Empathie
Sujets empathie : approche en neuroimagerie fonctionelle
Sujets empathie : Approches en neuroimagerie fonctionnelle de la perception du comportement d’autrui
L’empathie / reconnaissance des actions, émotions et comportements d’autrui / émotion et représentations partagées
L’empathie est définie comme la faculté de s’identifier à quelqu’un, de ressentir ce qu’il ressent. Cette faculté, considérée comme propre à l’homme, suppose la capacité de reconnaître les actions, les comportements et les émotions d’autrui pour se « mettre à sa place » en rejouant mentalement et de manière inconsciente ces actions, émotions et comportements. On parle également d’émotions ou de représentations partagées ce qui suppose une simulation mentale de la subjectivité d’autrui.
Historique
Historiquement le concept d’empathie a été forgé par le psychologue allemand Théodore Lipps (1851-1914) qui a émis l’hypothèse d’une capacité humaine à imiter involontairement les actions d’autrui. Cette faculté suppose en premier lieu que les actions, comportements, émotions produits par une autre personne soient identifiables et en deuxième lieu qu’ils soient distingués de ses propres actions, comportements, émotions.
En 1862 les travaux du neurologue et physiologiste français Duchenne de Boulogne mettent en évidence le caractère universel des expressions faciales des émotions chez l’homme (peur, dégoût, bonheur, mépris, colère et tristesse).
Il publie un remarquable traité sur les expressions faciales (« Mécanisme de la Physionomie Humaine ou analyse électrophysiologique de l’expression des passions »), premier travail qui examine systématiquement les contributions de petits groupes de muscles crâniens aux expressions qui permettent de communiquer la richesse des émotions humaines. Duchenne postulait que l’on devait pouvoir « comme la nature elle-même, dessiner les lignes exprimant les émotions de l’âme sur la face de l’homme ». Dans ce but il expérimente l’usage de stimulations électriques transcutanées (utilisation des courants induits récemment découverts ou faradisation) pour activer des muscles isolés et des petits groupes de musculaires de la face, de la surface dorsale de la tête et du cou et documente ses travaux par une innovation technique : la photographie.
« Lorsque l’âme est agitée, la face humaine redevient un tableau vivant » :
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Légende : Contraction combinée des peauciers et des sourciliers, associée à l’abaissement volontaire de la mâchoire inférieure : effroi mêlé de douleur, torture.
Référence : Neuroscience. 2nd édition. Purves D, Augustine GJ, Fitzpatrick D, et al. editors., Sunderland (MA): Sinauer Associates; 2001.
Nous sommes capables d’identifier les émotions exprimées par autrui à travers ses expressions faciales. Au-delà, les travaux de Harrald Wallbott (1991) démontrent que nous reproduisons les émotions faciales d’autrui. En effet des sujets, filmés à leur insu alors qu’ils regardent des photographies d’expressions faciales de diverses émotions, laissent transparaître, à travers leurs propres expressions faciales, les émotions qu’ils ont identifiées. Finalement, le sujet imite inconsciemment les actions et émotions identifiées chez autrui (résonance sensori-motrice et émotionnelle).
Reconnaissance
Parallèlement, des travaux de neurobiologie sont venus étayer cette hypothèse.
Plusieurs exemples de lésions cérébrales associées à des troubles de reconnaissance des visages (prosopagnosie) ont été décrits. On peut retenir historiquement le cas du patient L.H. qui est devenu incapable de reconnaître des visages familiers (femme, enfants) à la suite d’un accident de voiture en 1968. Les lésions suite à l’accident et à la chirurgie consécutive sont localisées bilatéralement dans la partie occipito-temporale, et à droite dans le lobe frontal et temporal antérieur (Etcoff, 1991).
Plus récemment, une étude quantitative de Ralph Adolphs et ses collègues de l’Université de l’Iowa (Adolphs, 2000) - impliquant 108 patients présentant des lésions cérébrales focales - a exploré leur capacité à reconnaître et nommer 6 émotions basiques sur des expressions faciales. Les conclusions de ces travaux indiquent que les patients présentant une lésion dans l’hémisphère droit, spécifiquement dans le cortex somatosensoriel droit, et dans une moindre mesure dans l’insula reconnaissent difficilement les expressions faciales chez les autres, même en absence de lésion du cortex visuel.
Légende : Distribution des lésions en fonction du score moyen de reconnaissance des émotions (superposition des lésions pour les 108 sujets). Les zones colorées en rouge correspondent aux zones où la lésion conduit à une reconnaissance altérée des émotions plus souvent que normale et les zones colorées en bleu sont des zones où la lésion résulte en des performances normales plus souvent qu’altérées. (Issu de Decety, 2003a).
De plus, les sujets incapables de reconnaitre les émotions faciales ont des visages quasi inexpressifs (dépourvus de sensations somatiques et d’expressions faciales, malgré des capacités motrices normales).
