Terre en fusion ou Terre solide? Une controverse du XIXe siècle
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Terre en fusion ou Terre solide ? Une controverse du XIXe siècle.
Vincent Deparis
EnseignantiFé-ENS-Lyon
Lyon
69000
France
<vincent.deparis@neuf.fr>
Publié par
Gérard Vidal
Directeur de la publicationIFÉ ENS de Lyon
Copyright © 2015-07-20 Ce livret est mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage à l'identique 4.0 International
RésuméLa Terre est-elle en fusion comme semble l'imposer un certain nombre de phénomènes géologiques (les volcans, la formation des montagnes, les mouvements d'ajustement isostatique, etc.) ou majoritairement solide comme semble le montrer l'étude du comportement mécanique de la Terre ? Ce questionnement a animé tout le XIXe siècle et l'article en retrace les développements successifs.
Table des matières
-
Terre en fusion ou Terre solide ? Une controverse du XIXe
siècle.
- Introduction
- Hopkins et l'influence de la pression sur la fusion des roches
- Hopkins et la précession
- Lord Kelvin et la variation de volume lors de la consolidation
- Lord Kelvin et les marées terrestres
- Lord Kelvin et la précession
- Un compromis dans les années 1880
- Chandler, Newcomb, Love et la polhodie
- La sismologie
- Conclusion
- Bibliographie
- 1. Les différents modèles de Terre proposées au cours du XIXe siècle.
- 2. Le mouvement de précession
- 3. Lord Kelvin (1824-1907)
- 4. Les forces de marées
- 5. Marées fluides et marées élastiques
- 6. La nutation de Bradley
- 7. Le modèle de Fisher
- 8. Le mouvement eulérien
- 9. La structure de la Terre déduite de la sismologie
- 10. Voyage à l'intérieur de la Terre
Terre en fusion ou Terre solide ? Une controverse du XIXe siècle.
Table des matières
- Introduction
- Hopkins et l'influence de la pression sur la fusion des roches
- Hopkins et la précession
- Lord Kelvin et la variation de volume lors de la consolidation
- Lord Kelvin et les marées terrestres
- Lord Kelvin et la précession
- Un compromis dans les années 1880
- Chandler, Newcomb, Love et la polhodie
- La sismologie
- Conclusion
- Bibliographie
Introduction
Dans les années 1830, la théorie d'une Terre en fusion recouverte d'une mince écorce rigide est presque unanimement acceptée. Comme nous l'avons vu dans un précédent article ( La Terre en fusion : la théorie unificatrice du début du XIXe siècle ), elle représente un système global séduisant permettant de rendre compte d'une grande diversité de phénomènes : la figure d'équilibre de la Terre, l'accroissement de la densité avec la profondeur, l'accroissement de la température dans les mines, la théorie plutonienne des roches, les éruptions volcaniques et la formation des montagnes. La théorie d'une Terre en fusion réunit l'ensemble des connaissances sur le globe et constitue le point commun des disciplines astronomique, géophysique et géologique. Le consensus n'est cependant que momentané. Des voix discordantes s'élèvent aussi bien chez les géologues que chez les physiciens qui se demandent comment une Terre majoritairement en fusion peut se comporter vis à vis de la rotation et des forces de marées. Toute la fin du XIXe siècle est marquée par cette opposition entre les partisans de la fusion et les partisans de la solidité de la Terre. L'article présente les différents arguments développés par les protagonistes. Il constitue la version écrite et plus détaillée d'une partie d'une conférence donnée lors de Formaterre 2013 (vidéo disponible en suivant ce lien).
Hopkins et l'influence de la pression sur la fusion des roches
Entre 1839 et 1842, Hopkins développe les premiers arguments contre une croûte de faible épaisseur. Il constate d'abord que la question de la fusion des roches est délicate car deux paramètres interviennent : si la température la facilite, la pression, qui elle aussi s'accroît avec la profondeur (poids des roches sus-jacentes), s'y oppose au contraire. Ainsi, si une roche fond à 1000°C en surface, il lui faut une température bien plus élevée pour entrer en fusion à 100 kilomètres de profondeur. Les arguments reposant sur l'accroissement de la température avec la profondeur n'ont donc une valeur que si l'on cherche à y inclure l'effet de la pression des roches. Pour connaître l'état des roches internes, il faut par conséquent savoir qui de la température ou de la pression a la plus grande influence sur le point de fusion des roches et Hopkins note que seules des expériences de laboratoire peuvent lever cette indétermination.
