour d'un
puits ou d'une fontaine et on retrouvait le symbole de la croix formé par deux allées principales.
Les
différents ornements du jardin
Les Fontaines
Le centre des
jardins est le plus souvent occupé par une fontaine ou un bassin de forme octogonale. L'eau était un
élément essentiel du jardin de plaisance pour le son et la fraîcheur ainsi que pour la symbolique de la
fontaine de jouvence qui s'y rattache. D'un petit bassin carré sort un canal protégé par des bordures ;
un anneau scellé dans la pierre de la fontaine retient, au bout d’une chaîne, une louche de métal pour
puiser l’eau. Elle est un élément de luxe du jardin : en pierre ou dinanderie, les fontaines sont
petites, précieuses, plus proches du mobilier que de l’architecture, parfois ornées de sculptures de
têtes de lion ou autres animaux, ou de personnages.
Les berceaux de
verdure
Les berceaux de verdure forment souvent les seuls éléments
architecturés des jardins : ils procurent ombre et fraîcheur, associés au plaisir du parfum des plantes
grimpantes que l’on y attache : vigne, roses, chèvrefeuille, houblon…; la fabrication de la structure,
en branchages ou en osier, se fait en hiver. Au cours des siècles, le berceau va s’amplifier et devenir
lieu de déambulation, de promenade ; on voit alors apparaître la notion d’allée
couverte.
Les plessis
Les plessis délimitent les espaces au sein
du jardin : le « préau », endroit où l’on demeure assis, ou les carrés plantés. L'usage des plessis se
développe à la fin du Moyen-Age, pour devenir une constante à la Renaissance ; les plus anciens
semblent avoir surtout servi à protéger les plantes fragiles : ils sont réalisés en branchages tressés,
vifs ou morts, selon une technique qui ne varie guère, et que l’on trouve d’ailleurs encore aujourd’hui
dans les campagnes. Le préau est également délimité par des banquettes de gazon, des structures de bois
ou de pierres dans lesquelles on trouve du gazon ou des fleurs, qui sont adossées contre les murs et
sur lesquelles on peut s'asseoir.
Les jardins modestes et
princiers
Considéré comme un des premiers agronomes, Pierre de Crescens entreprend
au tout début du XIVème siècle la rédaction d'un ouvrage en douze livres sur l'Agriculture pratiquée par les Anciens et délaissée par les modernes ; le huitème de
ces livres est entièrement consacré aux jardins. L'auteur commence son propos en distinguant trois types de
jardins selon l'espace qui lui est dévolu, en fonction aussi de la richesse et des moyens du
propriétaire.
le « jardin aux petites herbes » est calqué sur le jardin monastique et se
concentre sur les herbes aromatiques.
le jardin pour "classes moyennes" (le pomarium)
ressemble à un pré enclos, planté d'arbres fruitiers et parfois orné d'éléments
architecturés.
Le jardin seigneurial ou princier est un vaste domaine de villégiature, ceint de
hauts murs, orné de pièces d'eau et de nombreux éléments architecturés parfois éphémères. Il est
construit sur un endroit plat, non marécageux, ouvert au souffle des bons vents. Il fait au moins
20 journaux, unité exprimant la surface labourée par un homme en une
journée. On y met de grandes cages à oiseaux, et de grandes rangées d'arbres allant jusqu'au
bois.
Un des exemples les plus prestigieux de jardin princier médiéval est celui de Hesdin créé par
Robert II d'Artois à la fin du XIIIe siècle : il combinait les agréments du parc et du jardin , et dans
lequel on pouvait trouver un paradis et un vivier destinés au comte et à sa famille ; au nord, s'étendait un
parc destiné à la chasse , dans lequel il y avait un pavillon de plaisance au bord de la rivière pour
accueillir des assemblées qui pouvaient se disperser sur les pelouses avoisinantes. Des automates installés
par Robert II d'Artois dans les jardins de Hesdin auraient été imités de ceux qu'il avait vus en
Sicile.
Figure 8. Mariage dans les jardins de
Hesdin
Mariage de Philippe le Bon,
Janvier 1430. Versailles collection MV5423
Le Moyen-Age s'étend sur une période
d'à peu près mille ans : cette longue période a donc développé différents points de vue sur le rapport entre art
et nature. Ces points de vue résultent d'une part, du conflit entre le début de la christianisation et un monde
dans lequel le paganisme est bien installé et d'autre part de la pacification d'un espace territorial (des
grandes invasions à la première Renaissance carolingienne).
Un rapport conflictuel à la représentation réaliste de la
nature.
La période du Haut Moyen-Age a été marquée par les invasions
barbares et l'expansion islamique. Les préoccupations matérielles ont sans doute prévalu sur des
considérations esthétiques : le jardin et les cultures nourricières ne laissaient que peu de place à la
construction d'un jardin de plaisance, d'un locus amoenus.
Dans
le monde clos des abbayes vont se développer par ailleurs des considérations hautement symboliques : le monde
doit se lire et se comprendre à travers la révélation christique ; par exemple le vent représentait l'esprit
saint, le saphir la contemplation divine. Selon Michel Baridon, «L'étude comptait moins que son utilisation à
des fins symboliques et hagiographiques[...] Les fleurs existaient et on en cultivait dans certaines abbayes
[…] mais c'est surtout la rose, le lys ou l'iris qui avaient la faveur des jardiniers pour leur parfum, leur
beauté, et pour les associations qu'elles faisaient naître.» ( in Les Jardins,
Robert Laffont, Paris 1998).
De plus, l’Église condamne les plantations d'agrément et tolère la
fabrication de parfums pour la liturgie ; de même l'atria (jardin dit «paradis»)
est planté de roses pour permettre d'orner l'autel.
Par ailleurs, la tulipe, l’œillet et la pivoine
entre autres n'étaient pas encore acclimatées en Europe mais certaines fleurs de l'imaginaire oriental sont
présentes dans l'iconographie.
La représentation des fleurs se fera ensuite par le biais des vitraux .
On les représente pour leurs symboles. Chaque chrétien se doit de connaître la symbolique et les
images.
L'architecture se veut une illustration de la liturgie de la lumière : la lumière de la pensée
divine doit descendre sur la foule des croyants réunis dans les lieux de culte. La rosace fait alors figure
de double instrument : elle allie la symbolique de la rose à celle de la lumière. Telle est la signification
des rosaces des cathédrales gothiques : l'architecture de ces cathédrales, allie métaphores végétales comme
les nervures des voûtes et métaphore de la lumièregrâce à leur élévation.
Les sculptures des églises
romanes, quant à elles, sont souvent accompagnées de feuilles d'acanthe. Celles-ci illustrent la victoire et
le terme des épreuves terrestres. Elles sont considérées comme un symbole de gloire pour ceux qui ont
triomphé des obstacles qui jalonnaient leur route.
Ainsi, tandis que les premiers traités illustrés de
botanique déconcertent par le peu de ressemblance entre la plante et son dessin, les rendant toutes très peu
différentes les unes des autres, des représentations plus tardives étonnent par leur réalisme pictural. On va
passer d'un système fondé sur un discours sur la plante à un système qui valorisera la plante en elle-même.
On se dirige alors vers un art figuratif plus ou moins réaliste mais où la symbolique continuera de
s'affirmer en priorité.
La réconciliation avec une forme de «réalisme»
C'est vers la
fin du xv ème siècle que les tapisseries dites «mille fleurs» se développent. Parmi les plus célèbres, la
tapisserie de La Dame à la Licorne, exposée au musée national du
moyen-âge de Cluny à Paris.
Il s'agit d'un ensemble de cinq tapisseries représentant les cinq sens,
plus une sixième intitulée de façon assez énigmatique A mon seul
Désir. Elles proposent toutes un parterre fleuri, où chaque fleur se voit choisie pour sa valeur
symbolique.
La flore de chacune de ces tapisseries est très variée ; on y observe un fond de «mille
fleurs» sur lequel évoluent des animaux familiers, créant un univers poétique. Cette diversité renvoie à la
conception de l'hortus deliciarum :cette tapisserie à thème littéraire représente
l'amour courtois.
Chaque tapisserie représente des fleurs qui font partie de la culture d'agrément. La
plupart des fleurs représentent la Vierge Marie. On a donc aussi une représentation d'un hortus conclusus.
Nous allons nous attacher à dégager la signification des plantes et des
fleurs représentées ; celles-ci intègrent en outre une symbolique plus ancienne héritée de l'Antiquité
gréco-latine.
On observe parmi les arbres :
un chêne : symbole de fermeté, de fidélité et de bonheur.
un houx : signe du Christ qui symbolise la nativité et a pour rôle de protéger la
maison.
un pin : symbole de la permanence dans un univers méditerranéen sa symbolique est
reprise au nord de la Loire il se voit souvent représenté alors même qu'il est peu fréquent sous ces
latitudes.
un oranger : lui aussi héritié de l'univers méditerranéen, comme le pin, il
acclimate en priorité sa symbolique et se trouve représenté dans des ouvrages produits au nord de la
Loire, latitudes où l'arbre ne poussait pas ; il représente l'arbre de la connaissance du Paradis ou
bien, dans la littérature profane, la fécondité (fruit) ; sa fleur symbolise la jeune
fille.
On trouve parmi les fleurs:
des violettes, fleurs parfumées, du désir et du Paradis dans la poésie amoureuse.
La violette peut symboliser dans d'autres représentations la modestie et l'humilité. Elle est aussi
le symbole de la Vierge Marie. Elle est largement représentée dans les tapisseries mille fleurs.
des pâquerettes, fleurs de Pâques ou bien dans la poésie amoureuse, fleur de
Vénus.
des œillets, figurant sur les couronnes des fiançailles. Œillet, en latin daianthus, d'origine grecque, signifie «fleur de Dieu» : c'est
pourquoi cette fleur peut évoquer Jésus-Christ et plus précisément sa Passion. Selon une légende
médiévale, les larmes de la Vierge Marie à la vue de son fils en croix,tombées à terre , se
transforment en œillets. Ils attirent par leur senteur poivrée.
des roses, symboles de l'amour terrestre lié à la Vénus et à la Vierge. Un récit
mythologique rapporte que dans l'écume de la mer, dont naît la déesse grecque, pousse un buisson
épineux, qui, arrosé par le nectar des dieux, se couvre de roses blanches.
Dans l'Antiquité,
la rose a aussi une connotation funèbre, au point que, dans l'ancienne Rome, la fête des roses, les
Rosalies, fait partie des cérémonies liées au culte des morts.
des jacinthes : symbole de la vertu et de l'endurance selon Ovide, la jacinthe
serait née du sang d'Ajax fils de Télamon, qui se tue par dépit car il n'a pas obtenu les armes très
convoitées d'Achille qui reviendront à Ulysse.
des pensées : on leur attribue souvent le symbole de la tendre pensée envers un
proche. Elles sont aussi le symbole de l'humilité.
des lys : symbole de la pureté et de la chasteté, le lys est souvent lié à
L'Annonciation et à l'Immaculée Conception du Christ. Il est le symbole de la Vierge Marie et de
l'archange Gabriel. Dans la Rome Antique il est appelée « Rose de Junon» car il symbolise le lait
que Junon aurait donné à Hercule. Au Moyen-Age, il est associé au Christ et aux rois (sur les
bannières).
