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Gérer l’hétérogénéité des élèves grâce à ELEA

Par Philippe Jeanjacquot Dernière modification 19/06/2024 09:40
Un exemple de mise en œuvre des recommandations de Sylvain Connac par Ariane Lavollée professeure de mathématiques au lycée Charlie Chaplin

Pour ceux qui ne connaissent pas, ELEA est une plateforme d’apprentissage en ligne accessible via l’ENT qui permet de réaliser des parcours pédagogiques et de suivre la progression des élèves. Elle est basée sur Moodle et sera déployée à l’échelle nationale en 2025. C’est une plateforme qui permettra de partager très facilement toutes les ressources.

Je suis Ariane Lavollée et je suis professeure de Maths en lycée.

 

POURQUOI ?

Mais peu importe la matière, peu importe le niveau, nous nous retrouvons tous confrontés à l’hétérogénéité des élèves.

Classes de 36 élèves qui avancent à des rythmes différents, classes multi spécialités, comment accompagner au mieux chaque élève ?

Comme l’a montré BURNS dans ses postulats, il n’existe pas deux apprenants identiques.

En tant qu’enseignant, nous devons prendre en compte la diversité des élèves et mettre en œuvre des situations d’enseignement et d’apprentissage qui prennent en compte cette diversité.

Il me fallait donc un outil qui permette à chaque élève de planifier, de créer des outils, de mémoriser, de revenir en arrière, de prendre conscience des moyens mis en œuvre pour apprendre mais aussi de créer des liens et de coopérer avec les autres élèves.

Depuis le confinement je me sers de la plateforme Moodle pour accompagner le travail de l’élève et éviter une rupture entre le travail en classe et hors la classe.

En faisant le point sur mon usage d’ELEA pour cette expérimentation, j’ai constaté que ma pratique entrait en résonance avec les propos de Sylvain Connac, chercheur en sciences de l’éducation.

Comme le montre ce schéma, aux classiques activités d’étayage (dans lesquelles l’enseignant transmet, explique, …) et aux activités individualisées (pendant lesquelles l’élève travaille seul), Sylvain Connac propose d’activer un 3ème levier pour aider l’apprentissage des élèves : celui de la tâche amenant l’élève à coopérer. Il qualifie cette proposition de personnalisation des apprentissages, dans la mesure où c’est l’élève et sa relation avec les autres qui est au cœur des activités.

Je vais vous montrer comment Moodle ELEA me permet de gérer l’hétérogénéité en personnalisant les apprentissages et me permet de mettre en œuvre les recommandations de Sylvain Connac. Une première partie concernera le travail individualisé puis une deuxième présentera un travail en groupe.

 

COMMENT ?

En plus des cours traditionnels comprenant des rituels, des notions de cours, des démonstrations, … ELEA me permet tout d’abord de proposer :

 

1. Des temps individualisés

Je commence en général avec une feuille de route qui permet de guider les élèves et de faire le lien entre le travail en classe et hors la classe. Même si elle semble figée, ce n’est absolument pas le cas. Elle est susceptible d’évoluer sans cesse dans son utilisation au gré du travail de la classe, de l’organisation, des élèves, des exigences, … et n’est pas forcément traitée de façon chronologique.

Il s’agit d’un guide pour les élèves qui fait le lien entre la classe et la maison. Elle leur permet de savoir où nous en sommes, ce qu’ils doivent faire, ce qu’ils doivent réviser, ….

De mon côté, je fais le point sur ce que les élèves peuvent traiter en distanciel (tout en leur fournissant un accompagnement) et ce qu’il est important de faire en présentiel.

