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Approche historique des notions de proto-oncogènes et d'oncogènes

Par Naoum Salamé Dernière modification 19/12/2017 12:13

 Approche historique des notions de proto-oncogènes et d'oncogènes

1 - Origine du  sarcome du poulet dû au virus de Rous. Premier cancer reconnu d'origine virale.

2 - Action du virus sur des cellules en culture

3 - L'apport de mutants du virus RSV

4 - Le comportement du virus du sarcome de Rous

5 - Oncogène et proto-oncogène

6 - L'origine du gène SRC viral

7 - Les protéines c-SRC et v-SRC

8 - Passage du proto-oncogènes à l'oncogène

9 - Proto-oncogène et oncogène chez l'homme

10 - Diversité des proto-oncogènes

11- Réflexions sur les liens entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée


1 - Le point de départ : un cancer d’origine virale

La découverte au sein des cellules de gènes pouvant être à l’origine de cancers, les proto-oncogènes, résulte d’un long processus qui commence au début du XXème siècle par la mise en évidence par Peyton Rous de l’origine virale d’un cancer, le sarcome du poulet. Le document « Origine du sarcome du poulet » inscrit l’expérimentation de Rous dans le cadre des connaissances de l’époque et son exploitation doit conduire les élèves à conclure à une origine virale possible de ce cancer.

Les premières expériences de Rous ont eu pour objectif de voir si ce cancer était transmissible d’un animal à un autre. Il a fait ses expériences de transplantation sur 4 générations de la même tumeur. Des résultats positifs ont été obtenus lorsque la transplantation était réalisée entre poules de la même race. La première conclusion de Peyton Rous était que les cellules de la tumeur gardaient leur caractère cancéreux lorsqu’elles étaient introduites dans un autre organisme. Poursuivant sa recherche, il se demanda si le cancer pouvait être transmis à un autre animal par l’intermédiaire d’un filtrat de la tumeur ne contenant pas de cellules. C’est ce que relate le second schéma du document. Plusieurs animaux ayant subi l’injection de ce filtrat ont développé une tumeur dans le muscle où l’injection avait été faite. Et l’observation de la tumeur révélait qu’elle était semblable aux tumeurs obtenues par transplantation. Cela conduit Rous à dire que le filtrat avait eu pour effet de rendre cancéreuses certaines cellules du poulet ayant reçu l’injection du filtrat. Dans ce filtrat, il y avait donc un agent infectieux cancérigène non cellulaire. Puisque cet agent était capable de traverser des filtres arrêtant les bactéries et qu’il n’était pas visible au microscope optique (Peyton Rous parlait d’organisme ultramicroscopique) il devait s’agir d’un virus. Dans la conclusion de son article, Rous n’excluait pas totalement la possibilité qu’une substance chimique secrétée par les cellules cancéreuses puisse se retrouver dans le filtrat et être cause du cancer de l’organisme receveur.

Le travail de Rous n’a pas eu beaucoup d’écho dans la communauté scientifique de l’époque. Le sarcome du poulet était considéré comme un cas particulier, en rien applicable aux cancers humains pour lesquels on n’avait aucun exemple en faveur du caractère infectieux de la maladie. Rous poursuivit ses travaux et découvrit 4 autres virus responsables d’autres cancers chez le poulet.

Des échantillons de la souche initiale de Rous furent distribués à de nombreux laboratoires dans le monde où ils ont servi à de nombreuses expérimentations.

Des virus responsables de cancers chez les rongeurs ont été mis en évidence durant les années 30 et 40. L’idée d’une origine virale de certains cancers a été admise mais toutes ces recherches qui reposaient sur des injections des virus à des animaux n’ont pas débouché sur la compréhension de la manière dont un virus pouvait rendre des cellules cancéreuses.

2 - Un changement méthodologique important : l’action des virus sur des cellules en culture

Durant les années 40 et 50, tout à fait indépendamment des travaux sur les virus cancérigènes, des groupes de chercheurs ont étudié la biologie de virus parasites des bactéries, les bactériophages. Ils utilisaient notamment une technique relativement simple qui consistait à répandre une suspension de bactériophages dans des boîtes de Pétri contenant un tapis de bactéries pour étudier comment ces bactériophages agissaient sur les bactéries. En 1958 Rubin et Temin, virologues, appliquent cette technique à l’étude du virus du sarcome du Poulet. Ils mettent au point un protocole de culture de cellules embryonnaires (des fibroblastes) du Poulet et ajoutent au milieu de culture une suspension du virus RSV (Rous Sarcoma Virus, virus du sarcome de Rous).