Ces plantes et ces fleurs se retrouvent donc dans les six tapisseries, avec des fréquences qui
varient selon le sens de chacune.
Dans cet ensemble de tapisseries non seulement les fleurs sont
symboliques mais elles permettent aussi à celui qui les regarde de comprendre que c'est une tapisserie fondée
sur les cinq sens.
Traditionnellement on répertorie les tapisseries représentant :
Figure 9. Le goût exposé au Musée de Cluny
Dimensions : environ 3,75 m
par 4,6 m
Une clôture de bois couverte de rosiers grimpants ferme l’organisation générale de
la tapisserie tandis que l'oiseau est nourri par la Dame
Figure 10. L'odorat exposé
au musée de Cluny
Dimensions:environ environ
3,6 m par 3,2m
Le singe, qui respire un œillet dérobé, permet de dévoiler que le sens mis en
avant est l'odorat.
Figure 11. Le toucher exposé au musée de Cluny
Dimensions:environ environ
3,7 m par 3,55m
Ici le geste de la Dame qui tient
la Licorne par sa corne renvoie à la symbolique de la pureté virginale de l'animal.
Figure 12. La vue exposée au musée de Cluny
Dimensions: 3,12m par
3,30m
Le jeu avec un miroir (accessoire luxueux au XVème siècle) dénote le sens de la vue.
Figure 13. L’ouïe exposée au Musée de Cluny
Un petit orgue portatif représente l'ouïe
Dans
chacune de ces tapisseries, on remarque combien l'espace est occupé voire saturé par le semi-fleuri: si sur
certaines on observe un espace pouvant renvoyer à l'idée d'un «îlot» sur lequel les personnages se tiennent,
l'arrière-plan rouge orangé renvoie à un espace abstrait sans profondeur (sans perspective) sur lequel les
fleurs «flottent»; c'est un système de représentation qui mêle donc une forme de réalisme dans la précision
qui permet d'identifier les fleurs et un symbolisme omniprésent et absolu.
Bibliographie :
- La nature et ses symboles, de Lucia Impelluso,
éditions Hazan, Paris 2004
- Le potager du Moyen-Age , aux éditions
Autres Temps, de Josy Marty-Dufaut, 2006
- Les Jardins Michel Baridon,
Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris 1998
- La Dame à la Licorne, six
tapisseries de la fin du XVème s. 1997 Arte France, Palette, Production RMN
Sitographie (pour les images):
- wikipédia
- medieval.mrugala.net
- Site du musée de Cluny
- panorama de
l'art
Le jardin des simples
Le jardin au Moyen-Age
(Vème- XVème siècles) est le plus souvent entretenu par des moines ou sous la direction de seigneurs. Dans les
monastères, les moines devaient, selon la règle de Saint-Benoît, s'occuper de jardinage pour combattre
l'oisiveté. La fonction des jardins est donc multiple :
- une fonction nourricière : elle est remplie par
le jardin potager parfois complété par un verger
- une fonction médicinale : elle sera assurée par le
jardin des simples souvent placé près de l'infirmerie du monastère comme le plan idéal de l'abbaye de Saint-Gall
le porte. -une fonction mystique : elle sera assurée par la culture de fleurs à caractère symbolique comme la
rose et le lys dans de petits jardins appelés paradis. La fonction médicinale est remplie par les « simples ».
Adopté au Moyen-Age, le terme simples désigne les herbes médicinales. Le
rôle de médecin était souvent attribué aux moines. Ces simples sont des plantes qui ont des indications
présumées thérapeutiques. Les plantes sont administrées en fonction de leur forme et de leur couleur selon la
théorie des signatures. La théorie des signatures trouve ses origines chez le médecin grec Dioscoride (Ier
siècle av. J.C.) : les plantes liées à la théorie des signatures ne soignent pas une maladie en particulier mais
sont choisies sur leurs aspects extérieurs (forme et couleur). L'exemple le plus caractéristique en est celui de
la mandragore dont la forme évoque celle d'un corps humain, ce qui la prédispose à toutes sortes d'applications.
Dioscoride est un des premiers à véhiculer cette idée, au Ier siècle av. J.C. Il décrit notamment les effets de
la pulmonaire dans le traitement des affections respiratoires, qu'il relie à l'aspect des feuilles, évoquant les
alvéoles des poumons. Il pose que le nom pulmonaire a un rapport direct avec son utilisation et son apparence.
Le jardin des simples est l'une des quatre parties traditionnellement attribuées au jardin médiéval : quelles
étaient ces plantes ? Comment étaient-elles disposées dans le jardin ?
Les Simples : leurs caractéristiques et leurs
fonctions
Il y a quatre types de simples qui sont tous choisis en fonction
de la théorie des signatures. Certaines plantes sont dans plusieurs catégories du fait de leurs nombreuses
propriétés médicinales.
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Figure 14. la
sauge
La sauge. La sauge, que les Grecs appellent elelisphaccos, est très
bonne contre les affections du foie, lorsqu’on la boit avec de l’hydromel. […] Broyée et
appliquée sur la plaie, elle neutralise les effets des morsures venimeuses, et cicatrise les
blessures saignantes. Un mélange tiède de suc de sauge et de vin apaise les toux invétérées et
les douleurs de côté. […] Le jus de la sauge a, dit-on, la vertu de noircir les cheveux quand on
les en imprègne fréquemment à l’ardeur du soleil. Serenus Sammonicus Préceptes Médicinaux, IIIè
s. ap. J.C.
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Figure 15. le persil
Le persil. Le persil est plus utile quand il est cru que quand il
est cuit. Il adoucit les fièvres si elles ne sont pas trop fortes. Si on souffre du cœur ou de la
rate, faire cuire du persil dans du vin rouge en ajoutant du miel. d’après Hildegarde de Bingen
(traité de la Physique)
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Figure 16. Le cerfeuil
Le cerfeuil. Le cerfeuil est d’une nature âcre et brûlante. Broyé
avec du miel et appliqué sur la partie malade, il remédie aux affections cancéreuses. Pris en
boisson dans du vin, il apaise les douleurs du côté, si l’applique en même temps, après l’avoir
broyé, sur la partie malade. Administré dans de l’hydromel, il délivre de la pituite. Macer
Floridus Des Vertus des Plantes 1477
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Figure 17. le fenouil
Le fenouil. Le fenouil contient une chaleur douce et sa nature
n’est ni sèche ni froide. De quelque façon qu’on le mange, il rend le cœur joyeux ; il procure
une bonne sueur et assure une bonne digestion. d’après Hildegarde de Bingen (traité de la
Physique) L’Hysope
Les « panacées » soulagent de multiples
maladies en tout genre
La Cataire soulage les piqûres de
scorpion.
Copyright : 2014 Victor Duruy
Figure 18. La cataire
- L'Aristoloche est utilisée contre les ulcères et la gangrène. On distingue
trois espèces d'aristoloches : la longue, la ronde et la clématite. Les trois espèces soignent les mêmes
maladies mais doivent se préparer différemment. Certaines ont d'autres particularités, l'Aristoloche ronde
tue les poissons ce qui la fait appeler au Moyen-Age poison de la
terre.
- La Cynoglosse a des vertus
assoupissantes et stoppe les hémorragies.
- La Scille
est utilisée pour les problèmes pulmonaires. Comme les jacinthes et les camassias, les scilles sont parmi
les fleurs à bulbes les plus faciles à cultiver. Il existe de nombreuse sorte de scilles.
- Le Dompte-venin : contre les morsures des animaux venimeux. Ce
sont les seules panacées qui eussent un réel impact positif sur les maladies et
blessures.
Les « maux de ventres » sont utilisés pour les douleurs au ventre :
- La Balsamite est une plante qui
a des propriétés digestives et vermifuges, elle peut aussi soulager les coups de soleil.
Copyright : 2014 Victor Duruy
Figure 19. Un plan de balsamite
- L'Aurone était utilisée pour ses vertus diurétiques et vermifuges, et aussi
pour la plupart des douleurs gastriques. Si elle n'est pas bouillie avant d’être préparée elle est
toxique. Elle est généralement utilisée avec du coing et de la mie de pain.
- La Tanaise avec son feuillage finement découpé et ses fleurs jaunes qui
apparaissent en juillet était sensée soigner les douleurs gastriques mais est en réalité une plante
toxique et hallucinogène.
Copyright : 2014 Victor Duruy
Figure 20. La
tanaise
- La
Fumeterre était utilisée pour la cure dépurative, il fallait l’utiliser lorsqu'un
individu prenait un produit en l'excès. Le nom de cette plante est dû au fait que son jus fait pleurer,
comme la fumée.
La plupart de ces plantes ont les mêmes propriétés, soit elles soignent les douleurs
gastriques, soit elles sont toxiques.
Copyright 2015 ENS de Lyon
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Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
Figure 21. Pour calmer les douleurs de ventre
Pour calmer les douleurs de ventre. Si vous êtes en proie à de
violentes douleurs d’entrailles, broyez de l’hysope, de la rue et de l’ache dans du vin ;
puis, faites cuire le tout dans trois hémines d’eau, jusqu’à ce que celles-ci soient réduites
de moitié ; vous obtiendrez un breuvage efficace et agréable. […] Le cumin broyé dans l’eau
donne un breuvage dont l’expérience m’a démontré l’efficacité. Une semblable infusion de
menthe a la même vertu. […] Enfin, on peut boire avec confiance du vinaigre que l’on aura
broyé des oignons au bulbe arrondi. Serenus Sammonicus Préceptes médicaux IIIè s. ap.J.C.
Les purges
Les «
purges » sont utilisées si l’équilibre de la santé est brisé. Cette équilibre est constitué, selon la
théorie reprise de l'Antiquité, de quatre humeurs : le sang, la lymphe, la bile jaune et la bile
noire.
- L’Asaret provoque les urines, facilite
l'écoulement périodique chez les femmes et remédie aux affections du foie. Cette plante était utilisée sur
certains critères bien précis : comme l'âge et la force du malade, l'époque de l’année et les intempéries.
- Le Ricin était utilisé comme laxatif. Cette plante
n'était utilisée qu'à certaines périodes de l'année du fait de sa rareté. Préparé avec du vin, on en
broyait les feuilles pour les ingurgiter.