Ainsi, une lésion du cortex somatosensoriel nécessaire à l’expression des émotions faciales entraîne des déficits d’émotion (Adolphs, 2000).
Confirmations par des études d’imagerie cérébrale
Les approches en neuroimagerie fonctionnelle ont permis de mieux comprendre les bases neurologiques de la perception du comportement d’autrui.
Diverses études d’imagerie cérébrale ont montré que les zones activées par la perception d’une action réalisée par autrui sont les mêmes que les zones activées par la réalisation de cette même action par soi-même.
La représentation mentale d’une action peut être commune à plusieurs individus et activer le même réseau de neurones dans le cerveau de ces personnes : ainsi, nous comprenons les actions des autres via notre propre système moteur (voir pour revue Decety, 2003 a et b).
Mais, comme le montrent Keysers et collègues (Keysers, 2004), nous ne transformons pas seulement les actions des autres en nos propres actions, nous transformons également automatiquement la vue d’un toucher en notre sensation de toucher. Ce mécanisme résonnant pourrait contribuer à appréhender correctement ce qui arrive à d’autres individus.
Qu’en est-il de l’existence d’un miroir émotionnel ? C’est ce que nous font découvrir les travaux de Wicker et collaborateurs présentés ci-après (Wicker, 2003).
Les images IRMf proposées ici se rapportent à une série de tests ayant pour objectif de répondre à la question : l’expérience du dégoût et la perception du dégoût exprimé par autrui engagent-elles les mêmes structures cérébrales ?
Description des acquisitions IRMf
Les expériences sont menées sur 14 hommes droitiers. Tous les sujets participent à 4 sessions d’acquisition fonctionnelles (runs).
Dans les deux premières, les participants regardent des films où six acteurs sentent le contenu d’un verre ayant une odeur neutre, plaisante ou dégoûtante et expriment sur leur visage une émotion correspondante.
Chaque film dure 3s ; un bloc d’acquisition « vision du dégoût » par exemple est composé de 6 versions filmées de l’émotion suscitée par une odeur dégoûtante chez les six acteurs, séparées par des pauses de 1s.
Documents joints : films odeur dégoût, odeur neutre, odeur plaisante.
Dans les deux autres sessions (runs), les participants inhalent des odeurs plaisantes ou dégoûtantes à travers un masque placé sur leur nez et leur bouche ; les blocs olfactifs durent 12 s et sont séparés par des périodes de repos de 24 s. Chaque enregistrement (run) comprend 8 blocs olfactifs séparés par une période de repos au sein desquels l’ordre de présentation des odeurs plaisantes ou suscitant le dégoût est pseudo aléatoire mais identique pour tous les participants.
Images disponibles
Image d’IRM anatomique de référence pour l’étude : IRMsujet13231anatEmpathie
L’analyse statistique (spm) réalisée permet de construire plusieurs contrastes de conditions :
- Pour les enregistrements olfactifs : sujets exposés à une odeur dégoûtante versus situation de repos olfactif : IRMsujet13231fonctionEmpathie_degoutvsneutre
- Pour les enregistrements « visuels » : sujets regardant une scène filmée présentant un personnage sentant une odeur suscitant le dégoût versus une scène présentant un acteur sentant une odeur neutre : IRMsujet13231fonctionEmpathie_visiondegoutvsvisionneutre
Afin de savoir si l’expérience du dégoût et la perception du dégoût exprimé par autrui engagent les mêmes structures cérébrales, une superposition des contrastes précédents peut être réalisée ou directement visualisée en utilisant le calque fonctionnel IRMsujet13231fonctionEmpathie_Superpositiondegout.
Le calque fonctionnel IRMsujet13231fonctionEmpathie_Superpositiondegout a été obtenu par fusion des deux images fonctionnelles « odeur dégoûtante versus repos » et « vision du dégoût versus vision neutre ».
Il se supperpose à l'image anatomique : IRMsujet13231anatEmpathie.
La comparaison de cette premièe supperposition, avec la superposition des images fonctionnelles IRMsujet13231fonctionEmpathie_degoutvsneutre et IRMsujet13231fonctionEmpathie_visiondegoutvsvisionneutre sur l'image anatomique IRMsujet13231anatEmpathie permet de vérifier la bonne identification des zones cérébrales impliquées.
Seuils de lecture statistiquement significatifs
Les seuils d’affichage doivent être maintenus à 0 au minimum et 100 au maximum sur les palettes de couleurs utilisées pour l’affichage des calques fonctionnels pour obtenir un affichage conforme à la publication scientifique.
Exploitation pédagogique
Des études précédentes ont montré que l’insula et l’amygdale sont des structures activées chez des sujets exposés à des odeurs (ou des goûts) qui suscitent du dégoût (= expérience du dégoût.
D’autres travaux ont démontré par ailleurs que l’insula est impliquée aussi lors de la reconnaissance d’une expression de dégoût sur le visage d’autrui.