Comme l’illustrent les figures du document « Le comportement du virus du sarcome de Rous et les cellules en culture », il apparaît dans les boîtes de Pétri des foyers infectieux d’autant plus nombreux que la concentration du virus est forte. Cela suggérait que chaque foyer devait provenir d’une cellule parasitée par le virus et qu’en conséquence l’observation du foyer au microscope devait apporter des enseignements sur la façon dont le virus RSV agissait.

Le même document permet de comparer des cellules normales à des cellules d’un foyer infectieux. Les cellules normales sont allongées, aplaties et forment une seule couche. Les cellules cancéreuses sont arrondies et s’empilent les unes au-dessus des autres. Cela souligne que le virus transforme les cellules normales : elles changent de morphologie et perdent ce qu’on appelle l’inhibition de contact. Celle-ci, propriété des cellules normales, désigne le fait qu’en culture les cellules cessent de se diviser lorsqu’elles se touchent. Les cellules cancéreuses, elles, continuent à proliférer.

Foci de cellules cancéreuses et non cancéreuses.JPG

Schéma associé au Foci-New.JPG


D'après ce site

Alors qu’en culture, les cellules normales doivent adhérer au support sur lequel elles se développent, ce n’est pas le cas des cellules cancéreuses qui forment plusieurs couches.

En conclusion, les figures ci-dessous montrent les cellules d’un foyer infectieux entourées de cellules normales et schématisent les propriétés des cellules cancéreuses en culture.


Une propriété du virus de Rous est indiquée dans le document à savoir qu’il ne tue pas les cellules qu’il parasite. Celles-ci produisent des virions tout en continuant à se diviser. Le virus a donc deux propriétés globales : il transforme les cellules qu’il parasite et se reproduit, se réplique à l’intérieur de ces cellules. C’est un point important pour la suite.

Le document sur les cellules HELA humaines n’a rien à voir bien entendu avec le virus du sarcome de Rous. Il est là pour une réflexion éthique sur certains aspects commerciaux de la recherche, et, sur le plan scientifique, pour dégager une autre propriété des cellules cancéreuses, à savoir leur immortalité.

3 - L’apport de mutants du virus RSV

 Les années 60 sont celles où les études sur le virus RSV se multiplient et débouchent sur la découverte de sa structure (document : Les informations fournies par les mutants du virus du sarcome de Rous) ainsi que sur celle de son cycle de vie. Cela n’a été possible que grâce aux connaissances en biologie moléculaire établies par ailleurs. Les points cruciaux sont la découverte que le matériel génétique de ce virus était de l’ARN en 1960, et celle en 1970 de l’existence chez ce virus d’une enzyme, la transcriptase inverse qui catalyse la synthèse d’une molécule d’ADN à partir de l’ARN. Ce dernier point était contraire au dogme de la biologie moléculaire et allait permettre d’établir le cycle de vie du RSV, et plus généralement des rétrovirus.

Le document sur la structure du virus n’est pas propre au RSV mais s’applique à tous les rétrovirus. Il s’accompagne d’une schématisation du génome du RSV tel qu’on l’imaginait alors avec indication des gènes codant pour les protéines du virus.

Au début des années 70, l’étude de mutants du virus RSV allait permettre d’expliquer le mécanisme de l’action cancérigène de ce virus. Un mutant comme celui mentionné dans le document était capable de se répliquer dans les cellules de poulet en culture mais s’avérait incapable de les transformer en cellules cancéreuses. Un autre mutant transformait bien les cellules mais ne se reproduisait pas.

Ces mutants montrent une dissociation entre les deux actions du virus RSV à l’intérieur des cellules parasitées : sa réplication d’une part, sa capacité de rendre cancéreuse la cellule d’autre part. Ces actions sont indépendantes. Comme le mutant non transformant a un génome (en ARN) plus petit que celui du virus initial, cela suggérait que la mutation à son origine était une délétion d’une partie du génome, cause de l’action cancérigène. On a situé où se trouvait ce fragment ce qui a permis d’avoir une vision plus complète du génome du virus RSV.