- L’Épurge est
une plante toxique qui a pour propriété de brûler l’œsophage et de provoquer des vomissements. Cette
plante n'avait pas de réelle utilité à part des propriétés blessantes. C’est une plante de culture
vraiment facile car elle est cultivable même dans un sol sableux. C'est une plante à l'aspect rébarbatif
du fait de ses épines pointues auxquelles elle doit sa mauvaise réputation.
Les « herbes des fièvres
»
- Les « herbes des fièvres »
sont utilisées lorsqu'un patient a de la fièvre car au Moyen-Age la fièvre n'est pas considérée comme un
symptôme mais plutôt comme une maladie à part entière.
- L’Aunée
est une plante qui a de multiples usages, le plus connu étant d’atténuer la fièvre.
C'est une plante qui préfère les lieux humides. Elle peut atteindre, dans ses meilleurs moments, trois
mètres de haut, quoiqu'elle se contente généralement du mètre.
- La
Germandrée Petit Chêne est une plante qui a pour usage de soigner les panaris et
d’atténuer la fièvre. Elle était aussi utilisée pour l’expulsion du fœtus mort dans le sein de sa mère.
Lorsque l'on s'en frotte le corps, on a une sensation de chaleur.
- La
Piloselle est une plante cicatrisante, astringente et diurétique que l'on peut
utiliser comme antibiotique. La Piloselle doit son nom « d'oreille-de-souris » à ses feuilles recouvertes
de nombreux poils blancs. La Piloselle a donné lieu à des études chimiques approfondies car elle contient
des flavonoïdes qui favorisent l'élimination rénale de l'eau.
- La
Filipendule atténue les problèmes rénaux, les maux de gorges et atténue la fièvre.
Cette plante produit de grandes fleurs violettes qui peuvent aussi servir à la décoration. Il y a aux
moins dix espèces de filipendules qui peuvent pousser dans des climats différents.
Les indications
de toutes ces plantes traduisent en contrepoint un paysage sanitaire particulier où les problèmes
digestifs tiennent une place importante, sans doute liés aux difficultés de conservation des
aliments.
Par ailleurs, lors des grandes épidémies notamment de peste ou de choléra, très fréquentes
au Moyen-Age, peu de remèdes étaient utiles : on en restait essentiellement aux
fumigations.
Un Cas particulier : la Thériaque face à la peste.
Prier les
saints étaient l'une des seules solutions contre la peste, notamment saint Roch et saint Sébastien qui
étaient des saints anti pesteux (saint invoqués en cas d’épidémie de peste). L'organisation de processions
était aussi pratiquée, elles avaient pour but de brûler les hérétiques et les lépreux qui était accusés de
propager la maladie. La purge et la saignée, en aggravant la diarrhée et l'état de faiblesse, permettaient
peut-être d'abréger les souffrances des patients... L'usage d'antidotes, ou alexipharmaques, dont les
bézoards, les sécrétions animales (sang de vipère et bave de crapaud) était habituel.
Mais au-delà de
ces quelques remèdes, il y a une potion sophistiquée qui a pour base une simple : la thériaque. Le nom de la
plante a donné son nom au remède. Cette potion, qui à l'origine était utilisée comme contre-poison a
rapidement été remarquée pour sa teneur en opium qui devait diminuer légèrement la diarrhée cholérique et les
douleurs liées à la peste. Sa préparation nécessitait plus d'un an et demi (car elle devait fermenter) et
faisait appel à plus de soixante-quatre ingrédients végétaux, minéraux et animaux des plus variés. Au départ,
selon la légende, ramenée à Rome par Pompée, la recette a été enrichie au fils des années par Andromaque, le
médecin de Néron. La thériaque était un électuaire, c’est-à-dire une pâte de consistance un peu plus solide
que le miel, assez molle quand elle était récente, assez ferme lorsqu’elle avait vieilli (souvent de
plusieurs années). Les préparations dont les agencements étaient jalousement gardés, variaient d'un lieu à un
autre : celles de Venise et de Montpellier étaient très réputées. La thériaque, préparée et conservée par les
apothicaires, était contrôlée par les médecins qui en vérifiaient la composition afin d'éviter les
contrefaçons ou l'incorporation de simples séchées falsifiées (les drogues du hollandais drog signifiant choses séchées).
Par ailleurs, des dates de fabrication et de péremption étaient apposées sur les récipients et contrôlées.
L'organisation du jardin des simples.
Partie du jardin médiéval, le jardin
des simples s'étendait la plupart du temps dans un espace réservé, hautement surveillé et organisé pour que
l'accès aux plantes soit aisé. Dans le jardin des simples, seules les plantes considérées comme les plus
rares étaient cultivées, pour le reste les moines allaient les chercher dans la nature. Le jardin est très
structuré : il est formé de banquettes surélevées, rectangulaires ou carrées, alignées, où l'on fait pousser
un type de plante par banquette. Il est symétrique et doit représenter la perfection comme beaucoup de
jardins au Moyen-Age.
Figure 22. Plan de
l'abbaye de Saint-Gall vers 820
Plan idéal de Saint Gall vers 820, Sankt Gallen,
Stiftsbibliothek
Les banquettes sont
délimitées par des palissades de bois appelées plessis.
Copyright : 2016 Victor Duruy
Figure 23. Exemple de plessis
Marseille,vieux port
Les plessis était installés autour de chaque plantation. On disposait de la paille
en dessous de chaque banquette pour éviter les mauvaises herbes et surélever les plantes. Cette technique est
caractéristique du Moyen-Age pour les petites cultures. Le jardin des simples côtoie le potager, le jardin
d'ornement (pour la prière), le jardin des plantes tinctoriales et le verger. Ce ne sera que plus tard qu'un
autre type de jardin de simples apparaîtra : le jardin naturel. Un jardin «naturel» privilégie les courbes
des sentiers et joue avec les associations de plantes hautes, ornementales et couvre-sol.
Les Propriétés médicinales des Plantes, textes de IIIè, IVè
et XIè siècles éditions Paleo, La Bibliothèque de l'Antiquité, 2007 La Pharmacie des Moines, éditions Paleo,
Histoire des sciences, accès direct, 2011
Les recettes
médicinales
Au Moyen-âge, les gens se soignent grâce au remèdes médicinaux conçus par
les apothicaires. Les ingrédients utilisés sont les simples. Ces plantes étaient cultivées par les moines dans
un espace dédié (proche de l'infirmerie, selon le plan idéal de l'abbaye de Saint-Gall), l'herbularius. Parmi les plantes cultivées à l'époque, certaines ont changé de
statut et sont considérées comme de « mauvaises herbes » à l'époque moderne ; d'autres largement utilisées, sont
tombées dans l'oubli. Enfin il convient de signaler les difficultés d'identification liées à des problèmes de
traduction, que nous n'avons pas eu la prétention de régler.
Quelles sont les recettes médicinales au
Moyen-âge ?
Quels ingrédients contiennent-elles ?
Quels sont leurs rôles ?
Les principes de la médication
médiévale
L'importance de la classe sociale
Au
Moyen-Age la médecine fait peu à peu ses preuves mais reste incertaine, hasardeuse voire dangereuse A la
fin du XIème siècle les nouveaux ingrédients utilisés en médecine sont de plus en plus coûteux et donc
inaccessibles pour les moins aisés.
La théorie des humeurs
Popularisée
par les Corpus hippocratique (recueil de médecine compilé au IIIe siècle avant JC d'après les idées
d'Hippocrate de Cos), la théorie des humeurs est l'une des bases de la médecine antique. Selon cette
théorie, le corps est constitué des quatre éléments fondamentaux, air, feu, eau et terre possédant quatre
qualités : chaud ou froid, sec ou humide. Ces éléments, mutuellement antagoniques (l'eau et la terre
éteignent le feu, le feu fait s'évaporer l'eau), doivent coexister en équilibre pour que la personne soit
en bonne santé. Toute maladie, due à un dérèglement du jeu de ces éléments, est ainsi susceptible d'une
explication purement physique. Par exemple : La bile jaune, la « cole », chaude et sèche, est l’élément
dominant de la jeunesse, elle donne un tempérament « coléreux », plein de « feu ».
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Figure 24. Contre la bile
Contre la bile. Pour chasser la bile noire, ce poison intérieur
qui affecte la santé chez tous les hommes, broyez neuf petites gousses d’ail et autant de
grains de poivre, que vous délayerez ensuite dans une tasse de saumure de garus ; puis avalez
le tout, après l’avoir mâché. Prenez encore deux doses de ce médicament, en réduisant à sept,
puis à cinq, le nombre des gousses d’ail et des grains de poivre. Serenus Sammonicus Préceptes
médicaux IIIè s. ap.J.C.
Apothicaires-épiciers aux pharmaciens
Ce sont les ordres monastiques
qui ont pour devoir de soigner les malades. Ce sont donc eux qui cultivent la plupart des plantes
médicinales comme le thym, la sauge, l'hysope, l'absinthe, la rue, le souci, la tanaisie, la mélisse, le
romarin et menthe verte …Ces ordres monastiques sont à l'origine des «hortus conclusus» dans lesquels sont
cultivés des plantes médicinales, des arbres fleurs etc … en référence au jardin d'Eden. Et c'est au
XIIIème siècle qu'apparaissent en Europe les premières boutiques d'apothicaires, auxquelles Saint Louis
donne, en 1258, un statut pour la préparation et la vente des médicaments.
Dates de
péremption
La consommation des médicaments fait l'objet d'une surveillance
administrative active. Des médecins passent une fois par an pour vérifier la conformité des produits et
faire jeter ceux qui sont périmés. Par ailleurs les apothicaires doivent savoir lire et écrire
correctement ou avoir un assistant capable de le faire à leur place. Il leur faut en effet déchiffrer les
ordonnances médicales et les étiquettes des médicaments. Ils doivent posséder des ouvrages de référence.
Leurs pots à pharmacie doivent porter, outre le nom des remèdes, le mois de l'année de leur fabrication.
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Figure 25. L'Eau de rose
L'Eau de rose. Pour faire de l’eau de rose de Damas, mettez sur
les pétales du rosé battu. Versez de l’eau distillée sur la première couche de roses, sur la
deuxième puis sur la troisième et sur la quatrième. Au bout de quatre fois, l’eau deviendra
rouge. Le Mesnagier de Paris, recueil anonyme du XIVè s.
Les ingrédients
Figure 26. Arrachage d'une mandragore.
Arrachage d'une mandragore. Manuscrit Tacuinum Sanitatis, Bibliothèque
nationale de Vienne, v. 1390.