Elle comporte :

- les prérequis que les élèves travaillent en autonomie avec les documents mis à disposition. Ils ont très souvent une évaluation à réaliser avant d’accéder à la suite du parcours. Cela me permet de suivre chaque élève et de préparer le chapitre à venir ;

- les différentes compétences travaillées dans le chapitre avec toutes les ressources associées, disponibles sur ELEA ;

- des exercices correspondant aux compétences (possibilité de diversifier : les exercices de base à maîtriser et des exercices supplémentaires pour aller plus loin) ;

- des quizz et exercices interactifs pour valider les différentes étapes de l’apprentissage ;

- et éventuellement des vidéos sur l’histoire des Maths, des dossiers scientifiques, … notamment dans l’optique de développer une culture générale pouvant servir pour le grand oral.

Toutes les ressources (sauf les quizz Sacado) étant à disposition sur ELEA.

Pour chaque chapitre, les élèves ont accès à plusieurs sections sur ELEA :

-Une section avec un parcours obligatoire, à réaliser seul et dans l’ordre : il peut contenir des rappels de cours, des sondages sur le ressenti des élèves à un moment donné des apprentissages, des vidéos, des QCM, des devoirs à rendre par les élèves, des exercices interactifs, …

 

Chaque élève peut faire ce parcours à son rythme (mais dans un délai imparti), bénéficie de feedbacks, peut se corriger et réessayer.

  • Le V signifie que l’activité a été validée, le ? signifie que l’activité reste à traiter et le cadenas que l’activité est soumise à l’obtention de certaines conditions lors de l’activité précédente.
  • Au niveau de l’affichage, on peut choisir de ne rendre visible que la carte du parcours pour les élèves ou de tout afficher (carte + ressources associées).
  • Pour passer d’une étape du parcours à la suivante, plusieurs possibilités : libre, passage conditionné par la réalisation d’une activité, passage conditionné par l’obtention d’une note minimum à l’activité précédente, …

L’une des grosses plus-values d’ELEA est qu’elle offre la possibilité de suivre chaque élève dans ses apprentissages. On peut, entre autres, avoir un retour individuel sur l’avancement et la réussite dans le parcours.

Voici un exemple de page de suivi d’activités pour un parcours. Cette page regroupe sur la première ligne l’ensemble des activités avec le type d’activité qui correspond. Chaque ligne correspond à un élève avec son avancement dans le parcours. Lorsque l’on a un cercle noir, cela signifie que l’activité est achevée (si aucun chiffre n’apparaît, elle a été achevée dès la première tentative, sinon, le nombre de tentatives faites pour achever l’activité est noté dans le cercle).

Si le cercle n’est pas noir à l’intérieur mais bleu, ça veut dire que l’activité n’est pas complétée et l’élève devra la terminer (par exemple pour débloquer l’activité suivante). Les cases des activités qui ne demandent pas de retour de la part des élèves (par exemple une vidéo à regarder) sont bleues lorsque les élèves ont marqué l’activité comme terminée.

En fonction des activités proposées, on peut avoir plus de détails.

Vous trouvez ci-dessous les résultats d’une séance d’exercices interactifs.

Le temps utilisé permet de voir que certains ont fait la séance en une fois, d’autres l’ont réalisée sur plusieurs jours mettant en évidence les différences de rythme des élèves.

Voici maintenant les résultats obtenus par mes élèves à un QCM.

Je ne peux pas faire apparaître le nom des élèves mais il faut savoir que les sept premières lignes donnent les résultats obtenus par une même élève lors de tentatives successives. Elles permettent donc de constater la progression réalisée. Chaque élève a la possibilité de refaire les activités autant de fois qu’il le souhaite, la note retenue étant la meilleure (surlignée en bleu).

ELEA permet aussi d’avoir des rétroactions vraiment individualisées. Je demande souvent aux élèves de m’envoyer leur résolution d’un exercice. Grâce à l’outil Devoirs de ELEA, les fichiers n’ont pas à être téléchargés (pas tous en tout cas…) et peuvent être annotés de façon extrêmement simple (tampon, commentaire écrit), à cela peut s’ajouter un commentaire audio, un fichier de feedback, …. Ils ont un retour immédiat et peuvent éventuellement refaire l’exercice et l’envoyer à nouveau.

