Chimie prébiotique
Chimie prébiotique
(Rédigée par D. Pol, PRAG, Université Pierre et Marie Curie, Paris)
Origine de la vie
On suppose que la vie existait dès - 3,8 Ga, âge des plus anciennes traces de molécules organiques, et les premières cellules ayant laissé des vestiges fossiles sont datées de - 3,45 Ga (cyanobactéries des Apex cherts d'Australie occidentale). On suppose que ces dernières partageaient avec les cellules actuelles les caractéristiques fondamentales communes des cellules vivantes :
- Cellules limitées par une membrane lipido-protéique séparant le milieu extracellulaire du contenu cellulaire, le cytoplasme, et contribuant par sa perméabilité sélective au maintien d'une composition chimique intracellulaire sensiblement constante.
- Existence d'un métabolisme, ensemble de réactions chimiques permettant aux cellules d'élaborer leur propres matériaux en utilisant de l'énergie extérieure, dépendant de protéines enzymatiques codées par l'information génétique de l'ADN.
- Multiplication cellulaire par division après réplication de l'ADN permettant aux cellules d'envahir leur milieu tant que les conditions restent favorables.
Ainsi, un élément mérite le qualificatif de vivant si :
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Les événements ayant conduit à l'émergence de la vie n'ont laissé aucune trace. Pour tenter de les reconstituer, il faut élaborer des scénarios plausibles qui sont ensuite testés expérimentalement.
On connaît divers schémas réactionnels aboutissant à la formation des monomères biologiques à partir de précurseurs plus ou moins simples et d'autres permettant d'obtenir des polymères biologiques. Toutefois, il n'existe aucun moyen de valider tel ou tel scénario, la faisabilité d'une réaction chimique in vitro ne permettant pas d'affirmer qu'elle s'est produite dans l'histoire prébiotique.
Le problème de l'origine des molécules informatives, acides nucléiques et protéines, n'est pas non plus résolu. Les protéines sont indispensables pour la réplication et l'expression de l'information génétique et l'information génétique est nécessaire pour la biosynthèse des protéines. C'est pourquoi on suppose qu'un "monde d'ARN", c'est à dire une vie utilisant les ARN à la fois comme matériel génétique et comme catalyseurs, a précédé l'apparition de cellules comportant de l'ADN et de protéines.
Le problème de la formation des premières cellules n'est pas non plus résolu. Les cellules actuelles avec leur structures et mécanismes universels (membrane, code génétique, énergétique, biosynthèses, multiplication, etc.) et les analyses de phylogénie moléculaire menées sur divers gènes des trois grands groupes d'êtres vivants, Archaébactéries, eubactéries et eucaryotes, suggèrent que tous les êtres vivants actuels ont pour origine un ancêtre commun qualifié en Anglais de Last Unicellular Common Ancestor ou LUCA. On suppose qu'un tel ancêtre hypothétique présentait les principales caractéristiques connues chez les cellules vivantes actuelles. L'approche expérimentale a montré que, dans certaines conditions, des polymères peuvent former spontanément des gouttelettes limitées par une enveloppe à l'intérieur desquelles peuvent se produire des réactions chimiques et s'accumuler des substances. Ces gouttelettes ou coacervats sont suceptibles de croissance et de division à l'image des cellules et sont utilisées pour explorer les voies par lesquelles auraient pu se former des "protocellules".
La chimie prébiotique
Les principaux problèmes scientifiques liés à la chimie prébiotique sont de trois ordres :
- origine et évolution des molécules informatives, acides nucléiques et protéines ;
- apparition et évolution du métabolisme assurant l'utilisation des matériaux et de l'énergie de l'environnement pour le fonctionnement cellulaire (approvisionnement énergétique, biosynthèses, reproduction) ;
- origine des molécules permettant la compartimentation et de la première cellule limitée par une membrane.
L'origine des molécules prébiotiques dont l'évolution chimique aurait conduit aux polymères aujourd'hui caractéristiques de la vie, comme les polynucléotides et les protéines, n'est pas connue. Diverses hypothèses ont été formulées. Les premières molécules organiques auraient pu se former sur la Terre par réactions chimiques entre certains constituants de l'atmosphère primitive dissous dans l'eau. Diverses expériences ont en effet montré la possibilité de synthèse de constituants organiques à partir des composants de l'atmosphère primitive. Les premières molécules organiques auraient pu aussi se former au fond des océans au niveau des sources hydrothermales. On a en effet montré expérimentalement la possibilité de synthèse de substances organiques à partir de composés soufrés et d'oxyde de carbone libérés par les fumeurs noirs. Enfin, elles auraient pu provenir de l'espace car on a identifié divers précurseurs organiques, notamment des acides aminés, dans des météorites, comètes, etc.
L'évolution chimique ayant permis de passer des molécules prébiotiques aux molécules biologiques nous est inconnue et n'a guère pu laisser de traces fossiles. C'est pourquoi les recherches dans ce domaine explorent essentiellement des chemins possibles d'évolution chimique en tentant d'en établir la possibilité ou l'impossibilité sans qu'il soit possible de considérer un scénario comme acquis simplement parce que certaines étapes en sont réalisables au laboratoire.
Une autre des difficultés posées par le problème de la chimie prébiotique est ce que l'on pourrait appeler le paradoxe de l'œuf et de la poule. Sachant que chez toutes les cellules vivantes actuelles la biosynthèse des protéines codée par l'ADN est le processus fondamental de l'expression de l'information génétique contenue dans l'ADN et que les protéines constituent les outils essentiels de cette biosynthèse, doit-on penser que le code génétique est apparu avant ou après les mécanismes de biosynthèse des protéines ? Comment ces deux éléments indissociables que sont les gènes et les protéines ont-ils pu se mettre en place à la suite d'une évolution chimique ? Pour lever cet apparent paradoxe, on a fait principalement appel à l'hypothèse d'un monde d'ARN. Dans cette hypothèse, les ARN auraient eu initialement à la fois une fonction de catalyseurs, comme c'est le cas pour les protéines enzymatiques, et la possibilité d'être répliqués, comme c'est le cas pour l'ADN. L'ADN aurait évolué ensuite à partir de l'ARN avant de le remplacer comme dépositaire de l'information génétique.
À l'appui de ces hypothèses, on a mis en évidence des propriétés catalytiques chez des ARN, les ribozymes. On n'a cependant pas démontré la possibilité d'une réplication de l'ARN même si certaines étapes en sont réalisables en laboratoire et, de plus, l'origine de ces molécules reste inconnue.