- La Mandragore (Mandragora officinarum
L.) : elle occupe une place sans égale comme plante «magique» et c'est pourquoi elle fut à
la fois crainte et respectée dans toute l'Europe médiévale. C'est l'un des exemples de la théorie des
Signatures : sa racine est si bien fourchue que la plante ressemble à un corps humain. On lui prêtait des
pouvoirs surnaturels sur le corps et l'esprit. Sainte Hildegarde von Bingen écrit à son sujet [«Celui qui souffre doit prendre une racine de mandragore, la laver soigneusement, en
mettre dans son lit et réciter la prière suivante : mon Dieu, toi qui de l'argile as crée l'homme sans
douleur, considère que je place près de moi la même terre qui n'a pas encore péché, afin que ma chair
criminelle obtienne cette paix qu'elle possédait tout d'abord.»]
- L’épeautre : "c'est un excellent grain, de nature
chaude, gros et plein de force, et plus doux que les autres grains : à celui qui le mange, il donne une
chair de qualité, et fournit du sang de qualité. Il donne un esprit joyeux et met de l’allégresse dans
l’esprit de l’homme. Sous quelque forme qu’on le mange, soit sous forme de pain, soit dans d’autres
préparations, il est bon et agréable. Si quelqu’un est si affaibli que sa faiblesse l’empêche même de
manger, prendre des grains entiers d’épeautre, les faire cuire dans de l’eau, en ajoutant de la graisse
ou du jaune d’œuf ; de la sorte, il aura meilleur goût et sera consommé plus facilement: en donner au
malade pour qu’il en mange, et, comme un bon et sain onguent, cela le guérit de
l’intérieur." Hildegarde de Bingen, Livre des subtilités des
créatures divines
- La fougère"est tout à fait chaude et sèche, et contient assez peu de suc. Mais elle a
beaucoup de vertus analogues à celles du soleil ; en effet, de même que le soleil illumine ce qui est
obscur, de même elle met en fuite les apparitions fantastiques, et c’est pourquoi les esprits malins la
détestent. Dans les lieux où elle pousse, le diable exerce rarement ses sortilèges, et elle évite et
fuit les maisons et les lieux où se trouve le diable ; là où elle pousse, la foudre, le tonnerre et la
grêle tombent rarement ; et la grêle tombe rarement dans les champs où elle pousse. L’homme qui en
porte sur lui évite les sortilèges et les incantations des démons, ainsi que les paroles et autres
visions diaboliques. (…)" Hildegarde de Bingen, Livre des
subtilités des créatures divines
- La camomille"est chaude, elle a un suc agréable qui constitue un suave onguent pour les
intestins. Si on a mal aux intestins, faire cuire de la camomille dans de l’eau, avec de la graisse ou
de l’huile ; ajouter de la fleur de farine, préparer ainsi une bouillie qu’on mangera et qui guérira
les intestins." Hildegarde de Bingen, Livre des subtilités des
créatures divines
- L'hysope (hysopus officinalis
L.) Selon Hildegarde [«L'hysope purifie le foie et purge un peu les poumons. Celui qui tousse et
souffre du foie ou des poumons doit manger de l'hysope avec la viande sous les graisses, et il se
sentira mieux.»] mais elle peut aussi être utilisée contre l'enrouement, les
maux de tête, la «lèpre due à la débauche». Et saint Albert le Grand, au XIIIe siècle compte l'hysope parmi
les plantes les plus fréquemment cultivées dans les jardins avec la sauge et la rue.
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Figure 27. L'hysope
L’hysope purifie le foie et purge un peu les poumons. Celui qui
tousse et souffre du foie doit manger de l’hysope avec de la viande sous la graisse, et il se
sentira mieux. d’après Hildegarde de Bingen (traité de la Physique)
Figure 28. Récolte de l'hysope
Codex Vindobonensis, series nova 2644: La Récolte de
l'hysope
Copyright : 2016 Victor Duruy
Figure 29. hysope officinale
Les recettes
- Recette à base d'hysope : « L'hysope a une force de
siccité et de chaleur de troisième degrés. En faisant bouillir ensemble de l'hysope, du miel et des
figues sèches, on obtient une boisson d'une utilité incontestée dans les catarrhes les plus violents et
dans toutes les affections du poumon ; elle débarrasse les intestins des ascarides lombricoïdes. Prises
souvent en breuvage elle est également efficace contre les humeurs qui descendent de la tête dans la
poitrine et qui produisent souvent la toux ou la phtisie. Verte ou sèche l'hysope donne une boisson
dont l'usage prolongé ranime et embellit le teint. Mêlée avec de l'huile de rose, et injectée dans les
oreilles, elle en apaise les douleurs les plus aiguë. »Hildegarde de Bingen, Livre des subtilités des créatures divines
"L'hysope est une plante médicinale majeure. On utilise les fleurs et les
feuilles en infusion pour soigner l'asthme, les bronchites et autres problèmes respiratoires ; les
troubles de la digestion. En externe, les pétales s'appliquent en cataplasme ou bien en compresse
d'infusion sur les ecchymoses et les paupières. Les fleurs peuvent se manger soit fraîches en
accompagnement de salade, soit cuites avec d'autres légumes. Cette plante est déconseillée aux
personnes nerveuses." Hildegarde de Bingen, Livre des subtilités
des créatures divines
- Contre les affections des dents et la mauvaise haleine :
« Il y a peu de maux plus insupportables que le mal de dents, et, s'il est un
remède intéressant à connaître, c'est celui qui peut y mettre un terme. Gargarisez-vous donc avec une
décoction de violettes dans le vin. Le suc acerbe de l'olivier sauvage est aussi un bon remède : il
arrête les bâillements et cicatrise les plaies de la langue. On peut encore en mettre sur la partie
douloureuse du vin assaisonné de nitre et de poivre à la saveur brillante. Le suc de chélidoine, le
lait de chèvre, le fiel de taureau sont également d’excellents spécifiques contre les maux de dent,
aussi bien que les gargarismes de vinaigre. La ronce mâchée est bonne pour les gencives et pour les
lèvres. Le lentisque et le myrte purifient l'haleine. La poudre connue sous le nom de poudre
dentifrice, est ainsi appelée parce qu'elle sert à frotter les dents , se fait avec de la cendre de
corne de cerf, ou des pieds de truie brûlés ou de la cendre de coquille d’œufs délayée dans un peu de
vin. On la fait encore avec du murex calciné ou de l'oignon brûlé. On croit qu'on ne peut se guérir
qu'à prix d'argent ; mais les remèdes les plus simples, comme ceux que j'indique, sont en même temps
les plus efficaces contre toutes sortes d'affections. Si l'on veut arrêter la carie, il faut introduire
dans le creux de la dent gâtée de la cendre de fiente de rat. On peut se servir encore de la cendre de
dent de cerf refroidie dans du vinaigre, ou de la poudre qui résulte de la combustion des vers de
terre. Le lait de chienne a la vertu de cicatriser les brûlures de la bouche causées par des aliments
trop chauds. » Hildegarde de Bingen, Livre des subtilités des
créatures divines
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Figure 30. La Coriandre
La coriandre est une herbe froide qui, suivant Galien, a aussi une
certaine âpreté, qui tue les ascarides lombricoïdes et autres vers intestinaux, lorsque, après
l’avoir broyée, on la boit avec du vin ou du vinaigre. Cette herbe, pilée avec des raisins cuits
au soleil et du miel, donne un cataplasme qui dissipe toutes sortes de tumeurs […] Macer Floridus
Des Vertus des Plantes 1477
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Figure 31. la laitue
La Laitue et froide et extrêmement humide. Employée en aliment ou
en cataplasme, elle dissipe toutes sortes d’inflammations. Elle est stomachique, hypnotique,
laxative, et jouit à un plus haut degré de ces propriétés quand on la mange cuite. Elle est aussi
plus efficace contre les affections de l’estomac quand on la mange sans l’avoir préalablement
lavée. La graine de laitue préserve des cauchemars. […] Quelques auteurs prétendent qu’elle
obscurcit la vue des personnes qui en mangent trop souvent. Macer Floridus Des Vertus des Plantes
1477
Hildegarde de
Bingen
Figure 32. La
vision de Sainte Hildegarde.
Hildegarde de Bingen, Scivias, Codex illuminatus, vers 1180. Fac-similé
sur parchemin réalisé en 1925 ; 32,5 ´ 23,5 cm ; 35 miniatures
A partir de 1151 Hildegarde eut ses premières visions, elle devient Abbesse à
Bingen en Allemagne. Ses conseils, en particulier pour la santé, eurent un grand retentissement aux XIIème et
XIIIème siècles, puis sont tombés dans l’oubli, sauf pour la consommation régulière de l’épeautre. Les
descriptions des plantes d'Hildegarde sont faites d’observations depuis le jardin de son monastère mais aussi
de prétendues visions divines. Le Livre des Mérites de la vie l’occupe
quatre ans, le Livre des illustrations de Dieu, onze ans. Pendant
cette époque, elle écrit une Physique et un livre sur les Causes des maladies et la manière de les soigner. Ce sont les seuls
ouvrages médicaux qui nous soient parvenus du XIIème siècle sous des titres changeant. Mais il s’agit
beaucoup plus sûrement de faire droit, avec les connaissances du temps, au souci de soigner l’homme global.
Car c’est l’homme qui est au centre de la théologie d’Hildegarde, l’homme-Dieu bien sûr, le Christ, mais qui
rejoint à jamais l’homme concret.
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Figure 33. Contre les glaires
Contre les glaires et la toux. La feuille de laitue cuite a une
vertu purgative à laquelle doivent recourir les personnes qui sont tourmentées par les glaires.
Elles se trouveront bien aussi de manger souvent du chou bouilli. Si vous êtes atteint d’une toux
violente, prenez une décoction d’ail et de miel ; Tâchez aussi de vous procurer des baies de
frêne que vous avalerez sans les mâcher. Serenus Sammonicus Préceptes médicaux IIIè s. ap.J.C.
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Figure 34. Contre les digestions difficiles
Contre les digestions difficiles et autres affections de l'estomac.
C’est avec raison qu’on a dit que l’estomac est le roi de tout le corps. A son état de santé
semble, en effet, se rattacher celui de tous les membres ; s’il est malade, au contraire, tout
languit avec lui. Sa défaillance, si l’on n’y remédie, se communique même au cerveau et aux
facultés intellectuelles. Broyez dans un mortier de bois de la graine de laitue noire, mêlez-y du
miel, et prenez cette mixture à jeun, mais sans excéder trois cuillérées. La graine de raifort
broyée dans du vin miellé est aussi un bon spécifique. Serenus Sammonicus Préceptes médicaux IIIè
s. ap.J.C.
Edouard Brasey, L'Encyclopédie du légendaire :
trésors, artefacts et armes magiques, Paris, éditions le Pré aux clercs, 2008
Mikhaël
d'Estissac, De l'usage des herbes, poudres et encens en magie, Paris, éditions
François de Villac, 1996.
