EDUQUER AU NUMÉRIQUE À L’HEURE DES IA GÉNÉRATIVES, ÉTAT DES LIEUX D’UNE RÉFLEXION ET D’UNE DÉMARCHE EMPIRIQUE
Éduquer au numérique est une demande institutionnelle rendue visible depuis 2019 par le passage de différentes certifications PIX et la mise en place au niveau seconde d’un enseignement aux Sciences Numériques et Technologie.
La nouvelle stratégie numérique pour l'éducation 2023-2027 publiée au mois de janvier s’adresse à l’ensemble des acteurs de la communauté éducative autour de 4 axes. Le 2ème axe cible les élèves en mettant l’accent sur « un enseignement du numérique qui développe la citoyenneté et les compétences numériques » autour de 2 objectifs :
· Assurer l'acquisition des compétences numériques tout au long du parcours scolaire.
· Permettre aux élèves de devenir des citoyens éclairés à l'ère du numérique.
Comment relever ce défi dans un univers numérique caractérisé par un foisonnement d’outils toujours plus innovants et dans un monde éducatif qui questionne les compétences à transmettre prioritairement, face aux capacités des IA génératives ?
La réponse que j’apporte ici relève d’un brouillon de démarche empirique, conduite par la conviction personnelle et actuelle de l’importance de développer chez les élèves une culture numérique centrée sur les process de décision, en termes de motivation et de modalités. Savoir faire est certes une compétence importante, mais savoir expliquer pourquoi je, tu, il.elle fais.t tel choix et comment j’ai, tu as, il.elle a procédé est ce qui, me semble-t-il, peut nous assurer un usage pertinent de l’IA et finalement nous rassurer sur notre place face à l’IA.
Mon propos présentera dans un 1er temps une séquence, élaborée en SNT (niveau 2nde) et dédiée à la déconstruction du mythe de la neutralité du monde numérique. Puis, un rapide bilan sera dressé à partir des données d’une évaluation et des pistes de es de travail seront proposées pour l’année prochaine.
Déconstruire le mythe de la neutralité du monde numérique.
Cette séquence a été testée cette année.
Elle se compose de 3 séances élaborées en collaboration avec M. Pautet, enseignant au lycée Charles Meyrieu, Lyon 7.
La première séance en distanciel visait à retracer l’histoire de l’internet et du web abordée sous l’angle d’une aventure philosophique grâce à une série d’activités de type H5P. La présentation des positionnements philosophiques des pionniers et ou figures emblématiques de l’internet et du web à travers une série de ressources, a permis l’élaboration d’une frise chronologique en synthèse.
Ressources mises à disposition des élèves :
· « 1960–1980 : au commencement étaient le code et la liberté » extraite du site Usbek et Rika
· « Steve Jobes et Bill Gates : le hippie et le geek », documentaire de France Télévisions, accessible ici
· « La révolution du logiciel libre », une vidéo de vulgarisation de la Salle 112 accessible ici
· « Tim Berners-Lee, le génie inventeur du web », vidéo produite par France Culture, consultable ici.
· « Le moteur de recherche », publié le 4 septembre 2018, par le site Science et vie Tv
· « Du web 1.0 au web 2.0 : quelles différences ? », vidéo de vulgarisation publiée le 17 novembre 2012 par le site TwensaHiTech.
· « Qui sont les GAFAM ? Enjeux et problématiques de l’ogre du XXIe siècle », vidéo de vulgarisation publiée le 19 novembre 2019, par Lumni.
· « Ambitions et grands principes du web 3, quelles différences avec le web 2 ? », article publié par le site OpinionAct, non daté.
(Cliquer sur l'image pour l'avoir en taille réelle)
Deux autres séances sur l’utilisation des données ont permis de sensibiliser les élèves :
· aux finalités et procédés de collecte massive des données à caractère personnel par les grands réseaux sociaux par un jeu de rôles.
· à l’existence de l’opendata, de ses usages et spécificités par l’exploitation d’un jeu de données, par un journaliste.
Bilan et nouvelle piste de travail
Ce travail de mise en évidence d’un monde numérique en proie à la question des intentions et des valeurs, à travers des figures célèbres du numérique a rencontré un vif succès. L’évaluation finale des 30 élèves présents (sur 33) en témoigne. Elle proposait en effet aux élèves de choisir parmi les portraits proposés celui qu’il ou elle préférait et les raisons de leur choix en réinvestissant les connaissances vues en cours.
Le diagramme circulaire ci-dessous montre les résultats.
Il est possible d’objecter le manque de sens de ces chiffres dans la mesure où les connaissances et le positionnement des élèves en amont de la séance n’ont pas été évalués. La progression et l’évolution ne sont pas mesurables et c’est un élément que nous retenons pour améliorer cette séquence.
Cependant, il est possible de dire que l’identification à des personna a été un levier efficace de transmission des débats de valeur au sein du monde numérique. En effet, une évaluation de la même séquence, réalisée au trimestre précédent dans une autre classe de 35 élèves, a obtenu des scores bien différents.
Si les finalités de l’évaluation étaient les mêmes, l’intitulé de la question ne s’appuyait pas sur des persona (voir ci-dessous) et expliquent certainement les difficultés rencontrés par certains élèves pour se positionner.
Enfin si la séquence proposée a bien permis de faire prendre conscience aux élèves d’un monde numérique aujourd’hui clivé entre les libristes et les « propriétaires », elle n’outille pas pour autant les élèves face aux choix qu’ils doivent ou seront amener à faire concernant le numérique. C’est à des questions telles que : dois-je écrire à mon enseignant avec mon adresse personnelle ou via la messagerie de l’ENT ? Quel outil vaut-il mieux que j’utilise pour réaliser une production collaborative ? Que choisir entre la production d’un visuel efficace avec un outil qui collecte beaucoup de données personnelles ou un outil respectueux de mes données mais dont la capacité à capter l’attention est moindre ?
Les pistes que j’envisage d’explorer l’année prochaine s’appuie sur l’accompagnement que Mme Valérie Roméas, professeur documentaliste, Lycée Chaplin Décines (69) et moi-même avons proposé à des collègues lors d’ateliers organisés par l’IFE en 2018, dans le contexte de mise en place du RGPD.
Le processus de décision proposé, pour choisir un outil numérique, s’articulait autour de la conscience de 3 composantes :
· les besoins pédagogiques
· les contraintes technico-pratiques liées à l’outil et au cadre scolaire de son utilisation
· le cadre légal (RGPD, Code de l’éducation et règlement intérieur de l’EPLE)
Cette mise en tension des 3 composantes nous a permis de faire des choix raisonnés et respectueux de la loi, le temps que des solutions vertueuses soient développées par l’Éducation Nationale (ENT, APPS, Tchap, …) et facilite les usages numériques des enseignants.
Dans l’offre prolifique d’applications proposées à nos élèves aujourd’hui sur le web pour travailler collaborativement, présenter une production visuelle ou pour échanger, il me semble important de transposer et transmettre cet outil de prise de décision dans l’univers d’un élève. C’est le défi de l’année prochaine.