La figure ci-dessous qui se trouve dans le document sur « les informations fournies par les mutants du RSV) illustre bien l’état des connaissances vers 1973.

biochemical definition RSV.jpg

La cellule arrondie du haut indique que le virus est transformant et les virions qui « bourgeonnent " qu’il se reproduit à l’intérieur de la cellule. La figure du bas en vert indique une cellule qui a gardé sa forme normale de fibroblaste, donc n'est pas transformée mais où le virus se reproduit.

Le point important est donc l’existence dans le génome viral d’un gène appelé src responsable de l’action cancérigène. Ce qui est schématisé ci-dessous.

 Virus mutant.JPG

D'après : G. Steven Martin : The road to Src. Oncogene (2004)

En haut : en (a) génome complet d'un virus sauvage ; en (b) génome d'un virus RSV non transformant. Au milieu cellules qui vont être infectées par une particule virale. En bas : devenir de la cellule infectée. La forme arrondie traduit la transformation de la cellule. Le trait horizontal représente l'ADN viral (provirus). La réplication du virus est traduite par les virions qui bourgeonnent à la surface des cellules.

4 - Le comportement du virus à l’intérieur des cellules parasitées

Le schéma du document sur Le comportement du virus du RSV dans la cellule synthétise les connaissances acquises sur le RSV.

On peut y reconnaître les caractéristiques du cycle d’un rétrovirus : transcription de l’ARN viral en ADN pro-viral grâce à la transcriptase inverse, passage de cet ADN pro-viral dans le noyau de la cellule et incorporation dans le génome de celle-ci, transcription de l’ADN pro-viral en ARN messager et traduction de celui-ci. Cela permet la synthèse des diverses protéines virales, et finalement la production de virions qui bourgeonnent à la surface de la cellule.

Mais le point important est la synthèse de la protéine src qui n’est pas incorporée dans les nouveaux virions mais agit dans la cellule en provoquant sa transformation cancéreuse. Le gène SRC viral est un oncogène

 5 - Oncogène et proto-oncogène

On arrive alors à la découverte majeure de Varmus et Bishop qui leur a valu le prix Nobel en 1989. S’interrogeant sur l’origine du gène src dans le génome viral alors qu’il n’était pas nécessaire à sa réplication, ils ont supposé qu’il était d’origine cellulaire. Avec la technique d’hybridation rappelée dans le document « Oncogène et proto-oncogène », ils ont montré que dans les cellules normales du poulet il existait une séquence d’ADN capable de s’hybrider avec l’ADN pro-viral, qui devait donc avoir une séquence proche de celle du gène src viral. Le cliché d’hybridation du document montre des boucles où l’ADN cellulaire et l’ADN pro-viral ne s’hybrident pas. Cela est dû au fait que le gène cellulaire comprends exons et introns alors que le gène viral, comme tous les gènes viraux, ne contient pas d’introns. Les boucles correspondent aux introns du gène cellulaire. Par la suite, au début des années 80, le gène cellulaire a été cloné et séquencé.

On dispose des séquences du gène src cellulaire et du gène src viral. La comparaison des séquences avec Anagène confirme l’homologie des deux gènes (96,4% d'identité).

Fichier c-src - v-src.edi

Homologie c-SRC - v-SRC.jpg

On a ensuite recherché des séquences homologues chez d’autres vertébrés que le poulet. On dispose, en plus, des séquences de l’Homme, du Chimpanzé et du Macaque, qui montrent que c’est un gène très conservé (plus de 79% d'identité) au cours de l’évolution des vertébrés, ce qui suggère qu’il joue un rôle important dans la vie des cellules.