Michel Botineau, Les plantes du jardin
médiéval, Belin EVEIL NATURE
Paul Ferris, Les Remèdes de Santé
d'Hildegarde de Bingen, POCHE MARABOUT santé, 2002
La Santé au Moyen-Age éd. La Tour Jean Sans Peur,
2008
Les racines au Moyen-Age
La "malédiction" des
racines
Premier de tous les jardins, l’Eden fut d’abord un jardin nourricier. Après
la Chute, c’est “à la sueur de son front” qu’Adam doit obtenir sa
subsistance. Cette nécessité se traduira par la création de jardins potagers au sein même des monastères :
l’hortulus ou “petit jardin”, selon l’abréviation du titre de
l’oeuvre de Walafrid Stabo, moine suisse du IX è siècle, le Liber de cultura
horturum. C’est aussi dans cette perspective religieuse que l’on comprend la valorisation
de ce type de jardin et le soin que les moines apporteront à sa réalisation et à son entretien : au départ
signe de malédiction, le travail devient rédempteur lorsque l’alignement des carrés de légumes vient
témoigner de la générosité de la nature nourricière entretenue par l’application tenace et répétée de l’homme
; la figure du moine jardinier ou de l’ermite jardinier tient une place importante dans la symbolique
potagère médiévale.
La tradition chrétienne va de plus intégrer l’héritage antique, notamment grec,
adapté par les scolastiques : selon la Physique d’Aristote reprise par
les penseurs médiévaux, l'univers est doté d'une organisation verticale, depuis Dieu au plus haut jusqu'aux
objets inertes, situés au plus bas. Les plantes et les animaux qui composent l'alimentation se répartissent
entre ces extrêmes. A cette hiérarchie vient s’ajouter une vision du cosmos organisée autour de quatre
éléments eux-mêmes structurés selon une « grand chaîne de l’être ». Plantes et animaux dépendent de l'élément
dont ils sont issus : le plus valorisé est le feu, puis l'air, l'eau et la terre. C’est ainsi que les
volailles représentent les viandes les plus prisées, que les poissons sont plus appréciés que les quadrupèdes
; dans le domaine végétal, les fruits sont davantage prisés que les légumes qui poussent sous terre.
Encore faut-il bien distinguer entre les feuilles poussant sur une tige, comme pour les choux ou les
pois, et celles qui partent de la racine (épinard, salade), dites herbes. Les racines elles-mêmes, comme les carottes et les raves, viennent seulement
ensuite car elles poussent sous la terre, ainsi que les bulbes, oignons, poireaux et aulx qui sont de loin
les plus méprisés.
Telles sont l’origine et la signification du terme racine au Moyen-Age ; terme dépréciateur, il désigne donc les plantes dont le bulbe
souterrain est nourricier. Leur statut de relégation, quasi diabolique, leur vaudra de servir de nourriture pour le bétail, aux dépens des humains
souvent soumis à la disette et qui répugneront longtemps à se résoudre à avaler cette “nourriture pour les
cochons”.
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Figure 35. l'ail
L’ail a une chaleur positive. Il pousse grâce à la force de la
rosée. d’après Hildegarde de Bingen (traité de la Physique)
Cette hiérarchie se vérifie dans les comptes alimentaires. Les élites consomment
ainsi beaucoup de volatiles (volailles ou gibier à plumes), de fruits qui poussent sur des arbres en hauteur
: image qui convient parfaitement aux classes élevées de la société.
En revanche elles s'abstiennent à peu près complètement de légumes, laissés aux paysans et aux moines.
Navets, poireaux, oignons, aulx, échalotes, mais aussi panais, maceron seront donc la base d’une alimentation
végétarienne sous forme de porées et de potages. Manger “des racines et des herbes” devient le symbole
d’humilité et d’ascèse.
Par ailleurs, à l’abri des murs du monastère, les moines vont véritablement
pratiquer une sélection des plantes et permettre la création d’une grande variété de légumes et de racines, dont certaines sont aujourd’hui redécouvertes : panais, carotte
blanche, maceron...
Même si l’alimentation paysanne se caractérise par une certaine monotonie, herbes
et légumes n'en permettent pas moins aux cuisiniers d'élaborer des plats complexes et parfois précieux : pois
au lard, lentilles aux œufs et aux fromages, porée de bettes ou
d'épinards, potage d'herbes au bouillon gras… Les panais sont cuits en pâtés en croûte avec du poisson, et la
compote de navets au miel est un plat de choix. Les céréales sont complétées par des légumineuses : pois
chiches, fèves, et pois entrent, été comme hiver, dans la préparation de potages, de galettes et de bouillis.
Herbes et racines de prédilection au Moyen-Age
:
- La carotte orange (Daucus carota) va s'imposer
jusqu'à reléguer aux oubliettes les carottes violettes, blanches, roses et jaunes, sans compter le pauvre
panais contemporain. Dès la fin du XVIIIème siècle, les carottes orange sont adoptées et le siècle suivant
sera marqué par une profusion de nouveautés
Figure 36. La récolte des carottes
Récolte des carottes Tacuinum Sanitatis, XVe siècle Paris, BnF,
Département des manuscrits, Latin 3054 fol. 9
- Le panais (Pastinaca sativa) : partir à la source du panais revient à cerner
celle de la carotte, même si ces deux plantes appartiennent bien à des genres différents. En effet
l'utilisation des deux légumes commence par les récoltes d’espèces sauvages, avant leur culture et leur
amélioration.
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Figure 37. Le panais
Le panais. La vertu du panais réside seulement dans sa graine et
dans sa racine. Bouillie dans du vin miellé, sa racine donne une décoction très efficace contre
les affections de la rate et du foie, et contre les douleurs des lombes. Bouillie dans du lait,
elle donne une boisson très bonne contre l’asthme et la dysenterie. […] Soit qu’on en mange, soit
qu’on en porte sur soi, le panais est un talisman contre les serpents. Macer Floridus Des Vertus
des Plantes 1477
- Le céleri-rave (Apium graveolens) :
aussi appelé l'Apium du peuple, il est le résultat de la transformation de l'ache sauvage. Le grossissement
de la base de la tige et du haut de la racine a débouché sur le céleri-rave qui n'a cessé de s’améliorer sous
les effets de la culture. Il a été cultivé depuis des temps reculés, il a été qualifié de nouveau légume, il
est en réalité plus ancien que le céleri à côtes.
- Le céleri à
côtes (Apium graveolens-Apiacées) : l'émergence
du céleri illustre parfaitement l'évolution radicale qui mène d'une plante sauvage peu attractive, pour ne
pas dire rebutante, à un légume parfaitement domestiqué et apprécié. L'Ache odorante était utilisée par les
Grecs et les Romains comme plante funéraire, et rapidement elle gagna un statut de plante médicinale ; ce fut
même son seul usage pendant plus d'un millénaire, bien que Pline signale la consommation de ses feuilles
blanchies, une pratique sans doute marginale.
Figure 38. Récolte de céleris
récolte de céleris Tacuinum Sanitatis, XVe siècle
Paris, BnF, Département des manuscrits, Latin 9333 fol. 24
- L’artichaut(Cinara scolymus) : il fut apparemment découvert en Afrique du Nord,
son origine est douteuse... Le légume serait resté cantonné à l'Afrique du Nord. Il disparaît en effet des
relations et jusqu'au Moyen-Age on trouve trace uniquement des carduis, cardes et cardons qui sont des
plantes spontanées dans toute la région méditerranéenne.
- Le
navet(Brassica rapa) : il est connu des romains et considéré tantôt un
légume noble, tantôt dédaigné au point qu'on le jetait sur les gens en signe de mépris. C'est sans doute de
la Méditerranée que le navet a essaimé dans toute l'Europe. Il pousse facilement dans les terres les plus
ingrates et sert de nourriture de base aux hommes et aux animaux domestiques.
- Le radis(Raphanus sativus) : avant de remonter à son origine, il est bon de
préciser les différents types de ce légume. Le mot évoque tout de suite les petites racines rouges et
blanches vendues en bottes, ce sont les radis de tous les mois. Mais il existe aussi des radis d'été, moins
prisés, qui ressemblent à des navets.
- Le maceron(Smyrlium olusatrum) : est une plante bisannuelle qui est entièrement
comestible. Il se rencontre sur tout le litoral atlantique et méditéranéen. C'est une plante fortement
aromatique au goût semblable à celui du céleri.
Un ragoût typique des Taïnos
La
mauvaise réputation des racines trouvera encore une espèce de
justification à l’occasion de la découverte du Nouveau Monde. En abordant l'Amérique par les Antilles, les
Espagnols sont entrés en relation avec les Taïnos. Chasseurs, pêcheurs et cueilleurs, ils cultivent aussi une
énorme racine, le manioc et préparent cette racine toxique pour en faire « le médiocre, le dangereux pan cazabe ou pain de cassave. Les Taïnos et leurs autres proches voisins
des Caraïbes, les Arawaks, préparent la racine de différentes façons, bouillie, rôtie, en gâteau de tapioca,
ou encore réduite en farine et façonnée en pain : ils savent réserver le poison de l’écorce pour leurs
flèches. Les Espagnols étaient-ils pressés par la faim, ou bien aveuglés par un évident sentiment de
supériorité culinaire ? Toujours est-il qu'ils ont négligé, dans un premier temps, le savoir-faire des
Indiens. Cette négligence a eu un coût, et le passage du pain de blé à la farine de manioc se révéla
catastrophique, avant de faire au pain de cassave, de longue conservation, le pain des expéditions au long
cours. Les premières intoxications avaient, d’abord, assis l’idée des risques associés aux racines… La pomme
de terre connaîtra une difficile acclimatation, mais ceci est une autre histoire.
Répartition du potager au
Moyen-Age
A cette époque, le jardin est divisé en plusieurs espaces carrés.
Il a la forme d'un damier. Chaque carré est délimité par des plessis et a une spécificité : le carré des
légumes, celui des plantes médicinales, celui des plantes tinctoriales, le carré des cucurbitacées, végétaux
plus exubérants, le carré des fleurs réservées au culte de la Vierge appelé aussi « Le jardin de Marie »,
enfin le carré des plantes magiques. Un lieu est souvent réservé aux arbres fruitiers. Des allées séparent
les carrés. Une source d'eau est indispensable à tout jardin, elle est le symbole de la vie. Les
plates-bandes élevées apparaissent pour la première fois dans les pays arabes en raison de la facilité
qu'elles représentent pour l'irrigation. Les Arabes les utilisent dans les jardins d'Espagne et les font
ainsi connaître aux Occidentaux.
L'origine de chaque légume n'est pas facile à établir, encore que les
possibilités d'analyse génétique de ces dernières décennies ont permis de dénouer bien des écheveaux . Malgré
certaines zones d'ombre persistantes, on connaît aujourd'hui l'histoire de nos légumes dans les grandes
lignes. Notre civilisation puise ses racines dans le monde grec et romain, il est normal que la source de nos
légumes s'y trouve aussi et qu'une des grandes voies de leur divulgation emprunte l'expansion de l'empire
romain.
