Neurosciences et Grand Oral
NEUROSCIENCES ET GRAND ORAL
Parler de science
La préparation de l’épreuve du Grand Oral pose inévitablement de nombreux problèmes pédagogiques, certains propres à une discipline, d’autres communs à l’ensemble des matières. Mais, si l’intitulé même de cette épreuve focalise spontanément notre attention sur les compétences oratoires, les retours du terrain, issus de nos pratiques d’enseignants de SVT et des formations transdisciplinaires que nous avons animés, révèlent que la construction du contenu de l’oral constitue le premier obstacle rencontré par les élèves.
Chronologiquement tout d’abord, parce que les lycéens s’inquiètent avant tout de savoir de quoi ils vont parler avant de se demander comment ils en parleront. On peut bien sûr multiplier les dispositifs dédiés à l’apprentissage de l’oralité (débat, bilan oral du cours, classe puzzle, …) et s’appuyer sur le travail préalablement réalisé par les disciplines comme le français et les langues vivantes. Néanmoins, lorsque les élèves commencent à travailler leur Grand Oral, l’absence de maîtrise du fond et/ou un fond incohérent obèrent largement les apprentissages préalables au point que l’on en vient à se demander si ces jeunes gens n’ont jamais eu à parler durant toute leur scolarité.
S’il est vrai que certains s’avèrent capables de discourir avec aisance sur des sujets auxquels ils ne connaissent rien, c’est-à-dire de donner l’illusion d’un discours cohérent, cela ne concerne pas l’immense majorité des lycéens. La plupart a besoin de savoir précisément de quoi elle parle pour parvenir, à force d’entraînement, à produire un discours de qualité, alliant clarté, intérêt et apparence de conversation (par opposition à une sensation de lecture qui découle de la retranscription plus ou moins consciente de phrases écrites au cours de la préparation).
S’agissant du contenu on peut distinguer trois grandes composantes toutes d’égales importances :
- le choix d’un sujet qui se raccroche à une partie du programme de spécialité du cycle terminal et qu’on aura pris soin de réduire suffisamment pour le rendre accessible à l’élève. Par exemple « comment le réchauffement climatique modifie la biodiversité » est un sujet bien trop vaste compte-tenu du temps disponible et du niveau d’un lycéen. « Comment le réchauffement climatique modifie l’écosystème des barrières de corail » semble plus raisonnable, mais correspond encore à une quantité invraisemblable de données : toutes les barrières de corail ne réagissent pas de la même façon au réchauffement des eaux, et les milliers d’espèces qu’elles abritent montrent également des réponses dissemblables. « Quel est l’impact du réchauffement climatique sur les espèces de corail de la Martinique ? » voilà qui commence à devenir plus abordable.
- la problématisation de ce sujet. Pas seulement pour satisfaire les exigences du B.O. qui fixe les modalités de l’épreuve, mais parce que c’est le plus sûr moyen d’éviter un exposé de type catalogue. Si l’on reprend l’exemple précédent à propos du lien entre réchauffement climatique et coraux martiniquais, la forme interrogative ne doit pas nous tromper. En l’état il s’agit avant tout d’une question de curiosité et non d’un véritable problème. Comment passer de l’un à l’autre ? Il existe différentes façon de problématiser un sujet, de sorte qu’il paraît difficile de donner une marche à suivre intangible. On remarquera simplement que la recherche d’une contradiction ou d’une relation inexpliquée constitue une méthode efficace pour y parvenir. Dans notre exemple on peut ainsi souligner qu’il semble paradoxal que des organismes qui « aiment » les eaux chaudes puissent être perturbés par un réchauffement des océans. Ce faisant on délimite davantage le sujet puisqu’il ne s’agit plus tant d’exposer l’ensemble des conséquences du réchauffement sur tous les coraux de la Martinique, que d’expliquer comment un réchauffement affecte la symbiose commune à ces espèces.
- la recherche de données permettant de répondre au problème formulé
Sur ce dernier point, les enseignants savent se montrer particulièrement vigilants afin d’assurer la sélection de sources fiables. Schématiquement, cela consiste à se demander : « est-ce scientifique ? ». Généralement, la réponse est positive lorsque les informations proviennent d’articles de vulgarisation, plus rarement de vidéos, produits par une revue spécialisée (Pour La Science, La Recherche, …), un journaliste scientifique d’un quotidien national (Le Monde, Libération, …) ou un institut de recherche (CNRS, INSERM, …).