Il n’y a pas de jugement fait par la classe et ça crée un échange particulier élève-enseignant : bizarrement, alors que tout se passe en distanciel, il y a parfois plus d’interactions qu’en présentiel. Un élève qui ne fait quasiment jamais ses exercices en classe, est obligé de les faire, se rend compte qu’on s’intéresse à son travail, qu’on le conseille. C’est un élément très important dans la motivation des élèves et ça crée une « présence à distance ». (Annie Jezegou)

 

En plus du parcours, les élèves ont aussi accès à d’autres sections :

  • Cours + ressources numériques associées + correction des exemples.

  • Corrections d’exercices (faits en classe, en plus, à la demande), sachant que les corrections des exercices sont souvent celles des élèves

Les types de ressources sont très variés : pdf, vidéo, H5P, lien URL, … et il y a possibilité de cacher des éléments.

Ce que je viens de présenter est un premier moyen de gérer l’hétérogénéité des élèves. Mais ELEA permet également de réaliser la coopération recommandée par Sylvain Connac.

 

2. Une organisation coopérative du travail

La différence entre individualisation et personnalisation est la prise en compte de l’élève en relation avec les autres. On parle d’individualisation quand la tâche est pensée pour chaque élève indépendamment des autres élèves. En ce qui concerne la personnalisation, on prend en compte l’élève et sa relation avec les autres. Il semble donc important d’ajouter une dimension coopérative. Les interactions participeraient à la qualité des apprentissages parce qu’elles aideraient les élèves à mieux comprendre et apprendre (Buchs, 2017) et compléteraient le travail d’étayage fourni par l’enseignant. C’est notamment le cas avec le travail en groupe qui encourage la confrontation des idées et donc le débat réflexif.

On ne pense pas forcément au travail de groupe pour gérer l’hétérogénéité mais c’est un levier intéressant. L’élève change de posture. Les taches sont réparties afin que chacun puisse apporter sa part personnelle au travail collectif. Une entraide se crée, chaque élève trouve sa place et les compétences de chacun sont valorisées.

A travers l’activité que je vais vous présenter j’ai voulu mêler travail de groupes et évaluation par les pairs.

J’ai demandé à mes élèves de réaliser, en groupes, un podcast sur l’application d’une méthode type-bac.

Le travail de groupes a été mené à trois niveaux :

  • En amont de la réalisation du podcast les groupes devaient, après recherches et débats, donner les critères qui, selon eux, font un « bon » podcast.

Grâce à l’outil wiki, les élèves peuvent travailler collaborativement à distance, leur production étant disponible en temps réel pour le professeur : un document par groupe créé que chacun complète. Forcément la capture d’écran est figée, mais elle a été complétée et modifiée au fur et à mesure par les trois membres du groupe.

  • Elaboration des critères d’évaluation de l’oral et construction d’une grille d’évaluation.

Par groupe, les élèves ont établi les critères d’évaluation qui leur semblaient importants et une mise en commun au niveau de la classe a été faite.

Un outil intéressant fourni par ELEA dans ce cadre est l’outil « Atelier » qui permet de définir des critères d’évaluation pour une évaluation par les pairs. Il me semble très important pour les élèves que ces critères soient clairement définis (d’une part, ils savent comment ils seront eux-mêmes évalués et le fait de pouvoir associer un niveau de note à une définition de ce qui a ou n’a pas été respecté les aide dans leur évaluation des autres).

Nous avons défini trois critères d’évaluation, je vous en présente un.

Cliquer sur l'image pour l'avoir à la taille réelle.

 

  • Dernier niveau du travail de groupe : la réalisation en elle-même du podcast.