La deuxième source de diversification sera amenée par les Arabes, habiles agriculteurs et
techniciens, et formidables passeurs entre l'Extrême-Orient et l'Orient. Cet héritage déjà conséquent
occupera nos ancêtres jusqu'après le Moyen-Age, et une dernière vague de nouveaux légumes viendra de la
découverte du Nouveau Monde. La recherche des origines des légumes repose beaucoup sur les descriptions et
les utilisations rapportées dans les écrits.
Outre leurs fonctions nutritives, les herbes et les racines étaient aussi utilisées pour des vertus médicinales. Les penseurs
du Moyen-Age vont en effet croiser la théorie aristotélicienne de la hiérarchie des éléments auxquels ils
vont associer des humeurs (sang, bile jaune et bile noire, pituite) avec les propriétés symboliques
attribuées aux plantes. Ainsi l’humidité des cucurbitacées pouvait-elle servir à guérir la
fièvre.
Bibliographie
Brochures de la Tour Jean Sans Peur : La cuisine au Moyen-Age
Brochures de la Tour Jean Sans Peur : A table au Moyen-Age
Histoires des peurs alimentaires, Madeleine Ferrières, Seuil, Points Histoire,
2002
Tous les jardins du monde, Gabrielle Van ZUYLEN, Gallimard, coll. Découvertes,
Paris 1994, pp. 33-35
Jardin monastique, jardin mystique. Ordonnance et signification des jardins
monastiquesmédiévaux, Bernard BECK, in Revue d’Histoire de la
Pharmacie, 2000, volume 40, n°327, pp. 377-394
Le Potager du Moyen-Age Josy Marty-Dufaut, Autres temps médiéval, 2012
Histoires de potagers, Serge Schall, Editions Plume de carotte,
2013
Les épices et les condiments au
Moyen-Age
Epices, aromates et condiments
Depuis l'Antiquité, les épices
ont tenu un rôle capital dans de nombreuses civilisations pour parfumer les mets et soigner les hommes. Au
fil du temps l'ouverture de nouvelles routes maritimes, la découverte de nouveaux territoires, les grandes
invasions, les croisades ont enrichi la connaissance et la diversité des herbes et des épices (écorces,
racines, feuilles, fleurs, gousses, graines et fruits), originaires de l'Inde, de l'Afrique tropicale, de
l'Amérique.
Au Moyen-Age, les épices sont associées au luxe et se répandent lentement dans la société
: employées comme condiments pour relever la saveur des mets, elles servent aussi à parfumer les boissons et
sont la marque de la table des seigneurs ; elles ont en outre des fonctions médicinales, comme par exemple
activer les fonctions de l'estomac. Après les grands voyages de Christophe Colomb et de Magellan, les routes
commerciales vont s'ouvrir aux Européens qui bravaient les dangers de la navigation pour aller en chercher
dans les contrées éloignées. Aujourd’hui, on les trouve en abondance dans tout marché digne de ce nom.
Epices, aromates et condiments : place et rôles au Moyen-Age
Épices vient du latin species, désignant
les denrées spéciales. Le terme est apparu en français au XIIème siècle en concurrence avec aromate puis
s'emploie dans l'expression pain d'épices pour désigner un mélange de girofle, de
muscade, de poivre noir, de cannelle ou de gingembre. Les épices sont des produits agricoles issus de
cultures ou de cueillettes dans la nature. Elles peuvent être issues d’écorces (cannelle), de fleurs (safran,
clou de girofle), de feuilles (thé, aneth), de fruits (poivre), de bulbes (oignon, gingembre) ou de graines
(fenouil, coriandre). Elles contiennent des substances organiques volatiles, appelées arômes.
Figure 39. Le Banquet des vœux de Paon de Jean
Wauquelin (atelier de Mons) 1448-1449
Bibliothèque nationale de France, Manuscrits, Français 9342 fol.
55v
Par ailleurs, le terme Condiment, apparaît dans la langue vers la fin du XIIème siècle ; selon le Dictionnaire historique de la langue française d'Alain Rey, il n'a pas d'étymologie
établie mais se rattache au verbe latin condire « confire, mariner, assaisonner »
; en cuisine, le sens du mot est assez vague par rapport à aromate.
Le
Condiment est donc comme les épices aussi une substance destinée à assaisonner. Il se présente le plus
souvent en préparations culinaires (sauces et bouillons), et sert à rehausser la saveur des mets. Il rend
compte de l'évolution des goûts selon les époques (prépondérance des saveurs acidulées et piquantes au
Moyen-Age connue par l'usage privilégié du fameux verjus, suc acide que l'on
extrayait d'un gros raisin qui mûrit imparfaitement ou de tout autre raisin cueilli avant maturité, employé
autrefois dans les sauces, la préparation de sirops et encore aujourd'hui dans la préparation de la
moutarde).
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Figure 40. le
verjus
Sauce verte (le célèbre verjus). Broyez bien du gingembre, un clou
de girofle et de la graine de paradis et ôtez du mortier. Broyez du persil, de la benoîte, de
l’oseille, de la marjolaine - ou l’un des quatre ou deux des quatre – avec de la mie de pain
trempée dans du verjus ; passez à l’étamine et broyez une nouvelle fois. Passez une deuxième fois
à l’étamine, mélangez et assaisonnez avec du vinaigre. Certains, en manière d’épices, ne mettent
que du romarin. Le Mesnagier de Paris, recueil anonyme du XIVè s.
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Figure 41. la sauce
moutarde
Sauce moutarde. Si vous voulez faire de la moutarde rapidement,
broyez du sénevé dans un mortier, délayez avec du vinaigre et passez à l’étamine. Si vous voulez
la consommer tout de suite, mettez-la dans un pot devant le feu. Si vous voulez qu’elle soit
meilleure et si vous avez davantage de temps, mettez le sénevé pendant une nuit entière dans du
bon vinaigre, enlevez-le puis broyez-le au moulin et peu à peu rajoutez du vinaigre. S’il vous
reste des épices, broyez-les et attendez que la moutarde se fasse. D’après Le Mesnagier de Paris,
recueil anonyme du XIVè s.
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Figure 42. la sauce saupiquet
Sauce saupiquet. Faites revenir des oignons avec du lard.
Emincez-les et faites-les cuire dans la lèchefrite avec du bouillon de bœuf. Attendez
l’ébullition pour ajouter le verjus ou le vinaigre ; mettez alors moitié verjus moitié vin, un
peu de vinaigre ainsi que des épices et mettez dans la lèchefrite sous le lapin. Le Mesnagier de
Paris, recueil anonyme du XIVè s.
De
tout temps, les épices pimentent la nourriture et même la vie des hommes. Elles jouent un rôle important dans
l’histoire culinaire, culturelle voire scientifique. Elles fascinent par leurs parfums, leurs saveurs et
leurs vertus médicinales. Il leur est même attribué des pouvoirs magiques et aphrodisiaques.
Les gens
de l'époque médiévale sont passionnés par les couleurs et sont sensibles à l'esthétique du plat. Au Moyen-Age
les épices, comme le safran, servent de colorant autant que d'exhausteurs de goût. Ainsi les sauces et les
boissons qui accompagnent les plats doivent réjouir l’œil. Les ingrédients prédominants sont le safran pour
obtenir le jaune, le jus de persil pour le vert, le tournesol pour le violet et aussi le bois de santal pour
le rouge, couleur très estimée.
L'épice n'est pas seulement une affaire de vue mais devient une affaire
de goût digne du Jardin d’Éden.
La forte utilisation des épices est l’une des grandes caractéristiques
de la cuisine médiévale. Selon les historiens, trois recettes sur quatre en contiennent. En particulier au
XIIIe siècle ces épices sont employées avec abondance dans la cuisine des nobles, lors des repas de fêtes.
Les épices les plus consommées à l’époque médiévale sont le poivre rond, le gingembre, la cannelle, le clou
de girofle et le safran et de manière plus anecdotique le galanga, la graine de paradis, la muscade et la
cardamome.
Un goût de paradis, c’est ce qu’apportent les épices à un plat, au Moyen-Âge : ces aliments
ne viennent-ils pas en effet de l'autre bout du monde, des contrées merveilleuses où se situe l'Éden ?
Ils sont même évoqués dans Le Cantique des cantiques qui parle d'un jardin
où poussent [« le nard et le safran, la canne odorante et le cinnamome, avec toutes sortes
d'arbres d'encens ; la myrrhe et l'aloès, avec tous les plus excellents aromates »]
Présentes à la fin du Moyen Âge dans les trois quarts des recettes de la haute société mais
aussi dans les confiseries, gâteaux (le fameux pain d'épices) et boissons, ces miettes de plantes sont
devenues un signe de réussite sociale : plus on est riche, plus les aliments sont épicés !
Les épices
jouent un rôle également dans le domaine plus médical. Ainsi on utilise le piment pour ouvrir l'appétit, puis
la cannelle pour faciliter la digestion et quand le repas s'avère vraiment trop éprouvant le clou de girofle
est requis pour calmer la douleur.
Leur utilisation culinaire qui se confondait alors avec leur usage
médical - puisqu'il y avait à cette époque des épiciers apothicaires - a suscité de nombreuses questions.
Servaient-elles à conserver les aliments ? À masquer le goût de gibiers ou des viandes faisandées ? Ou à
soigner les consommateurs de certains maux liés à la digestion (parasites intestinaux et coliques, reviennent
constamment dans les symptômes décrits) ? Les réponses diffèrent selon les historiens des coutumes ; on peut
retenir que l'idée d'une nourriture plus ou moins avariée dont le goût serait caché par les épices est en
passe d'être combattue au profit de la reconnaissance d'un goût propre à l'époque.
L’apothicaire, ou
l’épicier, ou speciarus, profession émergente, joue un rôle dans l'évolution
cette prédilection. Les herbes, "les drogues" ( du hollandais drugg
sec) et les épices ont toujours nourri les rêves et entretenu les comptes. Elles furent l’objet
d’une curiosité particulière puis d’un engouement et d’un commerce aussi actif que lucratif ; la cause aussi
de grandes rivalités entre marchands.
La naissance du commerce des
épices
Déjà dans l'Antiquité, l’Égypte pharaonique était friande d'épices. La reine
Haschepsout a organisé une expédition au pays de Pount (Arabie Saoudite et côte somalienne) pour trouver ces
denrées précieuses. Plus tard, les Crétois puis les Romains ont également fait du commerce très dynamique
pour se les procurer .