Toutefois, le format même de la vulgarisation conduit à privilégier la présentation des conclusions des études scientifiques sans exposer précisément la méthode utilisée par ces études. Une pratique qui se manifeste aussi dans l’enseignement où, trop souvent, l’élève quitte le cours en ayant appris les connaissances forgées par la science mais sans savoir comment la science s’y est prise pour aboutir à ces connaissances. On passe ainsi beaucoup plus de temps à dévoiler ce que l’on sait, qu’à s’intéresser à comment l’on sait ce que l’on sait.
Or, le savoir scientifique ne se distingue pas de l’opinion par sa véracité mais par son mode de production. Autrement dit, la science ne délivre pas des vérités absolues mais des connaissances fiables, fiabilité qui tient à la méthodologie de recherche utilisée et, sur ce point, il importe de se souvenir que toutes les études scientifiques ne possèdent pas le même niveau de preuve.
A ce propos, il convient de signaler que l’équipe Esprit critique, science et médias de l’Institut de Recherche pour l’Enseignement des Sciences (IRES) de l’université de Toulouse propose plusieurs outils remarquables permettant de déterminer le niveau de preuve d’une étude scientifique.
https://ires.univ-tlse3.fr/esprit-critique-science-et-medias/
Le Grand Oral offre donc l’opportunité de faire découvrir aux élèves en quoi consiste la science en leur proposant d’étudier une publication scientifique susceptible d’apporter des réponses au problème qu’ils se sont choisis. Cette stratégie présente aussi l’avantage de se prémunir contre le risque d’exposé, puisqu’exposer c’est avant tout dire ce que l’on sait. Ici, il faudra au contraire évoquer les raisons du travail mené par les chercheurs, présenter leur protocole, indiquer les résultats obtenus, expliquer l’interprétation qui en est faite et se servir de ces éléments pour répondre à la problématique tout en soulignant la part d’incertitude inhérente aux limites du savoir (il y a toujours des choses que l’on ignore encore) et à la démarche mise en œuvre (puissance statistique, modèle animal, …).
Une autre approche consiste à demander aux élèves d’effectuer une veille scientifique sur le net, c’est-à-dire à relever pendant quelques jours les « news scientifiques » qu’ils rencontrent sur les réseaux sociaux ou les sites d’informations. Immanquablement on récupère quelques affirmations pour le moins surprenantes telles que « le vin protège du cancer » (Futura Santé 2010) ou « l’ocytocine rend les femmes douces et empathiques » (Sciences Humaines 2012). Ne reste plus qu’à suggérer à l’élève de trouver la publication scientifique sur laquelle est censée s’appuyer cette étonnante affirmation afin de vérifier si les conclusions des chercheurs n’auraient pas été légèrement déformées. La chercheuse Odile Fillod s’est faite une spécialité de ce travail de vérification dont elle rend compte sur son blog Allodoxia. Il y a là un moyen simple et efficace de construire un sujet de Grand Oral aussi intéressant que solidement argumenté.
« Une publication scientifique c’est pas trop compliqué ? »
Compliqué oui. Inabordable non. Trois difficultés retiennent souvent de recourir aux publications scientifiques :
- on ne sait pas forcément où les trouver
- elles sont rédigées en anglais et comptent parfois plus d’une dizaine de pages
- elles contiennent généralement des données que ni l’élève, ni le professeur, ne maîtrisent (traitement statistique, appareillage technique, molécules ou structures cérébrales hors programme, …)
Considérons ces problèmes dans l’ordre :
- pour trouver des publications scientifiques il suffit d’utiliser Google Scholar, un moteur de recherche en ligne qui référence la plupart des publications issues de revues à comité de lecture. Il suffit de rentrer quelques mots clés, en anglais, et on accède immédiatement à une longue liste de publications que l’on peut notamment trier par date.
Voici un exemple des premiers résultats en tapant « stress chronique, hippocampe et IRMf » (en anglais : chronic stress hippocampus fmri) :
Pas question bien sûr de tout lire. On peut opérer une première sélection à partir des titres qui s’affichent et de l’année de publication. On profite ensuite du fait que toute publication scientifique commence par un résumé (abstract) qui en quelques lignes en dit suffisamment pour savoir si l’article concerne ou non notre sujet.