Fichier Homologie c-SRC MRNA  Pour Phylogène

Fichier Homologene c-SRC Pro Pour Phylogène

6 - L’origine du gène src viral

 Le gène cellulaire se retrouve chez tous les vertébrés alors que le gène viral est propre au virus du sarcome de Rous. Cela indique que le gène viral a été acquis par un virus qui ne le possédait pas initialement au cours d’un cycle de développement dans une cellule parasitée. La figure ci-dessous schématise le processus

Origine SRC viral.JPG

 D'après ce site

Le virus ancestral est ici appelé ALV (Avian Leukosis Virus). C’est un virus qui existe encore actuellement et dont les séquences des gènes (gag, pol, env) sont très semblables à celles du RSV mais il ne possède pas le gène src. Il est capable de parasiter des cellules du poulet et de s’y reproduire. Après la transcription de son ARN en ADN, celui-ci peut être incorporé à n’importe quel endroit du génome du poulet. Avec une très faible probabilité certes, il peut s’incorporer au voisinage du gène src du génome du poulet. Lorsque l’ADN pro viral s’exprime, il peut arriver que l’ARN messager comprenne non seulement les séquences virales mais aussi celle du gène cellulaire. Le virus a donc capturé le gène cellulaire au cours d’un cycle infectieux. Le gène cellulaire est le progéniteur du gène viral. Le gène cellulaire est dénommé c-src et le gène viral v-src.

7 - Les protéines v-src et c-src

Le gène v-src est un oncogène qui en s’exprimant dans la cellule la rend cancéreuse. En revanche, le gène c-src cellulaire n’est pas oncogénique. Son expression dans une cellule ne la rend pas cancéreuse. La question est d’expliquer les différences dans les actions des deux gènes.

Pour cela, il faut comparer les séquences codantes des deux gènes et préciser les différences entre les protéines qu’ils codent.

Les deux gènes présentent des différences ponctuelles mais c’est surtout dans leur région terminale qu’ils diffèrent le plus. Au niveau protéique, la protéine codée par v-src possède une séquence de 526 acides aminés et celle codée par c-src une séquence de 533 acides aminés. Cette différence est due à une délétion des 7 acides aminés terminaux et notamment de l’acide aminé 527 qui est une tyrosine. Alors que les deux séquences ont une similitude globale de 97%, elles diffèrent totalement à partir de l’acide aminé 515.

Comparaison fin c-src - v-src.jpg

Comme le gène v-src provient d’un gène c-src capté par un virus, on peut en déduire qu’après cette capture il y a eu une évolution dans la structure du gène viral qui s’est traduite par l’élimination des introns du gène cellulaire, des mutations ponctuelles et une délétion terminale. L’oncogène viral est donc un proto-oncogène muté.

Les protéines v-src et c-src sont toutes les deux des enzymes faisant partie de la famille des protéines kinases, c'est-à-dire des enzymes qui branchent des groupements phosphates sur des protéines cibles. Celles-ci sont alors activées. Comme elles interviennent dans les voies de signalisation cellulaire au sein des cellules en ayant notamment l’effet global d’activer les divisions cellulaires, les protéines v-src et c-src ont pour effet final d’activer la prolifération cellulaire.

Le document sur Les protéines v-src et c-src indique que la protéine c-src existe sous deux configurations dans la cellule, l’une inactive, l’autre active. Le changement de conformation est lié à la tyrosine 527. Si un groupement phosphate est branché sur cet acide aminé, l’enzyme est inactive ; si au contraire cet acide aminé est déphosphorylé, elle est active. Cette phosphorylation ou déphosphorylation de la protéine c-src dépend des signaux captés par la cellule dans son environnement, notamment des facteurs de croissance. L’important est donc que l’activité de la protéine cellulaire est contrôlée par les signaux de l’environnement cellulaire.

La comparaison des séquences v-src et c-src révèle que protéine virale ne possède pas les 7 acides aminés terminaux de la protéine cellulaire et en particulier la tyrosine 527. La protéine virale ne possède pas de site lui permettant de changer de conformation. Elle se comporte en permanence comme la protéine cellulaire déphosphorylée. En conséquence, elle est constamment active, indépendamment des signaux reçus par la cellule. Il y a un gain de fonction. Dans une cellule de poulet parasitée par le virus du sarcome de Rous, la forte activité de la protéine virale fait qu’elle transforme la cellule infestée en cellule cancéreuse (la protéine scr agit sur de nombreuses protéines dans la cellule, pas uniquement sur celles intervenant dans le cycle cellulaire ; elle agit notamment sur les protéines du cytosquelette ce qui a pour effet de changer la morphologie de la cellule).