 

Pour le dépôt du podcast (ou de n’importe quel autre travail demandé), on peut paramétrer la date limite, les instructions pour la remise du travail, pour l’évaluation, des restrictions, …  

On peut choisir d’attribuer les travaux à évaluer aléatoirement entre les élèves ou de choisir qui évaluera qui.

 

Intervient ensuite l’évaluation entre pairs :

Du fait du nombre de groupes formés et des productions individuelles, chaque podcast a été évalué par deux élèves et par moi. J’ai fait la moyenne des notes ainsi obtenue. Je vous présente ici le retour de quelques notations d’élèves via ELEA. On retrouve pour chaque élève les notes reçues et les notes qu’ils ont données.

Beaucoup d’élèves se sont contentés de cocher les critères d’évaluation, mais ils ont aussi la possibilité d’expliquer leur note en faisant un feedback sur le podcast. Voici l’un d’entre eux.

 

APRES ?

Ce que les élèves et moi en pensons (bilan réflexif)

J’ai eu la volonté de confronter mon ressenti à celui des élèves : je leur ai donc demandé de remplir un questionnaire sur leur ressenti quant à mon utilisation de ELEA. J’ai eu 65 retours sur les 72 élèves interrogés. Mon bilan s’appuie donc sur une collecte empirique de retours d’élèves.

En bilan : je vais vous présenter la plus-value pour les élèves, pour l’enseignant, mais aussi des points de vigilance à prendre en considération.

Quelle plus-value : Je ne détaillerai pas tout, mais ce qui est ressorti de façon significative de la part des élèves :

  • Progression à son rythme
  • Correction individualisée
  • Possibilité de refaire le travail demandé après un retour
  •  Travail de groupes, interactions
  • Evaluation entre pairs : élève acteur
  • Familiarisation avec les outils numériques
  • Non multiplication des outils numériques
  • Supports variés (PDF, vidéo, enregistrement audio, document H5P, …)
  • Activités et exercices très variés
  • Développement de l’autonomie

 

De ma part, côté enseignant :

  • Prise en compte des différents processus d'apprentissage grâce à la diversification des supports proposés
  • Association évaluations et rétroactions
  • Possibilités de corrections multiples : pdf annotés, audios, vidéos, …
  • Suivi des élèves (j’en ai présenté une partie mais un journal d’activités très détaillé est consultable pour chaque élève)
  • Gestion des travaux de groupes, notamment hors la classe
  • Evaluation entre pairs facilitée
  • Diversification des évaluations
  • Aide à la validation de certains objectifs de la certification PIX
  • Diversification des activités des élèves, des travaux demandés (que ce soit dans la forme ou dans la difficulté)
  • Regroupement de toutes les ressources sur un support unique
  • Rapports différents avec les élèves

 

Points de vigilance :

Elèves :

  • Accessibilité
  • Prétexte pour ne rien faire (ou ne rien noter) en classe
  • Double activité : apprentissage + usage du numérique

 

Enseignants :

  • Accompagnement
  • Intégration dans les pratiques existantes (fluidité, cohérence, pas de rupture physique ou pédagogique)
  • Prise en charge compliquée de certains types de documents envoyés par les élèves
  • Chronophage

 

En ce qui concerne les points de vigilance, il me semble essentiel de prendre en compte l’accessibilité. Une partie des élèves n’a pas accès à un ordinateur. La lecture des documents sur téléphone n’est pas optimale et certains feedbacks ne sont à priori pas accessibles avec un téléphone.

Il faut aussi penser que l’usage d’un outil numérique sollicite une double activité : celle de l’apprentissage et celle de l’usage du numérique.

Enfin, il y a le côté chronophage de la production de ces activités. Cependant, une fois faites, elles sont réutilisables, modifiables et partageables.

Conclusion :

En conclusion, et contrairement à certaines idées reçues, ELEA ne remplace pas le professeur mais au contraire le rend plus présent. Elle permet de personnaliser les apprentissages et d’avoir une présence augmentée. 

 

 

 

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