Devant l'insuffisance et l'incertitude des données expérimentales de l'époque, Hopkins s'en tient à trois hypothèses remarquables :
- Si la température s'accroît assez rapidement avec la profondeur pour dépasser l'influence de la pression, l'intérieur du globe doit être complètement en fusion, sous une croûte dont on ne peut pas connaître directement l'épaisseur (Figure 1, modèle b).
- Si l'influence de la pression augmente plus rapidement que celle de la température, la solidification a dû commencer au centre et comme en même temps le refroidissement en surface a formé une croûte, le globe doit être constitué d'une enveloppe solide, d'un noyau solide, séparés l'un de l'autre par de la matière entièrement en fusion (Figure 1, modèle c).
- Le globe peut être entièrement solide si le refroidissement est complet (Figure 1, modèle e).
Hopkins et la précession
Pour faire un choix parmi ses différentes hypothèses, Hopkins cherche des preuves de la fluidité ou de la solidité de la Terre dans un phénomène a priori annexe qui est celui de la précession des équinoxes. Le mouvement de précession est un mouvement de l'axe de rotation de la Terre par rapport aux étoiles, qui est connu depuis Hipparque (IIe siècle avant notre ère). Newton, puis D'Alembert, Euler et Laplace, ont reconnu que le mouvement de précession résulte de l'attraction de la Lune et du Soleil sur la protubérance équatoriale de la Terre. En effet, du fait de la rotation quotidienne, la Terre n'est pas exactement sphérique mais légèrement aplatie aux pôles : le rayon équatorial est plus long que le rayon polaire d'une vingtaine de kilomètres. La Lune et le Soleil exercent des forces qui tendent à ramener le renflement équatorial dans le plan de l'écliptique (plan défini par la révolution de la Terre autour du Soleil) : ils cherchent ainsi à redresser l'axe de rotation de la Terre. Cependant, l'effet gyroscopique de la rotation s'oppose à un tel redressement et, telle une toupie en fin de course, l'axe de rotation décrit un cône autour d'un axe perpendiculaire au plan de l'écliptique.
Dans l'explication précédente, la Terre est considérée comme un corps solide, dont toutes les parties sont liées les unes aux autres et qui participe tout entier aux actions perturbatrices. Hopkins remarque que si la Terre est une masse fluide recouverte d'une croûte solide, les actions de la Lune et du Soleil ne concernent plus que l'enveloppe qui glisse sur le noyau fluide. Les forces perturbatrices, n'entraînant dès lors que la croûte extérieure, agissent sur une masse beaucoup plus faible et doivent provoquer un mouvement de précession considérablement amplifié. Hopkins arrive à la conclusion remarquable (et cependant erronée – voir la suite) que, pour retrouver la valeur observée de la précession, l'écorce solide du globe doit avoir une épaisseur d'au moins 1300 à 1600 kilomètres, ce qui représente 1/5 à 1/4 du rayon terrestre. Ce résultat implique que les volcans ne peuvent plus être en communication directe avec la masse fluide interne. Leurs réservoirs doivent former des « lacs » souterrains de dimensions limitées plutôt qu'un seul « océan » interne.
Lord Kelvin et la variation de volume lors de la consolidation
Les travaux d'Hopkins sur la solidité de la Terre sont poursuivis par l'un de ses élèves, William Thomson (qui deviendra lord Kelvin), connu pour avoir donné une estimation controversée de l'âge de la Terre. lord Kelvin soulève une autre question concernant la solidification des roches : celle-ci se fait-elle avec une expansion ou au contraire avec une contraction ?
Dans le premier cas, les roches sont plus légères que le liquide qui leur a donné naissance, elles peuvent donc flotter à sa surface et former une croûte stable surmontant un océan de magma. Au contraire, si, comme le pense lord kelvin et comme on le vérifie aujourd'hui dans la majorité des cas, les roches se contractent lors de la solidification, elles sont plus lourdes que le liquide en fusion. Dans ce second cas, la croûte à peine formé se fragmente et coule vers le centre de la Terre. Elles ne peuvent par conséquent se maintenir en surface que lorsque la majorité du globe est déjà à une température proche du point de solidification. C'est pourquoi, selon lord Kelvin, le globe doit déjà être dans un état de solidification presque complète.
