Les confidences d'un daltonien
Les confidences d'un daltonien (R.Davids)
"J'ai toujours trouvé que, outre son prénom singulier, il y avait quelque chose de bizarre chez mon frère Orion : la façon dont il parlait des couleurs. Un matin de juin, par exemple, alors que nous étions tous les six, mes frères et moi, en train de traire les vaches dans notre ferme, Orion s'extasia sur le « magnifique » arc en ciel qui venait de faire son apparition. Magnifique ? Qu'est-ce que tu nous chantes ? dit Georges, mon frère aîné. Je ne vois vraiment pas ce qu'il y a de magnifique dans un arc en ciel (...). C'était un arc en ciel tout ce qu'il y a de plus ordinaire, tel que j'en avais toujours vu : deux bandes de couleur, une bleue, une jaune, toutes les deux affreusement fades (...). La triste vérité (nous ne devions la découvrir plus tard) était que sur nous six, cinq ne percevaient pas les couleurs. Notre infirmité, impossible à corriger, s'appelle daltonisme du nom d'un chimiste anglais du début du XIXe siècle qui en était atteint (...). Pour moi, la betterave est d'un bleu presque noir et je ne vois aucune différence entre le sang et l'huile de vidange d'un carter. C'est à l'école primaire que j 'ai pris pour la première fois conscience de mes difficultés avec les couleurs. Je m'étais un jour donné beaucoup de mal pour colorier une carte et, quand le professeur la montra à toute la classe, je crus que c'était pour la faire admirer..., mais tout le monde éclata de rire. Mes océans étaient de couleur pourpre ! Je ris avec les autres, mais j'étais profondément mortifié.
Pourtant, la certitude de mon infirmité ne s'imposa à moi que lentement. Pendant les cours de chimie, le rose et le bleu du papier tournesol me laissaient perplexe, ainsi que l'identification de certaines substances par la couleur de leur flamme. L'élève le moins doué de la classe savait reconnaître le violet du potassium et le bleu du plomb. Pas moi.. Je renonçai à une carrière scientifique.
Le bleu et le violet sont pourtant des couleurs que nous voyons, mes frères et moi. Mais nous sommes incapables de les distinguer l'une de l'autre (...).
Mais enfin, me dira-t-on, n'y a-t-il aucune nuance de rouge qui vous paraisse rouge ? Il m'est impossible de répondre à cette question, car je n'ai aucun moyen de savoir ce qu'est le rouge pour un oeil normal. Pour moi, c'est une sorte de noir clair, assez agréable mais pas voyant du tout. Je ne distingue pas la viande bleue de la viande cuite à point, une tomate mûre d'une tomate verte, je ne peux pas savoir si une femme met du rouge à lèvres (...)."
Extraits de Sciences et Vie junior. Dossier n°23 : La couleur