Les auteurs des images se sont attachés à comparer, dans une situation expérimentale contrôlée, l’activation obtenue lorsque les sujets sont exposés à des odeurs dégoutantes ou quand ils sont amenés à reconnaître la sensation de dégout exprimée par autrui.
Lorsque l’on superpose le calque fonctionnel obtenu dans la condition « odeur dégoûtante versus repos » à l’image anatomique de référence pour cette étude, il apparaît que plusieurs zones sont activées parmi lesquelles on retrouve de manière notable l’insula antérieure bilatéralement et l’amygdale. L’illustration ci-dessous est centrée sur des plans de coupe (de l’hémisphère gauche ici) qui permettent de localiser l’activation de l’insula antérieure lors de l’expérience du dégoût :
Pour une petite aide anatomique : l’insula antérieure est entourée en rouge sur le cliqué ci-dessous (d’après P. Krolak-Salmon et al., Ann. Neurol. 53 (2003)).
Lorsque l’on superpose le calque fonctionnel obtenu dans la condition « vision du dégoût versus vision neutre » à l’image anatomique de référence pour cette étude, il apparaît que plusieurs zones sont activées, en particulier l’insula antérieure gauche mais pas l’amygdale.
L’illustration ci-dessous est centrée sur des plans de coupe (de l’hémisphère gauche ici) qui permettent de localiser l’activation de l’insula antérieure lors de l’observation du dégoût chez autrui :
Il est à noter que les réponses émotionnelles à des stimuli suscitant le dégoût semblent, d’après la littérature scientifique, toujours plus importante dans l’hémisphère gauche.
La superposition des deux images fonctionnelles « odeur dégoûtante versus repos » et « vision du dégoût versus vision neutre » avec l’image anatomique de référence permet ainsi de montrer qu’observer une expression de dégoût chez autrui active une région de l’insula également activée lors de l’expérience du dégoût : l’Insula antérieure gauche (illustration issue de Wicker 2003) :
Le fait qu’observer une expression de dégoût chez autrui active une région de l’insula également activée lors de l’expérience du dégoût confirme une étude neurophysiologique antérieure de Calder et collaborateurs (Calder 2000) ; ce travail montre en effet une incapacité à reconnaître spécifiquement une expression faciale de dégoût et de ressentir même du dégoût chez un patient présentant une lésion de l’Insula dans l’hémisphère gauche.
Conclusion :
Le cerveau semble interpréter l’émotion visualisée par simulation automatique de l’émotion ressentie, confirmant l’hypothèse de l’existence d’un « miroir émotionnel ».
Origine des images
Bruno Wicker : Institut de Neurosciences Cognitives de la Méditerranée, CNRS, Marseille, France. Institut de Neurosciences Cognitives de la Méditerranée, CNRS, Marseille, France
bruno.wicker@incm.cnrs-mrs.fr.
Caractéristiques techniques
IRM : Bruker MEDSPEC 30/80 AVANCE, 3T, Antenne polarisée circulaire, Nombre de volumes acquis : 64x64 voxels (3x3 mm), Nombre de coupes : 30, Nombre de runs fonctionnels : 4 ;
TR = 3000 ms,
TE = 35 ms,
FOV =19.2*19.2 cm,
Articles sources
Wicker 2003 :
Wicker B, Keysers C, Plailly J, Royet JP, Gallese V, Rizzolatti G.
“Both of us disgusted in my insula: the common neural basis of seeing and feeling disgust”.
Neuron 2003; 40(3), p. 655-64.
Decety 2003 a :
Decety J. « L’empathie ou l’émotion partagée ». Pour la science 2003 ; n°309, p. 46-51.
Calder 2000 :
Andrew J. Calder, Jill Keane, Facundo Manes, Nagui Antoun & Andrew W. Young “Impaired recognition and experience of disgust following brain injury”. Nature Neuroscience 2000; n°3, p. 1077 – 1078.
Adolphs 2000 :
Ralph Adolphs, Hanna Damasio, Daniel Tranel, Greg Cooper, and Antonio R. Damasio.
“A Role for Somatosensory Cortices in the Visual Recognition of Emotion as Revealed by Three-Dimensional Lesion Mapping”. The Journal of Neuroscience 2000; 20(7), p. 2683-2690.
Decety 2003 b :
Jean Decety and Jessica A. Sommerville
“Shared representations between self and other: a social cognitive neuroscience view”. Trends in Cognitive Sciences 2003; Volume 7, Issue 12, p. 527-533.
Etcoff 1991 :
Etcoff, N.L., Freeman, R., Cave, K.R. “Can we lose memories of faces? Content specificity and awareness in a prosopagnosic”. J. Cogn. Neurosci. 1991; volume 3, p. 25-41.
Keysers 2004 :
Christian Keysers, Bruno Wicker, Valeria Gazzola, Jean-Luc Anton, Leonardo Fogassi, and Vittorio Gallese.
“A Touching Sight: SII/PV Activation during the Observation and Experience of Touch”. Neuron 2004; Vol. 42, p. 335–346.