Malheureusement, certaines publications ne sont pas en accès libre et leur coût (plusieurs dizaines d’euros) dissuade de les acheter. Il faut donc, soit se limiter aux seules ressources gratuites, soit contacter par mail le premier auteur pour lui demander gentiment de nous fournir la publication dont le résumé, toujours gratuit, nous a convaincu de son intérêt. Les élèves de terminale aiment bien se charger de cette requête et sont ravis de recevoir une réponse d’un véritable chercheur. Certains s’enhardissent même jusqu’à solliciter un entretien téléphonique, à fortiori lorsque le scientifique est français. Si tous les chercheurs ne répondent pas, la plupart accepte volontiers d’apporter leur aide.
- L’auteur de ces lignes avoue maîtriser dramatiquement mal la langue de Shakespeare. Cependant, internet regorge désormais de traducteurs automatiques d’assez bonne qualité, de sorte qu’un simple copier-coller suffit pour lire convenablement les publications en anglais.
Voici comment se décompose une publication type :
- le nom de la revue où elle a été publiée, ainsi que la date de la publication
- les noms de tous les auteurs, c’est-à-dire des chercheurs ayant participés à l’étude
- un résumé (abstract)
- une introduction
- une partie intitulée « materials and methods » qui décrit en détail le protocole de recherche
- les résultats (results)
- un commentaire des résultats, c’est-à-dire l’interprétation qu’en font les chercheurs (discussion)
- la bibliographie (references)
La lecture de l’introduction est tout particulièrement intéressante parce qu’on y trouve une présentation détaillée de l’état du savoir scientifique sur le sujet de l’étude. Chaque connaissance est associée à une ou plusieurs publications antérieures et les questions en suspens servent à justifier le travail des chercheurs.
La longueur d’une publication scientifique peut paraître rédhibitoire, mais le temps que représente son exploitation est à comparer aux multiples recherches qu’effectue d’ordinaire un élève au cours de sa préparation de l’épreuve. Dans le cas présent l’analyse d’une seule publication fournie la quasi-totalité du contenu de l’oral.
Notons que la recherche d’une publication peut intervenir à différents moments selon la manière dont l’élève travaille :
- durant la phase préliminaire de préparation du Grand Oral lorsqu’on cherche un sujet, puisque l’exploration de Google Scholar constitue un bon moyen de trouver des idées
- soit une fois que le sujet a été choisi afin de le problématiser en se fondant sur les questions que se posent les chercheurs
- soit, enfin, après la définition d’une problématique, dans le but de réunir les éléments scientifiques permettant d’y apporter une réponse argumentée
Pour en savoir davantage sur les publications scientifiques, et apprendre à identifier les « bonnes » des « mauvaises », on invitera les élèves à visionner l’excellente vidéo intitulée « Comment fact-checker une étude scientifique ? » réalisée par le chercheur David Louapre et disponible sur YouTube (https://www.youtube.com/watch?v=NkdczX1Sq-U).
- Enfin, la complexité d’une publication ne doit pas nous décourager de la lire. De la même façon que les professeurs d’anglais expliquent aux élèves que l’on peut comprendre l’essentiel d’un texte écrit en langue étrangère même si le sens de certains mots nous échappe, on saisit généralement très bien comment les chercheurs ont travaillé, quels résultats ils ont obtenu et quelles conclusions ils en tirent. Ce sont finalement les détails qui posent problème, mais au regard de l’objectif poursuivi - extraire des informations fiables pour alimenter un oral de quelques minutes - ces détails n’intéressent ni l’élève, ni le jury.
L’occasion d’approfondir le programme
Dès lors que l’étude d’une publication scientifique donne accès à la manière dont une connaissance a été produite, ce que le cours en lui-même ne montre pas ou pas suffisamment, on gagne à valoriser cet exercice auprès de nos élèves. Non pas tant d’ailleurs pour en savoir davantage que pour appréhender à travers un exemple comment fonctionne la science.