En 642, Alexandrie tombe aux mains des Arabes. Il en résulte un amenuisement
temporaire du commerce entre l’Occident et l’Orient. Les épices alors rares deviennent un luxe réservé aux
palais royaux et aux monastères. Cette situation dure environ 400 ans. Les épices les plus rares comme le
poivre servent de monnaie d’échange, d'où l'expression utilisée au Moyen-âge [ « cher comme poivre ».] Le poivre pouvait servir non
seulement de monnaie d'échange mais il intervenait aussi dans les procès : les plaideurs avaient l'habitude
d'en faire cadeau au juge. C'étaient"les épices de chambre"dont l'usage devait
durer durant tout l'Ancien Régime.
Le commerce des épices était initialement pratiqué par voie
terrestre, mais l'ouverture des routes maritimes entre l'Europe et l'Asie conduisit à une croissance
extraordinaire. Au Moyen-Âge, les négociants musulmans dominèrent les routes maritimes à travers l'océan
Indien, exploitant les ressources d'ExtrêmeOrient et convoyant les épices de leurs entrepôts en Inde vers
l'ouest par le golfe Persique et la mer Rouge, puis par diverses routes terrestres.
A partir du XIème
siècle, les croisades développant les relations Orient-Occident assurent un approvisionnement plus important
en épices qui deviennent plus accessibles. Les Arabo-musulmans alimentent les plaques tournantes de ce
commerce que sont Gênes et Venise.
Pour le royaume de France, elles étaient vendues dans les foires
et dans les ports comme Marseille ou Aigues-Mortes près de Montpellier.
L'audace de Christophe Colomb,
arrivé aux Antilles en 1492, s'avère peu payante : nulle trace de muscade ou de cannelle dans ce coin du
globe ! Il faudra se contenter de piment, avant que Cortès ne mette la main sur des lianes de vanille. Vasco
de Gama quant à lui part vers l'est et finit par atteindre la « côte des épices »
de Malabar (sud-ouest de l'Inde) en 1498.
Figure 43. Christophe Colomb
Portrait à l’huile sur bois, attribué à Ridolfo del Ghirlandaio,
vers 1525, Museo civico-navale de Genove-Pegli (Aldo
Durazzi).
Après 40.000 km et 2 ans et demi, il peut
enfin remplir à ras bords ses cales avec les marchandises odorantes de Calicut. Les Portugais vont s'y
installer, s'emparant de Goa avant Malacca (Malaisie) puis Ormuz, à l'entrée du golfe Persique, élan qui va
les mener jusqu'à Nagasaki au Japon ! ils seront les maîtres de la route des épices pour longtemps!
Les échanges furent totalement transformés par les grandes découvertes des Européens qui placèrent le
commerce des épices au premier rang des objectifs des négociants européens. L'ouverture de la route d'Europe
vers l'Inde par le cap de Bonne Espérance par Vasco de Gama à la fin du XVème siècle,
révolutionna les modalités et l'ampleur du commerce. Plus encore, ce commerce conduisant l'économie vers les
temps modernes, déclencha une période de domination de l'Orient par les pays européens, Portugal d'abord,
puis PaysBas, Angleterre et France, confiant cette tâche aux différentes Compagnies des Indes.
Le Commerce des épices crée notamment à cette époque-là
un trafic étonnant appelé « négoce à distance » entre le Portugal et l’Afrique visant à échanger une montagne
d’or contre une montagne de sel permettant à chacun d’y trouver son avantage. Les mines africaines
débordaient d’or mais les populations ne parvenaient pas à conserver durablement leurs nourriture sans sel,
les Portugais troquaient eux volontiers leur surplus de sel contre de l’or, ce qui permettait à ce petit pays
encerclé par l’Espagne de trouver des ressources financières non négligeables.
De nombreux découvertes
archéologiques sont actuellement faites, et mettent clairement en évidence l’importance de ce commerce. Les
bateaux étaient d’ailleurs conçus pour contenir un maximum de biens sans pour autant rechercher la vitesse.
Ces bateaux, avant la découverte des Amériques, pratiquaient le cabotage, soit l’acheminement de marchandises
de ports en ports.
Epices importées des quatre coins du monde
Epices importées d'Inde
- La Cannelle : Elle est issue
du cannelier dont l’écorce intérieure des branches une fois séchée forme les bâtonnets de cannelle.
Utilisée par les Romains comme médicament, elle apparaît dans la cuisine à partir du IXe siècle. Dans les
recettes de la fin du Moyen-Âge, elle est souvent associée au gingembre.
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Figure 44. la cannelle
La cannelle est très chaude et possède des propriétés
puissantes. Si on a la tête lourde et pesante, si l’on éprouve des difficultés à inspirer ou
expirer, on réduit de la cannelle en poudre que l’on mélange dans de la mie de pain ou bien on
met de la poudre de cannelle dans la main pour la lécher : cela dissout les humeurs mauvaises
qui bloquent la tête. d’après Hildegarde de Bingen (traité de la Physique)
- La Cardamome
: Les graines de cardamome, selon les variétés beiges, vertes ou brunes proviennent
d’une plante à rhizome originaire d’Inde. La mastication de ces graines purifie l’haleine.
- Le Curcuma : Parfois appelé safran des Indes, il est utilisé en
Occident dès l’Antiquité. C’est une plante à rhizome, dont la racine d’un jaune soutenu est séchée, puis
réduite en poudre. Au Moyen-Âge, il est surtout utilisé pour colorer les plats.
- Le gingembre : Plante à rhizome, dont la racine se consomme fraîche ou
séchée. Peu utilisé par les Romains, on le retrouve dans le quart des recettes du Moyen Âge. Consommé
frais, séché ou confit, il purifie l’haleine et aide à la digestion.
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Figure 45. le gingembre
Le gingembre est très chaud et se diffuse rapidement. Une
personne grasse et en bonne santé n’a pas intérêt à en manger car le gingembre la rendrait
stupide, tiède et lascive. Mais une personne affaiblie pourra prendre du gingembre réduit en
poudre dilué dans une boisson ou incorporé à du pain. d’après Hildegarde de Bingen (traité de
la Physique)
- Le Poivre rond : Il provient du piper
nigrum, une liane grimpante originaire de la côte de Malabar en Inde du sud. On
distingue le poivre noir, dont la baie est cueillie avant maturation puis séchée au soleil, le poivre
blanc, dont la baie est cueillie à maturité, et le poivre vert, dont la baie n’est pas mûre. Au Moyen-Âge,
ces poivres portent l’appellation de poivre rond. Assez bon marché, c’est avec le gingembre l’épice la
plus consommée.
- Le Poivre long : Issu du piper longum, c’est une petite grappe noire et dure de deux à trois
centimètres de long formée de grains minuscules à la saveur très piquante. Originaire d’Asie du sud-est,
il fait partie du cercle très fermé des "menues épices" et se consomme avec
modération.
Epices importées d'Indonésie
- Le
Clou de girofle : Bouton de la fleur du giroflier, arbre originaire des îles Moluques
en Indonésie. Antiseptique, il est utilisé au Moyen Âge contre les maux d’estomac mais aussi en poudre dans
la cuisine, mélangé au gingembre et à la cannelle.
- Le
Macis : Ce terme désigne l’enveloppe fibreuse et orangée qui entoure le fruit du muscadier
: la noix de muscade. Son goût est proche de cette dernière et ressemble aussi à celui de la
cannelle.
- La Noix de muscade : Utilisée râpée, on la
retrouve fréquemment dans les recettes médiévales.
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Figure 46. la noix de muscade
La noix de muscade a une grande chaleur et un heureux équilibre de
ses propriétés. Celui qui consomme de la noix de muscade ouvre son cœur, purifie ses sens et en
retire de bonnes dispositions. d’après Hildegarde de Bingen (traité de la Physique)
Epices importées de Chine
-
La Badiane ou Anis étoilé : De la famille des magnoliacées,
elle est originaire du sud de la Chine. Le fruit a la forme d’une étoile à huit branches à la saveur anisée.
Au Moyen-Âge, pendant le "boute hors" (fin du repas), on la mastique afin de rafraîchir et purifier son
haleine.
- Le Galanga : Parfois appelé garingal. C’est une
plante à rhizome souvent confondue avec le gingembre dont elle a l’apparence et le goût par son piquant bien
que moins citronné. Epice consommée à partir du XIVe siècle, elle est assez peu
employée.
Epices importées d'Afrique
- La graine de
paradis ou Maniguette : C'est une petite graine noire à chair blanche à la saveur très
poivrée contenue dans le fruit en capsule de l’Amonum meleguetta. Sa
mode au XVe siècle est aussi spectaculaire que passagère. Elle attire les aristocrates par son prix très
élevé ; il l’utilise à la place du poivre rond jugé trop populaire. Les marchands français ignorant qu’elle
venait d’Afrique l’ont appelé graine de paradis car on croyait les épices originaires d’Orient et l’on
imaginait ce dernier proche du paradis terrestre.
Epices récoltées en Europe
- Le Cumin : Plante herbacée originaire de la vallée du Nil, utilisée
dès l’Antiquité comme médicament par les Égyptiens. Très fréquent dans la cuisine romaine, il est au
Moyen-Âge davantage employé à des fins médicinales et se trouve très fréquemment dans les jardins de simples
des monastères où il fut acclimaté avec succès. On utilise ses graines entières ou réduites en
poudre.
- Le Safran : Son nom vient de l’arabe safaran qui signifie jaune. Le safran correspond aux stigmates du pistil
de la fleur du crocus. Les arabes introduisent sa culture en Espagne, et on le cultive dès le Xe siècle en
France, mais le plus estimé venait du Cachemire ou du Népal.
Figure 47. Récolte du safran
IBN BUTLÂN , Tacuinum sanitatis Bibliothèque nationale de France,
Département des manuscrits, Latin 9333 folio 37V
Sources :
Livres et Site sur les épices et condiments
L'imaginaire et les aliments, Perrine Meine, Bruno Laurioux, François Juhel. 2002,
éditions Bibliothèque nationale de France dans Expositions virtuelles de la BNF.
Le goût a une histoire Jean-Louis Flandrin. Paru en février 2003
Le viandier associé à Guillaume Tirel, d'après l'édition de 1486, Pau, Éditions
Manucius, coll. «Livres de bouche», 2001. C'est un livre de recettes françaises de la fin du Moyen Âge,
Guillaume Tirel dit Taillevent, cuisinier des rois de France Charles V et Charles VI, mais dont le plus
ancien manuscrit connu, celui de Sion, daté de la première moitié du XIVe siècle, prouve qu'il lui est
antérieur. Le Viandier est, avec le Mesnagier de Paris, un ouvrage de référence pour la cuisine médiévale
française.