8 - Passage du proto-oncogène à l'oncogène

 De multiples oncogènes rétroviraux

La longue histoire des recherches sur le virus du sarcome de Rous a donc débouché sur l’existence d’un oncogène, le v-Src, dans le génome du virus, oncogène qui a pour origine un proto-oncogène, le c-Src, présent dans le génome de toutes les cellules du poulet mais aussi de tous les vertébrés. L’oncogène est une forme mutée du proto-oncogène et c’est cette mutation qui rend la cellule cancéreuse.

La découverte du proto-oncogène c-Src a déclenché à la fin des années 70 et au début des années 80 de nombreuses recherches sur les autres rétrovirus connus pour provoquer des cancers chez les animaux, en particulier chez les rongeurs, souris et rats. Ces travaux ont conduit à l’identification d’autres oncogènes que v-Src chez ces virus ainsi qu’à celle des proto-oncogènes cellulaires dont ils sont issus.

Un des oncogènes viraux le plus étudié a été l’oncogène Kras qui cause un cancer chez le rat et la souris. Dès 1982 on a déterminé la séquence nucléotidique de cet oncogène ainsi que celle du proto-oncogène du rat, qui est son pro-géniteur. (Voir Point 1 du document Passage du proto-oncogène à l'oncogène). La comparaison de leurs séquences révèle une forte homologie (7 différences ponctuelles). L’oncogène viral dérive donc du proto-oncogène cellulaire à la suite de 7 mutations ponctuelles.

Tous deux codent pour une protéine, appelée p21, qui comprend 189 acides aminés. Les deux protéines, l&rsrsquo;oncogénique virale et la pro-oncogénique cellulaire du rat ne diffèrent que par 4 acides aminés.

Les deux protéines qui sont ancrées à la face interne de la membrane cytoplasmique jouent le même rôle dans la cellule mais leur activité diffère. La protéine pro-oncogénique est une enzyme (une GTPase) qui joue un rôle majeur dans une voie de signalisation intracellulaire qui relaie les signaux (facteurs de croissance) captés par la cellule. Cette voie active l’expression des gènes impliqués notamment dans la prolifération cellulaire. La protéine pro-oncogénique oscille entre deux états, l’un actif (lors de l’activation d’un récepteur membranaire par un signal) l’autre inactif. La protéine oncogénique virale, est constamment active et c’est une conséquence des différences ponctuelles qu’elle a par rapport à la protéine pro-oncogénique. Il en résulte que cette protéine oncogénique active en permanence la prolifération cellulaire. On retrouve ici la même idée que pour le gène SRC : la protéine oncogénique a des propriétés différentes de la protéine pro-oncogénique de par sa capacité d'activation permanente de la prolifération cellulaire.

L’étude des cancers rétroviraux a donc enrichi l’éventail des oncogènes viraux (une trentaine ont été identifiés dès le milieu des années 80) et des proto-oncogènes cellulaires. Ainsi, on commençait à découvrir la panoplie des gènes cellulaires ayant le potentiel de devenir cause de cancers.

Document " Diversité des oncogènes "

Devenir un oncogène sans l’intervention d’un virus

Les chercheurs ont ensuite expérimenté pour voir si un proto-oncogène pouvait être transformé en oncogène sans intervention d'un virus mais sous l'action d'agents, notamment chimiques, connus pour être cancérigènes. (Voir Point 2 du document Passage du proto-oncogène à l'oncogène).

Le protocole expérimental (expérience de transfection) est semblable à celui utilisé pour étudier l'activité oncogénique du virus du sarcome de Rous mais en remplaçant le virus par de l'ADN extrait de cellules cancéreuses.

Les chercheurs ont constaté qu’il apparaissait dans cette culture cellulaire des foyers constitués par des cellules cancéreuses. Sous l’action du seul ADN extrait de cellules cancéreuses, certaines des cellules saines de la culture étaient devenues des cellules cancéreuses. La même expérience avec de l’ADN extrait de cellules saines n’avait aucun effet sur les cellules en culture. Cela montrait bien que le cancer était une maladie génétique et que sans intervention d’un virus, les cellules cancéreuses d’où on avait extrait l’ADN, possédaient dans leur génome au moins un oncogène. Cet oncogène devait provenir de la mutation d’un proto-oncogène cellulaire causé par le mutagène chimique.