L’actuel programme de terminale spécialité renferme un chapitre intitulé « Comportements et stress : vers une vision intégrée de l’organisme » dont voici les objectifs notionnels : « Si les agents stresseurs sont trop intenses ou si leur action dure, les mécanismes physiologiques sont débordés et le système se dérègle. C’est le stress chronique. Il peut entraîner des modifications de certaines structures du cerveau, notamment du système limbique et du cortex préfrontal. Cette forme de plasticité, dite mal-adaptative, se traduit par d’éventuelles perturbations de l’attention, de la mémoire et des performances cognitives ».
Une rapide recherche sur Google scholar nous conduit notamment à cet article qui récapitule les connaissances de l’effet d’un stress chronique sur les structures cérébrales citées par le programme (l’hippocampe et l’amygdale appartenant au système limbique) :
McEwen B et al, Stress Effects on Neuronal Structure: Hippocampus, Amygdala, and Prefrontal Cortex, in Neuropsychopharmacology, 2016
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4677120/
On y trouve de nombreuses références à des publications scientifiques sur lesquelles reposent les notions évoquées par le programme :
- les hormones surrénaliennes modifient l’activité neurale de l’hippocampe
Joels M, Corticosteroid effects in the brain: U-shape it, in Trends in pharmacological sciences, 2006
- l’action des hormones surrénaliennes sur l’hippocampe est corrélée à une altération de la mémoire
Okuda S et al, Glucocorticoid effects on object recognition memory require training-associated emotional arousal, in PNAS, 2004
https://www.pnas.org/content/101/3/853
- les effets des hormones du stress sont modulés par des influences de l’amygdale et de l’adrénaline
McGaugh J et al, Involvement of the amygdala in memory storage: Interaction with other brain systems, in PNAS, 1996
https://www.pnas.org/content/pnas/93/24/13508.full.pdf
- le stress chronique induit un rétrécissement des dendrites de l'hippocampe, mais une expansion des dendrites dans l’amygdale
Vyas A et al, Chronic stress induces contrasting patterns of dendritic remodeling in hippocampal and amygdaloid neurons, in The Journal of Neuroscience, 2002
https://www.jneurosci.org/content/jneuro/22/15/6810.full.pdf
- le stress chronique modifie également les dendrites dans le cortex préfrontal
Liston C et al,[1]induced alterations in prefrontal cortical dendritic morphology predict selective impairments in perceptual attentional set-shifting, in The Journal of Neurosciences, 2006
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6674229/
- Le stress modifie aussi la connectivité entre l’hippocampe et d’autres régions du cerveau (thalamaus, amygdale)
Maras PM et al, Preferential loss of dorsal hippocampus synapses underlies memory impairments provoked by short, multimodal stress, in Molecular Psychiatry, 2014
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4074447/
- les hormones du stress réduisent la neurogenèse dans l’hippocampe
Cameron HA et al, Adult neurogenesis is regulated by adrenal steroids in the dentate gyrus, in Neuroscience, 1994
Kyounghye L et al, Repeated restraint stress promotes hippocampal neuronal cell ciliogenesis and proliferation in mice, in Laboratory Animal Research, 2018
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6333620/
- les hormones surrénaliennes agissent sur la mémoire de travail
Lupien SJ et al, Cortisol levels during human aging predict hippocampal atrophy and memory deficits, in Nature Neurosciences, 1998
Lupien SJ et al, The modulatory effects of corticosteroids on cognition : studies in young human populations, in Psychoneuroendocrinology, 2002
http://www.hormonebalance.org/images/documents/Lupien%2002%20Cognitive%20function%20HC%20PhNE.pdf
- chez des jeunes adultes, un stress chronique perturbe l’attention en modifiant l’activité du cortex préfrontal, mais ce phénomène est réversible
Liston C et al, Psychosocial stress reversibly disrupts prefrontal processing and attentional control, in PNAS, 2009
https://www.pnas.org/content/106/3/912
Les professeurs de SVT y trouveront également quantité de documents (graphiques, IRMf, …) susceptibles d’être utilisés en cours. Un autre article de ce site contient une riche bibliographie d’articles en français, en particuliers de la revue Médecine/sciences, sur lesquels les enseignants, comme les élèves, pourront appuyer leurs recherches : http://acces.ens-lyon.fr/acces/thematiques/neurosciences/actualisation-des-connaissances/stress-1/ressources-bibliographiques-sur-le-stress
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