Lord Kelvin n'en reste cependant pas à ces considération qualitatives (à son époque, les expériences en laboratoires sont sujettes à caution : certaines montrent une contraction des roches lors de la solidification, alors que d'autres indiquent une expansion). En 1862, il développe l'argument le plus convaincant en faveur d'une solidité importante du globe, argument basé sur les marées.
Lord Kelvin et les marées terrestres
Le phénomène des marées océaniques provient de l'action gravitationnelle de la Lune et du Soleil sur la Terre. Il traduit le fait que les diverses parties de la Terre subissent des attractions inégales parce qu'elles se trouvent à des distances légèrement différentes des astres perturbateurs. Lord Kelvin remarque que les forces de marées exercées par la Lune et le Soleil ne doivent pas seulement mettre en mouvement l'eau des océan mais également soulever le sol terrestre. A son époque, on a en effet reconnu qu'il n'existe pas de corps entièrement indéformable (infiniment rigide) mais que tous doivent se déformer élastiquement lorsqu'ils sont soumis à une sollicitation extérieure brusque. La déformation élastique est une déformation instantanée, elle ne dépend que des propriétés du matériau (plus ou moins compressible, plus ou moins rigide) et disparaît entièrement lorsque la force extérieure est supprimée.
Selon lord Kelvin, les marées océaniques observées ne sont que les différences entre les déformations de la couche fluide des océans et les déformations élastiques du sol. Son argument en faveur d'une grande rigidité de la Terre est le suivant : si la Terre était fluide dans son intérieur, elle n'opposerait aucune résistance à la déformation et se déformerait totalement, répondant complètement à la sollicitation des marées : les océans n'auraient plus aucun déformation à assumer, ils accompagneraient uniquement les soulèvements et les abaissements du sol en restant toujours à la même distance du fond et les marées océaniques n'existeraient plus. Inversement, le fait que l'on observe réellement le flux et le reflux des eaux indique que la Terre ne se comporte pas comme un fluide mais qu'elle possède un certain degré de rigidité.
La rigidité moyenne de la Terre peut être estimée en comparant l'amplitude observée des marées océaniques à l'amplitude théorique, calculée pour une Terre indéformable. Cette comparaison, rendue délicate du fait de la perturbation des marées par les conditions propres à chaque port, est capitale : pour la première fois, elle met en évidence une déformation élastique du globe et montre que la Terre doit obligatoirement avoir une rigidité égale, sinon supérieure à celle de l'acier. Cette grande rigidité s'explique par la pression énorme qui règne dans les profondeurs de la Terre et qui augmente la rigidité des roches. Elle exclut définitivement toute possibilité d'existence de grandes parties fluides à l'intérieur du globe et implique que la Terre doit être majoritairement solide. Même s'il existe des zones en fusion sous les régions volcaniques, ces zones liquides doivent être de faible étendue en comparaison de l'ensemble. Lord Kelvin rejette ainsi catégoriquement toutes les hypothèses géologiques qui, pour expliquer les tremblements de terre ou les volcans, faisaient appel à une croûte de faible épaisseur reposant sur un liquide intérieur en fusion.
Lord Kelvin et la précession
Dans son argumentation contre la fluidité de la Terre, lord Kelvin pensait au début pouvoir reprendre les idées d'Hopkins sur le mouvement de précession. Delaunay a cependant remarqué que la lenteur du mouvement de précession et la viscosité du fluide interne devaient, par l'intermédiaire des frottements induits, amener le noyau à rester solidaire de la la coquille externe solide. Lord Kelvin rejette l'influence de la viscosité, qui est beaucoup trop faible pour jouer un rôle déterminant (ce en quoi il a raison, comme le montreront les études ultérieures de Poincaré). Cependant, il reconnaît un autre phénomène important lié à l'ellipticité de l'interface entre le noyau et la coquille solide. Si cette interface était parfaitement sphérique, les conclusions d'Hopkins seraient pleinement vérifiées : le fluide interne ne participerait pas à la précession et le mouvement de la coquille se trouverait amplifié. Mais il suffit d'une très faible déviation de la sphéricité pour que le fluide et la coquille restent solidaires et aient la même précession que s'ils formaient un seul corps solide. Plus tard, Poincaré expliquera ce comportement singulier par le couplage inertiel entre le noyau et n'enveloppe.