Les règles d'or des épices, recettes et récits de Ethné et Philippe de Vienne
Le Mesnagier de Paris Vers 1393, un bourgeois de Paris, riche et vieillissant,
écrit pour sa très jeune épouse un ouvrage qui mêle l'instruction religieuse et morale, des conseils
d'économie ménagère et (ce qui a fait sa gloire) des recettes de cuisine très nombreuses et très détaillées :
c'est Le Mesnagier de Paris. On mesure l'intérêt d'une telle illustration pour la connaissance des
mentalités, de la sensibilité, de la vie quotidienne à la fin du Moyen Age. Voici, accessible à tous, un
texte essentiel et passionnant, susceptible d'intéresser les amateurs d'histoire aussi bien que de
gastronomie. Traduction et notes de Karin Veltschi, professeur à l'Institut universitaire Saint-Melaine de
Rennes.
Écrits et images de la gastronomie médiévale, Bruno Laurioux Editeurs :
Bibliothèque nationale de France.
Herbes, Drogues et Épices en Méditerranée, Georges J. Aillaud, Patrick Boulanger,
Marcel Courdurie
Le jardin d’Éden est le premier jardin de l'histoire. Il apporte
nourriture et esthétique. Au Moyen-Age, le jardin est le plus souvent un potager, apportant nourriture aux
paysans et aux seigneurs. La société du Moyen-Age est hiérarchisée ainsi que les quatre éléments classés eux
aussi de façon hiérarchique : l'air (se rapprochant du divin), le feu, l'eau et la terre (se rapprochant du
diable). Ainsi les seigneurs ne consomment-ils que des aliments venant de préférence de l'air, et les aliments
venant de la terre sont réservés aux paysans. Le repas médiéval est complètement lié au calendrier liturgique
qui distingue jours gras et jours maigres et où la consommation de viande est interdite. Systématiquement,
pendant tout le Moyen-Âge, l’Église a imposé le jeûne et interdit les relations sexuelles pendant les jours
maigres. Cela représente environ 180 jours de jeûne par an mais cet interdit a quelques variantes locales et des
dispenses : pour les jeunes fidèles, les malades et les femmes enceintes.
L'ordre
Premièrement on
comptait deux repas par jour. Le petit déjeuner était réservé aux enfants et aux malades. Le déjeuner se
prenait entre 10 et 11 heures du matin, tandis que le repas du soir était servi entre 16 et 19 heures. Les
repas des paysans étaient cependant rythmés par les travaux des champs. Le repas commençait par des salades
ou des fruits frais de saison afin de préparer l'estomac à recevoir des plats plus riches ; ce sont les ouvres bouches. Les brouets ou
potages sont des mets liquides chauds à base de céréales. Le plat principal se composait de
viandes rôties accompagnées de sauces diverses, c'est le rôt.
La desserte est l'équivalent de notre dessert. On y servait
divers plats sucrés comme des gâteaux, des tartes, ou des flans.
L'issue de
table se composait de fromages et de gâteaux légers. Ces aliments étaient destinés à fermer
l'estomac pour activer la digestion. Tous ces aliments étaient accompagnés d'hypocras (produit issu de la
macération à froid de vin, rouge ou blanc, de cannelle, de gingembre, de miel et d'eau de rose) .
Le
boute-hors était la dernière partie du festin et se prenait dans
une autre pièce et consistait en diverses douceurs et épices (dragées, coriandre ou gingembre confit) dont la
mastication aide à la digestion et purifie l'haleine.
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Figure 48. la pâte de coings
Pâte de coings. Prenez des coings, pelez-les. Fendez-les par
quartiers, enlevez le cœur et les pépins. Faites-les cuire dans du bon vin rouge et passez-les à
l’étamine. Puis faites longuement bouillir du miel et écumez ; plongez-y les coings et remuez
soigneusement. Faites bouillir jusqu’à ce que la préparation réduise de moitié. Ajoutez de la
poudre d’hypocras et remuez jusqu’à ce que le mélange refroidisse. Coupez en morceaux et
conservez. Le Mesnagier de Paris, recueil anonyme du XIVè s.
Figure 49. Histoire de
Renaud de Montauban, Bruges, 1468-1470
Paris, BnF, Arsenal, manuscrit 5073 fol.
148
Un fonctionnement hiérarchique
Les
aliments étaient aussi hiérarchisés d'après l'ordre des éléments : venant des airs, les oiseaux sont
consommés par les seigneurs mais comptaient parmi les viandes les plus chères, la viande de bœuf était aussi
beaucoup appréciée. Les poissons étaient les aliments les plus consommés : consommer trop de viande était
considéré comme un péché dans la religion catholique. Les légumes étaient peu présents dans les festins de la
haute société : poussant pour la plupart dans la terre, ils étaient délaissés à l'inverse des fruits.
Les paysans au contraire, consommaient beaucoup de légumes, de soupe de légumes et de pain qui, une
fois rassis et sec, servait d’assiette. La pomme-de-terre n'existait pas à l’époque mais fèves, lentilles,
pois chiches, gesses, épinards, courges, choux, oignons, aulx, poireaux, navets, et autres légumes formaient
les ingrédients variés des soupes qui étaient un plat quotidien. Les bouillons de poisson remplaçaient les
bouillons de viande. Les céréales étaient appréciées par la seigneurie comme par les paysans ; les plus
courantes étaient l'orge, le seigle, le sarrasin, le millet et l'avoine. Le riz resta un produit
d'importation coûteux durant presque tout le Moyen-Âge et sa culture ne commença dans le nord de l'Italie que
vers la fin de la période. Le blé était commun dans toute l'Europe et était considéré comme la plus
nourrissante des céréales mais il était plus prestigieux et donc plus cher. La farine blanche finement broyée
telle qu'on la connaît aujourd'hui était réservée pour le pain des plus riches. L'un des constituants les
plus courants d'un repas médiéval, que ce soit lors d'un banquet ou d'un casse-croûte, était la tranche de
pain trempée dans un liquide comme du vin, de la soupe, un bouillon ou une sauce.
Les fromages étaient
très répandus et leur usage était tellement banalisé qu’ils ne figuraient pas parmi les mets de choix des
festins. Le fromage de Brie et de Champagne fut concurrencé au XVIème siècle par les productions de
Normandie, d’Auvergne, du Dauphiné, de Suisse, de Hollande et par le parmesan d’Italie.
Figure 50. Roman de Lancelot en prose, France, XVème
sciècle.
Paris, BnF, Département des manuscrits, Français 112 fol.
45
Les boissons
Au Moyen-Âge, les
inquiétudes sur la pureté de l’eau, les recommandations médicales et son manque de prestige faisaient qu'on
lui préférait souvent des boissons alcoolisées. On considérait que ces boissons étaient plus nourrissantes et
plus bénéfiques à la digestion et avaient l'avantage inestimable de réduire les risques de contamination,
grâce à l'alcool. Le vin était consommé tous les jours dans la plus grande partie de la France et dans tout
l'ouest du bassin méditerranéen où la vigne était cultivée. Plus au nord, il restait la boisson privilégiée
de la bourgeoisie et de la noblesse qui pouvaient en acheter mais les paysans et les ouvriers lui préféraient
la bière et l'ale. Les jus de fruits, de même que les vins, réalisés à partir d'une grande variété de fruits
et de baies étaient connus dès l'Antiquité et étaient consommés pendant le Moyen-Âge. On trouvait des vins
réalisés avec des grenades et des mûres ; le cidre et le poiré étaient populaires en Europe du Nord où les
pommes et les poires étaient abondantes. Le lait simple n'était pas consommé par les adultes sauf les pauvres
et les malades et était réservé aux enfants et aux personnes âgées essentiellement sous forme de petit-lait.
Le lait frais était moins consommé que les autres produits laitiers car il n'existait pas de méthodes pour
l'empêcher de tourner.
Le service
Au Moyen-Age en France, le service se faisait « à
la française » : une manière de servir les convives pendant un repas où les différents mets était servis tous
en même temps ; l'organisation du repas médiéval était composé de sept services. Le premier était une mise en
bouche (apéritif) constitué de vin, et de petites bouchées de lard fumé, de morceaux de pommes, et de pain
toasté.
Le deuxième service était constitué de soupes, comprises comme des préparations liquides,
faites de bouillon.
Le troisième fait de potages, de préparations de viandes ou de légumes cuisinés
dans un pot, et qui ont donc plutôt la forme d'un ragoût.
Le quatrième service comprenait des poissons
de mer ou d'eau douce.
Pour le cinquième service, le rôt, la pièce de viande rôtie, constituait
souvent le 4ème ou 5ème mets. Ce service est en général original et spectaculaire.
La desserte est
l'avant dernier service, pour clore le repas ; le plus souvent, c'est un service de plats sucrés.
Le
septième service, dernier service, l'issue ou boute-hors, est un service qui invite les convives à se retirer de table. On y servait
un vin sucré, accompagné d'épices et de douceurs, qui aidaient à la digestion. Il pouvait se prendre à table
ou dans les appartements privés, une fois que chacun avait quitté la table.
Les
moines
Pour compenser l'absence de viande, la cuisine des moines utilise des œufs et
des poissons. À l'origine, seuls les moines malades avaient le droit de manger de la viande. Mais à la fin du
Moyen-Age, tous en prennent. Tenus au silence pendant le repas, les moines développaient tout un langage de
signes pour communiquer : se passer le pain, réclamer à boire…etc.
Figure 51. Henri Suso, L'horloge de Sapience, vers 1455-1460
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Figure 52. Bien présenter un plat de chapon
Bien présenter un plat de chapon . Quand vous dresserez le plat,
poudrez-le avec une épice que l’on appelle coriandre, avec des graines de grenade, des dragées,
des amandes frites, le tout piqué sur chaque assiette. Le Mesnagier de Paris, recueil anonyme du
XIVè s.
- Exemple de souper : Souper de char (viande et poisson)
1ère assiette :
Chapon aux herbes - des pois et des soupes au vin
2ème assiette : Le rôti le meilleur qu’on peut
avoir, en gelée avec de la crème bien sucrée.
3ème assiette : Des pâtés de chapons avec une sauce
froide à la sauge, épaule de mouton farcie, queue de sanglier et écrevisses.
- Exemple de dîner de poissons pour Carême :
1ère assiette : Des
pommes cuites, des grosses figues de Provence rôties avec des feuilles de laurier par-dessus, cresson au
vinaigre, pois, anguilles salées, harengs blancs, friture de mer et d’eau douce.
2ème assiette : Des
carpes, des soles, des rougets, des saumons, des anguilles. A l’issue : des figues, du raisin, de l’hypocras
et mestriers (gaufres)
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Figure 53. La purée de
fèves
La purée de fèves. Les fèves nouvelles doivent premièrement être
cuites jusqu’à ce qu’elles éclatent ; puis il faut les mettre en purée ; ensuite, ajouter à cette
purée deux grosses tranches de pain de deux doigts d’épaisseur ainsi que du pain brun, et saler.
Alors, quand elles ont éclaté et qu’elles sont égouttées, on peut les faire frire dans de la
graisse de lardon et y ajouter un peu de poudre d’épices par-dessus. Le Mesnagier de Paris,
recueil anonyme du XIVè s.