9 - Proto-oncogène et oncogène chez l'homme

Les proto-oncogènes et les cancers humains

Au début des années 80, on ne connaît pas de cancer humain dû à un rétrovirus (on n’en connaît toujours pas, d’ailleurs ; en revanche on a identifié des cancers dus à d’autres virus, des virus à ADN). On s’interrogeait pour savoir si les cancers humains résultaient aussi de mutations de proto-oncogènes cellulaires comme chez les autres animaux.

Le protocole expérimental utilisé pour résoudre cette question est celui de la transfection illustré de façon schématique dans le document « Proto-oncogènes et cancers chez l'homme ».

La première étude a porté sur un cancer de la vessie dont l’ADN extrait des cellules cancéreuses s’est avéré capable de transformer en cellules cancéreuses des cellules NIH3T3 de souris en culture. Dans les cellules cancéreuses humaines, il y avait donc bien des oncogènes. Vu la faible efficience du transfert d’ADN, les chercheurs arrivaient à la conclusion qu’un seul oncogène avait été transféré dans les cellules de souris transformées. En s'appuyant sur les données connues sur les oncogènes viraux, notamment les oncogène v-SRC du Poulet et v-Kras du Rat, ils ont réussi à identifier l'oncogène transformant présent dans l'ADN des cellules cancéreuses de la vessie. Le travail suivant a été d’isoler cet oncogène de le cloner, de le séquencer.

La comparaison de sa séquence avec celle de l’oncogène viral v-Kras du rat montre que cet oncogène humain impliqué dans ce cancer de la vessie était homologue de l’oncogène viral du rat.

Fichier c-Kras HS Mut35 - v-Kras Rattus.edi

Le travail suivant a été de rechercher dans les cellules normales le proto-oncogène dont il est issu par mutation.Le document .... fournit les séquences des gènes Kras de cellules normales et de cellules cancéreuses chez l'homme.

Fichier Ckras cellule normale - Ckras cellule cancéreuse.edi

La comparaison des séquences codantes de l’oncogène de ce cancer de la vessie et de son proto-oncogène montre qu’elles ne diffèrent qu’au 12ème codon (GGT12GTT). Au niveau de la protéine, cela se traduit par la substitution d’une Valine à une Glycine au 12ème acide aminé. Cette seule mutation ponctuelle suffit à rendre oncogénique la protéine.En outre il faut remarquer que la possession d'un seul allèle oncogénique suffit à prédisposer la cellule à la cancérisation. L'allèle oncogénique est donc dominant par rapport au proto oncogénique (contrairement à la situation dans les gènes suppresseurs de tumeurs).

C’était la première démonstration que les cancers humains avaient le même déterminisme génétique que les cancers des animaux. On débouchait sur un premier aspect du paradigme génétique du cancer. 

10 - Diversité des proto-oncogènes

  • A partir de la première mise en évidence de l’oncogène humain Ras en 1982, les expériences de transfection réalisées depuis, avec de l’ADN extrait de tumeurs variées, ont permis la mise en évidence d’un grand nombre d’oncogènes et donc des proto-oncogènes dont ils dérivent par mutation survenue dans une cellule somatique.
  • Les proto-oncogènes sont des gènes très conservés qui jouent un rôle très important dans la vie cellulaire et l’homéostasie des populations cellulaires de l’organisme.