Le couplage n'a toutefois son plein effet que si la période du mouvement est grande. Lord Kelvin remarque ainsi que le mouvement de précession dont la période est de 25 800 ans environ n'est pas affecté par la présence d'un noyau fluide. La situation est en revanche différente pour la nutation de Bradley, qui est un autre mouvement de l'axe de rotation de la Terre et qui s'ajoute au mouvement de précession mais dont la période de 18,6 ans est bien plus courte. Si la Terre renferme réellement un noyau fluide, cette nutation doit être sensiblement perturbée. Cependant, à l'époque, les observations ne sont pas assez fines pour vérifier ces prédictions (actuellement, on interprète un faible écart entre la nutation observée et la nutation d'un globe solide par la présence du noyau fluide – ce que lord Kelvin considérait comme une preuve potentielle de la solidité de la Terre s'est donc au contraire révélé comme une contrainte sur la présence d'une partie fluide !).
Un compromis dans les années 1880
En 1870-80, la controverse sur la fluidité de la Terre reste très vive. Les arguments mathématiques et abstraits de lord Kelvin ne reçoivent pas l'adhésion de tous et on leur reproche de n'être applicables qu'à la Terre considérée dans son ensemble. En outre, les phénomènes isostatiques, observés depuis le milieu du XIXe siècle, imposent une certaine fluidité à la Terre. Ces phénomènes correspondent aux réajustements de la croûte qui s'enfonce lorsqu'elle est surchargée (un delta qui reçoit les sédiments apportés par un fleuve) ou qui se soulève lorsqu'elle est allégée (la remontée du bouclier scandinave, suite à la fonte de la calotte glaciaire qui le recouvrait lors de la dernière glaciation, il y a 10 000 ans). Ces compensations suggèrent assez fortement un comportement fluide du substratum sous-jacent.
En 1881, Fisher tente un compromis entre les arguments géologiques et les arguments physiques : il suppose que le globe est majoritairement solide mais qu'il comprend une couche intermédiaire en fusion, située directement sous la croûte. Ce modèle donne au globe une rigidité moyenne élevée, comme l'impose le phénomène des marées, tout en permettant de conserver les explications habituelles des phénomènes géologiques. Il sera cependant rapidement remis en cause.
Chandler, Newcomb, Love et la polhodie
En 1891, un nouveau phénomène vient renforcer la thèse de la solidité. Euler avait montré en 1765 que lorsque l'axe de rotation de la Terre différait de l'axe d'inertie (axe dont la position est déterminée par la répartition des masses à l'intérieur de la Terre), le pôle de rotation se mettait spontanément à décrire à la surface du globe une courbe circulaire autour du pôle d'inertie (la polhodie). Pour une Terre indéformable, la période du mouvement (appelé mouvement eulérien) ne dépend que de la répartition interne des masse et vaut 305 jours. Ce mouvement n'est plus comme le mouvement de précession, un déplacement de l'axe de rotation par rapport aux étoiles mais un mouvement par rapport à la matière terrestre elle-même. Et puisque la latitude d'un lieu terrestre est le complément de l'angle entre ce lieu et l'axe de rotation, le mouvement eulérien peut théoriquement être mis en évidence par des changements de latitude de tous les lieux terrestres.
Le mouvement eulérien est cependant si faible que toutes les tentatives du début du XIXe siècle pour repérer une variation de 10 mois des latitudes ont échoué, ce qui amenait les astronomes à penser que le mouvement était inexistant. Ce n'est qu'en 1888 que Küstner décèle une variation dans la latitude de Berlin au cours de l'année. Grâce à une compilation plus importante de données, Chandler peut annoncer en 1891 que le mouvement du pôle s'observe clairement (à la surface de la Terre, le mouvement s'inscrit dans un carré d'une quinzaine de mètres de carré) mais que sa période ne s'étend pas sur les 10 mois prévus mais sur 14 (il donne une période précise de 427 jours, aujourd'hui 430).
Cette extension de 120 jours de la période théorique a de quoi surprendre les scientifiques mais, moins d'un an après la découverte de Chandler, Newcomb en donne l'explication. La période de 305 jours correspond à une Terre supposée indéformable. Newcomb fait, lui, intervenir les océans et l'élasticité de la Terre. Le déplacement de l'axe de rotation par rapport à la matière terrestre a en effet une conséquence importante : il change la distribution des forces centrifuges et implique que la Terre n'a jamais une forme parfaitement adaptée. Les océans, par leur facilité de déplacement, réagissent entièrement et la Terre, par une déformation élastique, se réajuste partiellement à la nouvelle rotation. Ces déplacements et ces déformations perturbent l'axe d'inertie (autour duquel tourne l'axe de rotation) et induisent un allongement de la période eulérienne.
L'essentiel, que Newcomb a parfaitement saisi, est que cet allongement dépend justement de la manière dont se déforme la Terre ; il devient donc un nouveau moyen de déterminer la rigidité moyenne du globe. Newcomb arrive à la conclusion que pour retrouver la période de 427 jours, la Terre doit être légèrement plus rigide que l'acier ; il confirme ainsi le résultat de lord Kelvin. En outre, Hough montre à la fin du XIXe siècle, qu'un éventuel noyau fluide devrait raccourcir la période du mouvement du pôle, ce qui rend encore une fois impossible la présence d'une masse fluide d'une étendue trop considérable.
En 1909, Love reprend l'étude des déformations élastique du globe sous l'influence des marées et de la rotation. Il aboutit à un résultat fondamental : il montre que le modèle de Fisher comportant une couche fluide de faible épaisseur, située directement sous la croûte, ne peut pas être retenu. Il considère comme certain qu'il n'y a pas jusqu'à une très grande profondeur une couche continue de matière fondue, séparant les parties internes de la Terre des parties externes. Les explications géologiques qui supposaient l'existence de cette couche fluide doivent être abandonnées.
La sismologie
A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les opinions de lord Kelvin, appuyées par les conséquences du mouvement du pôle, se sont largement imposées : le globe doit être majoritairement solide. Cette conclusion est précisée par la sismologie, qui fournit l'outil le plus puissant pour l'investigation des profondeurs et dont les résultats sont bien connus. Résumons rapidement les découvertes importantes. En 1897, Oldham identifie sur un sismogramme les ondes P (ondes de compression) et les ondes S (ondes de cisaillement). La Terre, qui transmet les ondes de cisaillement, est entièrement solide jusqu'à une très grande profondeur. L'analyse du temps de parcours des ondes sismiques permet de trouver l'existence de discontinuités internes :
- En 1909, Mohorovicic découvre l'interface entre la croûte et le manteau.
- En 1912, Gutenberg met en évidence l'interface entre le manteau et le noyau.
- En 1926, Jeffreys montre que le noyau est liquide en comparant la rigidité déduite de la propagation des ondes sismiques et la rigidité moyenne déduite des marées élastiques terrestres.
- En 1936, Lehmann affirme que le noyau liquide contient une partie centrale solide : la graine.
La Terre est donc composée d'un centre solide (la graine), d'une grande enveloppe solide (le manteau et la croûte), séparés l'un de l'autre par une couche fluide (le noyau externe). Ce modèle de Terre, découvert grâce à la sismologie, ressemble étrangement à l'un de ceux proposés par Hopkins près d'un siècle auparavant.
Conclusion
La conclusion semble définitive : la majeure partie de la Terre est solide puisqu'elle transmet les ondes de cisaillement. Cette notion de solidité est cependant ambiguë. En effet, si la partie externe de la Terre est entièrement solide, comment expliquer les mouvements d'ajustement isostatique, qui imposent un comportement fluide ? En ce début du XXe siècle, on assiste à la séparation de la géologie et de la géophysique. Chaque savant dans sa discipline aborde la planète avec un certain angle de vue, garde à l'esprit des points précis (volcans, isostasie, marées, rotation, séismes, etc.) qui imposent une certaine idée sur l'intérieur de la Terre. L'heure de la synthèse n'est pas encore venue. Plus profondément, l'échec dans l'explication conjointe des phénomènes géologiques et mécaniques montre que les concepts de fluidité et de solidité ne sont pas pertinents pour décrire la Terre. La controverse qui a animé tout le XIXe siècle n'est en fait terminée qu'en apparence ; elle va se déplacer et concerner pendant tout le XXe siècle la compréhension du comportement rhéologique des roches aux différentes constantes de temps : comment comprendre que la Terre puisse avoir à la fois une comportement élastique lorsqu'elle est soumise à des sollicitations brèves (ondes sismiques, forces de marées, perturbations de sa rotation) et un comportement fluide lorsque les sollicitations sont beaucoup plus lentes (phénomènes isostatiques, mouvements de convection) ?
Bibliographie
V. Deparis et H. Legros, Voyage à l'intérieur de la Terre. De la géographie antique à la géophysique actuelle. Paris, Editions du CNRS, 2000.