Fichier Homologene c-KRAS MRNA Pour Phylogène

Fichier Homologene c-KRAS Pro  Pour Phylogène


  • Ils peuvent être classés en plusieurs groupes fonctionnels en fonction des propriétés des protéines qu’ils codent : facteurs de croissance, récepteurs aux facteurs de croissance, enzymes (comme les protéines kinases) assurant le transfert de l’information résultant du signal physiologique capté en surface jusqu’au noyau, facteur de transcription agissant notamment sur des gènes impliqués dans le cycle cellulaire. D’une façon générale ces protéines pro-oncogéniques stimulent indirectement la division cellulaire en fonction des signaux de l’environnement cellulaire.
  • Les mutations somatiques aboutissant à la production d’oncogènes à partir de proto-oncogènes sont de divers types : mutations ponctuelles comme celles du gène Ras, délétion (ou insertion) comme celle trouvée pour le gène Src, duplications du gène aboutissant à plusieurs copies (amplification génique). Certaines des mutations sont chromosomiques et résultent de translocations d’une portion d’un chromosome sur un autre. Cette translocation peut aboutir à la formation d’un gène hybride par l’association des séquences de deux gènes appartenant aux chromosomes transloqués. Ce gène hybride peut coder pour une protéine oncogénique nouvelle. Un exemple est un gène de fusion impliqué dans la quasi-totalité des leucémies myéloïde chroniques et résultant d’une translocation réciproque entre les chromosomes 9 et 22. Dans une autre partie du dossier, on verra comment la connaissance de l’action de cet oncogène a débouché sur des applications thérapeutiques.
  • Les conséquences des mutations des proto-oncogènes en oncogènes sur les protéines qu’ils codent peuvent être rangées en deux groupes : le premier groupe est une surexpression du gène aboutissant à une production trop importante de la protéine (c’est le cas si la mutation est une amplification génique). Le deuxième groupe est une modification des propriétés fonctionnelles de la protéine. Comme les exemples relatifs aux oncogènes Src et Ras l’illustrent, la protéine oncogénique est constamment active, indépendamment des signaux reçus par la cellule, alors que la protéine pro-oncogénique oscille entre deux états, actif et inactif, en fonction des messages reçus de l’environnement. La stimulation des fonctions cellulaires sur lesquelles agit la protéine oncogénique et notamment la prolifération cellulaire, sont permanentes. La mutation d’un proto-oncogène en un oncogène se traduit donc par un gain de fonction. Il suffit qu'un seul allèle soit muté pour avoir un impact sur la cancérisation.

 

11- Réflexions sur les liens entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée

Enfin, cette perspective historique amène à faire réfléchir, dans une certaine mesure, sur la manière dont fonctionne la science. Tout part d’un problème de recherche fondamentale sur l’origine d’un sarcome du poulet, recherche qui est parue anecdotique à son époque (pour elle, et aussi pour des travaux ultérieurs dans d’autres domaines, son auteur Peyton Rous, aura le prix Nobel de physiologie et médecine en 1966, soit 56 ans après sa mise en évidence de l’origine virale du sarcome de Poulet).

Pendant plusieurs dizaines d’années, les recherches sur le virus à l’origine du sarcome du poulet ont été considérées comme sans intérêt pour la recherche médicale car on ne connaissait pas de cancers humains d’origine virale. Elles étaient limitées au cercle des virologues.

Cependant, à partir des années 60, ces recherches ont débouché dans le domaine de la virologie à l’élucidation du cycle des rétrovirus avec la découverte du rôle fondamental de la transcriptase inverse. Surtout, la recherche sur les virus oncogéniques a débouché sur la mise en évidence des oncogènes dans leur génome. Plus fondamental : cette recherche a conduit à saisir que dans les cellules il existait de nombreux gènes, les proto-oncogènes, très conservés chez les vertébrés, dont le rôle dans l’homéostasie des populations cellulaires est fondamental. Ces proto-oncogènes, à la suite de mutations peuvent devenir oncogéniques et contribuer ainsi à la genèse de cancers. Ce concept était totalement non prévu initialement lors des recherches des virologues, preuve que même si la recherche fondamentale a initialement un but, elle peut conduire à des données qui dépassent de beaucoup ce but initial. C’est la recherche en virologie qui a conduit au paradigme génétique actuel de la cancérologie. Et ce dernier a orienté les travaux de recherche appliquée ayant pour objectif de mettre au point des thérapeutiques ciblées vis-à-vis des protéines oncogéniques en jeu dans différents cancers.

Ce sont les relations entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée qu’on peut aborder avec la prise de conscience que le passage de l’une à l’autre n’est pas simple et peut prendre beaucoup de temps mais qu’il existe de nos jours des succès certains.

Ainsi le premier médicament anticancéreux (le Gleevec (imatinib)) ciblé contre un oncogène bien identifié impliqué dans la leucémie myéloïde chronique de l’rsquo;adulte, date de 2001 et intervient donc bien plus tard que l’identification de l’oncogène (BCR/ABL) en jeu dans ce type de cancer (1984).